jeudi 12 avril 2012

Sarah Caron à Mougins.

Le village où les galeries de tableaux se touchent est déjà un musée à lui tout seul où derrière la charmante fontaine rouillée sont exposées les toiles du garde champêtre Maurice Gottlob.
Au musée de la photographie du village perché, Sarah Caron rappelle les tumultes du monde quand on se serait volontiers laissé aller à la flânerie avec décorative vue panoramique.
Ses veuves indiennes aux visages réparés après avoir été aspergés d’acide m’ont fait crier.
Ses vues d’Afghanistan, du Pakistan prises au cœur des conflits les plus rudes, pour nous être familières, n’en sont pas moins fortes.
Un film nous présente l’artiste dans tous ses voyages et ajoute à l’intensité des images fixes proposées où alternent les flous, les bien éclairées, les arrachées et les composées.
Des bars au Chili avec femmes découvertes, des visages à terre à Cuba, au Cameroun, des visages voilés, une tête coupée en Thaïlande…
La quadra court de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis à Gaza, d’Haïti à New York, en Indonésie, en Birmanie…
Les plus grands la publient : Libé, Le Monde, Newsweek, The New York Times, Géo …
Elle reste là où il n’y a pas grand monde mais où bout l’actualité.
« Je pense en général d’abord à faire mes photos avant de bavasser. Quand je commence à avoir l’impression d’avoir déjà fait 15 000 fois la même image, alors seulement je commence à discuter. »

mercredi 11 avril 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 6

Un minibus collectif nous transporte ensuite à Pavlovsk, palais de Paul 1er, fils unique et mal aimé de Catherine II (la grande) et son royal époux. La forme du bâtiment est en arc de cercle jaune et blanc. Il est l’œuvre de Cameron, commandé par Catherine pour son fils à la naissance de son petit-fils Alexandre 1er. Ce palais est tout à fait différent de celui de Tsarkoïe, plus petit, plus intime, usant plus du trompe l’œil. Cameron joue sur un décor en plâtre finement amélioré peu coûteux mais raffiné. Irina nous commente en 1er lieu le vestibule égyptien.
Nous visitons d’abord les salles d’apparat du 1er étage. Elles contrastent avec le palais de Catherine par leurs dimensions plus réduites et dévoilent beaucoup des goûts du couple, de leurs découvertes et des objets amassés lors de leur voyages de noces en Italie et en France (Gobelins, vaisselle offerte par XVI et Marie-Antoinette, statues antiques romaines) A noter encore le trompe l’œil et l’acoustique dans la salle d’apparat à l’origine salle du trône mais où on a dressé une table garnie d’une fastueuse vaisselle ; l’originalité de meuble en acier, spécialité de Tula ; la chambre d’apparat qui n’a jamais servi, le salon de guerre et le salon de paix, les colonnes d’un péristyle en faux marbre ou fausse malachite… Le rez-de-chaussée propose des pièces à vivre plus intimes, avec des portraits de famille ; il constitue la partie occupée par Maria Feodorovna, même après l’assassinat de son mari. N’oublions pas la chapelle, rénovée par l’état et utilisée par l’église orthodoxe. Elle n’affiche aucune icône mais des tableaux religieux pour la simple raison que Paul était chevalier de malte, d’obédience catholique. D’ailleurs ce choix religieux est certainement l’un des prétextes à son assassinat. La croix de Malte apparaît peinte sur le plafond de la galerie des tableaux précédant la chapelle. Une fois encore, dans ce palais, nos n’éprouvons ni déception ni lassitude à errer dans ces lieux d’histoire. Irina se montre cultivée, en meubles notamment, vive, efficace. Dehors, les troïkas proposent des promenades dans le parc féerique mi domestiqué mi sauvage. Vous pouvez si vous le souhaitez prendre une photo en compagnie d’un couple en costume d’époque. La neige continue à tomber, ajoutant une touche supplémentaire correspondant à nos représentations sur la Russie. Nous hélons un minibus presque immédiatement et regagnons le centre ville puis le métro jusqu’à Nevski où nous quittons Irina, très satisfaits de ses services et de son sourire. Nous savons grâce à elle que la rue aux dimensions classiques et symétriques s ‘appelle rue Rossi et se cache derrière le théâtre Alexandra. Bof. C’est un peu raide malgré ses édifices symétriques jaunes de 220 m espacés d’une rue de 22 m. S’ensuit un moment d ‘hésitations pour organiser la suite du programme. Que faire de notre temps ? Les avis sont partagés et sans cesse modifiés. Finalement, nous dirigeons nos pas vers la place des beaux-arts, jetant un œil et un pied enneigé dans le hall de l’hôtel Europa. Quel étonnement de voir des vendeurs de glaces dans les parcs ! Bien sûr, les boîtes n’attendent pas dans la voiturette réfrigérée mais sur le plateau extérieur. Nous nous engageons, en entrant par la sortie, dans le Musée russe. L’un d’entre nous doit abandonner son laguiole au contrôle électronique. Ce musée russe montre la volonté de s’opposer aux collections royales de l’art occidental et propose d’exposer peintures et artisanat russes tout aussi dignes d’être exhibés. Nous choisissons les salles d’art moderne bien que la pièce consacrée au 20e le plus récent soit…closed ! Mais c’est intéressant, nous apprécions particulièrement l’artisanat (bois, ivoire, tissus, broderies, poteries, jouets, décors extérieurs de maisons en bois sans doute peints à l’origine).
Certains tableaux attirent notre attention : images des soldats napoléoniens, réalisme socialiste, peintures proches de Braque ou de Picasso mais aussi Malevitch, peintures naïves… Nous ne disposons pas assez de temps, mais tant pis,
la curiosité s‘émoustille quand même devant des choses inattendues. A 5h45, les gardiennes nous indiquent gentiment mais impérativement la direction du cloak room, c’est l’exode vers la sortie, sans espoir de récupérer le laguiole. Nous partons en quête d’un restaurant dans le quartier, comme conseillé par Irina. Nous atterrissons dans un self de Nevski Prospekt où nous optons pour des plats russes toujours tièdes bien que réchauffés au micro-ondes. Nous ne sommes pas loin de l’hôtel, nous échangeons de l’argent au fond d’un magasin de musique (CD et K7) et rentrons piétinant dans une mélasse débordante surtout en bordure de trottoir. Soirée vodka au 429 pour faire les comptes et échanger quelques propos. Fin des chocolats

