vendredi 27 septembre 2013

Les mystères de la gauche. Jean Claude Michéa.



L’ouvrage exigeant du prof de philo languedocien porte au-delà des critiques banales à propos des frilosités de « la gauche ».
Il propose d’ailleurs d’abandonner la dénomination « Gauche » qui a  tant nourri nos espoirs, 
car « la mitterrandienne » a négligé le peuple non seulement sur le plan économique mais aussi culturellement.
Face au libéralisme amoral, inégalitaire et aliénant, il verrait bien une société « décente » dont le qualificatif vient d’Orwell, sa référence.
Cependant je crains que les pressés solitaires d’aujourd’hui ne se bousculent guère sous les belles charpentes théoriques où sont gravés les noms de Fourier ou de Marx.
Le corps principal du texte est exigeant, les scolies (des notes) qui occupent la moitié des 130 pages sont plus nerveuses et m’ont été plus accessibles, bien qu’elles versent quelques gouttes citronnées sur mon épiderme mis à vif par Cahuzac et autres sénateurs.
J’ai appris que Zola avait fait l’éloge de Thiers. Et quand il rappelle que sa ville de Montpellier se vendait « unlimited », sa critique de la publicité n’est pas anecdotique, pas plus que sa proposition d’appeler « principe de Bosman » « la loi qui pousse toute gauche moderne à vouloir accomplir les basses œuvres du capitalisme à sa place ». L’arrêt Bosman ayant permis aux émirs et mafieux divers de faire main basse sur le football, et « d’en corrompre l’essence ludique et populaire ».
L’expression « Le cœur à gauche et le portefeuille à droite » nous est familière et s’il est incontestable que le libéralisme est dans une logique déshumanisante et « écologiquement prédatrice », le cynisme s’est répandu sur toute chose, l’individualisme vaut pour tous.
Les autres ne comptent plus.
Le spectacle réunit le séparé, mais « il les réunit en tant que séparé »(Debord)
Bien que nourri de grands journaux (Canal +, Libé…), je m’autorise à penser que parfois « les choses allaient mieux avant ».
Mon conscrit remet en cause la notion de croissance, et adresse des avertissements contre le droit libéral qui vise à préparer « un monde mimétique et indifférencié […] dans lequel toute possibilité d’existence personnelle et authentique, de responsabilité morale effective, de bon sens élémentaire, ou de générosité véritable […] devrait être sacrifiée sur l’autel de la Forme et de l’Abstraction. »
Bien que dans ses dernières lignes il pense que « les classes populaires sauront elles mêmes inventer, le temps venu, les symboles fédérateurs les plus appropriés à leurs luttes », ses écrits n’ont pas figuré dans les ouvrages recommandés pour la plage, mais ils peuvent  apporter une cohérence à ceux qui ne se sont pas fait à l’idée d’une montée fatale de l’extrême droite en milieu populaire. 
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Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 26 septembre 2013

Pons, Swarte, et Gabrielle Hébert au musée Hébert.



Il fait bon  faire un tour à La Tronche comme le faisait Ernest Hébert en route vers la villa Médicis et l’Italie; sa maison et son jardin sont apaisants.
Des photographies de sa femme sont exposées, sous le titre « Italiens pittoresques » traduisant quelque condescendance : les prises de vue  effectuées aux alentours de 1890 ont un certain intérêt documentaire.
Le duc d’Aumale propriétaire terrien en Sicile reçoit les hommages d’une paysanne, des buffles traversent une rivière, des maisons ressemblent à des cases africaines.
Les textes des cartels sont très explicites : « Paysannes remplissant leur conques à une fontaine dans laquelle s’abreuve une vache sur la droite. »
L’art contemporain en particulier est parfois plus laconique : « sans titre »
Surprise de trouver Joost Swarte dont les travaux préparatoires à un dépliant pédagogique concernant les jardins sont présentés. Sa ligne claire convient bien dans ce lieu où la peinture académique ne nous accable pas de ses pectoraux qui savent cependant se tenir dans l’exposition permanente. Le tableau de la mal’aria orthographié ainsi nous fait comprendre l’étymologie du mal auquel est confrontée la moitié de la population mondiale.
De l’autre côté de la rue, Louis Pons intitulé « braconnier de l’art » réussit à nous émouvoir davantage par ses  sombres dessins qui émergent de traits fins que dans ses collages de racines et de bâtonnets déjà vus ailleurs.

mercredi 25 septembre 2013

Ethiopie J3. Les oiseaux du lac de Zwaye.



