samedi 6 décembre 2008
On a … qu’on mérite !
Remplacer les pointillés par :
le P.S., la gauche , le président, les syndicats, la directrice, le mari, le fils, voire son propre visage a dit un écrivain quand on tend à s’attarder en ce monde.
Ces jours-ci bien de mes connaissances avaient des paroles compatissantes et des airs navrés à mon égard, moi tracteur socialo. Le chrysanthème pousse volontiers dans le champ des roses. Les débats à la tête du P.S. avaient apporté leurs fruits amers. Il était marrant aussi, le dessin représentant Ségolène sur fond de slogan : « Yes, we conne », marrant.
Comme la France compte 20 000 000 de sélectionneurs en foot, il en est encore plus de commentateurs politiques, davantage nourris des flashs matinaux que de discussions dans les salles sonores des M.J.C. ou dans les cantines refroidies.
Position facile du désoeuvré accédant à la sexagitude qui donnerait des leçons aux donneurs de leçons.
Pourtant le décalage saute aux yeux :
- Comment un personnel politique aussi médiocre représente des électeurs aussi excellents ?
- Comment tous les conseils avisés ne connaissent pas d’application ?
Les invitations qui tournent aux portes des boites mail pour ne pas finir comme la grenouille qu’on a mise à cuire doucement, nous distraient. Les mobilisations d’un jour pour défendre l’école ne sont pas à la hauteur des enjeux ; les pétitions, que nous sommes appelés quotidiennement à signer électroniquement, s’effacent. Pourtant des formes de luttes se cherchent une nouveauté depuis des décennies, sans emporter l’adhésion, malgré les lettres bien tournées qui circulent sur le net, rien ne bronche. En outre, Arlette Chabot a déjà assez de travail avec la dernière campagne gouvernementale ! Alors ?
L’état de faiblesse dans lequel nous nous retrouvons à gauche ne doit pas nous conduire à enfourcher le moindre cheval pourvu qu’il soit rétif, tant sur le plan local, que national, gagnés par l’hébétude devant les feux d’un Guévarisme sur canapé à « Vivement dimanche ».
Il ne s’agit pas de disserter d’engagements qui n’engagent à rien pour des enjeux où nous serions beaux mais impuissants, simplement faire vivre des exigences, à notre portée, dont il est question dans le livre des principes, où la solidarité s’inscrirait au pays du progrès humain entre égalité et liberté.
« Penser en liberté, agir en sincérité » Pierre Mendès France.
P.S. : En Gironde, dimanche dernier, le PS a emporté une élection partielle contre un intime de Sarkozy.
vendredi 5 décembre 2008
Nicolas De Staël
A une époque de vache maigre, il avait brûlé son plancher pour se chauffer. Orphelin très tôt après l’exil, sa première femme est morte d’épuisement, lui s’est jeté du haut de sa terrasse à Antibes en 1955 à 41 ans. Est-ce parce qu’il n’arrivait pas à surmonter le malentendu qui le portait aux nues du succès, lui le chercheur de vérité intense ? La violence gagnait sur la fragilité. Une vie peut elle se tenir dans une biographie ? Une œuvre échappe à son auteur. Et les banalités m’assaillent quand je m’essaie à écrire sur cet éminent artiste dont l’ambivalence me frappe : à la fois accessible, évident et aussi complexe et torturé. Héritier d’une culture picturale bien montrée par Christian Loubet, le conférencier à succès des amis du musée, la patte du géant passionné est reconnaissable entre toutes. Sous les projecteurs du Parc des Princes, les poudroiements solaires de la Sicile ou de l’Espagne, les scintillements des ports de Méditerranée, il nous restitue la lumière éloignant la césure entre abstraction et réalisme. Ses mouettes suivaient elles les corbeaux ultimes de Van Gogh ? Les tentations sont grandes d’interpréter ce parcours d’un millier de toiles où malgré la familiarité avec sa palette rouge et ses couteaux, il nous reste à décrypter encore bien des mystères dans ce portrait de femme couchée comme une montagne bleue, des ses paysages où les chemins mènent à « la ligne du fuite ». Sa toile inachevée, « l’orchestre » est sans musicien.
