mardi 15 décembre 2009

Ma grand-mère Philomène. 2° partie

Ma grand-mère s’appelait Philomène, elle est morte à 45 ans, elle était née un 20 décembre.
Son fils, un fils d’assassin, a épousé ma mère, Augustine, née un 20 décembre. Ils ont eu un premier enfant, une fille. Son nom est le mien, je suis cette petite fille d’un assassin envoyé au bagne à Saint Laurent du Maroni, décédé en 1944.
Il était menuisier, souffleur de verre. Il avait été allemand, puis français selon les oscillations de l’histoire de l’Alsace. IL est devenu alcoolique sur le front de Russie. Les pioupioux, on les dopait à la vinasse des deux côtés de la boucherie. Je suis la petite fille d’une jeune mère de onze enfants que son époux a privé de mots et de vie. Direct, d’une balle tirée direct à bout portant devant trois de leurs enfants.
Je suis la fille de Charles, celui qui n’a pu sauver sa mère, celui qui a scellé sa mémoire, croyait-il, celui qui m’a langée de secrets, m’a nourrie de vide, m’a aimée de désespoir.
Je suis cette enfant-là se mirant dans le chagrin fou d’un père privé de mots. Je suis née un 20 décembre, solstice d’hiver.
Et arrive toujours le moment. Le choix. Enquêter ou dépérir.
J’ai choisi de vivre. J’ai pris le train pour Strasbourg au printemps.
Je n’ai pas vu Strasbourg. Pendant deux jours munie d’un crayon et de papier j’ai lu les archives, j’ai promené les yeux dans des témoignages du passé, les témoignages de Français parlant allemand, rapport d’autopsie que je n’ai pas eu la force de lire jusqu’au bout.
Philomène, ma grand-mère inconnue. Je n’ai connu de son apparence que ce qu’en a écrit le médecin légiste. Le cadavre de ma grand-mère dans les yeux d’un technicien de l’autopsie.
Je n’ai pas vu ses yeux vivants, entendu sa voix et ses rires. Elle ne m’a pas prise sur ses genoux. A Strasbourg j’ai lu sans répit. Le ventre tordu d’effroi et de pitié.
Maie Treize

lundi 14 décembre 2009

La merditude des choses

Le titre peut faire hésiter et puis finalement quand les bras vous en tombent, devant l’absurdité de la vie, c’est bien ce qui vient au bord des lèvres, comme une nausée.
« Affreux, sales et méchants » chez les Chtis. Bien sûr dans ce film de Félix Van Groeningen, il y a une franche folie flamande poussée par des torrents de bière, mais aussi une chaleur humaine, animale, violente et tendre. Encore une famille des plus fermement déjantée, où les enfants sont abandonnés par les parents qui ne veulent pas grandir. Une fois de plus c’est la grand-mère qui assure. De l’humour certes noir, mais tout est noir. Quelle sera la transmission ? Désespéré, violent, mais à voir, où les genres se mélangent pour expérimenter jusqu’où va la représentation d’une civilisation suicidaire.

dimanche 13 décembre 2009

Vincent Delerm

Celui qui égrène avec finesse nos petites mythologies de ces années Cosmopolitan a vérifié ses connivences avec son public l’autre soir à la MC2. Il y a sept ans il était à Saint Marie d’En bas et « Kouchner était alors à gauche, et on ne pensait pas avoir pire comme président »…
J’apprécie toujours autant sa poésie du quotidien où la pluie dégouline désormais sur le Club Mickey et non plus devant une masure au toit de chaume de Verhaeren . Ses amours les plus belles sont celles qu’il n’a pas embrassées. Le grand théâtre a connu des sonorisations plus veloutées, mais souvent le jeune homme n’avait que quelques mots à susurrer, la salle complétait. Patrick Bruel n’était pas loin. L’atmosphère des bords de Seine, Deauville, le cinéma de Truffaut, n’avait pas besoin de mises en scènes si explicites pour laisser échapper ses parfums nostalgiques. Ses enchainements plein d’humour étaient bienvenus pour entremêler légèreté et mélancolie comme dans cette chanson« la vipère du Gabon » où alternent habilement les annonces graves et les propos anodins:
« A l'entrée du zoo
Tu sais j'attends des jumeaux
J'espère qu'y aura des éléphants
Et ta mère elle est au courant
Ca c'est des genres de wapitis
Pour l'instant je lui ai encore rien dit
Et devant la cage des gibbons
Ah bon
Ils doivent être planqués dans un coin
Et Mathieu lui il le vit bien
Putain j'ai horreur des vautours
Au début il était pas pour
C'est pas un vautour c'est un condor des Cévennes
Même si il se casse je les garde quand même
Oui enfin c'est quand même un petit peu pareil les vautours les faucons …»

samedi 12 décembre 2009

Faut-il déglobaliser ?

