mercredi 2 mars 2016

Michel Pellissier



Nous avons accompagné Pellissier au cimetière d’Allemont ce premier mars 2016.
Il avait écrit  en juin 2003 :
« L’orage ici c’est d’abord un peu de vent soudain que l’on ne sent pas
mais que l’on voit courir à la cime des touffes de frênes qu’il courbe.
Et le ciel qui noircit sur le massif des Rousses.
C’est dans ce noir que roulent les premiers grognements du tonnerre.
C’est loin encore et, pour un peu, ça s’arrêterait là.
Ma tante disait : « c’est là que ça se plaide ».
Jusqu’au moment où un vent plus fort et plus fou, désordonné, bouscule en tous sens, les arbres et les herbes.
Alors le tonnerre s’emballe et craque à grands coups :
le plaidoyer a tourné en faveur de l’orage… »
Je prends un autre extrait de cette lettre à la belle écriture.
« J’écris entre trois bougies sur un papier d’écolier, le seul que j’ai trouvé ici où je n’étais pas venu avec la pensée d’écrire. C’est un papier d’enfance, un papier d’apprentissage, bref un papier comme on n’en fera bientôt plus. Mais lorsqu’il s’agit de parler autour de la mort, on est toujours un peu à l’école. »
Le maître modeste écrivait ainsi depuis sa montagne magnifique,
celui qui fut dans les combats anti autoritaires avait une autorité certaine.
Membre fondateur de « l’école moderne » il portait aussi l’écho du passé.
Il avait vu les terres du nouveau monde et n’oubliait pas ses amis depuis son coin au dessus des nuages.
Découvreur familier des bouquinistes, il précédait les modes,
donnait de la valeur à la simplicité et rehaussait l’essentiel,
simple, comme on dit de certaines plantes médicinales et des cœurs discrets.
Curieux de technologie et d’un incorruptible esprit critique envers les dernières futilités,
conteur magnifique, écrivain trop rare, penseur exigeant, profond et élémentaire,
il était instituteur.
De ses mains, il faisait chanter la terre, animait des brindilles et montait des charpentes, des jouets et des maisons, des jardins …
Il faut bien Primo Levi quand toute la fragilité et le poids du mot  « homme »  sont contenus dans le titre de son œuvre majeure « Si c’est un homme », pour situer la hauteur de notre gratitude d’avoir connu Michel Pellissier qui nous a appris la dignité d’être homme jusqu’au dernier essoufflement.
« Souviens-toi du temps
Avant que se fige la cire :
Chacun  de nous porte l’empreinte
De l’ami rencontré en route.
Dans les bons et les mauvais jours,
Nous les fous et nous les sages,
Chacun marqué par chacun.
Maintenant que le temps presse,
Que les combats sont finis,
 A vous tous le souhait modeste
Que l’automne soit long et doux. »

En lien musical : Felix Leclerc. La mort de l’ours, ci dessous:

mardi 1 mars 2016

La présidente. François Durpaire Farid Boudjellal.

Le frère du président du Racing club de Toulon qui dessina « Le gourbi » et « Le petit polio » passe au noir et blanc, pour mettre en images réalistes, les textes de l’historien consultant sur BFM.
L’intention est louable, le résultat inégal, le début bien vu avec des éclairages originaux,  mais quelques péripéties semblent improbables, dans l’hypothèse d’une victoire à la présidentielle de Marine Le Pen contre Hollande : Sarkozy, Fillon, Bayrou  ayant disparu après le premier tour.
Ce qui est intéressant c’est l’incrédulité d’une vieille résistante et sa colère qui contraste avec l’impavidité des commentateurs dans les médias, si ce n’est une grève dans l’audiovisuel public pas vraiment inattendue.
Il y a bien quelques échauffourées, des rappeurs arrêtés, mais ce sont les conséquences de l’application du programme économique qui sont bien documentées : inflation, effondrement des investissements, explosion du chômage… Des affrontements  ont lieu en Nouvelle Calédonie.
Il est question d’état d’urgence, mais ça y est on a déjà donné, et l’insistance des auteurs sur la surveillance qui laisse l’opinion assez indifférente en ce moment, donne à réfléchir quant aux conséquences redoutables si l’appareil d’état tombe en de telles mains. Surtout que les extrémistes en veulent encore plus : Philippot est enlevé, un coup d’état se prépare, le premier ministre Gérard Longuet est effacé, la présidente hésite.

lundi 29 février 2016

Nahid. Ida Panahandeh.

