mardi 17 février 2009

« Ce jour où ce qu’on sait est devenu inutile » J.B. Pontalis *

Parfois je me dis cette phrase, pendant une insomnie. Je me démène sous ma couverture. Je me sens grise comme un soldat avant la bataille. Je veille, armée.
Ces jours où je me dis que ce que je sais est devenu inutile, ces jours-là, j’ai peur. J’ai peur d’être trop vivante, constat inouï, angoissant.
J’ai peur de me lever, j’ai peur du jour nouveau qui pointe, j’ai peur des minuscules prisons des habitudes, ces petits cercueils.
Alors je reste gisante sous la couverture.
Des couvertures, j’en ai à foison. Des bleues, des roses et des noires. Des unies et des chamarrées, des laineuses, des cotonneuses, des soyeuses, des écossaises, la somptueuse en mohair, si légère.
A l’abri sous mes couvertures, je me répète ce que je sais, je me raconte mes vies : je vis à l’étouffé. Je tricote entre les vieilles images et les récentes des contes improbables. Etais-je heureuse dans ce champ où le photographe m’a surprise endormie dans la plénitude de mes trente ans ? Etais-je malheureuse sur cette plage où je ne souris pas, où je regarde des enfants qui s’éclaboussent.
Oui, je me raconte ce que je sais de ma vie, ces bribes, comme fibres végétales palpitant doucement dans le vent de la mémoire. Souvenirs fugaces, instables, insaisissables, du sable.
Tout ce que je crois savoir de moi et qui ne me sert à rien. Des écrans, des enveloppes, des tchadors. Je sue, le souffle en suspend, lasse comme un poisson pris dans la vase d’une mare desséchée.
Et puis je me lève, je rejette le linceul tissé par l’insomnie. Je retrouve l’eau froide, puis les vaisseaux bleus du Vercors défiant l’espace, le ciel et la vallée. Les premiers pas du matin sont chaque jour les premiers pas de la vie. Hier n’est que fumée et demain dans la brume. Un merle siffle sans vergogne sur la gouttière, la lumière brise les fenêtres. Le monde est terrible, vivre est terrible, être soi est une terrible énigme.
Il est des nuits merveilleuses où je brûle toutes mes couvertures. Le sommeil m’emporte comme une mère. Mes rêves me disent que je suis une inconnue, que la seule tâche, la seule qui vaille la peine qu’on s’y livre, c’est d’accepter de se perdre en cette inconnue corps et biens. Alors je ne peux me dire guérie, mais il arrive que je m’espère sauvée.
Philomène
J.B.Pontalis est un écrivain contemporain édité chez Gallimard.
Son œuvre est marquée par son travail de psychanalyste, mais c’est une empreinte légère, pudique, modeste.
Je n’ai lu de lui que des œuvres faites de fragments par exemple, « Fenêtres », « Perdre de vue », « l’enfant des limbes »
J.B. Pontalis m’étonne au vieux sens de se prendre la foudre.

lundi 16 février 2009

Noces rebelles

Le titre n’est pas bien choisi, tant la rébellion porte un sens politique, alors que dans cette réalisation de Sam Mendes, c’est d’un malaise existentiel dont il s’agit, genre « tu la voyais pas comme ça ta vie ».
« Fenêtre panoramique », titre du livre de Richard Yates, qui a inspiré le film aurait mieux rendu le dilemme de l’ennui et des rêves.
Les années 50 couleur sépia avec ses vagues d’employés en chapeaux, appartiennent désormais à une autre époque. La secrétaire de si peu d’importance, comme les enfants, disparaissent dans le décor. Il faut bien le personnage du fou pour révéler les impostures, les lâchetés ; le procédé est d’ailleurs facile malgré la puissance des acteurs. Petites vies; mais sommes nous supérieurs aux autres, différents ?
La cinématographie française s’est souvent sentie plus exigeante que les productions américaines, eh bien, en lancement, un film avec Sophie Marceau ne faisait pas le poids avec ses bribes rigolotes, avant la performance de Leonardo DiCaprio et Kate Winslet.
C’est le film hollywoodien qui pose des questions graves sur le sens de la vie.
Et tout le monde n’a pas la possibilité de débrancher son sonotone quand les cris se font trop stridents.