Pascal Lamy directeur de l’OMC et Jean Marie Harribey d’ATTAC étaient parmi les invités les plus emblématiques du forum de Libé. Confrontation courtoise mais ferme d’un responsable éminent de la globalisation dont l’acuité du regard peut apporter des éléments à sa famille, la gauche, et d’un économiste également pointu et pédagogue, engagé dans une contestation radicale du désordre du monde. Il demande que l’OMC passe sous le contrôle des nations unies pour échapper aux lobbies capitalistes.
Je rentre tout tremblant dans cette cathédrale où de tels sujets sont posés, en essayant de ne pas trop jouer au perroquet qui n’en garde pas moins sa cervelle d’oiseau. Mais je sais aussi qu’il y a des lieux, des moments, pas forcément des églises, où se posent les questions de notre place dans l’univers.
La crise actuelle accélère la prise de conscience de la finitude du monde : depuis la misère endurée par les multitudes qui ont un accès difficile à l’eau jusqu’aux maux créés par marchandisation de la santé, de l’éducation en passant par les effets néfastes de la déconnection des salaires et de la production. Les gouvernements ont tendance à se dédouaner sur l’OMC, à choisir des stratégies de repli sur soi.
« La globalisation est un système efficace et injuste. » P Lamy
« Il faut mettre des bornes, car, si ce processus se poursuit, ça va être mortel pour les sociétés. » JM Harribey

vendredi 11 décembre 2009

L’homme est un grand faisan sur terre

« Il bâille. Son haleine sent l’alcool. Dans le village, les coqs chantent. Ils ont encore la nuit dans le gosier » Oui, il y a quelques images réussies dans ce livre d’Herta Müller prix Nobel de désespoir. Le rythme de ses phrases courtes sujet/verbe/complément lassant, ajoute de l’agacement à la neurasthénie de ce roman heureusement de 124 pages. Pas d’autre issue pour le meunier à la farine humide que d’essayer de fuir ce pays de feuilles mortes ( la Roumanie) où les chouettes souhaitent la mort, et les pommiers dévorent leurs pommes. Pour sortir de ce fantastique poisseux, se précipiter sur « Rire et chansons » quitte à tomber sur du mauvais goût mais au moins vous saurez pourquoi ils n’ont pas obtenu le Nobel de littérature.

jeudi 10 décembre 2009

Hammershoi

Voilà un nom qui a échappé à la trappe de ma traitre mémoire. Après l’avoir découvert à Orsay il y a10 ans, je n’ai cessé de penser au peintre danois dès que je voyais une femme de dos, une porte ouvrant sur un couloir, des couleurs sourdes, tant sa patte est caractéristique. Dans ses toiles , le temps s’arrête, la paix s’installe, le vide incite à la mélancolie. Ses paysages horizontaux sont déserts, la rigueur de ses compositions me rassure et le flou de sa touche éloigne les anecdotes. Ce peintre du XIX° influencé par les Hollandais du XVII° est pleinement notre contemporain ; quand un rare rayon de soleil blanc pénètre par les fenêtres, il prend tout son prix, une femme s’en approche et ouvre un livre.

