vendredi 21 février 2014

Instruction/éducation.

L’école est à poil, prise entre des demandes contradictoires : d’un côté remède à toutes les démissions, de l’autre : devant se taire.
J’en étais resté aux mamans mono parentes qui ne savaient plus quoi faire de leurs mômes et qui attendaient que l’école les éducasse. Dans un ciel vide, à quel saint se vouer ?
Et voilà qu’au XXI° siècle - cachez ce sein - réapparait la vieille méfiance envers l’éducation nationale, ministère dit de l’instruction publique jusqu’à Edouard Herriot.
Nous en sommes là : le terme instruction est employé essentiellement dans le champ judiciaire, rarement pour caractériser le travail à l’école. Le mot « savant » est devenu lui aussi obsolète, … et il n’y a plus d’argent pour chauffer des salles en fac.
J’exerçais du temps où les enfants disaient : « la maîtresse en maillot de bain » et à la fin de l’année : « les cahiers au feu et le maître au milieu », la confiance régnait.
Aujourd’hui il faut des kits, des programmes, des instructions, pour apprendre l’égalité, tout un catéchisme qui aura autant de pouvoir de persuasion que le clérical, s’il n’est ancré dans la vie de la classe. Regardez la sortie d’un établissement scolaire après les dispositifs bien pensés de la prévention routière où tout le monde a son diplôme : ralentissez !
Pas facile d’éduquer : une visite au Musée de la Résistance peut être une occasion de déconner pour certains collégiens, mais quand même tout le monde ne « fait pas la quenelle » à Auschwitz.
La mode du « principe de précaution » alliée au conformisme conduit l’école au politiquement insipide : conjuguons le verbe pouvoir au passé simple et qu’on rigole !
Les planches anatomiques dans les dictionnaires sont au complet depuis un moment, mais les enfants attendront d’être en médecine pour fourrer une paire de testicules dans les poches des copines.
Que de complications !
Tout le monde semblait d’accord pour une réforme des rythmes scolaires : eh bien une demi-journée de plus le mercredi, avec les autres jours de 6h apaisés, utiles, dynamisés par des intervenants extérieurs et une maîtresse à bord, c’était trop simple!
Les rares porteurs de soutanes - d’autant plus virulents qu’ils sont rares – et imans à barbe poussée de frais se donnent la main contre l’école des mécréants qui n’émet plus guère et n’émeut pas plus. « Ecole des mécréants », je viens d’entendre cette expression  archaïque de la part  d’une adolescente qui a rejoint les brigades internationales en Syrie. Elle réactive une question lancinante : comment se fait-il que ces jeunes qui malgré les aléas ont été accompagnés dans leur scolarité avec bienveillance, vomissent notre école, pour aller vers des milieux des pires contraintes où « la mort est une récompense » d’après un autre djihadiste venu de nos banlieues ?
PISA prend-il en compte ces échecs ? De la même façon que des pédagogues pionniers ont été interpelés par les élèves indociles, y aura-t-il un ressaisissement des acteurs de l’école qui ont de meilleurs rôles à jouer pour des responsables parents que celui du procureur ou pour les enseignants celui de l’enfermement corporatiste ?
Pieuses paroles, mais puisqu’il est question de professionnels : qu’ils enseignent en assumant des choix, le reste sera donné de surcroit.
Pour commencer, en haut de la page : « Veuillez bien écrire la date.»
Bien qu’aux Etats Unis on n’apprenne plus à écrire  et euh … 2013 ou 1435 ?
« Et pour cet art de connaître les hommes, qui vous sera si important, je vous dirai qu'il se peut apprendre, mais qu'il ne se peut enseigner. » Louis XIV au dauphin (Louis croix bâton vé)
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Dans "Le Canard" de cette semaine:

jeudi 20 février 2014

Goya Francisco. Néo classicisme et romantisme.

