vendredi 1 avril 2016

Clients-rois.

Depuis le temps que le gouvernement s’inscrit dans une politique de « l’offre » qui vise à favoriser l’entreprise, l’expression «  client roi » serait-elle juste bonne à être glissée dans la pile de nos cartes de fidélité en voie de péremption ?
Ecole:
Dès la conception, l’unique enfant est « king » : parents pressés, grands-parents empressés, le gâtent. L’école qui n’émeut plus, n’émet plus, attend que le jeune qui ne s’attable plus, lève le nez de ses tablettes. Il n’a pas l’intention de devenir charpentier au bout d’un parcours paresseux balisé de bienveillance. Tant qu’il y aura des culpabilités, Tanguy plantera sa tente chez ses vieux où son autonomie louée dès la maternelle s’assoupit.
Etable:
Tout s’achète et nos campagnes s’achèvent, les gestionnaires de la ruralité mettent la clef sous la porte, la corde sur la poutre. Les vaches n’ont plus de nom et les prix du lait sont plus bas que terre, Leclerc est le roi des caddies. Folles bardèles*.
Elus:
Le clientélisme est devenu le moyen assurant les réélections, mais ça c’était avant.
Ce n’est plus le militant qui choisit mais le supporter au guichet, aguiché primaire.
Les plans de carrière s’ossifient devant l’électeur en majesté, à coiffer d’un bonnet civique pour sa contribution à ne pas vouloir de nouveaux immeubles s’installer devant le sien :
vous ai-je bien consulté pour ne rien changer ?
Et ceux qui prétendaient incarner plus de vertus en politique m’agacent bien plus que les vieux cyniques à qui on n’apprend plus à faire la grimace : Placé & Cosse cumulent, Piolle pipeaute.
L’électeur souverain ne s‘intéresse plus guère à ces comédies. Politique ment.
Europe:
Turquie et Liban reçoivent leurs voisins, la Méditerranée engloutit quelques surnuméraires, Banksy ramène sa fresque à Calais. La France isolée essaye de contenir le mal au Mali et se dispense de penser le problème des réfugiés. L’Europe a-t-elle existé ?
…………
Quand il y a de l'orage, la bardèle devient mauvaise. Une vache en patois dauphinois.
« Taaa bardèles »: pour les rassembler.
…………
Dessin de Pessin sur le site de « Slate »

jeudi 31 mars 2016

Georges de La Tour et les caravagesques français. Jean Serroy.

« Saint Jérôme pénitent dit aussi Saint Jérôme à l'auréole » peint par De La Tour aurait pu servir d’écran d’attente au conférencier, dans son exposé devant les amis du musée.  Appartenant au musée de Grenoble, il est actuellement à Madrid, échangé contre un Le Gréco.
Le maître des ombres et des lumières a été cité déjà dans ce blog :
Au moment où Le Caravage meurt, Rome, religieuse et diplomatique, est très influente ; pour ses relations avec l’Espagne, Paris passe par la ville éternelle. La cité de 100 000 habitants est pourtant moins peuplée que Venise, Milan ou Naples. Mais la contre réforme dans ces années 1620 y bat son plein, les architectes rendent les façades des églises séduisantes et les peintres ont des commandes au-delà des religieux. 
Les visiteurs emportent des souvenirs, souvent des « bambochades » : scènes de la vie quotidienne, des rues et des auberges, au format des sacoches des chevaux.
Les artistes Caravagesques sont allés plus loin que leur maître : après les dieux antiques détrônés et détournés, le naturalisme s’impose, les sujets les plus humbles prennent la lumière, le spirituel doit toucher les sensibilités. Les jésuites s’engagent à donner les clefs d’une rhétorique propre à exciter les cœurs, alors que les jansénistes voient la spiritualité dans l’ascèse.
Jacques Callot, fera le voyage à Rome comme de nombreux collègues. Le graveur évoque ici avec vigueur les « Grandes misères de la guerre » de 30 ans.
Lorrain comme lui, De La Tour, Le ténébriste français le plus fameux, resté à Lunéville n’aura pu prendre connaissance des travaux du Caravage que par des peintres flamands ou hollandais de passage.
«  Les mangeurs de pois », éclairés par la gauche, cadrés à mi-corps, loin des bergers d’Arcadie, ne sont pas idéalisés, l’une est méfiante, l’autre absorbé, leurs gestes dans la continuité, essentiels.

