mardi 23 juin 2015

Si Dieu existe. Joann Sfar.


« … je sais pas à quoi il sert ».
Le dessinateur qui a travaillé à Charlie hebdo, nous livre un riche carnet de dessins et de textes après le 11 janvier.
Et comme le disait Sartre : « c'est l'antisémitisme qui crée le juif », l’auteur du « Chat du rabbin » s’interroge sur sa condition et rapporte cette blague :
«  de ne pas manger casher est excellent pour la santé parce que ça évite de prendre une balle ».
 Avec sincérité, auto dérision, il revoit sa place d’homme après le départ de sa femme, la mort de ses parents, d’humain dans un monde où la barbarie progresse.
Si l’éclectisme du réalisateur impressionne, 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/09/le-chat-du-rabbin-joann-sfar.html 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/02/jeangot-1-renard-manouche-joann-sfar.html 
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/01/le-petit-prince-joann-sfar-saint.html
son omniprésence dans les médias peut agacer, pourtant c’est bien parce que je l’ai entendu à la radio que j’ai choisi d’acheter ce recueil de 220 pages, et je ne me suis pas trompé.
Comme Shneiderman chez Finkielkrault l’autre samedi, il vacille. Mais les traces fines de sa plume comme celles d’un sismographe sont élégantes, ses mots tracés à la main font partager une sensibilité toujours teintée d’un humour léger pour ne rien asséner. Son corbeau se pose sur notre épaule et  nous adressons des caresses à son chat qui ne l’a pas abandonné mais se montre sans complaisance, ses interrogations deviennent les nôtres,  et ses traits bien à lui nous font du bien.


lundi 22 juin 2015

Mustang. Deniz Gamze Erguven.

Cinq jeunes sœurs se laissent aller à la joie des vacances. Elles ne retourneront pas à l’école, la grand-mère qui les garde finit par subir et imposer la loi de l’Islam, réglant la vie de toutes les filles jusqu’à l’intérieur d’une maison autour de laquelle seront érigées des barrières de plus en plus hautes pour les empêcher de s’évader.
Mariages forcés et vêtements aux couleurs «  de merde » : l’une d’entre elles se suicide, les deux plus jeunes finissent par s’échapper vers Istanbul.
Une énergie, une fraicheur face au conformisme des plus glauques  donnent des motifs d’espérer même sous les éteignoirs des plus rétrogrades.
Des scènes excellentes : la tante  dégomme un transformateur,  la petite  casse une chaise parce qu’ « elle a touché son trou du cul » et plongeon sur un matelas alors que la mer leur est retirée. Quand elles vont dans un stade où les femmes sont les seules autorisées à suivre un match, l’épisode est véridique et délicieux.
Ce film est essentiel, poétique et fort quand l’obsession de réprimer le sexe exacerbe les tensions les plus brutales. Cette maison devenue une prison va leur permettre de fuir.
Dans Slate j’ai lu : « Au cours de l'année 2014, 294 femmes turques ont été tuées. »

dimanche 21 juin 2015

La maladie de la mort-Aurélia Steiner. Marguerite Duras, Moïse Touré.

J’avais envie de retrouver l’écriture de Duras. 
«Ecriture presque distraite, qui court, qui est plus pressée d'attraper des choses que de les dire ».
Dans le petit théâtre de la MC2, la tentative de transporter « l’exilée en Afrique », en mêlant la danse à la lecture, recélait des promesses de dimensions nouvelles à partir d’une personnalité mythique de notre littérature.  
Le metteur en scène dit : « à l’image de Duras, la femme africaine est synonyme de résistance ; elle est un barrage contre les démons de l’existence ». Oui ce sont bien ces femmes qui tiennent ce continent debout, l’eau, le manioc, les enfants, la danse, les Mercédès Benz ... Mais en dehors d’évocations « du fleuve », je n’ai pas partagé les intentions du fondateur de la compagnie « Les Inachevés » de La Villeneuve.
L’accès aux pages fiévreuses simples et énigmatiques de l’auteure de l’Amant n’est pas facilité : je me suis  retrouvé dans ma nature de garçon mono-tâche, perturbé par la superposition de mouvements venant à côté des mots, alors qu’on peut croire que la danse suit en principe la musique. Pourtant le rythme de Marguerite obsédant, répétitif, elliptique, en recherche, nous eût suivis parfois comme rengaines.
Les danseurs traduisent un malaise, avec intensité, mais les belles séquences où ils se rencontrent sont trop rares
Et je suis également lassé des danses sans musique, de beaux gestes trop vite interrompus qui tournent au Parkinson. L’utilisation d’une vidéo malingre m’a semblé superfétatoire et certains dispositifs compliquent plus qu’ils n’éclairent : les mannequins de vitrines disséminés  sur la scène représentent la femme objet comme celle évoquée dans le texte, pour laquelle l’espoir et le désespoir n’apparaissent pas avec tellement d’évidence.
« Elle vous demande la couleur de la mer.
Vous dîtes : Noire.
Elle répond que la mer n'est jamais noire que vous devez vous tromper.
Vous lui demandez si elle croit que l'on peut vous aimer.
Elle dit qu'en aucun cas on ne le peut. Vous lui demandez : A cause de la mort ? Elle dit : Oui, à cause de cette fadeur, de cette immobilité de votre sentiment, à cause de ce mensonge de dire que la mer est noire. »

