lundi 26 mars 2012

Les adieux à la reine. Benoit Jacquot.

Quand l’histoire se joue, la grande ou l’intime, les acteurs qui ont le nez sur l’affaire sont les plus aveugles.
J’ai aimé madame Bertin préposée aux tissus qui fait de son mieux pour s’occuper de fanfreluches quand tout un monde s’effondre, et bien sûr toutes les actrices magnifiques dans des costumes d’une époque qui mettaient si bien les formes au balcon. Les belles étoffes sont parfois souillées dans cette version où juillet 1789 est pluvieux.
C’est souvent dans les couloirs que se nouent les intrigues, où passent les informations, où se défilent ceux qui trahissent, c’est là que le réalisateur a placé ses caméras. Ce point de vue est fécond quand la liseuse de la reine devient le personnage principal, ponctuant une vie corsetée de mots pour divertir, conseillant « La princesse de Clèves » à Marie Antoinette qui a tout dépensé mais sait qu’elle ne peut pas s’offrir la jeunesse.
Toute ressemblance avec quelque pouvoir contemporain aveugle avec cour en route vers la Suisse est évidente. J’ai de la compassion avec la liseuse d’alors, moins avec les diseurs d’aujourd’hui qui ne risquent que le ridicule de leur servilité.

dimanche 25 mars 2012

Tartuffe. Molière. Lacascade.

Certains mots occupaient toute la place dans mes souvenirs, alors j’ai goûté la réplique de Dorine à « couvrez ce sein » :
« Vous êtes donc bien tendre à la tentation, 
Et la chair sur vos sens fait grande impression ? 
Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte : 
Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte, 
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas, 
Que toute votre peau ne me tenterait pas. » 
Bien au-delà des révisions patrimoniales indispensables, cette pièce est malheureusement d’une actualité envahissante. Les hypocrites, les bigots, les mariages arrangés, avec plus seulement des rondeurs à cacher, mais des femmes toutes entières à voiler, sont même de plus en plus là, hélas !
Le metteur en scène qui joue le rôle titre combine le tragique et le burlesque, l’ancien et le moderne sans perruque ni jeans dans une comédie enlevée qui explore les voies compliquées menant vers la vérité.
La beauté du texte tranche tellement dans le babil ambiant que la scène de séduction de Tartuffe vis à vis d’Elmire est convaincante et élégante.
Je n’ai pu m’empêcher de comparer encore une fois mes perceptions des spectacles suivant la place qui nous est attribuée dans la grande salle de la MC2 : depuis le balcon, dans une vue d’ensemble, j’ai été sensible aux mouvements qui s’apparentent parfois à une chorégraphie avec jeux de portes et corps en dilemme.
Des scènes prennent des allures de dessin animé dynamique sans jamais céder à la facilité.
Les happy ends hollywoodiens de commande nous ont appris qu’avec une fin arrangée pour « un prince ennemi de la fraude », il convient que le malhonnête soit puni, au moins sur les planches.
La pièce date de 1664, c’est d’hier ?

samedi 24 mars 2012

N'espérez pas vous débarrasser des livres. Jean-Claude Carrière, Umberto Eco.