En Iran aussi, les fils de famille monoparentale peuvent être insupportables. La maman ne vient pas à bout de son fils préadolescent, elle se débat en tous sens, accumulant les dettes et les dissimulations dans une société où le mensonge est la règle. Entre un ex junkie et un nouveau « temporaire », elle n’a pas même pas le temps de se poser la question  de choisir entre un rôle de mère ou d’amante ; heureusement sa copine lui permet d’assurer au jour le jour un gite toujours incertain. Nous pouvons apprécier cette énergie féminine, en regrettant de la voir se dévoyer dans l’achat d’un canapé rouge tranchant sur le noir ambiant et entrer dans un engrenage qui est d’avantage un motif dramatique que comique.

dimanche 28 février 2016

Ne me touchez pas. Anne Théron.

Quand au programme de la MC 2 s’est annoncée une pièce de théâtre autour des « Liaisons dangereuses », peu de temps après la performance de la princesse de Clèves http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/la-princesse-de-cleves-magali-montoya.html je pensais me plonger dans des œuvres patrimoniales, mais n’en soupçonnais pas une si vive actualité.
Un tel titre, après les évènements de Cologne, sonnerait comme un  infranchissable commandement, alors qu’avec les siècles écoulés depuis « Les liaisons dangereuses » (1782) dans le genre « pas touche minouche ! » aurait pu être compris comme une rebuffade ambigüe.
De cette époque des lumières qui pointaient alors en Europe, m’émerveille toujours la sophistication des sentiments. Cette liberté portée avec élégance par quelques aristocrates allait accompagner, vivifier, les libertés politiques promulguées par la révolution de 1789.
D’autres, aujourd’hui, ennemis de la complexité, veulent la tuer, la liberté, la tuent.
L’utilisation de mots anglais dans le texte proposé m’a plutôt semblé vulgaire («  game over »)  alors que les dialogues, sans parodier la langue de Pierre Choderlos de Laclos, rendent bien la richesse des relations, les jeux, les drames des deux amants qui ne cessent de parler d’amour et se retrouvent encore plus seuls. Pourtant l’idée de faire évoquer les aventures passées de madame de Merteuil et Valmont avec des mots du cinéma est bienvenue : qui aujourd’hui n’est pas venu au théâtre avec dans la tête Malkowitch, voire Gérard Philippe et Jeanne Moreau?
Le vicomte militaire se serait inspiré de « la chronique scandaleuse de Grenoble où il fut en garnison pendant six ans ».  
Le « Quartett » de Müller qui est une réinterprétation de l’œuvre originale a aussi servi pour cette vision contemporaine qui ne supportait pas la fin tragique des femmes. 
«Cessez de mépriser vos proies, Monsieur, vous me prenez pour une dinde ou toute autre femelle à plumes incapable de distinguer vos manœuvres d’approche…vous rêvez de me fouler aux pieds. Lâchez ma main… ne me touchez pas. »
Le destin des manipulateurs libertins est donc transformé : la dame poitrine nue au départ a gagné en liberté mais la mélancolie supplante bien vite la sensualité, Don Juan est fatigué.
Malgré une certaine froideur, la sincérité, le désir, la révolte, sont toujours là, par le pouvoir de mots qui ne tiennent pas en 140 caractères.
Un troisième personnage, la voix off, est incarné par une actrice, avec une belle présence parmi les miroirs ayant perdu leur éclat, des carrelages défaits, devant une projection vidéo discrète éclairée magnifiquement qui prolonge dans la rêverie un noble décor en voie de désagrégation.
Quel metteur en scène essaiera comme avec la version fleuve telle que Madame de Lafayette avait écrit sa « Princesse », de donner l’intégralité  des « liaisons » par Laclos ?
Quand on lit à la page 379 de l’édition Flammarion :
« Adieu, ma chère et digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en consoler » 
Il n’y a pas besoin de rajouter des « much love» ou des « fuck ».

