dimanche 9 février 2014

Par les villages. Stanislas Nordey.

Partagé entre curiosité et lassitude face à des procédés théâtraux hors des formats courants, je redoutais quelque peu les quatre heures de spectacle … et j’ai bien aimé.
Bien sûr il n’y a rien de naturaliste dans cette confrontation entre gens de lettres et gens de peu qui n’ont pas leur langue au fond de la poche de leurs bleus.
Mais l’investissement des acteurs, l’opulence du texte, le sujet qui a le temps d’être traité  nous embarquent.
L’intellectuel revient de la ville, perd son pouvoir de parole et sa part d’héritage devant son frère ouvrier et sa sœur restés dans la maison de leur enfance.
Les monologues ne sont pas factices, mais reproduisent bien des situations réelles d’incommunicabilité où les sacs n’en finissent pas de se vider. La musique accompagne parfois des scansions à la Ferré façon « il n’y a plus rien » quand la poésie cherche un futur pour décoller de l’ennui et des rancœurs.
« Salut à toi, nourrisson au regard innocent, enfant aux bulles de morve qui pendent, garçon au gros derrière et au manche de fouet en bruyère, adolescent au vélo bleu, homme de la ville aux lunettes de soleil et pantalons blancs, grand monsieur avec les billets en vrac dans la poche, la jambe molle dans le cortège de deuil, l'étranger à la baguette de coudrier blanc-argent, l'homme aux chaussures qui ne font pas de bruit. Quand vas-tu rester ici pour toujours et t'occuper un peu de nous ? Quand vas-tu te dresser contre la bruyante imposture des soi-disant représentants du peuple, des programmes de région, des questionnaires, de la fausse sollicitude, des clôtures électriques, du réseau malfaisant d'images creuses et de discours creux jetés sur nous pour nous tuer l'un après l'autre, pour souffler la lumière de l'âme, pour étouffer ? »
Moment exceptionnel digne d’une séquence de théâtre dans le théâtre : à l’occasion de cette représentation nous nous sommes retrouvés, moi venu à la ville, avec « Trois sœurs » de mon village d’enfance, connaissant bien les irréductibles pesanteurs de là bas et d’ici et partageant avec elles intimement les dilemmes exposés là et les rêves aussi, ceux permis par l’art pour nous hausser un peu sur la pointe des pieds. Amatrices de théâtre, elles ont souligné la filiation avec la tragédie grecque à laquelle j’ajoute le plaisir de m’extraire un temps des zappings et des textes en 140 signes.
« Dans ce monde apprêté de couleurs artificielles, retrouvez les couleurs vivifiantes d’une nature »

samedi 8 février 2014

De zéro à Z. Plonk & Replonk.


Dans les idées de cadeaux pour Noël il arrive de croiser des livres  qu’on aimerait qu’on vous offre : eh bien j’ai gagné cette année, avec cet abécédaire de l’inutile.
Un humour original varie ses tours  par des montages photographiques aux allures de cartes postales colorisées à l’ancienne.
Daniel Pennac, en forme, a rédigé la préface : « Ils ne sont ni décalés, ni improbables, ni immenses, ni énormes… » Eh ben si !
Les deux suisses commencent en trombe avec les formes de la lettre A et sa pièce au rez-de-chaussée, son grenier sous les combles, le B aux rotondités féminines et le C une noix de coco ouverte : « ABC : un foyer, une compagne aimante et un dessert léger : la définition du bonheur parfait. »
Ils continuent en toute simplicité avec l’ajout d’un tapis rouge pour figurer une entrée VIP à l’Arc de triomphe.
Ils utilisent les flous dans un asile, et encore les champions du flou artistique sur le podium, ou comme témoignage de l’ultime cliché d’oncle Joseph, n’hésitant pas sur les jeux de mots, la mise en image d’expressions connues avec une plieuse de bananes.
Je retiens quelques photos de groupes aux belles légendes : « saisie d’instruments désaccordés par la police des fanfares » ou « manifestation d’innocents qui refusent de porter le chapeau ».
Leur balançoire bretonne taillée dans le meilleur granit peut produire quelques dégâts, et il convient de se méfier du piège à touristes comportant « un bout de fromage, un solide pieu et un gros élastique » sur fond de lac alpestre. Un mur couvert de publicités derrière la guillotine témoigne de « la privatisation des exécutions publiques ».

vendredi 7 février 2014

Pas vu venir !