La nuit est longue grâce aux vertus énergisantes du café de 15h et puis vers 3h du matin les chiens ne paraissent plus aussi discrets qu’en plein jour.
Au petit déjeuner nous est proposé un thé au clou de girofle.
Patientant devant une banque, nous faisons le désespoir de petits cireurs de chaussures consternés par nos chaussures crottées.
Au dessus des arbres, deux vautours surveillent la rue.
L’embarcadère où nous devons prendre le bateau  est le royaume des oiseaux: sur la rive, marabouts, ibis et pélicans sont à portée de mains. Nous nous émerveillons devant leur vol, l’élégance des ibis, la laideur des marabouts, la blancheur des pélicans. Les ailes et les becs claquent pour se disputer un poisson.
Notre destination est  l’île de Tulu Goudo « grande montagne »  qui aurait abrité elle aussi l’arche d’alliance, à une heure trente de bateau à moteur.
Notre ascension  dure également une heure trente, elle débute parmi des cultures en terrasse labourées par les jeunes paysans et leurs bœufs. L’air est parfumé par les œillets d’Inde sauvages. Puis nous marchons dans une forêt d’euphorbes grosses comme des arbres, avec des aloès, des opuntias en fruits. Du jamais vu.
Vers le sommet le guide local nous montre une « pierre de punition » naturellement percée dans laquelle le condamné avait une jambe coincée et selon la peine prononcée restait dans cette position inconfortable un jour ou deux.
En 1973, le village qui dominait l’île fut abandonné comme trois autres et rebâti au bord de l’eau, les anciens avaient préféré le sommet pour éviter les moustiques.
Après avoir profité du  magnifique panorama nous redescendons vers un restaurant qui vient de s’installer pour déjeuner d’un poisson grillé, du tilapia, délicieux. Le plus audacieux d’entre nous prend l’habitude de faire « gorcha » (prendre la becquée) avec l’équipe éthiopienne. Nous apprenons que les chrétiens d’ici jeûnent 200 jours par an, tous les mercredis et vendredis.
Près de là des singes sautent dans un arbre, tout à côté de l’église, mais ne se laissent pas approcher. Certains ont sans doute cherché à chaparder nos bananes car ils ont laissé quelques traces dans le bateau qui vient nous chercher. Au retour, nous avons droit à un détour près d’une île occupée par des oiseaux.
Nous admirons sans nous lasser des colonies de pélicans alignés sur un rocher ou nageant à la queue leu leu, des marabouts dans leurs arbres des ibis et des cormorans. Nous suivons leurs vols en escadron, haut dans les airs ou en rase motte. Même descendus de la barque, nous continuons à les canarder de nos appareils photos, à les observer.
Nous avons aperçu  aussi des serres gigantesques destinées à la culture des roses qui prennent le relais de celle du Kenya, le propriétaire est Indien. Le site est déjà pollué et les poissons se raréfient.
Nous rentrons à pied, en flânant dans les lumières du soleil couchant. Nous croisons de nombreuses charrettes tirées par des petits chevaux transportant hommes et femmes.
Goulasch de poissons pour ce soir.

mardi 24 septembre 2013

La planète des sages. Jul Charles Pépin.


Le sous titre donne le ton : « encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies » : « mazette rien que ça » et second degré en 120 pages : 60 de BD, 60 de textes nerveux.
De Platon à Dérida, un prof de philo rigolo dialogue avec le père de « silex in the city » et nous fait comprendre pourquoi Descartes a des problèmes avec le montage de son armoire Ikéa et chez Freud, pourquoi un joueur de foot se débat avec ses transferts.
Sartre est en panne d’essence ; dans la caverne de Platon, les épicuriens sont à l’animation et un stoïcien (black) à la sécurité, Pythagore en VIP.
Bourdieu est à la photocopieuse pour la reproduction, et Machiavel ne fait pas l’affaire quand il se présente à la rédaction de Gala bien qu’il soit un spécialiste des têtes couronnées.
More en Casimir a de quoi éveiller les curiosités comme Simone Veil et Spinoza qui ont eu le courage de mettre leur vie en accord avec leur pensée.
« Vouloir ne pas vouloir, est ce encore vouloir ? » quelques formules mettent en appétit, avec un Maïmonide venu du fond des âges, un Confucius ou des écoles comme le collège de France et Thérèse d’Avila pour varier les approches.
Les sceptiques, philosophes par excellence, doutent qu’un avion ait mis à bas le Parthénon.
Jankélévitch avait toute sa place entre le lamaïsme et Hume, lui qui a écrit «  Le je-ne-sais quoi et le presque- rien », qui a intitulé son plus important recueil d’entretiens «  quelque part dans l’inachevé ».
Comme l’a mis en évidence Erasme, « l’insensé a le pouvoir de produire du sens » alors « accroche toi au pinceau, j’enlève l’échelle » peut nous emmener loin et nous nous mettons à la queue leu leu sur les conseils de Hobbes pour jouir de la vie.
Cet ouvrage participe à ce plaisir.

lundi 23 septembre 2013

Elle s’en va. Emmanuelle Bercot.