samedi 27 février 2016

Dans le grand cercle du monde. Joseph Boyden

Après le chemin des âmes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/le-chemin-des-ames-joseph-boyden.html  tant aimé, il faut être à la hauteur quand la presse présente le dernier roman de l’irlando amérindien comme « le premier grand roman canadien du XXI siècle ». Il l’est, grand.
Violent, subtil, palpitant et touchant au plus vif de notre humanité, historique, mystique, politique et intime, exotique, flamboyant, instructif, épique, étourdissant.
Au XVIIème siècle, au Canada, trois narrateurs donnent leur vision d’un monde à découvrir, à évangéliser, à préserver, ce qui évite le manichéisme : bon sauvage contre vilain colonisateur.  
Ce sont, réunis par un destin cruel, « Le Corbeau » : un jésuite breton, « Chutes-de-Neige » : une jeune iroquoise farouche qui vient d’être adoptée par le massacreur de sa famille, « Oiseau », un chef Huron.
Il est grand temps d’enrichir des images enfantines.
Les  sociétés indiennes sont sophistiquées : les « sauvages » cultivent les trois sœurs (maïs, courge, haricot), et vivent dans  des conditions climatiques extrêmes, aggravées par les guerres incessantes entre tribus. Leur rapport à la nature est mythique et leur cruauté ahurissante, le respect de l’ennemi se juge à sa capacité à subir les tortures les plus ignobles.
« Comme lui non plus ne réagit pas au bâton rougi que je lui enfonce dans l’oreille, je réclame une coquille de clam avec laquelle je lui coupe deux doigts, et pour qu’il ne se vide pas de son sang, j’enduis les moignons sanguinolents de poix brûlante. »
Une horloge devient « capitaine de la Journée », poétique et mystificatrice, et nous redécouvrons :
« Il prétend même avoir tâté leurs vêtements qui ne sont pas faits de peau d’animal mais fabriqués par de vieilles sorcières qui, comme les araignées, produisent du fil que d’autres vieilles sorcières tissent. ».
Le courage et la force de la foi se livrent au milieu de la fureur, des puanteurs, de la misère la plus extrême:
« Seigneur, je crois bien que c’est la dernière fois que je verrai le soleil se lever sur cette terre que Vous avez créée, et je prie pour que Vous me donniez la force d’accepter avec dignité et en état de grâce, les souffrances que je suis sur le point d’endurer, car mon corps n’est que le vaisseau de mon âme. Et quand ce vaisseau se brisera, mon âme s’élèvera jusqu’à vous. »

vendredi 26 février 2016

Ski scolaire à Saint Egrève.

Un de mes camarades, qui n’a pas oublié le sens du mot « camarade », m’a fait parvenir un texte pour partager ses inquiétudes sur le devenir du ski pendant le temps scolaire à Saint Egrève.
Cet acquis éducatif de 40 ans d’âge permet, deux ans de suite, à tous les enfants de la commune de faire connaissance avec une pratique en fond et en piste réservée de plus en plus à une minorité. 
Au-delà des vertus du plein air, où se surmontent les appréhensions et s’éprouve le sens de l’équilibre, ce sont des moments fondamentaux de formation qui seraient compromis.
Je me souviens d’une élève, surplombant la pente depuis le télésiège, qui constatait émerveillée : 
« j’ai descendu tout ça ! »
Bien mieux que tant de discours pour expérimenter la confiance et de nouvelles dimensions : c’est de grandir et aimer le monde qu’il s’agit !
A réinvestir dans des domaines quand la lumière est plus chiche et les lunettes de soleil inutiles.
Mais je ne vais pas tartiner sur ces plaisirs aigus qui rougissent les oreilles, révèlent le prix d’un abricot sec en tant que remontant et la valeur d’une première étoile. Je reprochais à mon avertisseur  de faire reluire les cerises abusivement dans un texte exhaustif, en convoquant dans cette affaire de flocons, les traités européens et le qualificatif infamant : « libéralisme économique ». Voilà que je l’imite en rappelant la réflexion, ô combien datée, d’une collègue fière de payer des impôts. Je m’exalte dans des souvenirs d’un Jack London collant à la ferraille d’un forfait et recolore bien vite les pistes où dévalaient les petits.
Ils s’étaient essayés à conter au micro des cars qui nous montaient dans le Vercors, quand la notion de plateau pouvait mieux se comprendre, en promettant de revenir sur les traces des résistants des années 40.
L’affaire est politique, même si je ne formule pas mon désaccord comme ce collègue, retiré lui aussi  des cahiers à corriger,  et toujours résistant qui en appelle aux siècles antérieurs, afin de donner de l’énergie à ceux qui pourraient renoncer avant de combattre :
«  Si les ouvriers s'étaient mis à la place des patrons… il n'y aurait pas eu de conquêtes »
Cette menace d’un abaissement pédagogique est le prix à payer des impôts considérés comme boulets, de la soumission aux temps égoïstes et une des conséquences de la modification des rythmes scolaires, allant de pair avec des évolutions des périmètres d’intervention des collectivités locales. Dégradations bien contemporaines des missions de l’école oublieuse de ses objectifs de démocratisation. Ignorer par ailleurs les raisons des gérants d’une commune serait idiot, comme serait contre-productif  de s’opposer  à de telles mesures d’économie en se  drapant dans quelque drapeau rouge, hors de saison.
Aux instits, aux parents, de valoriser ces expériences indispensables à un développement harmonieux des élèves. Aux élus à faire preuve de pédagogie envers les contribuables pour que le ski scolaire ne soit pas envoyé par le fond.
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Dessin paru dans "Le Point":

jeudi 25 février 2016

Au-delà du cinétisme. Thierry Dufrêne.

