dimanche 26 octobre 2025

Prism. Salomé Gasselin.

Salomé Gasselin, une des révélations aux Victoires de la musique classique proposait pour le premier concert du dimanche 11h à la MC2 de faire rencontrer Keith Jarrett et Henri Purcell avec quatre violes de gambe, une guitare et une sorte de darbouka, un zarb, caressé par l’arrangeur de cette représentation, Kevin Seddiki.
Le piano du jazzman avait disparu, si bien que les sonorités mélancoliques de « Tous les matins du monde » ont dominé cette heure et demie apaisante, même si Salomé Gasselin a parlé de « transe » pour les deux musiciens que plus de trois siècles séparent.
Le projet de la trentenaire titré « Prisme » visait à faire briller les différentes facettes de l’anglais roi du baroque et de l’américain également curieux de toutes les musiques.
Ayant rencontré récemment des tonalités électro bien plus brutales, je n’ai perçu ni lumière, ni couleurs annoncées dans les notes d’intention, mais plutôt fermé les yeux pour goûter les sonorités « viscérales », consolantes des cinq instrumentistes.  

samedi 25 octobre 2025

Chantecler. Edmond Rostand.

Au moment le plus chaud de l'été, j’avais envoyé dans le réseau familial la moins ronflante des strophes extraite de l’ « Hymne au soleil » du coq le plus bavard du répertoire. 
« Tu changes en émail le vernis de la cruche ;
Tu fais un étendard en séchant un torchon ;
La meule a, grâce à toi, de l’or sur sa capuche,
Et sa petite sœur la ruche
A de l’or sur son capuchon !
 »
 
Et puis après avoir ajouté un autre extrait, 
« Toi qui sèches les pleurs des moindres graminées,
Qui fais d’une fleur morte un vivant papillon,
Lorsqu’on voit, s’effeuillant comme des destinées,
Trembler au vent des Pyrénées
Les amandiers du Roussillon, »
 
je suis allé jeter un œil dans une édition de 1910 qui figurait, inexplorée, dans mon héritage et là, j’ai été saisi par la modernité de la pièce de théâtre dont même les didascalies sont poétiques. 
« Un rayon de lune traverse la toile d’araignée, qui semble tamiser de la poudre d’argent. » 
La nature, les animaux sont magnifiés, frétillants comme ceux de notre film d’animation préféré, « Madagascar », les alexandrins en moins. 
L’humour est constant avec en particulier un merle persifleur. 
« - Que dis-tu quand tu vois sur les monts l’aube luire ?  
 - Je dis que la montagne accouche d’un sourire ! » 
La poésie donne du talent aux cigales- pardon- aux « tzigales » : 
«  Ici - C’est si – Vermeil - Qu’on s’y - Roussit - Merci ! »
Le héros emplumé qui croit faire lever le jour peut se trouver en proie au doute.
Il tombe amoureux d’une poule faisane, en transition de genre, travestie dans les couleurs du mâle faisan.
A bout du quatrième acte, lorsque des humains s’annoncent, le rideau rouge retombe.
Il s’était levé avec retard, l’attente de la représentation avait duré quatre ans, le directeur du théâtre était intervenu : 
« Chut ! Avec tous les bruits d'un beau jour, la Nature
Fait une rumeur vaste et compose en rêvant
Le plus mystérieux des morceaux d'ouverture,
Orchestré par le soir, la distance et le vent ! »
 Chantecler dialogue avec le rossignol : 
« - Vais-je pouvoir chanter ? Mon chant va me paraître
Hélas ! trop rouge et trop brutal
- Le mien peut être
M’a semblé quelque fois trop facile et trop bleu. […]
- Oh être un son qui berce
- Etre un devoir qui sonne. »
Toutes sortes de coqs participent à un défilé « kaléidoscopiquement cosmopolite » dans une variation de « Kikiriki » «  Cocorico » internationaux, participant à un feu d’artifice de mots qui ajoute des couleurs à une vie d’autant plus célébrée qu’elle est éphémère.  

vendredi 24 octobre 2025

Le Postillon. N°78. Automne 2025.

