vendredi 4 mars 2016

Le Postillon. Février mars 2016.

Les Albert Londres de la place Saint Bruno nous livrent ce printemps 16 pages telles qu’on peut les attendre d’eux : inattendues et familières.
Classiques : les réactions outragées de Ferrari, président de La Métro, après l’article à lui consacré dans une édition précédente.
Distingués : portrait distancié du directeur du journal concurrent « Les Affiches » dont il est difficile de différencier les articles des publicités. Cette fois l’hagiographe Andrevon qui vient de rédiger un livre en l’honneur de son patron est pris le doigt dans la confiture.
Infiltrés : Dans un séminaire de la Banque postale où il est question pour les « chargés de clientèle » de se gaver avec les crédits à la consommation proposés à leurs clients.
Opportun, documenté, évitant les simplifications : Des précisions sur le conflit en cours au « Magasin », le bien nommé centre d’art contemporain, où le pognon, les copinages ravagent tout.
Original : un article consacré aux ferrailleurs pour qui « c’était mieux avant » la mondialisation.
Opportun : autour des conséquences des restrictions du conseil général envers les éducateurs hors zone prioritaire.
Renouvelé : le regard des cathos sur l’écologie non à travers un papier général mais rassemblant des opinions issues de rencontres variées.
Ma rubrique préférée : un dérivé de portrait chinois, bien que se référant parfois à quelques personnalités obscures, mais « Gorilles dans la brume » comme film dédié à Fabrice Landreau, entraineur du FCG rugby révèle un certain courage. Carignouille la fripouille serait bien dans « Les Visiteurs » car tant des choses ont changé maintenant qu’ « on veut virer les chariottes du diable du centre ville pour les remplacer par les bestioles montées par Dame Longo ».
………..
Dans « Le Canard » de cette semaine  et sur le site de "Slate":

jeudi 3 mars 2016

Le spectacle des rues & des chemins. Musée de l’Ancien Evêché.

Jusqu’à fin mai 2016 le musée de la rue Très Cloîtres à Grenoble propose les photographies prises entre 1890 et 1908 par Joseph Arpin, greffier de justice né à Montferrat,
C’était du temps où le pont de la Porte de France se construisait, où des vaches étaient à l’attelage d’une charrue du côté des Eaux Claires.
Les enfants se baignaient dans le Drac et pour traverser l’Isère un bac à trailles était en service à Saint Martin d’Hères, alors que des radeaux de grumes étaient amarrés au quai de la Graille.
Au vu du titre de l’exposition, je m’attendais à suivre ces petits cirques qui passaient autrefois de village en village, là ce sont des vues plus banales qui témoignent de l’emprise de l’armée sur la ville de Grenoble ou de petites saynètes de la vie familiale.
L’emplacement tracé à la craie où la petite Marie doit poser est visible sur la photographie
et les convives d’un repas dominical sont quelque peu figés,
les vues de  la campagne avec enfants et chèvres sont plus vivantes,
une femme et son ombrelle sur la route de la Bérarde est  plus inhabituelle.


 

mercredi 2 mars 2016

Michel Pellissier



Nous avons accompagné Pellissier au cimetière d’Allemont ce premier mars 2016.
Il avait écrit  en juin 2003 :
« L’orage ici c’est d’abord un peu de vent soudain que l’on ne sent pas
mais que l’on voit courir à la cime des touffes de frênes qu’il courbe.
Et le ciel qui noircit sur le massif des Rousses.
C’est dans ce noir que roulent les premiers grognements du tonnerre.
C’est loin encore et, pour un peu, ça s’arrêterait là.
Ma tante disait : « c’est là que ça se plaide ».
Jusqu’au moment où un vent plus fort et plus fou, désordonné, bouscule en tous sens, les arbres et les herbes.
Alors le tonnerre s’emballe et craque à grands coups :
le plaidoyer a tourné en faveur de l’orage… »
Je prends un autre extrait de cette lettre à la belle écriture.
« J’écris entre trois bougies sur un papier d’écolier, le seul que j’ai trouvé ici où je n’étais pas venu avec la pensée d’écrire. C’est un papier d’enfance, un papier d’apprentissage, bref un papier comme on n’en fera bientôt plus. Mais lorsqu’il s’agit de parler autour de la mort, on est toujours un peu à l’école. »
Le maître modeste écrivait ainsi depuis sa montagne magnifique,
celui qui fut dans les combats anti autoritaires avait une autorité certaine.
Membre fondateur de « l’école moderne » il portait aussi l’écho du passé.
Il avait vu les terres du nouveau monde et n’oubliait pas ses amis depuis son coin au dessus des nuages.
Découvreur familier des bouquinistes, il précédait les modes,
donnait de la valeur à la simplicité et rehaussait l’essentiel,
simple, comme on dit de certaines plantes médicinales et des cœurs discrets.
Curieux de technologie et d’un incorruptible esprit critique envers les dernières futilités,
conteur magnifique, écrivain trop rare, penseur exigeant, profond et élémentaire,
il était instituteur.
De ses mains, il faisait chanter la terre, animait des brindilles et montait des charpentes, des jouets et des maisons, des jardins …
Il faut bien Primo Levi quand toute la fragilité et le poids du mot  « homme »  sont contenus dans le titre de son œuvre majeure « Si c’est un homme », pour situer la hauteur de notre gratitude d’avoir connu Michel Pellissier qui nous a appris la dignité d’être homme jusqu’au dernier essoufflement.
« Souviens-toi du temps
Avant que se fige la cire :
Chacun  de nous porte l’empreinte
De l’ami rencontré en route.
Dans les bons et les mauvais jours,
Nous les fous et nous les sages,
Chacun marqué par chacun.
Maintenant que le temps presse,
Que les combats sont finis,
 A vous tous le souhait modeste
Que l’automne soit long et doux. »