Quels sont les ancêtres des sculptures machines ?
Pour répondre à cette question de la troisième conférence concernant le mouvement dans l’art,  l’intervenant devant les amis du musée de Grenoble projette un extrait du film « Dans la peau de John Malkovich ».
Une marionnette en bois au bout de ses fils, connait le désespoir en se regardant dans un miroir, et lorsqu’elle croise le regard de son créateur, elle peut se demander à qui s’adressent les bravos.
Le poète allemand  Kleist  dans son « Essai sur le théâtre des marionnettes » a mis en scène un danseur face à des « fantoches » innocents et spontanés, pour qu’il apprenne à perdre sa vanité.
Les moteurs ont remplacé les doigts des marionnettistes, déjà le beau canard de cuivre de notre Vaucanson mangeait et digérait.
Thierry Dufrêne par ailleurs commissaire de l’exposition « Persona » au musée des Arts Premiers a incité le public à venir quai Branly à Paris où est exploré dans les civilisations les plus diverses, la question : « comment un objet accède à un statut de personne » ?
L’automate de Stan Wannet, n’a pas de tête, c’est qu’il est en cours de construction. 
La réinterprétation par l’ingénieur et artiste hollandais de l’escamoteur de Bosch peut surprendre comme les oiseaux de Zwanikken, mêlant l’organique et l’artificiel, imitant « Le bon la brute et le truand ».
La frontière entre art majeur et populaire est de plus en plus ténue, dans ce domaine en particulier, depuis les statues de marbre inertes aux œuvres mécaniques en métal ou en bois. Giacometti trouvait plus facilement des regards dans les statues du monde que dans les yeux blancs des bords de la Mer Egée.
Tinguely achetait des tableaux mécaniques au musée des arts forains avec ses musiques entrainantes dont un aperçu incite aussi à la visite et rappelle l’importance du son dans les œuvres d’aujourd’hui. Il avait propulsé à une échelle monumentale une esthétique de l’abstraction, fait rouler Kandinsky :
« L'unique chose stable c'est le mouvement, partout et toujours. »
Et Calder, lui, disait : « Je voudrais faire des Mondrian qui bougent ».
Chris Burden a frôlé la mort à plusieurs reprises, il s’était fait tirer dessus.
Ses machines volantes étaient des rouleaux compresseurs « The Flying Steamroller », et des maquettes de bateaux tournant autour de la tour Eiffel.

Pour ce qui concerne, l’art savant : sous la toile blanche sensuelle de Norio Imai un objet se devine qui pousse. « White Event IV »
Les traces de ratissages dans le sable comme celui d’un jardin sec à la japonaise sont effacées dans le même mouvement. Elle renouvelle  dans « Foyer (« Home »)  le thème des natures mortes sous des éclairages variables en les enfermant derrière des limites qui à la fois dénoncent la place exclusive des femmes à la cuisine, alors que d’autres aimeraient accéder à ces nourritures.
Le terme mímêsis venu de chez Aristote définit l'œuvre d'art comme une imitation du monde alors dans le sombre musée des arts premiers, propice à la survie des âmes, les robots vont-ils  devenir nos fétiches contemporains parmi d’autres fétiches ?  Heureusement la mythologie grecque est toujours pleine de richesses pour nous ressourcer, remonter à nos recherches artistiques tellement humaines, par exemple lorsque « Pygmalion » épouse sa statue. Mais « L’inquiétante étrangeté » se retrouve même chez le guilleret Offenbach: dans ses contes, Hoffmann s’est laissé aveugler : Olympia est une poupée !
Un robot à chapeau melon nommé « Berenson » du nom d’un historien de l’art se promène dans l’exposition parisienne, il est né d’un anthropologue et d’un ingénieur, on lui apprend à aimer les œuvres, alors il met sa bouche en cœur en une admiration statistique il suit les appréciations du public.
Hiroshi Ishiguro apprend à répondre à ses robots dont une dernière version est comme son double recouvert de latex, pour lequel il est question qu’il assure des conférences à la place du concepteur : là nous entrons dans la vallée de l’étrange.
« Lorsque l’objet se met à ressembler trop à l’un d’entre nous, il devient au mieux bizarre au pire totalement effrayant. Si l’on reporte ces observations sur une courbe, on verra celle-ci grimper au fur et à mesure que le degré d'humanité de l’objet augmente. Jusqu’au moment ou la courbe atteint son apogée avant de s’effondrer. C’est ce trou dans le graphe qui constitue la “vallée de l’étrange”. »