jeudi 4 décembre 2008
« Les années ». Annie Ernaux
Les années Ernaux sont à nous. Ses premiers livres m’avaient marqué : « La place », « les armoires vides »; ses récents, je les avis dédaignés, les trouvant impudiques. Celui là constitue le livre de sa vie, et par la magie de la littérature, celui de nos vies. Ce n’est pas du Jean Paul Dubois dans « une vie française » qui semblait avoir recopié le Quid pour dérouler ses exploits. Annie Ernaux, la femme, avec délicatesse déroule les années depuis 40 jusqu’à 2006. Je me sens comme elle, immobile au milieu des années qui passent alors qu’à l’adolescence, c’était le monde qui semblait immobile et nous changeants. Ses oublis sont les miens, ses espoirs, ses désenchantements et ses insuffisances : reconnaître ne rien comprendre des rivalités entre chiites et sunnites... Et puis la mémoire vive de petits détails sans importance qui côtoient de grands mouvements de l’histoire : Kiri le clown apparaît au détour d’une phrase où est pointée la perte d’influence de l’église. L’énoncer ainsi peut tromper, tant les macédoines nostalgiques destinées à taper à l’oeil se multiplient dans les rayonnages. Son livre est plutôt un palimpseste. Je suis allé regarder dans le dictionnaire : « Manuscrit sur parchemin dont la première écriture a été lavée ou grattée et sur lequel un nouveau texte a été écrit. » Ces pages correspondent exactement à cette définition où l’épaisseur du temps est palpable. Le parti pris de décrire quelques photographies qui scandent ces années est fécond et l’évolution des langages est bien saisie aussi. De la paysanne en 40 qui lâche un pet dans le train où se trouvent des Allemands et proclame à la cantonade : « si on peut pas leur dire, on va leur faire sentir », jusqu’au repas de famille ou l’auteur qui s’exprime à la troisième personne se sent comme « la cheftaine indulgente et sans âge d’une tribu éternellement adolescente », c’est la vie qui se reconstruit à chaque pas.
Elle n’abuse pas de citations:
« Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains »
c’est de Anna de Noailles.
mercredi 3 décembre 2008
Evaluation. « Faire classe » # 11
Le terme évaluation est devenu omniprésent, les procédures se compliquent à l’excès pour arriver à des avis anodins où la confiance envers les professeurs est évacuée derrière des langages formatés et jargonnants. Les enfants sont souvent vus comme des dangers par une société qui se rassure bien vite quand l’uniforme met le couvercle, ou comme des victimes dans les télés irréalités. Pour le tout-venant : la notation qui pouvait s’exercer sans dramatisation avait le mérite d’être comprise de tous. Elle laisse place, à un baragouin qui accable les plus démunis, à une liasse de compétences en train de s’acquérir tellement épaisse que c’est la bonne volonté des parents qui s’émousse.
La reconnaissance des mérites prendra tout son prix si l’enseignant assume l’évaluation bienveillante des difficultés, des manques.
Nuancées, les appréciations, si elles sont simples, auront du poids.
A côté de la reprise de la quinzaine de notes acquises en évaluation ponctuelle ou continue, avec le récapitulatif du nombre de romans lus, de contes et de poèmes présentés, j’apportais un soin maniaque à l’appréciation que je portais sur chaque élève. J’évitais de paraphraser ce que les notes détaillaient : au brouillon d’abord, je pesais mes mots, ne voulant plus provoquer le désappointement légitime d’un père, en juin, à qui je proposais le redoublement pour son fils alors que je n’avais cessé de l’encourager tout au long de l’année. Plus long que d’apposer des croix dans un tableau standard, mais un lien authentique. Chaque fois que le bulletin était rendu, le descriptif des travaux effectués dans le trimestre était communiqué aux parents.
Le trajet individuel et le bilan collectif : oui, la satisfaction du chemin accompli.
- Pour les élèves les plus en difficulté, la simplicité devra être la règle.
Avancer cette recommandation peut relever de l’ouverture de portes déjà battantes mais situe le fossé creusé entre les praticiens et les experts.
Dans le temps, le maître respecté était du même bord que ceux auxquels il s’adressait. Aujourd’hui ceux qui singent la proximité se dissimulent derrière les mots de la caste pédagogique dans la lignée du dialecte notarial, judiciaire, législatif, cultureux, médical ou financier.
Les évaluations de sixième et de C.E.2 proposées à toute la France introduisaient une innovation intéressante : de nouvelles formes d’exercices, cependant peu renouvelées d’une année sur l’autre, une concrétisation des exigences attendues pour les élèves à ces niveaux, des modalités d'appréciations fines, un protocole commun pour le passage des épreuves.