samedi 20 juin 2015

Le mal de mer. Marie Darrieussecq.

Bien consulter la quatrième de couverture, sinon ces 126 pages seront encore plus difficiles à lire. 
Les sentiments de la mère dépressive partie, comme ça, au bord de la mer avec sa fille, de la petite, de la grand-mère se succèdent avec toujours un moment d’accommodement nécessaire au lecteur pour savoir qui s’exprime. 
Volontairement obscur avec une attention aux lumières et aux paysages hors saison qui permettent quand même de respirer.
« Le bruit de la mer monte, comble ces trous de l’espace où ne sonnent plus ni oiseaux ni insectes. Pourtant ce qu’elle entend est comme une exagération du silence, un silence liquide, matériel. »
Mais cette littérature ne semble pas écrite pour quelqu’un, il s’agit d’une recherche personnelle et à trop insister sur le sable et l’eau, les personnages disparaissent.
 « Ce moment où l’espace s’est fendu par le milieu, a bondi sur les côtés et s’est liquéfié en cette masse noire, repoussant les bords du ciel en les fondant, les buvant, et respirant, par millions de fentes rouges s’ouvrant et se fermant sur la masse noire immobile, par milliers de petites bouches sur l’énorme bouche noire close où persiste une lueur pâle à l’endroit où le soleil a joué de la langue. »
Nous sommes à Biarritz.
Bien des impressions sont tellement exacerbées, quelques êtres fantastiques et effrayants tellement conventionnels, que nous restons indifférents. Vice rédhibitoire pour moi : le cartable  de l’écolière qui a du suivre sa mère est resté dans  la voiture qu’elle a vendue : alors l’empathie n’est pas gagnée pour cette mère qui a oublié aussi  à boire pour le pique-nique. 
Par ailleurs des pensées d’adulte prêtées à un enfant m’indisposent toujours autant. 

vendredi 19 juin 2015

Dans quel état t’es tu mis ?

En des temps soixantanars, l’état était honni, me voilà rendu à le défendre maintenant qu’il est loin d’être omnipotent, ce pelé, ce gaulois :
produit  naturel d’une société avec ses compromis,
produit durable des contradictions d’une histoire.
Un « bloc » disait Clémenceau de la révolution française.
Mais le char de l’état est malmené par l’inconduite des gouvernants, ses blindages sont rongés par l’air corrosif des temps capitalistes qui portent la guerre comme la nuée porte l’orage, ainsi disait Jaurès ou plus exactement:
 « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage. »
Il faut aller chercher les mots dans un autre siècle, ceux d’à présent ne servent plus à rêver mais à tromper : 
« Licencier plus facilement pour mieux embaucher », «latin pour tous, pour mieux le supprimer »…
Quand  Vals exhorte la gauche et les intellectuels avant de les insulter, sans arrêter de  tomber à droite à tous coups, quand les mots de solidarité sont utilisés alors que la France refuse la proposition de l’Europe de répartir les réfugiés, notre foi a de quoi se faire de la bile.
Pour des mots qui me touchent de près, ceux de l’éducation nationale me taraudent : ridicules mais loin d’être anodins, avec le mammouth sous moumoute qui travaille à rendre les enseignants à vocation d’animation aussi incompréhensibles que des banquiers, des notaires.
La mutation du rôle de l’école en arrive à un stade accablant : on renonce à la transmission pour gagner une tranquillité illusoire.
Dans la réforme du collège fut choisi le camp des parents contre les profs, à rapprocher de la préférence du MEDEF plutôt que des syndicats en d’autres légiférations,  mais les amadoués n’ont guère de reconnaissance.
« Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ».
Churchill est sans doute trop grand pour appliquer ses mots à une réalité de l’école assoupie. Mais par ailleurs, là sur nos trottoirs, que fuient Soudanais, Erythréens, sinon la guerre ?
Plus nos gouvernants font les malins, plus la réalité les dément. L’état ne fait plus la loi dans certains quartiers, on le sait.  Et on n’ose voir le poids financier des organisations criminelles auprès desquelles, si on leur adjoint les malhonnêtes, il ne restera même plus un quelconque trésorier de Sou des écoles à pouvoir se promener la tête haute.
Tiens, le Sou des écoles de Saint Egrève risque de mettre la clef sous la porte.
………….
Dans "Le journal du jeudi" à Ouagadougou repris par "Courrier international", une vision peu flatteuse de la France :