Les deux joyeux grands pères s’entretiennent avec Jean-Philippe de Tonnac, et leur pétillante érudition constitue le meilleur des plaidoyers pour le Livre qu’ils prennent bien garde de sacraliser, Ecco s’est constitué une bibliothèque gigantesque autour de l’erreur et des idées fausses.
C’est parce que j’ai la religion du livre que celui-ci m’a été offert, mais je ne sors pas de ces 280 pages rassuré pour l’avenir, j’ai seulement pris du plaisir à fréquenter leur gai savoir et c’est déjà bien.
Si Carrière reste beaucoup dans ses références à Buñuel, il touche juste quand il souligne que chaque lecture modifie le livre : « le temps le fertilise».
J’en serai à penser que ce n’est pas le temps qui nous tue mais les tentatives contemporaines pour l’abolir. Les supports numériques tiendront-ils le temps des incunables que les deux bibliophiles collectionnent ? Ecco remarque que « la renaissance religieuse fleurit dans des ères hyper-technologiques, à la fin des grandes idéologies, à des périodes d’extrême dilution morale ». Nous y sommes.
Et dans les débats qui traversent nos pays glacés, le rappel que les gens du sud reprochaient aux gens du Nord de manquer de culture est stimulant.
Quand Bossi de la Ligue est descendu à Rome pour un premier discours, une pancarte ironique indiquait : « lorsque vous viviez encore dans les arbres, nous étions déjà des tapettes ».
Les deux érudits emploient volontiers la notion de filtre pour choisir dans la profusion et ils reviennent sur l’histoire nous enseignant que les peuples sans écriture sont maudits ; l’acharnement des colonisateurs à en faire disparaître toute trace atteste du pouvoir des alphabets. Même si en Inde la tradition orale revêt le plus grand prestige. Lors des chants en groupe les erreurs individuelles sont atténuées, rectifiées.
« La tradition orale des grands poèmes épiques qui a perduré pendant près de mille ans serait donc plus exacte que nos transcriptions faites par des moines, lesquels recopiaient à la main dans leur scriptoria, les textes anciens, répétant les erreurs de leurs prédécesseurs et en ajoutant de nouvelles. »
Qui n’est pas saisi de vertige devant la plus modeste des bibliothèques ?
 Alors face à celle des deux compères ils ont des réponses à la question :
« Vous les avez tous lus ? »
 « Davantage, monsieur, davantage. »
 « Non. Ces livres-là sont seulement ceux que je dois lire la semaine prochaine. »
ou «Je n’ai lu aucun de ces livres, sinon pourquoi les garderais-je ? »

vendredi 23 mars 2012

Savons-nous encore parler à nos enfants ?

Cécile Duflot a repris le Scénique Président en lui disant que ce n’est pas ainsi qu’on parle aux enfants :
« Le devoir des adultes c'est protéger pas angoisser ».
A mon avis, elle a raison, quand la tête de l’état joue avec les peurs, c’est l’enclenchement des régressions qui amène à nier le réel pour ne pas affronter ses rudesses. Par ailleurs les écolos utilisent les peurs avec le nucléaire et pêchent sur l’autre versant par l’euphémisation, le déni face aux problèmes de sécurité ou d’éducation.
L’autre jour j’ai éteint la radio au moment où un pédopsychiatre disait qu’il aurait fallu une préparation aux enseignants avant de parler aux enfants du drame de Toulouse.
Si les enseignants ne savent pas parler de la vie, de la mort à leurs élèves, que peut-on attendre d’eux ?
Il ne s’agit justement pas que de mots mais de vivre avec les enfants au prix de maladresses qui font qu’une vie loin d’être irréprochable est justement la vie.
Tous ces parleurs me broutent et les purs nous tuent.
Hauts parleurs, les médias prennent souvent les politiques de haut :
« cette campagne n’aborde pas les problèmes de fond », 
alors qu’ils sont les principaux fautifs de l’abaissement du débat public.
Les chaînes d’information en continu ont imposé un tempo endiablé aux autres médias.
Les porteurs de micro délégués au plein vent n’ont qu’à confirmer ce qui vient d’être annoncé en plateau :
« effectivement ! ».
Les nouvelles sont vendues explicitement comme des marchandises :
« ne quittez pas, dans la suite du journal, nous verrons comment les anglais sont tellement contents de retarder l’âge de leur retraite »…
La confusion entre journalistes et amuseurs culmine sur Canal +, alors que sur les chaînes publiques les serviles sont au service ; sur TF 1, j’évite, même les commentateurs sportifs me hérissent.
A la télévision, la voix de son maître a toujours été prépondérante, mais à voir la façon de traiter Joly dans la chaîne humaine de Lyon à Pierrelatte ou Mélenchon à la Bastille, le conformisme s’étend de radios en hebdos.
 Bien des citoyens s’abstiennent désormais. Quand j’ai transmis à des camarades Outlook un édito d’Hélène Sixous concernant l’Hui, certaines m’ont fait part de leur lassitude, de leur envie de silence.
Alors, je ne me sens pas épargné par les formules toutes faites : « trop de buzz, de tweets tuent l’info ! ». Face à la bouillie des promesses où les grosses ficelles cyniques sont étouffantes, je me sens gagné par l’inappétence ambiante, tendance imbécile.
....
Dans le Canard de cette semaine:

jeudi 22 mars 2012

Le musée Cocteau.