dimanche 15 février 2009

Bashung

Bien des critiques mettent au plus haut « Bleu pétrole » la dernière production de la « force tranquille du rock ». Ils apprécient la tonalité pop folk de ce CD, qu’il a concocté pendant 6 ans avec de multiples collaborations. Pour moi cette production agit comme j’imagine l’effet produit chez les derviches tourneurs pris par les sonorités envoûtantes. « Les tristesses surannées ». Je me suis régalé, même si je n’ai pas suivi assidûment sa carrière. Je venais d’essayer plusieurs CD de nouveaux chanteurs recommandés par « Libé », « l’Obs », mais le sexagénaire les enterre tous, d’autant plus qu’il s’approprie quelques titres majeurs : « Susanna » de Léonard Cohen qui lui va très bien, ainsi que certaines chansons de Manset, le chanteur culte de toute une génération, la mienne.
« Je t’ai manquée pourquoi tu me visais »
« Un jour je parlerai moins jusqu’au jour où je ne parlerai plus »
« J’ai des doutes sur le changement de l’heure en été…
Est-ce que vous avez des doutes des idées des rêves des douceurs éveillés ?
Le goût de changer de route à prendre ou à laisser ? »

Il traîne un cancer.
Le phrasé, la voix nous suivent, ses musiques soignées nous enveloppent, ses atmosphères ont de la gueule.

vendredi 13 février 2009

Les Bidochons en H.L.M.

Si le journal »Libération » ne m’avait pas envoyé l’album pour bichonner le lecteur de quotidien après un an d’abonnement, je ne l’aurai pas acheté. Le succès des personnages de Binet dont le patronyme est devenu commun ne m’emballait pas. De la même façon que les Deschiens me mettaient mal à l’aise, le mépris accompagnant souvent le terme « les gens » qui conduirait celui qui utilise le terme, au dessus de l’ordinaire, irrite le « beauf » en moi qui ne sommeille que d’un œil. Ces albums, finalement sont pour les Bidochons et venant de Libé qui m’agace encore parfois pour ses positions élitistes, ce cadeau ne constitue-t-il pas un signe d’évolution de la gauche vis-à-vis du peuple qui n’est pas forcément gibier à populisme ?
La défaite politique de la gauche s’est préparée dans ce fossé creusé entre les élites fréquentant Rolland (Garros), amateur de whisky, méprisant Rolland (Thierry) et le pastis.
Ces 50 pages sont drôles, et il y a de la tendresse, et de la vérité.
L’association pour la défense des locataires se constitue :
«- Donc sur 250, trois seulement se sont excusés !
- Quatre avec monsieur Travel que j’ai rencontré ce matin et qui m’a dit d'aller me faire foutre avec nos conneries !
- Celui-là ça m’étonne pas !
- Il sera le premier à venir gueuler le jour où il y aura un problème. »

Faits d’école

J’apprécie François Dubet car dans les débats concernant l’école, il sait situer tout en nuances sa place de sociologue et il exprime les positions aussi bien des profs que des élèves, sans asséner de leçons. Il sait que les acteurs du milieu éducatif retiendront ce qu’ils voudront de ses études. Ainsi le syndicaliste se servira de ses écrits quand il évoque la violence sociale extérieure mais ne semble pas avoir lu les lignes concernant la violence interne. Ce qui tranche avec les autres publications, c’est qu’il n’ignore pas les blocages, il ne les méprise pas, il les comprend, il sait reconnaître la pertinence d’arguments contraires à ses inclinations au sujet par exemple de la baisse du niveau, des vertus du redoublement, des répercussions de la taille des classes…
Les fonctions de l’école sont bien la distribution, la transmission, l'éducation tout en ménageant la nécessité de l’égalité et celle du mérite : vastes programmes pour Sisyphe au ministère.
Des questionnements stimulants : « à qui appartient l’école ? », des observations éclairantes : « le déplacement des tensions du système vers les individus ». En annexe la reprise d’un de ses articles dans Libé, où il défendait le collège unique contre la proposition de J.L. Mélenchon qui souhaitait rétablir des filières professionnelles dès la classe de quatrième ... en 2001.
Le temps d’un livre, on pense voir un peu plus clair, et il suffit d’un coup de ciseaux sur une joue professorale, et d’une pique jargonnante « des tendanciels systémiques » pour que les bras vous tombent. J’ai du temps pour me pencher sur ces papiers là, et je n’ai plus de bras, d’où ma molle lecture. Mais quand on voit le déni des travaux les plus documentés consacrés par exemple au rythme des enfants, le lecteur amateur peut avoir la tentation de replonger dans un recueil de poésies pour une efficacité égale. Ceux qui ont à épauler les jeunes vers l’avenir peuvent-il porter leur regard par- dessus la circulaire du jour, sont-ils condamnés à la défensive symétrique d’une volonté de rabaisser le débat au niveau des couches-culottes ?