En lien musical : Felix Leclerc. La mort de l’ours, ci dessous:

mardi 1 mars 2016

La présidente. François Durpaire Farid Boudjellal.

Le frère du président du Racing club de Toulon qui dessina « Le gourbi » et « Le petit polio » passe au noir et blanc, pour mettre en images réalistes, les textes de l’historien consultant sur BFM.
L’intention est louable, le résultat inégal, le début bien vu avec des éclairages originaux,  mais quelques péripéties semblent improbables, dans l’hypothèse d’une victoire à la présidentielle de Marine Le Pen contre Hollande : Sarkozy, Fillon, Bayrou  ayant disparu après le premier tour.
Ce qui est intéressant c’est l’incrédulité d’une vieille résistante et sa colère qui contraste avec l’impavidité des commentateurs dans les médias, si ce n’est une grève dans l’audiovisuel public pas vraiment inattendue.
Il y a bien quelques échauffourées, des rappeurs arrêtés, mais ce sont les conséquences de l’application du programme économique qui sont bien documentées : inflation, effondrement des investissements, explosion du chômage… Des affrontements  ont lieu en Nouvelle Calédonie.
Il est question d’état d’urgence, mais ça y est on a déjà donné, et l’insistance des auteurs sur la surveillance qui laisse l’opinion assez indifférente en ce moment, donne à réfléchir quant aux conséquences redoutables si l’appareil d’état tombe en de telles mains. Surtout que les extrémistes en veulent encore plus : Philippot est enlevé, un coup d’état se prépare, le premier ministre Gérard Longuet est effacé, la présidente hésite.

lundi 29 février 2016

Nahid. Ida Panahandeh.

En Iran aussi, les fils de famille monoparentale peuvent être insupportables. La maman ne vient pas à bout de son fils préadolescent, elle se débat en tous sens, accumulant les dettes et les dissimulations dans une société où le mensonge est la règle. Entre un ex junkie et un nouveau « temporaire », elle n’a pas même pas le temps de se poser la question  de choisir entre un rôle de mère ou d’amante ; heureusement sa copine lui permet d’assurer au jour le jour un gite toujours incertain. Nous pouvons apprécier cette énergie féminine, en regrettant de la voir se dévoyer dans l’achat d’un canapé rouge tranchant sur le noir ambiant et entrer dans un engrenage qui est d’avantage un motif dramatique que comique.

dimanche 28 février 2016

Ne me touchez pas. Anne Théron.