Incroyable, invraisemblable !
Des milliers de personnes ont répandu l’information que des enseignants allaient enseigner la masturbation à l’école.
D’autres applaudissent un individu sur une scène qui regrette que Cohen ne soit pas passé dans une chambre à gaz.
Le bruit du débarquement de hordes du 9.3 en Charente s’interprète localement avec les délogés de la Villeneuve « en force » dans les logements nouveaux qui se construisent dans notre ville.
Impensable : c’est le mot. Nous sommes tétanisés.
Dans quel état est tombé l’école pour que de telles billevesées puissent aller au-delà du clavier de quelques allumés ordinaires ?
Quelles personnalités irrécusables pourraient défaire tous ces tissus de haine ?
Badinter à propos des manifs dominicales :
« Le plus saisissant, ce sont les cris antisémites poussés par certains manifestants. C’est la première fois depuis la fin de l’Occupation que l’on entend hurler dans les rues de Paris  « dehors les Juifs »… Ces slogans de dimanche sont mortifères et ils atteignent de plein fouet la République. Il faut rappeler chaque fois que nécessaire que la République française ne peut pas tolérer ces cris, pas plus qu’elle ne saurait laisser passer des slogans « dehors les musulmans » ou « dehors les Arabes ».
Quels médias  pourraient rallumer des lumières tricentenaires ?
Encore des leçons? Elles seraient contreproductives.  
Nous sommes dans de telles mécaniques perverses que les interdictions de Vals ont fait de la publicité à Dieudonné. Les médias ont tellement sapé tout esprit de sérieux que s’ils voulaient se ressaisir, leurs paroles s’envoleraient encore plus vite.  
Quel  journal  fait aujourd’hui référence ?
F. O. Giesbert dit lui même du  métier de journaliste :
« Il s’agit d’expliquer des choses qu’on ne comprend pas soi-même ! »
Alors que les descendants d’Adam et Eve, ou d’autres persuadés que le MOSAD est responsable du 11 septembre se multiplient sur la toile, se fortifient dans les théories complotistes ; ils surgissent devant nos yeux ébahis pas seulement les vendredis ou les dimanches aux sorties des prêches.
Ces mouvements ressemblent aux« Tea party » : « En France, comme aux Etats Unis, la périurbanisation, l’individualisation de nos vies et les transformations du capitalisme servent de paysage à un engagement militant défendant les transcendances traditionnelles. » (Romain Huret dans Libération).
Nous, femmes et hommes de raison, qui pensions en tout domaine avoir raison, toujours du bon côté celui du bien et du beau, nous restons sans voix.
« L’école ne peut prétendre éduquer mon enfant » se défendent certains alors que d’autres ont abandonné tout rôle éducatif :
« Dites lui, vous, de ne pas mettre ses baskets quand il neige ! »
Mais ces forces obscures qui débordent les partis, par leurs intimidations envers des responsables parents d’élèves montrent leur faiblesse en recommandant à leurs correspondants de n’en point parler aux instits : c’est bien qu’ils craignent le débat, la contradiction, la parole, la  lumière du jour.
Les silences, l’obscurité, les font croître.
Nous les profs, donneurs de leçons, nous avons lassé nos publics avec nos cours sur la citoyenneté, donnant la main aux politiques, agrémentant nos séquences d’images prises dans les médias. Nous savons que les mensonges les plus gros sont les plus crus et que la recherche de boucs émissaires étourdit les foules mais que ce soient les droits des femmes qui soient attaqués encore et encore, cette régression là, je ne pensais pas y assister.
Crachons notre chewing-gum interdit aux élèves, que les politiques s’appliquent la rigueur demandée aux plus modestes, et que les médias séparent information et distraction.
Gestes dérisoires en regard d’un ressaisissement moral que nous ne savons par quel bout prendre.  Un mirage de plus, si la désespérance sociale alimentée dans tant de chômage et d’inégalités continue à prendre ses aises au bras d’une ignorance tellement arrogante quand l’école à qui on a coupé les couilles et le souffle se laisse traiter plus bas que terre.
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Dans le blog complice « Autre monde »  http://ednat.canalblog.com/ un article de bon sens concernant l’ ABCD de l’égalité, ce programme -on dit kit- pour réfléchir à l’égalité garçon /fille.
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Les dessins de cette semaine sont pris dans le Canard enchaîné.

jeudi 6 février 2014

Diodore Rahoult.