Pour les amis du musée de Grenoble, Gilles Gentil a choisi l’ordre chronologique pour faire valoir la richesse des talents du peintre à la cour d’Espagne qui mourut à Bordeaux en 1828 à 82 ans.
Le graveur a alterné avec le peintre de cartons de tapisseries, le maître du portrait s’est révélé après des travaux en chapelles. Cette variété pourrait se voir comme dans sa représentation d’un printemps lumineux et charmant voisinant avec un rude hiver.
La permanence de sa force se retrouve dans la famille nombreuse de ceux qu’il a inspirés : Picasso et ses taureaux n’est pas seul. Pour prendre dans l’actualité des expositions : Vallotton  qui écrivit « c’est la guerre », grave un massacre de civils dans une cave où des canons pointent dans un coin.
Dans sa série des « désastres de la guerre » réalisée à partir de 1810,  une planche intitulée « On ne peut regarder cela » préfigure le « Tres de mayo » où l’inhumain vainqueur sans visage tient le fusil.
La représentation d’une « Rixe à l’auberge nouvelle » n’est pas franchement un sujet aimable bien que sa facture pleine d’ardeur, de vivacité dans l’exécution nous ravisse. Elle vient dans les œuvres de jeunesse avec  la plaisante « Ombrelle » ou  « Le marchand de vaisselle » dont les repentirs rendent une atmosphère étrange.
Nous sommes amenés à plonger dans « La prairie de San Isidoro » traitée en panoramique qui alterne les teintes claires et sombres derrière des personnages grandeur nature.
Loin des multitudes chamarrées, un condamné solitaire « Le garrotté », la tête boursouflée, les pieds crispés, accuse.  Pourtant le garrottage était un privilège de noble, par rapport à la pendaison roturière.
Au musée de Besançon, on peut voir des « Cannibales préparant leurs victimes » ou « montrant des restes humains » plus probablement inspirés de caricatures anglaises contre-révolutionnaires que d’Iroquois ayant massacré des jésuites.
Power point permet de nous approcher des toiles, ainsi la flèche d’argent dans les cheveux de la reine Marie Louise offerte pas son amant le duc Godoy, se retrouve plus tard, bien plus tard, dans un portrait de vieilles se regardant  dans un miroir où est écrit au dos « Que tal ? » « Comment ça va ? ». Elles peuvent voir la mort derrière elles.
Pepita Tudó, l’autre maîtresse du duc, qui inspira la « Maya vestida»  et la « desnuda » nous regarde dans les yeux, elle  figurait en face de « La Vénus au miroir » de Vélasquez dans un pays ou l’inquisition avait raréfié les nus et inquiété Francisco Goya.
 « Toute cette cour qui fut emplie de son nom resplendit pour nous de son soleil noir ». Malraux.
Le roi Ferdinand 7 disparait derrière les vibrations colorées de son costume et la réunion qu’il préside, « la junte des Philippines » s’ouvre sur du vide.
Le monstrueux « Saturne dévorant son fils » accueillait les visiteurs de la « maison du sourd » qu’il était devenu, envahie d’autres peintures noires. 
Est-il plus terrible que le « Duel au bâton » où deux hommes les jambes enfoncées dans la terre s’entretuent ?  
« Le sommeil de la raison engendre des monstres »
De nombreux écrivains ont apporté des mots qui ont sublimé les œuvres majeures de l’Aragonais, mais  je retiens cette citation du créateur lui-même : n’annonce-t-elle pas la venue d’une peinture nouvelle ?
« Où se trouvent les lignes dans la nature ? Moi je n’y vois que des corps éclairés et des corps qui ne le sont pas… »

mercredi 19 février 2014

Brins d’Afrique :

Le compte rendu de notre voyage, étalé sur 20 semaines, est achevé.
Aujourd’hui  une fois le carnet de croquis refermé : trois images.
Après les tartines, quelques pastilles :

Des hommes et  des femmes se rangent avant de prier dans le lit de la rivière à sec.

Une vache boit dans un trou de la route.

La nuit tombe tôt, une femme a reçu dans sa case les touristes amenés par son fils.
Elle leur a versé de l’eau parfumée d’herbes dans les calebasses.
Maintenant qu’ils  sont repartis, regarde-t-elle le ciel étoilé ?

Je prolongerai dans les semaines à venir avec des évocations de films et de livres concernant l’Afrique.

mardi 18 février 2014

Les cœurs boudinés. Krassinski.

Aussitôt lus, aussitôt oubliés : pas de risque de surcharge pondérale au niveau émotionnel ni esthétique. Cinq petites histoires où les petites grosses s’en tirent bien: les hommes sont des goujats, les bonnes copines en appellent au sens de l’humour, elles sont aussi vaches que les machos insupportables.
Le milieu de la pub est croqué lestement mais les dilemmes des femmes rondes sont seulement effleurés. Il s’agit bien sûr de corps boudinés et si peu de cœur. Le pauvre jeu de mots n’est pas illustré : les récits ne sont guère sentimentaux ni tendres, c’est l’époque !
Il convient d’être léger, si bien qu’il ne s’agit que de plis en surface.
«Les fleuves et la mer inonderaient en vain
Ce sanctuaire étroit qui la tint enfermée :
Il garde en se brisant son arôme divin,
Et sa poussière heureuse en reste parfumée.
Puisque par la blessure ouverte de mon cœur
Tu t’écoules de même, ô céleste liqueur, 
- Wearrh ! »
 L’une d’elle lit du Leconte de Lisle à celui qu’elle poursuit de ses assiduités, tout en le branlant avec un gant de vaisselle à l’hôpital où il est immobilisé.