Quand au programme de la MC 2 s’est annoncée une pièce de théâtre autour des « Liaisons dangereuses », peu de temps après la performance de la princesse de Clèves http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/la-princesse-de-cleves-magali-montoya.html je pensais me plonger dans des œuvres patrimoniales, mais n’en soupçonnais pas une si vive actualité.
Un tel titre, après les évènements de Cologne, sonnerait comme un  infranchissable commandement, alors qu’avec les siècles écoulés depuis « Les liaisons dangereuses » (1782) dans le genre « pas touche minouche ! » aurait pu être compris comme une rebuffade ambigüe.
De cette époque des lumières qui pointaient alors en Europe, m’émerveille toujours la sophistication des sentiments. Cette liberté portée avec élégance par quelques aristocrates allait accompagner, vivifier, les libertés politiques promulguées par la révolution de 1789.
D’autres, aujourd’hui, ennemis de la complexité, veulent la tuer, la liberté, la tuent.
L’utilisation de mots anglais dans le texte proposé m’a plutôt semblé vulgaire («  game over »)  alors que les dialogues, sans parodier la langue de Pierre Choderlos de Laclos, rendent bien la richesse des relations, les jeux, les drames des deux amants qui ne cessent de parler d’amour et se retrouvent encore plus seuls. Pourtant l’idée de faire évoquer les aventures passées de madame de Merteuil et Valmont avec des mots du cinéma est bienvenue : qui aujourd’hui n’est pas venu au théâtre avec dans la tête Malkowitch, voire Gérard Philippe et Jeanne Moreau?
Le vicomte militaire se serait inspiré de « la chronique scandaleuse de Grenoble où il fut en garnison pendant six ans ».  
Le « Quartett » de Müller qui est une réinterprétation de l’œuvre originale a aussi servi pour cette vision contemporaine qui ne supportait pas la fin tragique des femmes. 
«Cessez de mépriser vos proies, Monsieur, vous me prenez pour une dinde ou toute autre femelle à plumes incapable de distinguer vos manœuvres d’approche…vous rêvez de me fouler aux pieds. Lâchez ma main… ne me touchez pas. »
Le destin des manipulateurs libertins est donc transformé : la dame poitrine nue au départ a gagné en liberté mais la mélancolie supplante bien vite la sensualité, Don Juan est fatigué.
Malgré une certaine froideur, la sincérité, le désir, la révolte, sont toujours là, par le pouvoir de mots qui ne tiennent pas en 140 caractères.
Un troisième personnage, la voix off, est incarné par une actrice, avec une belle présence parmi les miroirs ayant perdu leur éclat, des carrelages défaits, devant une projection vidéo discrète éclairée magnifiquement qui prolonge dans la rêverie un noble décor en voie de désagrégation.
Quel metteur en scène essaiera comme avec la version fleuve telle que Madame de Lafayette avait écrit sa « Princesse », de donner l’intégralité  des « liaisons » par Laclos ?
Quand on lit à la page 379 de l’édition Flammarion :
« Adieu, ma chère et digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en consoler » 
Il n’y a pas besoin de rajouter des « much love» ou des « fuck ».

samedi 27 février 2016

Dans le grand cercle du monde. Joseph Boyden

Après le chemin des âmes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/le-chemin-des-ames-joseph-boyden.html  tant aimé, il faut être à la hauteur quand la presse présente le dernier roman de l’irlando amérindien comme « le premier grand roman canadien du XXI siècle ». Il l’est, grand.
Violent, subtil, palpitant et touchant au plus vif de notre humanité, historique, mystique, politique et intime, exotique, flamboyant, instructif, épique, étourdissant.
Au XVIIème siècle, au Canada, trois narrateurs donnent leur vision d’un monde à découvrir, à évangéliser, à préserver, ce qui évite le manichéisme : bon sauvage contre vilain colonisateur.  
Ce sont, réunis par un destin cruel, « Le Corbeau » : un jésuite breton, « Chutes-de-Neige » : une jeune iroquoise farouche qui vient d’être adoptée par le massacreur de sa famille, « Oiseau », un chef Huron.
Il est grand temps d’enrichir des images enfantines.
Les  sociétés indiennes sont sophistiquées : les « sauvages » cultivent les trois sœurs (maïs, courge, haricot), et vivent dans  des conditions climatiques extrêmes, aggravées par les guerres incessantes entre tribus. Leur rapport à la nature est mythique et leur cruauté ahurissante, le respect de l’ennemi se juge à sa capacité à subir les tortures les plus ignobles.
« Comme lui non plus ne réagit pas au bâton rougi que je lui enfonce dans l’oreille, je réclame une coquille de clam avec laquelle je lui coupe deux doigts, et pour qu’il ne se vide pas de son sang, j’enduis les moignons sanguinolents de poix brûlante. »
Une horloge devient « capitaine de la Journée », poétique et mystificatrice, et nous redécouvrons :
« Il prétend même avoir tâté leurs vêtements qui ne sont pas faits de peau d’animal mais fabriqués par de vieilles sorcières qui, comme les araignées, produisent du fil que d’autres vieilles sorcières tissent. ».
Le courage et la force de la foi se livrent au milieu de la fureur, des puanteurs, de la misère la plus extrême:
« Seigneur, je crois bien que c’est la dernière fois que je verrai le soleil se lever sur cette terre que Vous avez créée, et je prie pour que Vous me donniez la force d’accepter avec dignité et en état de grâce, les souffrances que je suis sur le point d’endurer, car mon corps n’est que le vaisseau de mon âme. Et quand ce vaisseau se brisera, mon âme s’élèvera jusqu’à vous. »