L’affiche qui annonce l’exposition du peintre dauphinois montre habilement deux aspects du talent de l’auteur de 6000 dessins dont on en retrouve 150 à la Bibliothèque d'étude et d'information de Grenoble, face au cinéma Chavant et 70 huiles et aquarelles au Musée de l'Ancien Évêché.
Nous pouvons désormais en savoir plus sur l’artiste, quand nous empruntons la rue qui porte son nom en direction de la place de Gordes.
Diodore est né à Grenoble en 1819 dans une famille de confiseurs, il apprend à peindre chez Horace Mollard, avec son ami Henri Blanc-Fontaine. La ville lui paye la poursuite de ses études à Paris chez Léon Cogniet qui a formé Delacroix et Géricault.
Il fait ensuite son « grand tour » en Italie.
Sa production soignée, méticuleuse, fine, est variée. Même ses caricatures ne sont pas outrées. Ses œuvres d’une facture classique où transparait le romantisme prennent bien la lumière.
L’intitulé de l’exposition « Paroles de palette » vient de son enthousiasme pour la beauté de la région qu’il a su bien rendre : 
                                              « quelle est belle, parole de palette ! » 
Au café Cartier, disparu aujourd’hui, il livra des panneaux illustrant les quatre saisons qui allaient alors bien au-delà de considérations météorologiques mais invoquaient les mythes et les déesses et multipliaient les point de vues à partir d’un Dauphiné des lacs, des montagnes, des collines.
Il peut vivre de sa peinture en réalisant par exemple le décor de la bibliothèque du Musée de la place Verdun.
Rahoult, humaniste franc maçon, excelle dans les scènes de genre : le procès de Casimir Périer est très vivant, sa partie de boules acharnée, le regard de celui qui regarde les lavandières est coquin, les commères sont pittoresques, les villageoises en bleu de Gènes charmantes, le repas de chasse d’une grande vérité... Il  donne de la dignité à un certain Bobila imprécateur pittoresque comme la ville en a toujours compté aux terrasses de café qui  prétendait que la terre était immobile.
Les petites filles de l’affiche sont des pauvresses qui ont trouvé porte close, il les met en scène, comme il peindra un campement de bohémiens  à l’Esplanade.
lI était surtout connu jusque là pour ses illustrations  de « Grenoblo Malhérou ».   
Cet ouvrage de Blanc dit Lagoutte retrace en patois les inondations à Grenoble en 1733 quand la ville se retrouva sous 5 m de boue. Dardelet grava ses dessins.
 « Grenoblo t'es perdu, le monstro t'engloutit! Mal avisa fut ceu qui si bas te plantit... »
A cette occasion notre guide nous a rappelé l’origine de la foire de Beaucroissant en 1220, un an après que le lac naturel St Laurent, à côté de Bourg d’Oisans se vida et noya de nombreuses personnes d’où s’en suivit un pèlerinage à Parménie avec son lot de marchands.
Pour la première fois jusqu’au 1° avril 2014, deux lieux d’exposition sont consacrés à cet artiste disparu en 1874.
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A propos de l’exposition Polke, un regard original et pénétrant dans le blog complice  en lien dans la colonne voisine ou en cliquant ici : http://rumeurdespace.wordpress.com/

mercredi 5 février 2014

Ethiopie J 19. Vers Addis Abeba.


