mardi 18 juin 2013

Le monde est chez moi. Kambiz.



Avec le bandeau : « Le Sempé perse », même avec les yeux bandés, j’aurais acheté ce recueil de dessins.
Je n’ai pas été déçu même si le natif de Shiraz est plus porté vers le symbolique que le bordelais. 
Le rappel des dessins qui sont alors titrés au bout des 115 pages n’était pas vraiment indispensable, comme les poèmes qui séparent les trois parties :
la servitude, le détachement, l’envol.
Le trait dépouillé qui rappelle Bosc ou Chaval se suffit à lui-même.
Les arbres, les ailes, les oiseaux, les livres sont des objets poétiques efficaces et quelques  trouvailles élémentaires sont percutantes.
Un pêcheur a tellement péché que sa barque menace de  couler,
devant sa fenêtre murée un homme ouvre des boites de conserves découvrant des étoiles, une lune.
Des douaniers se montrent soupçonneux devant une valise contenant une plume et un encrier : 
ont-ils raison d’avoir peur?

lundi 17 juin 2013

Blackbird. Jason Buxton.



Prix écran junior à Cannes en  2013, il a récolté une moisson de récompenses  au Canada. 
Film pédagogique sans lourdeur sur les pièges des réseaux internet qui peuvent compromettre la liberté des individus alors qu’ils permettent par ailleurs qu’elle s’exprime. Le danger d’images en fragments sur fond de société parano.
La violence contemporaine est montrée sans complaisance en offrant une issue optimiste qui a en général le don d’agacer nos gencives de ce côté de l’Atlantique mais qui est cohérente avec la démarche positive du film.
Un lycéen qui a adopté le look gothique est exclu par d’autres élèves. Il se défoule sur Internet et la police voulant  éviter un nouveau massacre type Colombine va trouver des éléments pour nourrir ses soupçons d’où enfermement préventif et engrenage répressif inquiétant.
Le poids de la communauté, une famille éclatée, l’emprise du conformisme, mais au bout des épreuves, l’amour est là.

dimanche 16 juin 2013

Chanson française. Alexandre Tharaud.


La saison 2013 à la MC2 finit en beauté avec une soirée de gala autour du pianiste classique qui débuta avec Bartabas des collaborations au-delà de son domaine de prédilection et apparut dans le film « Amour » de Haneke.
Le dispositif fait apprécier la variété des invités. Des reprises de chansons de Barbara lient la sauce d’une représentation respirant une authenticité sans tapage.
« Avant que le soir ne se pose
j'ai voulu voir
les maisons fleuries sous les roses,
j'ai voulu voir
le jardin où nos cris d'enfants
jaillissaient comme source claire. »
Juliette qui a déjà travaillé avec le meneur de jeu virtuose rayonne, emporte le morceau grâce à son abattage formidable et  à sa voix ronde et puissante.
« Le vin comme l'amour, l'amour comme le vin,
Qu'ils soient impérissables, qu'ils soient sans lendemain
Qu'ils soient bourrus, tranquilles, acerbes ou élégants,
Je suis sûre qu'il ne faut pas mettre d'eau dedans ! »
Si Dominique A, le plus loué des chanteurs, ne m’avait pas convaincu en CD, j’ai été sensible à sa singularité.
« Je suis venu vers toi un jour où rien n'allait
Je suis venu vers toi parce que tu étais là
Tu m'as pendant longtemps demandé pourquoi moi
Je ne t'ai pas menti je te l'ai toujours dit
Parce que tu étais là »
Je garde toujours beaucoup de tendresse pour Delerm et Albin De La Simone et je me suis senti vraiment gâté de retrouver mes chanteurs favoris ce soir.
« Les nouveaux murs de la maison
Sous la peinture et les faux plafonds
Notre futur en question
Le souvenir de mes vies premières
Troupeaux de moutons de poussières
Mes gravats de célibataire
Et cet enfant qui pleure qui mange
Kilos de lait, kilos de langes
Et tout cet amour en échange »
Je me suis montré attentif à Alain Chamfort que je ne connaissais guère.
Le public était transporté et  s’est déplacé  de l’auditorium au grand théâtre qui avait ouvert son plateau aux circassiens Mathurin Bolze sur trampoline avec Yoann Bourgeois  qui jongle aussi. 
Alexandre Tharaud  acrobatique au piano va payer de sa personne dans une conclusion où la poésie nait de la performance physique. Merci.
Il n’a fait que jouer la musique de « Quand reviendras-tu ? » et depuis me revient :
« A voir Paris si beau dans cette fin d´automne,
Soudain je m´alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne,
Ton image me hante, je te parle tout bas,
Et j´ai le mal d´amour, et j´ai le mal de toi, »

samedi 15 juin 2013

Tout ce qui reste de nos vies. Alain Rémond.