mardi 10 avril 2012

Le tour de valse. Pellejero Lapière.

J’ai choisi une des rares images de bonheur dans une histoire tragique dont le dessin élégant permet de traiter le sujet de la tyrannie soviétique en laissant deviner les ambitions du communisme alors triomphant tout en montrant sa monstruosité. Le scénario est habile et limpide : une femme Kalia part à la recherche de son mari qui a cessé de lui écrire depuis la Sibérie où il est prisonnier car dénoncé comme « Zek », un ennemi du peuple, au retour d’une guerre où les hommes avaient perdu toute humanité. Elle a eu deux enfants, qu’elle laisse, pour découvrir sur place les conditions effroyables de détention au goulag et aussi ce qu’était ce « tour de valse », elle leur écrit.
Extrait d'un dialogue:
 « - En revenant, j’ai vu l’âne du vieux Pizkariev écrasé par un train. 
- En voilà un qui a de la chance ! 
- De perdre son âne ? A son âge, qui va porter son bois ? 
- Une bête aussi têtue…n’avait qu ’des soucis avec… maintenant, l’a de la viande pour quelques mois, s’il s’y prend bien. 
- Je ne sais pas ce qu’il pourra récupérer le train ne s’est même pas arrêté ... 
- Ah c’était ce genre de train… » 
Une belle locomotive noire avec l’étoile rouge.

lundi 9 avril 2012

La terre outragée. Michale Boganim.

Tchernobyl signifie « absinthe »:
« Le troisième ange sonna de la trompette. Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau ; et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. Le nom de cette étoile est Absinthe ; et le tiers des eaux fut changé en absinthe, et beaucoup d’hommes moururent par les eaux, parce qu’elles étaient devenues amères » L’Apocalypse selon St Jean.
L’absinthe signifie aussi « herbe de l’oubli ».
La belle Anya est guide dans la zone contaminée, elle rappelle la catastrophe qui fit de 14 000 à 850 000 victimes selon les sources embrouillées par une censure encore puissante.
A travers son histoire incertaine, celle d’un ingénieur et de son fils, le scénario passe d’une période heureuse en 1986 quand allait s’ouvrir un parc d’attraction, à celle d’aujourd’hui où les êtres apparaissent comme dépossédés d’eux-mêmes, hors sol.
Dans combien de films de l’Est y a-t-il de grandes roues ?
 La belle n’est-elle pas trop belle ?
Moi qui apprécie tant les peintures écaillées quand je photographie, et les statues de Lénine, j’ai aimé ces lieux abandonnés. La pluie omniprésente peut rendre palpable le déluge mortifère mais quand elle brouille les paysages derrière les carreaux de la serre, elle est belle aussi, comme les fêtes où s’étourdir.

dimanche 8 avril 2012

François Morel. Chanteur.

Le bougre qui pour moi représente l’esprit français dans toute son audace, sa fragilité, a plusieurs cordes réjouissantes à son arc dont j’ai parfois fait écho sur ce blog.
Depuis un moment je voulais faire partager mon plaisir à l’écoute de ses chansons mises en musique par Wagner (Reinhardt), Juliette ou Delerm.
Il dit l’essentiel, en nous faisant marrer :
« Tu veux des gondoles à Venise 
Tu as ta mobylette à Berck 
Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? 
Faut faire avec, faut faire avec 
On croit toujours qu'on a le temps 
Et c'est le temps, le temps qui nous a » 
Décapant :
« Je suis un cas sociaux 
Puisque l’exemple vient d’en haut 
J’ai bien peur, mon poteau, 
Qu’on se prépare pour bientôt 
 Beaucoup de cas sociaux. » 
Petites chroniques savoureuses comme les pages de ce livre d’or :
«J'ai baisé comme un fou» signé Alain Decaux 
L'écriture est gracieuse mais c'est hélas un faux 
«Nous ferons, croyez-le, souvent votre réclame 
Merci», tiens, c'est signé "Jean-Paul II et Madame" 
C'est sur le livre d'or de l'Hôtel Beau Rivage 
Qu'un enfant, sagement, gribouille des nuages » 
Il y en a ainsi pour des heures de plaisir dans deux CD :
« Le soir les lions » et « Faut faire avec ».

samedi 7 avril 2012

Veuf. Jean Louis Fournier.