mercredi 9 décembre 2009

J12 : Hué, Danang, Ho Ian

Nous partons pour la visite de deux mausolées. Nous commençons par celui de l’empereur Tu Duc. Il s’agit plus d’un palais que d’un grand tombeau. L’empereur poète le dessina lui-même avec une recherche d’harmonie. Un certain romantisme émane du canal qui serpente, envahi par les lotus et alimenté par la rivière des parfums. La montagne n’est pas bien loin, pour l’équilibre de la nature. C’est le palais de « la modestie » nom donné par le bien peu modeste Tu Duc suite à une insurrection du peuple due au travail forcené pour construire l'édifice entrainant beaucoup de morts. Cour d’honneur avec cheval, éléphant et soldats, appartements pour le roi, pour le harem, présence d’un théâtre, pavillon du repos au bord de l’eau avec embarcadère. Nous longeons le canal pour atteindre le tombeau, élevé dans la pinède pour que le défunt puisse entendre le bruit du vent dans les arbres. A l’arrière du bâtiment est dressé un autel dédié aux concubines stériles afin que leurs âmes n’errent pas, puisque privées de descendance. L’autobiographie de l’empereur est gravée sur une stèle devant son tombeau. Craignant vengeance et pillages, il ne reposerait pas dans son tombeau, mais dans un endroit tenu secret. Le personnel chargé de l’y conduire venait du Nord et sur le chemin du retour, le bateau coula.
Le deuxième mausolée celui de l’empereur Minh Mang se situe un peu plus loin à 11km de Hué. Pour y accéder nous empruntons une allée équipée de barbelés d’un côté afin d’empêcher les enfants de mendier. D’autres mausolées sont ruinés mais l’un d’eux subsiste en béton sur les hauteurs comme les cimetières situés sur les collines pour échapper aux inondations.
La route qui mène au col des nuages est tellement pentue que des étals proposent des cales en bois. Nous sommes presque seuls, car les véhicules préfèrent emprunter la voie avec tunnel. Nous avons une jolie vue sur la péninsule de Lang Co, village de pêcheurs de coquillages qui une fois broyés fourniront de la chaux et sur une longue langue de sable clair face à la mer de Chine. Ce col constituait un passage stratégique à toutes les époques ; des vestiges de fortins chinois et des bunkers français et américains en témoignent. C’est la frontière entre le Nord et le Sud. A Danang, après un restaurant au prix inhabituellement élevé, nous visitons le musée Champa, placé dans une jolie maison coloniale construite par l’école française d’extrême orient au début du siècle. La civilisation cham aujourd’hui disparue adopta la religion hindouiste et son panthéon encombré de dieux. Le musée abrite des sculptures trouvées sur le site de Mison en particulier, s’échelonnant du 7° au 14° siècle. Quelques photos d’époque prises sur le terrain des fouilles montrent les conditions de découverte parmi une végétation luxuriante. Nous tournons autour des yonis /lingams symboles sexués féminins et masculins, les Shiva, les nandus, Hanuman, Garuda, les Râma Sita et Râvana, les musiciens et danseuses en bas reliefs et grès. Puis c’est la route vers Hoi An. Des camps militaires américains, il ne reste qu’un grand terrain plat avec la plage où les GI se délassaient, quelques abris à hélicoptères sont conservés pour la mémoire de ce lieu stratégique. Le bord de mer se transforme aujourd’hui, avec des complexes touristiques immenses et pas moins de six golfs prévus. La plage n’appartient plus au peuple, les vivants et les morts sont expropriés avec transferts des cimetières.
Qui a gagné la guerre ?
Les monuments aux morts et cimetières militaires pour les soldats du Nord jalonnent les routes.
Nous pénétrons dans Hoi An sous la pluie. Le « Hô An hôtel », superbe maison dans le style colonial, nous éblouit avec un jardin au centre des bâtiments en U. Des petits pots de riz en herbe sont disposés sur les tables. Nous sommes accueillis avec un verre de citronnade, des petits gâteaux au soja et des nougatines. Fleurs d’ibiscus et pétales de roses décorent les chambres petites mais luxueuses et raffinées. « Lonely Planet » annonce l’établissement comme prix moyen, que penser des prix plus élevés ?
Sans guide nous partons découvrir la ville. L’habitat ressemble à celui de la Chine et ses maisons avec des boutiques en bas et un étage moins important servant d’entrepôt ou d’appartement. La température est délicieuse après la pluie. Nous suivons vaguement le plan donné par l’hôtel, traversons un marché, protégé par des bâches. La rue suit la rivière et mène jusqu’à l’adorable pont japonais couvert. Il est intact, c’est le lieu privilégié pour les photos. Nous nous promenons un moment avant de terminer au restau « Thanh Phong » où nous nous régalons de white rose (ravioli enroulé dans une feuille de riz frite) et de spécialités locales. Ambiance de soir d’été, de vacances sucrées, avec les lanternes colorées, les gamins qui vendent des sifflets en forme d’animaux, un jeu de loto avec musique sous un banian. Douce nuit.