Le « Vieillard » et la  «  Vieille Femme », endimanchés dans leurs  habits colorés, tranchent sur un fond éclairé encore par le jour. Ils viennent du musée De Young à San Francisco, et si bien des musées français exposent De La Tour, sa renommée, importante déjà de son vivant, a repris vigueur dans la deuxième partie du XX° siècle. Sorti de l’ombre.
L’œil ne se perd plus dans le fond devenu noir. Autour du  « Tricheur à l'as de trèfle » éclairé violemment, les regards et les mains jouent.
Il existe plusieurs versions de « Madeleine » réfléchie, dont l’éclairage venu de l’intérieur, fait franchir les portes de la nuit. Celle-ci, « La Madeleine au miroir »,  est intitulée aussi La Madeleine pénitente ou Madeleine Fabius. Le père de Laurent F. l'a vendue à la National Gallery of Art de Washington.
Des enfants paraissent : « le souffleur à la lampe » est éclairé par la lumière qu’il vient de faire naître. 
Le seul petit qui avait été représenté jusque là, Jésus, éclaire magnifiquement « Saint Joseph charpentier », aux manches retroussées, le pied sur une poutre pour qu’elle ne bouge pas ; est-ce la croix ?
« Le nouveau né » est le « Chef-d'œuvre d'entre les chefs-d'œuvre » d’après le critique Thuillier.
La flamme cachée par la main d'une femme découpe la scène en traits simples et aplats quasiment cubistes. Les courbes enveloppant l’évènement célèbrent le mystère universel de la venue au monde d’un bébé, encore dans son cocon.
Alors qu’il aurait été possible de juxtaposer plusieurs « David et Goliath », interprétés par des caravagesques français, je choisirai plutôt  quelque « Diseuse de bonne aventure » de Valentin de Boulogne mort à Rome,
celle de Nicolas Régnier, appelé aussi Niccolò Renieri,
ou  l’égyptienne de Simon Vouet qui  fait les poches, en faisant l’impasse sur celle de De La Tour, 
mais pas sur « La Femme à la puce » moderne de forme,  massive de corps, dans un calme propice à la méditation : de l’intimité la plus prosaïque à la profondeur de l’âme humaine.
« Loth et ses filles » évoquera le baroque Claude Vignon, l'un des peintres français les plus célèbres de l'époque de Louis XIII, contemporain de Poussin qui lui refusa l’héritage du Caravage. 
Quant à Trophime Bigot, son « homme criant » ouvrant sa bouche d’ombre, nous saisit.    
 « On peint ce qui est en nous, ce qui n’a pas de bords, ce qui est noir à l’intérieur » Walter.

mercredi 30 mars 2016

Cinéma et fantastique. Andrevon.