Un livre d’Alain Rémond dont je lis avec plaisir les chroniques en dernière page de Marianne après celles de « mon œil » qu’il délivrait à Télérama, ça ne se refuse pas. J’avais adoré Chaque jour est un adieu (2000).
J’ai trouvé cependant que ces 100 pages reprenaient le chemin déjà parcouru des souvenirs familiaux avec la même sincérité, mais sans la fraicheur première. 
« On devrait écrire chaque livre comme si c’était le dernier ».
Pourtant l’entame de cet ouvrage laisse deviner l’impérieuse nécessité de l’écriture.
Sous le hangar d’une ferme abandonnée où s’abritent des promeneurs sous l’orage, des papiers qui sont tout ce qui reste d’une famille ouvrent la réflexion, éveillent les souvenirs.
Est-ce parce que j’avais pris à la lettre  la comptine du mois de juin : « les cahiers au feu, la maîtresse eu milieu »,  que je ne me suis pas laissé envahir par les papiers ?
Alors j’ai trouvé parfois redondante la plainte du mélancolique qui vire hypocondriaque de la préservation de la facture et de la quittance.
Les actes de vente, les livrets militaires, les fiches d’état civil sont des mines, les sources des histoires, mais j’espère que celui qui a su nous faire partager ses tourments avec les cintres suivra les conseils qu’il délivre à son petit fils :
« Pense aux morts mais occupe- toi des vivants »

vendredi 14 juin 2013

Préjudice moral.



Des millions d' €uros pour Tapie victime d’ « un préjudice moral » au pays de Descartes (à gratter):
« non mais allo ! quoi je cauchemarde ! »
Alors que nous devrions demander des indemnités à celui qui cloua son bec à Le Pen lui que nous avions admis dans notre camp qui était celui de Jaurès : il nous a trompés grave !
Il fut un premier symptôme de notre effondrement moral et nous faisons comme s’il avait toujours été pote seulement avec le conférencier de chez Goldman Sachs.
« La vérité rougit les yeux mais ne les crève pas »
J’ai recopié quelques maximes de la sagesse du Burkina Faso aux éditions Jouvence pour les intercaler entre quelques humeurs disparates.
« Indignez-vous ! » le livret  de Stéphane Hessel a connu le succès une saison parce que sa forme brève faisait également appel à un sentiment qui use d’une mèche courte.
Chaque jour nous pouvons sursauter aux injustices, aux manipulations, aux violences, aux gabegies, à la mauvaise foi. Alors nous oublions Cahuzac en quelques semaines, Tibéri depuis des années et DSK nous lasse. Il a eu sa punition : il en est réduit à son entre jambes.
«Si tu ne sais pas où tu vas, sache au moins d’où tu viens »
Le rapprochement avec les années 30 tellement répandu pour  essayer d’éclairer nos années d’avant 14 devrait intégrer quelques circonstances aggravantes.
Les groupes factieux d’alors n’avaient pas encore vu la concrétisation de leurs idées.
Ils ne pouvaient se faire tatouer « Jedem das Seine »  qui figurait à l’entrée de Buchenwald : « chacun reçoit ce qu'il mérite » comme le font quelques skins branchés.
Les extrêmes nous renseignent sur l’état de notre société. Du côté droit s’ils en sont arrivés à tuer, c’est que le climat de haine envers la gauche a été travaillé par tant de hauts parleurs.
La gauche remporte la majorité de suffrages à toutes les élections  depuis des années: ça les énerve et ils ne cessent de gueuler à l’illégitimité de ceux qui ont été élus. Ils ne peuvent croire à leurs cris et perdent  leurs nerfs.
 « Ce qui est vieux a été neuf »
Côté gauche le  mot charisme est devenu courant dans nos conversations.
Je le préfère prononcé à la François Morel avec le « cha » comme « chat ».
Depuis le fin fond des âges démocratiques, l’identité de la gauche s’est forgée dans le refus du pouvoir personnel des rois, des empereurs, des généraux avec tant de personnalités qui ne se sont guère installées au pouvoir comme Gambetta ou Mendès France. 
Pourtant l’exercice du pouvoir par Hollande passe aujourd’hui pour de l’effacement coupable alors que l’Omnipotent  Azimuté qui l’a précédé lassait même son camp : nous aimons les chefs pour pouvoir les critiquer, les vilipender…   
Et quand un tribun à la rouge écharpe, en appelle à une sixième république, lui qui « sait ce qu’il faut faire contre la crise », il n’est pas forcément le mieux placé pour se réclamer d’une tradition de méfiance à l’égard des pouvoirs personnels.
« Qui déteste les étrangers doit commencer par expulser sa mère »
…..
Dans le canard de cette semaine après un dessin de Politis en cours d’article.

jeudi 13 juin 2013

Résonances/raisonnances. 2013.