jeudi 12 février 2009

Saul Leiter

Dans la jolie collection noire, "photo poche" chez Acte Sud, à un prix abordable, des photographies des années 50/60 en milieu urbain. Des cadrages encore originaux aujourd’hui : des reflets, des encadrements de magasins pour des lignes fortes. La vérité d’un instant peut se trouver à hauteur de semelle et la vivacité d’un parapluie rouge gagner à se situer en bordure. L’américain a fréquenté les milieux de l’abstraction lyrique et le nom de Rothko est évoqué pour le situer avec ses couleurs évidentes. Je viens de découvrir Saul Leiter et je reconnaîtrai sa patte.

mercredi 11 février 2009

Hiérarchie. Faire classe # 20

Nous étions si heureux, au milieu de la rue en chantant :
« La hiérarchie, c’est comme les étagères, plus c’est haut, moins ça sert »
Parfois nous pouvons penser que nous avons gagné en familiarité avec les têtes d’affiche, à défaut d’égalité.
Sur la toile, tout un chacun accède à l’expression.
Clic ! Clic ! : Finky, Ségo, Titinne se font alpaguer mieux qu’au coin de la rue :
plus de maîtres-penseurs, plus de maître, plus de…
Nous sommes à tu et à toi, à tue-tête. C’est le forum en mon fauteuil, la démocratie.
Et si l’on soulevait le voile, la toile ?
Dans le milieu enseignant, il me semble que le conformisme gagne.
Tout n’est pas perdu : nous nous épargnons quelque fatigue avec les pompeux persuadés de leur vérité. Les particularismes maintenant s’assouvissent en sites, en réseaux, mais en dehors des cohortes sonorisées, il n’y a plus trop de voix dissonantes dans les assemblées.
De mon temps les inspections se raréfiaient, les inspecteurs s’éloignaient, dans une nuée de paperasses. Dans ce domaine de l’encadrement encore plus qu'ailleurs, je ne sais mesurer l’étendue des dégâts. Mes collègues toujours sur le terrain pensent me consoler: « tu es parti au bon moment ! »
Il m’était arrivé de déplorer un acquis syndical demandant aux inspecteurs d’avertir de leurs venues. Pourtant jadis, j’avais même milité pour leur retour aux champs. L’illusion d’une inspection précédée parfois de répétitions ne trompe pas un œil averti. De toutes façons, la note est péréquée : tout va bien. Paradoxalement cette visite annoncée sacralise l’inspection. Tout le monde tremble lors de cet événement exceptionnel. Sommes-nous si fragiles, peu sûrs de nous que des instructions officielles changeantes nous agréent à tous les coups.
Il n’y a pas si longtemps, les inspecteurs exerçaient leur autorité sans excès. Maintenant l’ordre règne.
Les protestations visent parfois un ministre lointain, mais il est rare que l’on rétorque à son inspecteur, que l’on s’oppose à un conseiller municipal.
Il y a bien aussi le retour sournois des maîtres- directeurs, faute de directeurs. Des adjoints s’étant défaussé de leurs responsabilités tandis que d’autres soignent leur plan de carrière : bénéfice réciproque. Le chef trônera plus près de chez vous.
« Si je viens m’immiscer ainsi au milieu des…
Non, la ligne est barrée.
Si je peux me permettre de m’adresser à vous…
Non plus. Pourquoi ce ton contrit ? Mieux vaut une formule plus directe et plus ferme :
Monsieur, je m’adresse à vous en ma qualité de directeur de l’Ecole Universelle, et au nom d’un grand nombre des hommes de cette région…
La formule est plus fière, mon aïeul la conserve. »
A. Maalouf