« Le primitif perdu au milieu des modernes »,
disait à Picasso : «Nous sommes les
deux plus grands peintres de ce siècle, toi dans le style égyptien, moi dans le
style moderne »
Devant les amis du musée, le conférencier Gilbert Croué a
présenté l’œuvre d’Henri Rousseau qui ne
fut jamais douanier - ce surnom fut proposé par Alfred Jarry - mais employé de
l’octroi. Le récit de sa vie apporte un éclairage utile sur un style singulier identifiable
au premier coup d’œil.
« Le rêve », sa dernière toile tonique, exubérante,
avec ce sofa au milieu d’une jungle aimable, est en majesté au Moma à New York
comme d’autres tableaux qui ont trouvé leur place dans les musés les plus
prestigieux. Certains ont été retrouvés chez un plombier, dans une ferme, chez
sa blanchisseuse ; Picasso en acquit et son ami Delaunay aussi.
Sa poésie, son efficacité picturale, sa spontanéité, furent
reconnues par certains de ses pairs dont Signac, Gauguin, Cabanel… Il s’était mis à la
peinture à 41 ans.
Né à Laval en 1844, il déménage à Angers après la faillite
de son père ferblantier. Il travaille chez un avoué mais doit s’engager dans
l’armée après avoir commis un petit larcin. Il fait partie de la musique du
régiment du 5° génie, se montrant attentif aux récits de soldats revenant du
Mexique. Il deviendra d’ailleurs plus musicien que peintre, écrivant des
poèmes, des pièces de théâtre,
Il s’installe à Paris et se marie avec Clémence, l’amour de
sa vie, avec laquelle, bien que remarié, il dialoguera bien après la mort de
celle-ci. Ils avaient eu huit enfants dont un seul a survécu.
Le peintre du dimanche a obtenu la carte de copiste qui lui
permet d’accéder au Louvre.
Ses premiers paysages avec vaches, moulin à eau et charrette
révèlent des problèmes de proportions, de cohérence.
Dans « La promenade dans la forêt » est ce Clémence qui l’attend parmi les arbres
dont l’harmonie annonce des réussites prochaines ? En tous cas, il s’est
documenté dans les catalogues de sa
femme couturière à la manière d’un Cézanne qui se constituait des
cahiers d’images.
« Un soir au carnaval » est présenté pour la première
fois au Salon des Indépendants où 7000 peintures étaient exposées pour autant
de sculptures. Pissarro en dira du bien, même si les sarcasmes à son égard
furent plus nombreux que les éloges, cependant l’ingénu est sûr de lui.
Dans le « Rendez vous en forêt »
les personnages s’embrassent en habit
XVIII°, inspirés du maître des frondaisons, Watteau, dont il conservait quelques
reproductions dans son atelier.
« L’île de la Cité » nocturne, blafarde, graphique installe un
décor puissant.
Dans « Moi même, portrait paysage » il porte la faluche, signe distinctif des
peintres, et redécouvre une démarche déjà présente dans les intentions de ses
confrères, quand l’arrière plan ajoute au portrait, le commente. Pour la
première fois, la Tour
Eiffel, si décriée par ses contemporains, apparait. Les
lignes électriques de la modernité s’invitent dans ses paysages à Malakoff, avions et dirigeables à Ivry ou sur le pont de
Sèvres, des rugbymen jouent dans le bois de Boulogne.
Le peuple danse autour des deux républiques, dans « Le centenaire de
l’indépendance », alors que « Les représentants des puissances
étrangères viennent saluer la république en signe de paix ».
Son efficace allégorie de « La
guerre » est plus convaincante que la seule lithographie qu’il
exécuta sur le même thème.
Il réalisa un seul paysage de la mer, qu’il ne vit jamais,
pas plus que la jungle dont il peupla tant ses toiles de grande taille dont
l’achat le ruinaient, lui, qui malgré la mansuétude de son propriétaire, était
dans la misère. Ses animaux sauvages venaient du jardin des plantes ou du catalogue des galeries Lafayette.
« Surpris ! » par l’orage, est le tigre dans une végétation
exotique, exubérante et riche de couleurs éloquentes.
Un lion renifle « La bohémienne endormie »,
ses singes sont « De joyeux
farceurs » et sa
« Charmeuse de serpents » doit beaucoup au récit de la mère de Delaunay
qui revenait d’Inde.
Ses portraits d’enfants solitaires sont empreints de
mélancolie, les représentations de Pierre Loti, de Guillaume Apollinaire et Marie Laurencin, « à grand poète,
grosse muse », ne comblèrent pas forcément les intéressés.
Dans un banquet en son honneur,
organisé au « Bateau lavoir » avec Picasso, Braque, Max
Jacob, que dire de mieux que Guillaume Apollinaire :
« Tu te souviens,
Rousseau, du paysage aztèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu'on
fusilla là-bas.
Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers. »
Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers. »
Brancusi grava quelques vers de son ami au « gentil Rousseau », sur une tombe
plus digne que la fosse commune où seulement sept personnes l’avaient
accompagné, l’annonce de son enterrement était arrivée trop tard.