En bord de mer dans la charmante ville de Menton est installé le nouveau musée dédié à Cocteau.
L’architecture qui se veut à l’image de l’œuvre de l’artiste protéiforme,  
« difficile à ramasser », peut prêter à discussion.
Non que la ressemblance avec le bâti alentour soit une règle intouchable, et j’apprécie parfois des surgissements architecturaux inattendus. Mais il se trouve que la construction trapue en forme de « tielle à la sétoise» est souvent montrée en vue aérienne par son côté le plus photogénique; en l’abordant à pied de loin, nous avions pris l’édifice de Rudy Ricciotti pour un parking. Le donateur américain Wunderman à qui l’on doit l"essentiel des œuvres présentées, n’a pu voir l’aboutissement de sa collection, il est mort quelques mois avant l’inauguration.
Derrière ses rideaux atténuant la lumière méditerranéenne, le musée propose des dessins, des photographies, des tableaux, des céramiques, une tapisserie, des bijoux, des extraits de films.
L’élégant auteur des « Enfants terribles » et des « Parents terribles » était éclectique.
 J’ai préféré ses dessins d’un seul trait à ces amoureux aux couleurs vives installés au « Bastion » lieu qu’il avait investi auparavant.
 On retient surtout le poète plutôt que le « prince frivole » qui connut les délices et les affres de l’opium. Et sa « Belle et la bête », son « Testament d’Orphée » m’ont paru datés.
Mais je comprends que l’artifice à ce point puisse séduire.
Par contre parmi un stock de citations légères et concises certaines n’ont pas pris la poussière :
« Ce qui caractérise notre époque, c’est la crainte d’avoir l’air bête en décernant une louange, et la certitude d’avoir l’air intelligent en décernant un blâme. »