lundi 17 février 2014

"A touch of Sin" Jia Zhangke

Il a fallu chercher pour trouver la traduction du titre dont je croyais que « Sin » signifiait « Chine »  dans la langue contractée qui convient à notre époque pressée, et je  persistai dans l’erreur après les deux heures et quart de projection offrant un petit séjour dans l’empire où le soleil doit être affiché sur des écrans géants tant le ciel est bouché par la pollution.
Il suffisait de lire : « Un zeste de péché ». Cette formulation est bien la seule trace d’humour dans cette accumulation de violences lors de quatre histoires inspirées par des faits réels.
Un mineur, un ouvrier qui va de ville en ville, flinguent à tout va, une réceptionniste dans un sauna joue du couteau, un jeune homme passant d’un travail à l’autre se jette du balcon, le sang gicle.
Les critiques ont été très favorables, alors que ce film montre la sauvagerie mais comme un des personnages obsédé par la dénonciation de la corruption, il ne parvient pas à préciser à qui adresser son réquisitoire.
La beauté des plans m’a semblé statique, comme le camion renversé de tomates trop graphique où la femme extatique, comme folle après son meurtre Kun Fu.
Dans cet univers où le brouillard n’est percé que par des éclats sanglants, un éclair de tendresse, le temps d’une furtive hésitation quand deux jeunes se retrouvent dans une voiture sous la pluie diluvienne. Un moment extrêmement furtif, sinon l’horizon n’est plus rouge : désormais dans une parodie, de jeunes gardes charmantes lèvent la jambe pour quelques riches clients .

dimanche 16 février 2014

Lisa Leblanc.

Du fort, du puissant : la ronde acadienne communique une énergie revigorante par ses musiques folk-rock pétaradantes, même si ses paroles sans détour parlent de solitude, de vie difficile.
Il vaut mieux lire les paroles avant écoute parce qu’à la première fois, on risque de perdre du sens même si son banjo endiablé nous remue.
Avec un lexique:
« Chum = ami, yeule = gueule, câlisse moi = lâche moi, quétaine = craignos,
Kraft dinner = macaronis au fromage, j’pète ma coche = je suis à bout,  … »  
C’est qu’elle chante en chiac(ou chiacque), un parler du Canada avec une voix à réveiller les assoupis.
Sa verdeur est sincère et sa santé tranche avec bien des productions récentes.
Les papillons qui lui « rongent le cœur » n’en ont que plus d’éclat.
Au pays des igloos, il arrive qu’il fasse trop chaud, et le motel  au bord  du hihway n’est pas très romantique, le tapis orange est « déteindu », le mur « en bois castor ».
Mais si elle n’est pas un cow boy, elle aime prétendre l’être : « elle a un bonne paire de bottes Boulet ». Elle se garde de chanter des toune pour fifilles mais  pour passer le temps, écrit une chanson d’amour, « le cœur tordu ».
Sa chanson « ma vie c’est d’ la marde » a été emblématique du printemps d’érable :
 « À matin mon lit simple fait sur de me rappeler que je dors dans un lit simple.
Avec les springs qui m'enfoncent dans le dos comme des connes.
J'ai pu l'goût qu'on me parle de conte de Disney.
Le prince charmant c't'un cave pis la princesse c't'une grosse salope.
Y'en aura pas de facile.
Peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est de la marde.
Peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est de la marde. »

samedi 15 février 2014

Quelle histoire. Stéphane Audouin-Rouzeau.

L’auteur était venu présenter son livre à la librairie du square
L’historien spécialiste de la guerre dont on commémore le centenaire a rédigé en 140 pages un récit de filiation.
«… je m’en suis tenu à ce que la Grande Guerre a fait aux miens, à la manière dont elle a traversé leur existence, quitte à inscrire ses effets au-delà même de leur propre vie. »
Il ne met certes pas ses tripes à l’air au bord de la tranchée éditoriale, mais avec la rigueur de l’universitaire remonte aux souvenirs familiaux qui portent bien au-delà des quatre ans de conflit. Chaque mot a son poids : le titre sans point d’exclamation situe l’enjeu d’un témoignage personnel interrogeant la matière de son enseignement ;  « quelle histoire » ce sont aussi les derniers mots de son père à la veille de sa mort lorsqu’il l’emmène à l’hôpital, comme celui-ci avait conduit le sien à la fin d’une vie détruite.
Les lettres manuscrites qui sont un support essentiel de la mémoire, dans ce conflit en particulier, même lorsqu’elles mentent, sont signifiantes. En prenant le temps de les replacer dans leur contexte, nous en percevons le retentissement tout au long des événements qui ont suivi : seconde guerre, aventure surréaliste pour le père de l’auteur, 68 en France, en Tchécoslovaquie, et surtout la répercussion des silences !  
Bien des thèses à propos de la « Grande » guerre sont unilatérales entre le bourrage de crane et le départ vers une guerre fraiche et joyeuse. Nous sommes amenés depuis le témoignage stéréotypé d’un arrière grand père cocardier jusqu’au pacifisme exalté deux générations plus tard, à revisiter à nouveau nos histoires et réviser l’histoire.
«Le tueur qui avait fracassé les relations des pères et de des fils sur trois générations, je n’ai jamais abandonné sa poursuite. Robert était sorti indemne de la guerre mais il l’avait perdue. Faute d’avoir compris la défaite de son père, Philippe perdit à son tour d’autres guerres. J’ai voulu comprendre leur défaites, j’ai tenté de la faire par l’histoire. Ceci bien sûr, à mon insu. » écrit Stéphane, frère de Fred Vargas.