Nous avons presque tous entendu le muezzin à 5h ce matin.
Le perroquet en verve fait étalage de son vocabulaire :
"good morning,  Salam alekoum, c’est l’amour, gouda, bonjour" en plusieurs langues, en variant le ton et les hauteurs. Il se laisse gratter la tête avec un plaisir évident.
Nous repassons par la route d’hier qui nous ramène en altitude après un petit détour pour photographier la gare des « chemins de fer Djibouto éthiopiens ».
La route vers Addis est tranquille. Il n’y a pas de marché et peu de camions: c’est la fête de l’Aïd, la fin du ramadan. Nous croisons des processions avec d’un côté une rangée d’hommes,  et de l’autre une rangée de femmes. Dans les oueds asséchés sont installés pareillement une ligne de femmes et une autre d’hommes. Tous les gens portent des vêtements neufs et colorés, tellement neufs que les tissus des longins des hommes originaires d’Indonésie portent encore leurs grandes étiquettes dorées.
Arrivés au croisement de la route pour Djibouti, cette fois ci nous passons vite fait la douane et nous ne sommes pas bloqués au milieu des camions à cause des travaux où nous attendent toujours quelques singes. Nous déjeunons au Genet hôtel en compagnie des mouches comme à Diré Dawa. Pour couper le trajet, nous nous arrêtons à Nazareth ou Adama (la terre en Oromo) à l’hôtel Maya qui nous montre une face plus riche de la société éthiopienne : les tables sont disposées sous un vénérable flamboyant au bord d’une piscine dans laquelle barbotent quelques enfants de « bonnes familles ». Les sanitaires aux larges carrelages ont des aspects modernes quoique miroirs et tablettes penchent et les portes ne ferment pas.
Il nous reste encore une centaine de Km sur le goudron mais les nids de poule ou les ruptures secouent bien assez les sièges au fond du mini bus.
 Nous arrivons vers 19h, de grandes flaques d’eau laissent imaginer le temps d’aujourd’hui et les nuages ne sont pas bien loin. Le Blue Bird Hôtel que nous avions connus le premier jour nous apparait plus luxueux et confortable qu’à l’aller.
Nous sortons dîner dans un restau prisé des habitants d’Addis, dans un quartier où nous distinguons de belles maisons, et aussi quelques prostituées dans la nuit. Le « Dodi » s’inspire du style Mac Do. Nous passons commande et nous attendons, attendons jusqu’à être transis de froid avec de la buée  qui sort de nos bouches, nous nous installons à l’intérieur mais attendons encore soupe et pizza. En plus il n’y a  pas de bière : le patron soudanais   étant musulman. Nous sommes contents de nous glisser sous la couette douillette et chaude.

mardi 4 février 2014

Cher Régis Debray. Alexandre Franc.

Comme si ses essais ne suffisaient pas, le voilà mon cher Régis Debray, en BD !http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/10/jeunesse-du-sacre-regis-debray.html
Et c’est un régal ! De toutes façons trois phrases m’auraient suffi, alors une promenade du côté du Panthéon ou  de la Porte dorée, un tour de manège, un masque de chat, me comblent parmi des extraits bien choisis.
« Instruire, c’est selon l’étymologie, mettre en ordre, mettre debout, édifier ; la République est un édifice, dont l’instruction primaire est la base ; et l’enseignement de la philosophie dans le secondaire la clef de voûte[…] supprimez le projet spéculatif, rayez l’apprentissage des métiers l’abstraction désintéressée, et vous n’aurez plus en guise d’instruction publique que dressage et maternage, fabrique d’esclaves spécialisés pour les besoins de l’industrie  ou bien pépinière de vieux poupons crédules en manque de gourous et de nourrices. Tout sauf une école de citoyens. »
Le producteur d’images s’appelle comment  déjà? Il est beaucoup question de la France, sans caricature mais avec ferveur, au cours de cette correspondance dessinée, mais aussi de lave-linge et  
«  des jeunes qui sont forts en compagnie et les vieux en solitude. »
Le narrateur se cherche et apporte à la statue de papier du prisonnier de Camiri, une légèreté qui ne se confond surtout pas avec la facilité : fluide, habile, invitant à la réflexion.
« Nation » a la même étymologie que « naissance » et « patrie » va avec « père ».
Il y a des chaises longues, des bouteilles de vin, et les lettres du philosophe s’accordent bien à la ligne claire du jeune homme.

lundi 3 février 2014

Le démantèlement. Sébastien Pilote.

Le Film apparu à Grenoble furtivement une semaine avec un seul créneau horaire, revient dans la programmation de la biennale de Cinéduc vendredi 21 février à 20H45,  à l’Ecran Vagabond du Trièves à Clelles.
Comme une de ses filles vivant à Montréal a besoin d’argent, un éleveur de moutons vend sa ferme. Pas de discours solennel sur la terre ou de pathos sur une vie de travail qui s’achève : le film est juste, simple, et beau. En accord avec ce milieu peu bavard.
Un petit fils qui vient rarement voir son grand père maladroit nourrit un agneau au biberon. Le tableau pourrait être niais. Il est bouleversant. J’ai pu lire au moment du festival de Cannes qu’il s’agissait d’un « géronto-drame », combien de fois des œuvres mineures nous ont interpelés bien plus intensément que des monuments ?
Je sais la brutalité de la vente d’une ferme, d’un troupeau, et au bout d’une carrière consacrée parait-il à la transmission, la réponse à la question : « que reste-t-il ? » tient au mieux dans une boite d’allumettes. Et c’est tant mieux. Merci de ces rappels essentiels qui font rire un peu trop fort quand un copain bien intentionné traite le têtu sexagénaire de niaiseux.