La formule qui associe peinture et musique s’appliquait cette fois à l’Italie, terre de peinture et de musique s’il en est.
Pour clôturer la saison des conférences aux amis du musée, Catherine De Buzon historienne d’art et Daniel Jublin musicologue ont réuni leur érudition pour nous offrir deux heures de découvertes, de retrouvailles, de plaisir, malgré des reproductions de tableaux aux couleurs parfois saturées et des aléas techniques qui ont fait perdre de l’ampleur à la musique.
Je rabâche volontiers que « la culture c’est retrouver », mais ce soir là, j’ai surtout apprécié des surprises : Vivaldi n’a pas que quatre saisons sous l’archet, et l’étal du boucher de Carrache, arrache.
Inspiré par la thématique ritale, j’aurai bien imité Cavanna qui excellait à sous-titrer des peintres pompiers en jouant avec la Sainte famille de Michel Ange.
Ainsi j’aurai bien fait dire à Marie qui semble refourguer son Jésus à Joseph :
«Tiens occupe t’en un peu, c’est toujours moi qui suis sur la photo avec lui… »
Au pays de Messiaen, les couleurs de la musique ne sont pas que métaphores et si les mélodies suivent des courbes, les sons forment  aussi des architectures. 
La Galatée de Raphaël est sensuelle, l’Atalante de Reni est blafarde lors de sa rencontre avec Hypomène d’une violence saccadée soulignée par un extrait combatif de Monteverdi.
Nous sommes plus familiers de la renaissance italienne que de ses peintres du XIX° qui m’ont beaucoup plu : Morbelli et sa gare centrale, Severini avec une bagarre effervescente dans une galerie marchande, et Quadrone dont un chasseur dit à ses chiens: «  Entrez, il fait froid ».
Le chien de Balla le futuriste a la laisse dynamique et les contemporains Merz et Penone  représentant de l’arte povera frappent fort et poétiquement quand il s’agit de « respirer l’ombre ».
"Avoir le temps d’un arbre, de la pierre, du fleuve, du son, de la lumière, de l’escargot, de l’insecte, la stabilité, l’éternelle durée d’une fleur pour un papillon."
Morricone et Rota les accompagnent à merveille. Et Caresana que je ne connaissais pas sur fond de Masaccio : ça va bien  comme le poing de Zorio avec « Orlando finto pazzo » de Vivaldi.
 Qui d’autre que Pergolèse mort à 26 ans et son stabat mater avec la pietà éperdue de Carrache ?
Et Le Caravage évidemment, sa sainte Catherine et son « manteau de certitude », Masaccio, Rossini le gourmand, Mantegna le sévère, Verdi, Fra Angelico, Scarlatti, Le Titien
E un gelato al limone !

mercredi 12 juin 2013

France culture papier. Eté 2013.



Le trimestriel trouvé à Carrefour en est à son numéro 6. 
Il est bien bon de s’attarder sur des paroles fortes avec des personnes qui parlent comme des livres. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt de fixer ces voix sur du papier?
Rocard, avec l’insolence que l’on prête à la jeunesse bénéficie d’un cahier spécial, il évoque son père et porte des paroles toujours aussi exigeantes et décapantes :
« Il vous tombe dessus tous les jours des pulsions de l’opinion sur n’importe quoi et le gouvernement a pratiquement l’interdiction de la négliger [….]  C’est naturellement idiot, dangereux et inefficace mais c’est une créance médiatique sur le pouvoir qui est un empêchement de gouverner sérieusement. »
Danielle Sallenave qui plaide pour la transmission évoque Cocteau, à qui l’on demandait ce qu’il emporterait si le feu prenait dans sa maison, a répondu : le feu ! Elle : la transmission de la langue.
Le récit de la vie de Walt Disney artiste et entrepreneur est passionnant, retraçant un parcours exceptionnel sans négliger le côté sombre.
Les articles autour de la thématique principale de la clandestinité ne sont pas tous périphériques comme: Cartouche le bandit populaire, un détective privé et un ouvrage clandestin  de sciences de la vie du XVII°. 
Il est aussi question d’un prisonnier chinois qui a vécu l’enfer de la torture, de l’ « odyssée des bas fonds » de sans papiers, de la « black économie » ( 2/3 de l’économie au Bénin est informelle) et du rappel de séminaires secrets d’intellectuels à Prague pendant la guerre froide.
Les sujets graves ne manquent pas : les enfants sorciers du Bénin sont parfois protégés, comme en témoignent des femmes travaillant dans un hôpital, mais il arrive pour des dents qui poussent d’abord sur la mâchoire supérieure,  qu’un bourreau fracasse la tête d’un petit contre un arbre.
Les témoignages d’un guetteur, d’un charbonneur des quartiers Nord de Marseille sont intéressants, désespérants et inattendus puisque l’article s’interroge : « pourquoi les dealers vivent chez leur maman ? »  
Il faut bien un entretien avec Resnais ou un retour vers Blondin suiveur de 28 tours de France qui rappelle que « l’homme descend du songe et a tendance à y retourner » pour  souffler un peu. 
Les dernières pages finissent sur un sourire par l’équipe des « papous dans la tête » :  Dans une bibliothèque, la vie de certains romans et pas des moindres avec une « Madame Bovary » jamais contente qui se confie à « Guerre et paix » chez monsieur Duval, un dormeur. L’étagère finit mal, car de toutes les façons « la bêtise consiste à vouloir conclure », et ça c’est de Flaubert.