L'écrivain grenoblois multi cartes, auteur d’une encyclopédie du cinéma fantastique et de science-fiction nous a présenté aux amis du musée, quelques extraits de films qui ont marqué le genre dans une chronologie bousculée, comme il se devait.
La frontière entre le fantastique, irrationnel, et la science fiction, une «conjecture romanesque rationnelle » peut être mouvante, comme le temps et l’espace qui sont en jeu dans ces contes de faits, quand les fées ne sont pas innocentes.
La colonisation (américaine) peut s’étendre jusqu’aux empires galactiques.
Jules Verne avait ouvert la voie à l’anticipation et Méliès envoyé le public des boulevards dans la lune dès 1902.  
Si Asimov l’inventeur du terme « robotique » a seulement été brièvement cité, ses textes de 1964 concernant l’année 2014 sont étonnants de lucidité http://www.lexpress.fr/culture/livre/1964-2014-les-incroyables-predictions-d-isaac-asimov_1277191.html .
Les soucis politiques et écologiques nous précèdent dans le futur.
« Planète interdite » de Fred Wilcox dans lequel un monstre est créé par une machine qui s’alimente à l'inconscient d’un savant, remet en cause notre destinée d’humain-trop humain.
Datant également des années 50, « Les survivants de l’infini » de Jack Arnold,  un space opéra, transcrit avec des effets spéciaux déjà spectaculaires et en couleurs, un univers né dans les pulps (magazines imprimés sur du mauvais papier) genre Amazing Stories.
Les vaisseaux de « 2001, l'Odyssée de l'espace » de  Stanley Kubrick, sont encore clean,  alors que Le Nostromo, nommé ainsi en hommage à Conrad, prend de la rouille. Celui-ci ramène Alien, monstre invulnérable, sur terre, malgré sa dangerosité.
Dans « Contact » réalisé par Robert Zemeckis,  un travelling magnifique nous fait traverser les galaxies.
L’espace vient aussi à nous dans « La Guerre des mondes » de HG Wells de 1898, métaphore de l’empire britannique dominant le monde : ce sont les martiens  qui attaquent Londres. 
Orson Welles est entré dans l’histoire en reprenant le sujet à la radio en 1938 et 
Tim Burton nous a régalé avec une parodie en proposant  « Mars Attacks » il y a près de 20 ans déjà.
La formule « Klaatu barada nikto » prononcée à destination du robot Gort dans le film « Le jour où la terre s’arrêta » de Robert Wise est encore un sujet d’interprétations, sa reprise par de nombreux dialoguistes ravit les amateurs.
Il conviendrait peut être de se rendre maître du temps pour faire face aux menaces qui  pullulent dans ces films qui visent à impressionner.
Au pays des tremblements de terre et des tsunamis, « Godzilla »  monstre marin nourri à l’atome a rassemblé quelques traits effrayants, il détruit Tokyo. La version japonaise sera différente de l’américaine.
Dans la série des chef d’œuvre : « Métropolis » de Fritz Lang , écrit en 1927 avec sa femme qui finira chez les nazis,  présente un monde de 2026, dystopique (contraire de utopique) coupé en deux : travailleurs sous terre et oisifs dirigeants en haut. 
Le fameux « Soleil vert » de Richard Fleischer dans les années 70  est bien sombre et s’alarme de la surpopulation.
« Interstellar » de Christopher Nolan, le plus récent des films cités, va chercher une faille dans l’espace-temps  et part « à la conquête des distances astronomiques dans un voyage  interstellaire ».
La production française bien qu’inspiré par Ray Bradbury pour Truffaut dans « Farenheit 451 »
n’a guère investi ces thèmes bien qu’une « Croisière sidérale »  de Zwobada avec Bourvil en 1942, fasse quelques allusions à l’occupation : « Françoise, jeune mariée, part dans la stratosphère sans son mari, mais avec Lucien, joyeux père d'un beau bébé. Une erreur de manipulation les projette dans l'espace. Au retour, le mari de Françoise aura les cheveux gris et le bébé sera en passe de se marier. »
Godard dans « Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution » a tourné dans la toute jeune maison de la radio avec Eddie Constantine et Anna Carina qui retrouve les mots proscrits : « je vous aime »
Le metteur en scène et l’actrice se séparaient à ce moment là.

mardi 29 mars 2016

Azrayen. Lax. Giroud.

Je m’étais demandé pourquoi les noms du dessinateur et du scénariste étaient plus en évidence que le titre de l’édition intégrale.
C’est que les pères acteurs de cette guerre sans nom ont inspiré ce récit dont la préface de Benjamin Stora valide le travail minutieux des fils qui fournissent des annexes copieux.
En 1957, une section de vingt-deux hommes a disparu en Kabylie, un autre groupe de militaires part à leur recherche, en se comportant parfois de façon très brutale à l’égard des populations. 
Azrayen est le surnom du lieutenant disparu, « l'Ange de la Mort », amant d’une institutrice berbère qui participe un moment aux recherches, elle n’a pas la langue dans sa poche :
 « C'est vous qui parlez de civilisation ? Vous qui rasez des villages entiers ? Vous qui déportez leurs habitants dans des camps immondes ? Vous qui torturez les patriotes dans le secret de vos caves ? »
Mais le propos n’est pas manichéen :
« A quoi bon un pays débarrassé de l'occupant s'il y règne encore la tyrannie des coutumes et des barbaries d'un autre âge ? »
C’est l’hiver et parmi les pierres et la misère, la situation de guerre parait encore plus insensée pour les colonisés et les occupants : qu’y a-t-il à gagner ?
Violence et incertitudes : un scénario bien mis en valeur par des dessins nerveux et des couleurs au réalisme sonnant juste.

lundi 28 mars 2016

A perfect day. Fernando Leon de Aranoa.

Une équipe d’humanitaires dans les Balkans affrontant l’absurde, nous fait partager un humour qui les sauve du désespoir. Dans deux véhicules, deux vieux baroudeurs et la petite dernière à initier, assurent sous des dehors forcément désinvoltes, une mission dont l’efficacité ne tient qu’à une corde. Les paysages sont magnifiques, les filles jolies, les puits maléfiques, les vaches piégeuses, un innocent ballon devient un objet de pouvoir révélateur des incompréhensions. Excellent, on peut penser à « M.A.S.H. ». Avec Benicio Del Toro, Tim Robbins, Olga Kurylenko, Mélanie Thierry.

dimanche 27 mars 2016

Les insoumises. Isabelle Lafon.