jeudi 18 juin 2015

De Picasso à Warhol - Une décennie d'acquisitions.

Visite guidée par Etienne Brunet au musée de Grenoble.
Plaisir de la révision des dernières expositions avec quelques regrets d’en avoir manqué quelques unes, avec à chaque fois, la chance d’apprendre sous la houlette d’un passeur qui aime partager ses connaissances, tout en rappelant des réflexions de ses élèves pour ajuster son propos et le rendre palpitant.
L’exposition qui se tiendra jusqu’au 30 août  2015 est installée pour nous permettre de mieux comprendre la cohérence de l’institution muséale où l’entregent des conservateurs joue aussi son rôle.
La réactivité permise lors d’acquisitions par « Les Amis du Musée » vient compléter, dons et mécénat, sous l’œil confiant, jusque là, de la Ville, de la Région, de l’Etat et leurs engagements.
Depuis sa fondation en 1798, le musée a acquis une notoriété certaine ; il s’agit là des emplettes les plus récentes.
Parmi 150 peintures, photographies, sculptures, des dessins par exemple témoignent d’œuvres en devenir, et assurent des liens avec un ensemble déjà riche auquel Le Louvre ou Beaubourg, maintenant décentralisés, ne peuvent plus guère apporter de compléments.
Contemporaines, modernes ou anciennes, les œuvres bougent, correspondent entre elles.
Dans la première salle, peut on s’arrêter devant le travail de Van Dongen, peintre en milieu mondain  quand il utilise les réserves comme le fit Matisse ? Un modèle de Camoin saute aux yeux. 
Bonnard en nommant sa toile «  Nature morte jaune et rouge » annonce que les moyens plastiques l’emporteront sur le sujet.
Nous traversons les écoles : « Support et surface », « Arte povera », « Nouveau réalisme » et la question du choix revient : pourquoi accrocher cette toile? Pourquoi l’acheter ?
Et si le musée ne pourra jamais se payer un Duchamp, le fantôme du pape de la modernité traverse les murs et nous tire par les pieds :
« S'ils savaient que l'art n'est déjà plus la peinture ! »
Le « Verre » de Picasso, achat récent,  avec une épingle  plantée dans son collage marque une fois de plus l’histoire, après les étapes du cubisme cézanien, analytique, et synthétique.
Picabia saisit un mouvement mais la couleur n’entre pas dans ses lignes.
Plus loin Chaissac, le fatigué, peut dialoguer avec Dubuffet et l’art brut, Arthaud bouillonne sous des traits stoïques.
Derrière « Jackie » du bleu de la mélancolie, d’Andy Warhol, se devine le profil de John Kennedy d’un siècle « pop art » enfui, il y a plus de 50 ans.
Arman dans une des ses « colères » accumule les guitares, Villeglé prélève des affiches quand Spoerri appelle une archéologie nouvelle pour découvrir son « déjeuner sous l’herbe ».
Ryman et sa surface blanche interroge : l’idée l’emporte sur la production. Le contexte sacralisé fait l’œuvre, qu’est ce qu’une œuvre d’art, une image ? Suffira-t-il d’apercevoir  notre reflet sur un escalier en laque noire pour nous sentir en ascension ?
C’est de l’art minimaliste, un miroir est installé tel quel.
Muñoz lui pose un personnage qui n’arrive pas à se voir devant son miroir, il a les yeux fermés et nous pouvons réfléchir.
Penone présenté récemment place Lavalette est encore dans nos mémoires
Parmi d’autres invités de ces dernières années, Wolfgang Laib et ses pollens avait frappé les esprits.  Ainsi que Thomas Schütte se moquant des catégories avec des têtes monumentales en poterie émaillée,  
David Tremlett, peintre voyageur, avait retenu les œuvres fugaces d’Inde et magnifié le détail d’une précieuse feuille d’arbre tombée sur une place africaine.
Une vidéo de Bruce Nauman fut acquise avant la vogue de cette forme d’expression.
Spoil : une souris va passer dans le champ d’une caméra braquée sur un bureau pendant une heure, genre première caméra de surveillance, verdâtre.
Merz met la main, « Cinq doigts », comme un rappel des empreintes contre les parois préhistoriques avec des matières très présentes dans un expressionisme impressionnant.
Et une « origine du monde » en fin de parcours sculptée dans le bois telle une Fanny de jeu de boules, répond à la prostituée de Camoin  en début de visite : qu’est ce qu’un modèle ?
Je guetterai si Favier est dans les parages car ce que j’ai aperçu titille les curiosités.