Catherine Deneuve. Bien que la scène du paysan qui roule sa cigarette ait été trop racontée, c’est un morceau de choix, comme les retrouvailles pudiques et maladroites de Deneuve avec sa fille jouée par la chanteuse Camille avec qui ce n’était pas gagné de se reconquérir.
Des personnages intéressants, mais leurs transformations sont parfois trop expéditives et la barque des péripéties biographiques est parfois chargée alors que cette virée commencée par hasard, par usure, nous laisse au début découvrir progressivement des petites routes, des fausses pistes. 
La conclusion bucolique est heureuse, tout le monde se retrouve au bout de l’autoroute : le petit fils inconnu devient  son complice en rien de temps, sa fille véhémente fond, Garouste est bien séduisant, l’arrière grand mère se remet à fumer.
L’addiction à la nicotine parait dans cette plaisante balade comme un vecteur de liberté.
Le road mamie va plaire et Catherine Deneuve est une grande actrice.

dimanche 22 septembre 2013

Stromae.



The storm of the rentrée.
Ses rythmes s’impriment facilement dans notre cervelet avec « Papaoutai », et  difficile d’éviter le trop facile :
« Tu étais formidable,
J' étais fort minable, »
Des musiques tapantes aux accents de sirènes sur des paroles déchirantes, comme  lorsqu’un drame prend plus d’intensité en se déroulant au milieu des flonflons d’une fête.
Il se place dans une filiation ; tout le monde reconnait évidemment des accents à la Brel,  des mots à la Nougaro, il rend hommage à Césaria Evora :
« Malgré toutes ces bouteilles de rhum, tous les chemins mènent à la dignité »
 Et pleinement dans le siècle avec le rappeur Oreslan dans  AVF ( Allez vous faire…)
« La nuit dans la bouteille, la journée dans les bouchons, »
Amateur de mots : des bons et des gros :
« T'es un homme ou bien tu péris
Cultrice ou patéticienne »
Il porte un regard acéré sur l’époque : ses cancers et ses tweets sur l’air de Carmen :
« Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous like
Les sourires en plastique sont souvent des coups d’hashtag »
Après ce deuxième album, passera-t-il à un stade où il en appellera moins à papa et maman sur trop de plages ?

samedi 21 septembre 2013

Modernes catacombes. Régis Debray.



Si j’ai consacré 15 articles sur ce blog à mon quimboiseur (sorcier) préféré qui sollicite d’emblée le dictionnaire, c’est que parmi sa production tellement abondante qu’elle suffirait à  me nourrir à plein temps, chaque lecture m’enchante.
Nous sommes conviés à un voyage au pays des lettres : il fait l’éloge de  Gary, Sartre, Semprun… égratigne élégamment Sollers et s’attaque avec finesse à quelque monstre sacré tel Foucault.
« Par un contre effet de bascule, replongèrent dans le noir - en même temps que la famille, l’atelier, l’usine, la ferme - les ci-devant « travailleurs des villes et des campagnes », assignés par le radical chic à la condition de beauf (pour ne rien dire des malheureux « inspecteurs du travail », deux mots, deux offenses).
Je n’ai pas la culture suffisante pour juger de la justesse de ses opinions concernant Gracq, Nourissier ou Fumaroli mais l’originalité de son propos est stimulante, l’élégance du style séduisante, la vigueur de ses oppositions nous réveille, ses formules claquent :
si nous sommes passés dans nos relations «du haïku à la main au cul», De gaulle fit effectuer à la France « Une traversée en première classe avec un billet de seconde.» 
Je goûte toujours son humour désenchanté quand par exemple il met en débat les formes littéraires les plus concises :
« La genèse ? Un homme. Une femme. Une pomme. Un drame. »
Et ses mots portent bien au-delà d’un dilemme pour qui  serait tenté par l’autobiographie :
 «…  vous n’avez pas le choix, me semble-t-il, qu’entre deux positions fausses : ou vous reniez votre passé, au nom d’une lucidité présente, et vous racontez l’histoire triste d’une abjuration. Ou vous continuez d’épouser ce passé, pour vous justifier, et c’est la rétrospection paranoïaque d’un idiot. »
300 pages où souffle «  le sentiment de l’Histoire dont Chateaubriand fut l’accoucheur et Malraux le croque mort. »