Elles auraient pu donner lieu à des comparaisons riches; nous nous en étions d’ailleurs servis pour notre école en accordant plus d’attention à la géométrie où pêchaient nos élèves. Il est si rare dans le métier de pouvoir jauger d’une évolution, que notre fierté put se nourrir des progrès constatés. Mais nous ne pouvions avoir connaissance des résultats des écoles voisines. La porte reste grande ouverte aux rumeurs, au dénigrement constitutif de notre identité de français. La place est toute chaude pour les hebdomadaires maniaques des classements qui dégainent leur thermomètre de l’immobilier après l’anémomètre des lycées, le baromètre des hôpitaux et le doigt mouillé du frenchy le plus populaire. Ils auraient pu s’épargner un dossier, tant le prix du mètre carré coïncide avec le nombre de mentions au bac. Ces mentions sont venues discriminer des réussites trop artistiquement floues.
Carte scolaire : le problème se pose au collège, pas à l’école. Pourtant un C.P. raté se révèle autrement plus déterminant qu’un prof de maths défaillant en quatrième. La zone est implacable pour les plus exclus et de l’autre côté les libérales professions renforcent leur ghetto. Qui dira "zone de non droits" pour les nichés fiscaux ? Les parents, les autres, ont, très majoritairement, confiance en l’école. Mais il suffit d’un principal un peu niquedouille pour que la réputation d’un établissement plonge ; il sera plus difficile de remonter la pente pour un(e) déterminé(e) qui travaillera en confiance avec ses profs.
Pour nos cuisines personnelles : habituer les enfants à juger de leurs évolutions sans tomber dans les délires auto-évaluatifs qui furent prisés un temps jusqu’au bord des piscines ou sur les pentes du Vercors : « enlevez vos moufles et sortez vos stylos ! ». Les graphiques gérés par les élèves eux-mêmes s’avèrent parlants même si des tricheries viennent corriger quelques variations saisonnières ( prélude aux lissages diplomatiques dans les jurys de Bac). J’ai été marri un moment de l’aveu enjoué d’une ancienne élève dont le souvenir le plus marquant était de m’avoir bien roulé. « Mais ce n’est pas moi que vous trompez »n’ai-je même pas pathétiquement répliqué. Ma naïveté m’a protégé.
A passer son temps au trébuchet, l'instit qui pèse les résultats et non les âmes a moins de temps pour préparer sa classe. Les pratiques recommandées souhaitent ensevelir les maîtres sous l’abondance des items évaluatifs. L’obsession de la transparence, du contrôle : enlevez-moi ce spot, il m’éblouit. Le « maître » peut très bien souhaiter ne pas tout maîtriser.
J’ai abandonné, à mon tour, l’utopie qui bannissait tout examen. Terrible escroquerie : la sélection s’opère, insidieuse ou brutale quand elle a été repoussée : désastre de l’enseignement supérieur. J’ai gardé après mes années échevelées, l’idée que la vérification notée devait être un prétexte pour valoriser les travaux accomplis. Ceux ci n’ont jamais été l’objet de classement, même si les notes étaient proclamées parfois pour calculer collectivement la moyenne de classe (souvent autour de 14/20). Dextérité autour de l’usage de la calculatrice et réitération de la notion de moyenne. Oui, je faisais souvent calculer les moyennes après un contrôle par les élèves eux-mêmes. Je n’ai pas le souvenir de traumatismes mais d’un exercice rondement mené de mathématiques appliquées.
De toutes les façons, les enfants connaissent assez finement les potentiels de chacun.
Et partout ailleurs : que je te classe les villes fleuries, les hôpitaux, le meilleur passeur du championnat ; les moindres mots sont sondés à longueur de journées ! Mais l’excellence n’est plus valorisée à l’école ; les rites de remise des prix sont réservés aux gagnants du loto. Place aux benêts chez Bern.
J’annonçais chaque contrôle au tableau des projets hebdomadaires entre une exposition sur les illusions d’optique et le rendez-vous avec notre conteur. Le symbole en était la gravure d’une cordée à l’assaut d’une forte pente dont le produit dérivé figurait un montagnard en bois escaladant un baromètre à poser sur le tableau le moment venu. Un de mes malabars m’avait demandé de ne plus installer ce fétiche : il ne le prenait pas comme un jeu, mais comme un signe trop solennel qui lui « portait malheur ». Je lui ai demandé sa permission pour le réintroduire. Les interprétations enfantines nous dépassent, souvent.
Après chaque contrôle j’ouvrais l’institution « bureau des pleurs » : cela motivait des corrections attentives, rétablissait la justice d’un point oublié. Dédramatisation.