mercredi 17 juin 2015

Pour toi Grenoble. Red Kaos 94.

Le plus actif club de supporters du GF 38, RK 94, a rédigé un ouvrage collectif consacré à un siècle de football grenoblois et même un peu plus, puisqu’ils datent de 1892 la naissance de l’ « association athlétique du Lycée » Champollion, club omnisport comportant une section « football association » pour le distinguer alors du  « football rugby ».
La rédaction de ces 217 pages n’est pas le fait de professionnels et comporte des maladresses qui en font le charme pour le lecteur bienveillant, malgré un manque de synthèses percutantes. Depuis une bannière « red » on peut attendre une lecture plus politique du foot à Grenoble, y compris avec une prise de recul sur le phénomène supporter qui aime rappeler l’histoire et parle « gône » à Lyon et « minot » à Marseille. L’iconographie est également  un peu répétitive à base d’image de fumigènes ou de « bâches » pour reprendre une expression d’une culture « ultra » qui combat le racisme en ce qui concerne la branche grenobloise arborant volontiers l’effigie du « Che ». Ils ont animé la tribune Finet à Lesdiguières avant les grandes heures, trop brèves, au stade des Alpes.
Le club dirigé longtemps par Pierre Behr  avait été tenté par le professionnalisme en 1942, abandonné sous Pétain qui voyait d’un mauvais œil « la perversion par l’argent et la spécialisation qui nuit au développement harmonieux du corps » et à nouveau essayé dans les années 50. La variété des dénominations du club atteste sa fragilité  pour ne retenir dans l’histoire récente, utile à rappeler : l’OGI (Olympique Grenoble Isère), la fusion avec FC La Capuche, le FC Jojo, Norcap. Série en cours.
Roger Garcin, administrateur au club depuis 53 ans reconnaît « qu'en ayant connu 24 présidents, trois dépôts de bilan et un redressement judiciaire, le club ne s'est jamais stabilisé et qu'il faut à chaque fois recommencer à zéro ».
L’équipe dont la devise est « Ensemble, gagnons les sommets » a longtemps été assidue de la deuxième division avec deux titres dans les années 60. Sa dernière présence en ligue 1 a valu au groupe entrainé alors par Baždarević, le record à l’échelle européenne de 12 défaites en 12 journées, et pourtant cette année là, en 2010, les équipiers de Ljuboja ont infligé un 4/0 au PSG.
Le livre a été écrit avant la victoire de cette année contre l’OM où  figuraient Romao, Dja Djedje, Thauvin, anciens de la rue de Valmy (adresse du SDA stade des Alpes).
Mais j’ai retrouvé le compte rendu de la rencontre contre le Reims de Kopa et Piantoni qui  rassembla 22 334 personnes, record d’affluence qui tient encore. C’était le 11 novembre 1960 et les commémorations de l’armistice en avaient été perturbées : il manquait 22 musiciens sur les 35 de la fanfare. J’y étais et j’étais triste car l’équipe rémoise ma favorite avait perdu.
Alors entrainée par Albert Batteux, le prestigieux tacticien viendra plus tard dans les Alpes où il laissera le souvenir d’un homme exceptionnel qui face aux retards de paye du club le plus fauché de l’hexagone « assurait le salaire de quelques joueurs sur ses propres deniers ».
Les temps changent.