Bof !
J’avais aimé « Où on va papa ? » de l’ancien complice de Desproges, et dans notre cercle de lecteurs celle qui a présenté le livre avait choisi ce que j’ai trouvé de meilleur en 150 pages très aérées.
L’auteur prolifique reproduit un extrait d’un ouvrage qui s’intitule « Sortir du deuil » où figure un tableau :
 « 100 points pour le décès d'un conjoint, 73 pour un divorce, 63 pour un séjour en prison, 11 pour une contravention… Celui qui a eu 10 contraventions, ça lui fait 110 points, donc il est plus malheureux que s'il avait perdu sa femme.»
Il tire à la ligne, se répète et quand il regarde à l’intérieur des chapeaux de l’absente, il cherche s’il ne reste pas une petite pensée pour lui.
Il aligne les formules obsèques genre « le bonheur on le reconnaît au bruit qu’il fait en partant », « le silence qui suit Mozart, c’est encore du Mozart ».
Il est plus émouvant quand il reconnaît ses faiblesses, des maladresses au moment du décès ; quand finalement les formules toutes prêtes peuvent aider.
La vie qui continue semble obscène, le courrier, le téléphone, les lunettes retrouvées ... Elle nous sauve.
Cette  espèce de brochure ressemble à ces livres qui veulent inciter les enfants à la lecture en proposant des guides pratiques romancés: « Mes parents divorcent », « Je viens d’avoir une petite sœur ».
Sur le créneau, « Veuve » aurait eu plus de lectrices.
A regarder sur Internet l’unanimité des lecteurs qui ont apprécié cet humour, et cette complaisance à l’égard de soi même, je me trouve bien sévère quand je pense que désormais le conformisme face à la mort se porte plus volontiers vers la dérision élégante que vers la profondeur : quelle chance de partir en premier !

vendredi 6 avril 2012

Comment reconstruire l’égalité ?

« La crise que nous traversons n’est pas seulement économique ; elle est aussi symbolique et politique. Elle nous impose, au beau milieu de la tempête, de repenser et de refonder notre démocratie en vertu de valeurs plus justes. » F. Hollande
« Une société des égaux doit faire de l’idée des constructions des singularités une sorte d’utopie positive. » P. Rosanvallon
L’auteur du nourrissant livre « La société des égaux » rencontrait le candidat socialiste lors du forum de Libération en cette fin novembre.
Il y avait du monde et de l’attente avant ces échanges sur le thème identitaire de la gauche, avec au bout une déception inévitable bien que des paroles incontestables aient été prononcées : «Tout ce qui a été décidé ces dernières années n’a pas été considéré comme « juste » par la population, c’est ce qui crée cette colère froide, cette frustration, cette volonté de changement. Si la gauche ne joue pas son rôle et ne rassemble pas, alors il y aura un risque terrible d’éclatement. »
Mais des vents froids soufflent au sortir de la belle salle de l’Hôtel de ville : la crise.
8 millions de pauvres et les rémunérations les plus élevées ont flambé.
Les fractures générationnelles et spatiales se sont aggravées, le pacte civique est menacé.
L’égalité, principe matriciel de la révolution, connaît aujourd’hui des reculs.
Les discours parlent d’inégalités pas de l’égalité alors que l’ingénierie politique éclairée par cette grande idée doit œuvrer dans l’école, la protection sociale, la redistribution fiscale.
La redistribution sans principe de réciprocité s’essouffle, il convient d’agir en amont par une politique ambitieuse de la petite enfance, avec de l’accompagnement personnel dans les systèmes sociaux, reconstruire la confiance pour permettre les mutations.
Pas une politique qui écarte mais qui unit.
Après tout, lors de la Seconde Guerre mondiale, il fallait « que les dollars meurent pour la patrie » c’était dit aux Etats-Unis.
L’impôt peut être consenti.
A Rome une loi limitait le nombre de personnes admises dans un banquet.
Quand l’indigence côtoie l’indécence au XXI° siècle, il conviendra d’aller vers une plus grande frugalité.
Il arrive même que pour certains la démocratie n’aille plus de soi : l’heure est grave.
Il est temps que vienne le temps de la mesure et des mesures.
Alors la peur de la réforme pourra s’effacer quand s’éloigneront la connivence et l’absence de moralité publique ; la confiance est à reconstruire.
Ce n’est pas la première fois que ces deux hommes se rencontraient :
un dialogue intéressant figure sur le site de Philo magazine sous le titre
« y a-t-il des idées pour sauver la gauche ? »
 http://www.philomag.com/article,dossier,y-a-t-il-des-idees-pour-sauver-la-gauche,1621.php