Un petit dessin agrémentait chaque feuille de contrôle avec une formule, si possible amusante, pour ne pas oublier de noter son nom.
Exemple picoré ailleurs pour un contrôle de conjugaison :
« Evite le présent lointain, le futur avancé, l'inactif présent, le passé postérieur, le pire - que -passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le plus-que-perdu. Note ton nom: »
Je m’efforçais à varier les exercices en me refusant de noter les objectifs pédagogiques exhaustifs à destination des bobos-parents dont abusent les néos convertis au jargon Ifumiens. Les consignes sont destinées aux enfants sans alourdir une double page. Je pensais que l’application que je leur avais portée serait suivie par un plus grand zèle du client qui devait « plancher ». Une fois corrigée, la feuille rejoignait les autres dans le classeur spécifique aux contrôles que je n’appelais pas compositions mais cela en avait bien cette solennité destinée à motiver les troupes sans assommer les plus fragiles.
Pour ceux qui ne récoltent que quelques maigres points, trop de notes en dessous de la ligne de flottaison devenues à force, illisibles,des démarches existent pour apaiser des angoisses bloquantes : les comptes retiennent le positif. Quarante cinq mots dans la dictée : on notera les mots réussis : 42 sur 45. On aura dénombré quand même 3 fautes, oh pardon trois erreurs à ne pas corriger en rouge traumatisant ! La bêtise a parfois le sourire angélique, c’est alors une grimace.
La reconnaissance des mérites prendra tout son prix si l’enseignant assume l’évaluation bienveillante des difficultés, des manques.
Nuancées, les appréciations, si elles sont simples, auront du poids.
A côté de la reprise de la quinzaine de notes acquises en évaluation ponctuelle ou continue, avec le récapitulatif du nombre de romans lus, de contes et de poèmes présentés, j’apportais un soin maniaque à l’appréciation que je portais sur chaque élève. J’évitais de paraphraser ce que les notes détaillaient : au brouillon d’abord, je pesais mes mots, ne voulant plus provoquer le désappointement légitime d’un père, en juin, à qui je proposais le redoublement pour son fils alors que je n’avais cessé de l’encourager tout au long de l’année. Plus long que d’apposer des croix dans un tableau standard, mais un lien authentique. Chaque fois que le bulletin était rendu, le descriptif des travaux effectués dans le trimestre était communiqué aux parents.
Le trajet individuel et le bilan collectif : oui, la satisfaction du chemin accompli.
- Pour les élèves les plus en difficulté, la simplicité devra être la règle.
Avancer cette recommandation peut relever de l’ouverture de portes déjà battantes mais situe le fossé creusé entre les praticiens et les experts.
Dans le temps, le maître respecté était du même bord que ceux auxquels il s’adressait. Aujourd’hui ceux qui singent la proximité se dissimulent derrière les mots de la caste pédagogique dans la lignée du dialecte notarial, judiciaire, législatif, cultureux, médical ou financier.
Les évaluations de sixième et de C.E.2 proposées à toute la France introduisaient une innovation intéressante : de nouvelles formes d’exercices, cependant peu renouvelées d’une année sur l’autre, une concrétisation des exigences attendues pour les élèves à ces niveaux, des modalités d'appréciations fines, un protocole commun pour le passage des épreuves.
Elles auraient pu donner lieu à des comparaisons riches; nous nous en étions d’ailleurs servis pour notre école en accordant plus d’attention à la géométrie où pêchaient nos élèves. Il est si rare dans le métier de pouvoir jauger d’une évolution, que notre fierté put se nourrir des progrès constatés. Mais nous ne pouvions avoir connaissance des résultats des écoles voisines. La porte reste grande ouverte aux rumeurs, au dénigrement constitutif de notre identité de français. La place est toute chaude pour les hebdomadaires maniaques des classements qui dégainent leur thermomètre de l’immobilier après l’anémomètre des lycées, le baromètre des hôpitaux et le doigt mouillé du frenchy le plus populaire. Ils auraient pu s’épargner un dossier, tant le prix du mètre carré coïncide avec le nombre de mentions au bac. Ces mentions sont venues discriminer des réussites trop artistiquement floues.
Carte scolaire : le problème se pose au collège, pas à l’école. Pourtant un C.P. raté se révèle autrement plus déterminant qu’un prof de maths défaillant en quatrième. La zone est implacable pour les plus exclus et de l’autre côté les libérales professions renforcent leur ghetto. Qui dira "zone de non droits" pour les nichés fiscaux ? Les parents, les autres, ont, très majoritairement, confiance en l’école. Mais il suffit d’un principal un peu niquedouille pour que la réputation d’un établissement plonge ; il sera plus difficile de remonter la pente pour un(e) déterminé(e) qui travaillera en confiance avec ses profs.