mercredi 21 mars 2012

« On refait le voyage » : Saint Petersburg 2004 # 3

Il a neigé cette nuit, tout est blanc.
Aujourd’hui, c’est Tour de ville avec minibus et guide de l’agence Bolshoï Tourism (Bolshoï veut dire grand en russe). Le guide est une jeune femme blonde, prénommée Larissa. Elle parle un français presque sans accent.
Elle nous commente la perspective Nevski et ses palais puis nous dévie sur une superbe place, la place des arts, entourée de musées et théâtres. Au centre, la statue de Pouchkine qui participa à l’élaboration de la langue russe moderne à travers la littérature et la poésie. Nous repartons sur Nevski Prospekt. Nous apercevons au passage le cirque et une école pour jeunes filles de « classe moyenne » ; Catherine II avait décidé qu’il y aurait des écoles pour les filles, mais pas de mixité sociale. Après un contrôle de la police concernant l’assurance du véhicule, obligatoire depuis peu, nous jetons un œil à travers la vitre du bar Pouchkine, et nous stoppons sur l’île Vassilievski (Traduction = Basile), près de l’une des colonnes rostrales, anciens phares de la Neva décorés de proues de bateaux, celle devant laquelle les mariés se font photographier. Larissa nous explique aussi que les bulbes des églises représentent la forme des cierges, la lumière qui monte vers le ciel et leur nombre symboliserait les personnages sacrés. De façon plus pragmatique il semblerait surtout que cette forme permette à la neige de glisser plus facilement. Le minibus reprend la route à travers l’île, parmi les universités, les palais et la maternité.
Il se dirige vers le golfe de Finlande par l’une des 3 routes possibles (la petite, la moyenne, la grande). Nous traversons des quartiers style art nouveau avant d’atteindre le front de mer défiguré par un hôtel gigantesque. Quant à la Baltique, elle est gelée, impossible de distinguer la terre de la mer. Nous allons y faire quelques pas et photos. Curieux, nous observons une moto-ski qui remorque de quoi percer la couche de glace pour des pêcheurs, tâches noires au loin dans cette lisse étendue glacée. Nous remontons au chaud dans le Mercedes et quittons l’île pour la terre. Un arrêt est prévu à l’Eglise Saint Nicolas des marins, préservée même pendant la période soviétique. C’est une pure merveille, à plusieurs égards : d’abord sur le plan architectural, pas de grande voûte écrasante mais un plafond bas, des icônes dans des cadres en or sacrément baroques, assorties à un iconostase d’une grande richesse, deux poêles en faïence, des bougies allumées partout. Mais l’autre intérêt, c’est d’assister à un office orthodoxe dans une église pleine à craquer de fidèles. Comme il n’y a pas de bancs, les vieilles se sont regroupées près des poêles qui offrent des rebords pour s’asseoir. Quelques personnes à genoux se prosternent comme à la mosquée. Le pope bénit une table chargée de victuailles apportées là par les fidèles et garnies de bougies. D’une voix profonde, il chante, en tant qu’intercesseur, une litanie dans laquelle il cite des noms écrits sur des papiers
( accompagnés d’un billet de banque). Une chorale mixte a cappella lui répond en antiphonie. Dans l’un des bas-côtés, une femme en tablier noir sert une boisson et un morceau de gâteau ou de pain, que nous interprétons comme étant la communion. Sous le même uniforme, ses copines vendent des bougies ou des icônes. L’ambiance est chaleureuse. Il y a à l’étage une autre église que nous ne verrons pas, utilisée pour les fêtes. A l’extérieur, l’église et son clocher indépendant sont parés d’une façade blanche et bleue ; l’église arbore d’élégants balcons en fer forgé dont se servait la famille royale. Nous quittons ce lieu qui a enthousiasmé tout le monde.
Nous atteignons la Cathédrale et le couvent de Smolny situés à l’emplacement d’anciens chantiers navals (On y calfatait les bateaux et smolny veut dire goudron en russe). Les bâtiments sont en cours de rénovation, comme en témoignent les échafaudages et le ton cru du bleu des constructions de droite en contraste avec le bleu fané des constructions de gauche. A côté, l’institut Smolny était réservé aux jeunes filles de la noblesse, elles y apprenaient leur travail de bonne épouse. Nous continuons la balade motorisée le long des jardins de Tauride. C’était la propriété du prince Potemkine, vainqueur en Crimée (aussi nommée Tauride) et amant affiché de la grande Catherine. Toutes les rues que nous traversons sont bordées de palais ; pas de pierre, les constructions sont en briques recouvertes d’un enduit et peintes, de même que les atlantes et les caryatides.

mardi 20 mars 2012

Habibi. Craig Thompson.

Comme je ne suis pas du genre à passer mille et une nuits sur une BD, je ne suis pas allé au bout de ce pavé de 670 pages.
Je n’ai pas été entortillé par les ornements, les volutes, les arabesques d’une histoire qui entrelace joliment les brutalités d’un monde violent aux effluves d’un merveilleux revenu à des racines sacrées.
Mes mots auraient pu virer au positif mais l’arrière plan religieux omniprésent étouffe les personnages. L’esthétique très soignée ralentit une lecture dynamique. Tous les lieux et toutes les époques se mêlent.
J’avais l’impression d’avoir entre les mains un volume daté d’un XIX° siècle corseté, dont les grands mots seraient devenus atones même si l’esclavage et les ravages de la planète sont d’actualité.
Du temps où les livres étaient rares et l’espace compté, depuis j’ai su apprécier les plages silencieuses, l’humour.
 Je ne suis pas monté à bord du bateau échoué dans le désert.