Un tel titre a beau devenir anodin au pays des « mutins de Panurge » comme disait Philippe Muray, c’est pourtant un moment intense que nous avons partagé dans le Petit Théâtre de la MC2. Il est justement question de la recherche des mots justes et de la violence de cette quête dans les trois séquences proposées, du temps de Staline en Russie, avec Virginia Wolf à Londres et dans un hôpital psychiatrique.
Deux entractes d’une demi-heure entre trois séquences d’une heure dix laissent le temps de prendre une bière et une soupe à La Cantine de « La maison de la culture » qui commence à s’organiser plus efficacement.
D’abord « Deux ampoules sur cinq » : depuis un appartement communautaire à l’époque de Staline, la poétesse Anna Akhmatova et la journaliste Lydia Tchoukovskaia, femmes de lettres, comme on disait dans ces années 30, ont des raisons de  se méfier des mots. Un fils emprisonné, un mari arrêté, l’une apprend les créations de l’autre pour en conserver la mémoire plus sûrement que sur un support papier. A la lumière de lampes torches, elles se confient et surmontant l’urgence, la poésie les sauve.
« Let Me Try » s’inspire du journal de Virginia Woolf. Trois actrices mettent en forme les différentes personnalités de celle qui voulait « saisir les choses avant qu’elles ne se transforment en œuvre d’art ». Elles sont drôles et tragiques, légères et brûlantes, iconoclastes, enluminant le moindre feuillage. L’écriture se cherchant, enrichit, colore la langue, élargit la pensée.
Dans la troisième partie «  Nous demeurons », peut-on parler d’ « insoumises à la raison » à propos de femmes qui viennent exposer leurs délires poignants rassemblés dans des revues de psychiatrie ? Elles sont submergées par des voix intérieures, leur souffrance est exposée avec conviction par les comédiennes qui nous rendent proches ces aliénées de la fin du XIX° siècle.
Si les démarches en Russie ou à Londres étaient une recherche de liberté, malgré leur vigueur commune, elles ne peuvent se confondre avec l’expression des diverses folies. « Expression » comme on  dit d’un linge tordu ou comme on presse un fruit, elle se rapproche parfois de nos expériences, quand les mots résistent. Mais je me méfie d’une vision candide de termes aux allures chatoyantes qui sont pour ces femmes seules autant de cris dans le désert, aux désarrois irréductibles.

samedi 26 mars 2016

L’amour humain. Andreï Makine.

Le titre situe l’ambition du roman qui embrasse l’histoire de la décolonisation en Afrique.
« une vie qui nait quand l’Histoire, ayant épuisé ses atrocités et ses promesses, nous laisse nus sous le ciel, face au seul regard de l’être qu’on aime »
Elias, l’africain héroïque, un révolutionnaire professionnel formé par les russes, connaitra Cuba et les exaltations, les désillusions de la guerre froide en pays chauds.
Le côté « Un Angolais en Sibérie » invite à la comparaison avec une bande dessinée qui serait magnifiquement dessinée: le style est coloré, mais le scénario conventionnel n’évite pas les facilités, avec contrastes entre champagne des colloques et eau des marigots, sur fond d’ apparitions de belles qui ne font que passer.
 « Et ce soir là, en 1967, sur une plage cuivrée par le couchant, il apprit la fin d’Ernesto.
Cette mort resta ainsi à jamais liée, dans son souvenir, au saignement vif des nuages, à la somnolence des vagues, au visage éploré de cette jeune cubaine qui lui annonça la nouvelle. Une chevelure raidie par le sel, des lèvres dont il effaça, d’un baiser, un gémissement un peu trop artistique »
Entre un amour absolu et irrésolu et les pauvresses violées, la place est réduite pour que des personnages hésitent, vivent, s’approchent, se connaissent.
La fresque de 295 pages peut s’envisager comme un poème avec reprise au refrain  de quelques motifs : une femme dont les soldats vont fouiller la bouche pour en extirper quelques  granules de diamants, un enfant enterré avec son masque, le creux du coude de la mère, une maison en bois au perron enneigé…
« A Luanda un couple parle de la graisse restée dans une poêle, à Lusaka une femme dort à côté de son mari diplomate qu’elle n’a jamais aimé, à Paris une intellectuelle rédige un texte sur les révolutions trahies … »