Pour nos cuisines personnelles : habituer les enfants à juger de leurs évolutions sans tomber dans les délires auto-évaluatifs qui furent prisés un temps jusqu’au bord des piscines ou sur les pentes du Vercors : « enlevez vos moufles et sortez vos stylos ! ». Les graphiques gérés par les élèves eux-mêmes s’avèrent parlants même si des tricheries viennent corriger quelques variations saisonnières ( prélude aux lissages diplomatiques dans les jurys de Bac). J’ai été marri un moment de l’aveu enjoué d’une ancienne élève dont le souvenir le plus marquant était de m’avoir bien roulé. « Mais ce n’est pas moi que vous trompez »n’ai-je même pas pathétiquement répliqué. Ma naïveté m’a protégé.
A passer son temps au trébuchet, l'instit qui pèse les résultats et non les âmes a moins de temps pour préparer sa classe. Les pratiques recommandées souhaitent ensevelir les maîtres sous l’abondance des items évaluatifs. L’obsession de la transparence, du contrôle : enlevez-moi ce spot, il m’éblouit. Le « maître » peut très bien souhaiter ne pas tout maîtriser.
J’ai abandonné, à mon tour, l’utopie qui bannissait tout examen. Terrible escroquerie : la sélection s’opère, insidieuse ou brutale quand elle a été repoussée : désastre de l’enseignement supérieur. J’ai gardé après mes années échevelées, l’idée que la vérification notée devait être un prétexte pour valoriser les travaux accomplis. Ceux ci n’ont jamais été l’objet de classement, même si les notes étaient proclamées parfois pour calculer collectivement la moyenne de classe (souvent autour de 14/20). Dextérité autour de l’usage de la calculatrice et réitération de la notion de moyenne. Oui, je faisais souvent calculer les moyennes après un contrôle par les élèves eux-mêmes. Je n’ai pas le souvenir de traumatismes mais d’un exercice rondement mené de mathématiques appliquées.
De toutes les façons, les enfants connaissent assez finement les potentiels de chacun.
Et partout ailleurs : que je te classe les villes fleuries, les hôpitaux, le meilleur passeur du championnat ; les moindres mots sont sondés à longueur de journées ! Mais l’excellence n’est plus valorisée à l’école ; les rites de remise des prix sont réservés aux gagnants du loto. Place aux benêts chez Bern.
J’annonçais chaque contrôle au tableau des projets hebdomadaires entre une exposition sur les illusions d’optique et le rendez-vous avec notre conteur. Le symbole en était la gravure d’une cordée à l’assaut d’une forte pente dont le produit dérivé figurait un montagnard en bois escaladant un baromètre à poser sur le tableau le moment venu. Un de mes malabars m’avait demandé de ne plus installer ce fétiche : il ne le prenait pas comme un jeu, mais comme un signe trop solennel qui lui « portait malheur ». Je lui ai demandé sa permission pour le réintroduire. Les interprétations enfantines nous dépassent, souvent.
Après chaque contrôle j’ouvrais l’institution « bureau des pleurs » : cela motivait des corrections attentives, rétablissait la justice d’un point oublié. Dédramatisation.
Un petit dessin agrémentait chaque feuille de contrôle avec une formule, si possible amusante, pour ne pas oublier de noter son nom.
Exemple picoré ailleurs pour un contrôle de conjugaison :
« Evite le présent lointain, le futur avancé, l'inactif présent, le passé postérieur, le pire - que -passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le plus-que-perdu. Note ton nom: »
Je m’efforçais à varier les exercices en me refusant de noter les objectifs pédagogiques exhaustifs à destination des bobos-parents dont abusent les néos convertis au jargon Ifumiens. Les consignes sont destinées aux enfants sans alourdir une double page. Je pensais que l’application que je leur avais portée serait suivie par un plus grand zèle du client qui devait « plancher ». Une fois corrigée, la feuille rejoignait les autres dans le classeur spécifique aux contrôles que je n’appelais pas compositions mais cela en avait bien cette solennité destinée à motiver les troupes sans assommer les plus fragiles.
Pour ceux qui ne récoltent que quelques maigres points, trop de notes en dessous de la ligne de flottaison devenues à force, illisibles,des démarches existent pour apaiser des angoisses bloquantes : les comptes retiennent le positif. Quarante cinq mots dans la dictée : on notera les mots réussis : 42 sur 45. On aura dénombré quand même 3 fautes, oh pardon trois erreurs à ne pas corriger en rouge traumatisant ! La bêtise a parfois le sourire angélique, c’est alors une grimace.
mardi 2 décembre 2008
Obludarium
Sous chapiteau, le cabaret des monstres des fils de Milos Forman. « Le cirque du soleil » rencontre un succès planétaire ; à côté de la MC2 sur la pelouse enneigée, c'est l’aquarium des ténèbres qui a dressé ses balcons. Des images du XIX° siècle surgissent avec femme à barbe en collant poilu, hercule de foire, nains en tissus et sirène en son filet. L’invitation aux spectateurs, de donner du leur en actionnant la manivelle à générer de la lumière dans les loges, préfigure peut être notre XXI° à l’énergie problématique. En tous cas une occasion de s’impliquer dans cette entreprise poétique et énergique aux accents slaves universels. Ballets bien réglés, acrobaties méritoires, humour décalé, on sourit et nous nous questionnons, sur notre embarras parfois. Des poissons volent, des chevaux dansent en ombres chinoises sous la robe immense d’une trapéziste ou en pantin géant. La musique anime les masques grotesques et depuis l’intérieur de cette boite à musique nous interrogeons à nouveau notre idée de l’homme et celle de la femme à barbe. Epatant, original, jusqu’au 19 décembre.
lundi 1 décembre 2008
« Les bureaux de Dieu »
Des militantes chevronnées du planning n’étaient pas convaincues par le titre que je trouve, ma foi- si je puis me permettre- poétique et accrocheur. Ne disait-on pas jadis, en parlant d’une famille accueillante : « chez eux, c’est la maison du bon dieu » et pas seulement de la part de négationnistes du Darwinisme ? Dans cet appartement qui reçoit si bien les femmes, au dessus de la ville, où se jouent les naissances, cela n’appelle pas forcément de divinité mais en tous cas, il est question de la gravité de la vie, de la création de soi : « Vous pourrez devenir quelqu’un d’autre pour les autres ».
Induit par le commentaire d’une chroniqueuse d’Inter, j’étais parti avec mon questionnement à priori : « C’est incroyable qu’il y ait encore besoin du Planning avec toutes les informations qui sont diffusées aujourd’hui concernant la reproduction, la contraception ! »
Eh bien, c’est autre chose qui se joue. A part quelques cas rares d’ignorance, des adolescentes rifougniantes, mais c’est normal; les besoins de paroles sont primordiaux, que ce soit pour la jeune en jeans ou pour la stressée au collier de perles. Le film rend palpable la qualité de l’écoute. Les entretiens sont remarquablement menés avec des actrices célèbres, qui ne se montrent pas forcément exemplaires, mais toujours remarquablement authentiques. J’ai encore vérifié dans ce film que ce n’est pas parce que l’on sait que l’on fait.
dimanche 30 novembre 2008
Kliniken
Mise en scène de J.L. Martinelli d’une pièce de Lars Norén. Une douzaine de personnes dans l’espace fumeurs d’un hôpital psychiatrique. Trois heures d’un spectacle qui nous bouleverse par la qualité de la performance des acteurs, secoue nos équilibres, nous déchire par la violence des rapports humains ou plutôt la brutalité des solitudes. Il satisfait notre curiosité en nous permettant de jeter un coup d’oeil par dessus les murs d’établissements loin de nos cités. Et tellement parmi nous. En essayant pourtant de ne pas « romantiser » ; l’expression « passage au-delà du miroir» ne peut s’éloigner. Les chansons, « l’âge d’or » de Ferré et « lettre à France » de Polnareff détonnent dans cet univers où les clopes ne sont même pas un plaisir ; les fous, eux, croient encore aux chansons : « Depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi». Ils vivent tout avec intensité, pleurent devant la télé, s’attendrissent aux souvenirs de vaches, mais leurs planètes ont bien du mal à s’approcher. Humains terriblement, enfermés non dans cette pièce mais dans leurs souvenirs, leurs frustrations, et pourtant leurs paroles, leurs cris semblent libres. Je me doutais que le sexe pouvait devenir une hantise, mais j’ai été frappé aussi par la recherche obsessionnelle de la propreté chez beaucoup, alors que leurs pathologies sont distinctes, mais leurs angoisses communes.
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