Le journal saisonnier penché au dessus de la cuvette Grenobloise lance quelques fléchettes de plus à Piolle et Véran, cibles familières, et crache comme d’habitude dans la soupe tech.
Mais après une pause due justement au côté répétitif de leur technophobie, je dois reconnaître que leur méfiance salutaire est parfaitement illustrée dans cette livraison. 
La rencontre avec une jeune femme travaillant dans le département RSE, Responsabilité Sociétale d’une Entreprise, est poignante, témoignant de nos positions schizophréniques autour du numérique, surtout quand on y travaille. Visiblement en détresse, réfugiée derrière une multitude d’écrans, elle participe à la com’ mensongère de son entreprise, assistant au truandage de l’achat de quotas carbone à des petites entreprises.
C’est alors que la tentative de tout arrêter survient mais des appels à « quitter les réseaux sociaux », à éloigner les supercalculateurs financés par les Emirats Arabes Unis ,ou « débrancher l’IA » paraissent bien vains même si la vitesse de l’expansion de l’Intelligence Artificielle impressionne et inquiète.
Le retour critique d’une militante regrettant la mise à l’écart de sympathisants de « Bloquons tout » par des politiquement corrects explique pour une part l’échec d’une mobilisation restée dans l’entre-soi.  
Un mathématicien, qui a décidé de « relever la tête du guidon connecté », apporte des arguments aux chapitres les plus convaincants du journal lorsqu’il met en évidence les hypocrisies d’un monde se payant de mots, comme lors d’une conférence en « visio » intitulée « Ecrans quels effets sur la santé ? » comparée à 
« un atelier pour diabétiques autour d’un bol de fraises Tagada ».
Parmi les trois têtes d’affiche en vue des municipales issues de « l’éco système de la tech’ » deux d’entre elles ont droit à leur portrait, mais je pense que Pierre Edouard Cardinal directeur de Minatec du côté de « Retrouver Grenoble », ne manquera pas d’être habillé dans le numéro de cet hiver. 
Romain Gentil en bonne place sur la liste  « Grenoble capitale citoyenne » se trouve être responsable d’une start up qui prélevait un pourcentage auprès de jeunes sur les aides financières obtenues grâce à leurs conseils et qui maintenant offre à des banques en ligne des moyens pour fidéliser leurs clients. 
Laurence Ruffin, tête de liste de «  l’Union de la gauche écologiste et citoyenne », dirige la Scop Alma créatrice des logiciels destinés à « optimiser les processus de fabrication » dans « les systèmes de découpe en tôlerie et soudage robotisé » autrement dit en langage« Postillon » :  
« des logiciels pour que les fabricants de bagnoles, d’avions, de tanks, de tractopelles ou de plateformes pétrolières se passent de plus en plus des humains et augmentent leurs bénéfices » 
en toute « gouvernance partagée ».
Leur critique de l’hydro-électricité à cause des travaux envisagés dans le Drac me semble bien dérisoire, quand par ailleurs ces anti-nucléaires peuvent aussi faire la fine bouche à propos des panneaux photovoltaïques et sans doutes des éoliennes.   
Je partage par contre  leur perplexité face à un rapport complaisant concernant les responsabilités des sociétés qui exploitaient la carrière de la Rivière dans l’éboulement de juillet 2024.
Les pages centrales faisant part de réflexions de passants à propos de l’abstention autour de l’école Jean Paul Marat à Echirolles, où le taux de participation n'avait pas atteint les 20%  aux dernières municipales, sont honnêtes et éclairantes : « ça veut dire quoi l’abstention déjà ? » 
Le reportage dans le Sud Grésivaudan où poussent 600 000 noyers fait le tour de la question des effets des pesticides répandus par les nuciculteurs dans leurs noyeraies en faisant part d’avis contradictoires bien que «  Le surnom de vallée de la mort n’est confirmé par aucune étude scientifique. » Pas facile de prévenir avant de guérir les cancers du sein nombreux à l'ombre des noyers. 
A la recherche de nouvelles heureuses, autant inventer que Raphaël Quenard aurait intégré Sinsemilia.

jeudi 23 octobre 2025

Aux alentours de Saint Agrève # 2.

Bénéficiant du guidage d’un fidèle compatriote, nous avons encore découvert de nouveaux lieux dans une Ardèche à la personnalité singulière.  
Depuis Saint-Clément en Vivarais la vue sur les Hautes Boutières est superbe avec le mont Mézenc au loin  qui domine le plateau du haut de ses 1753 m côté Ardèche devançant ses 1744 m en Haute-Loire.
Si l’Ecole du vent, tant vantée, est fermée, sa dénomination laisse entrevoir des intentions poétiques et instructives.
Etait ce « La burle », consommée cette fois avec modération, qui était au rendez-vous ?
Nous pouvons emprunter le sentier géologique dont les panneaux explicatifs offrent un bon prétexte pour souffler un peu et admirer un paysage volcanique grandiose.
Le restaurant, «  La table d’Eole », le jour où nous nous y sommes régalés, recevait quelques motards et de courageux cyclistes qui prolifèrent dans ces contrées.
Nous étions passés par Saint-Martin-de-Valamas au bord de l’Eyrieux, où la rue des Puces garde une dénomination plus pittoresque que son origine patoise « puch » signifiant hauteur.
En 1850 le fabricant de bijoux Murat y installa ses ateliers, imité par d’autres, dans cette vallée devenue celle des « bijoux ».
Nous avions fait un tour à l’église et à la chapelle Saint Joseph restaurée de frais. 
Au Fay-sur Lignon, une peinture murale rappelle la traditionnelle foire aux chevaux 
qui se tient chaque mois d’octobre sur la place.
Nous avons dégusté en terrasse une glace verveine du Velay/châtaigne provenant des ateliers de « Terre à délices » basés pas loin à Saint Sauveur de Montagut. 
Chaque religion a marqué son territoire : il y a temple et église, une croix a été érigée au sommet d’un dyke volcanique. 
Sur le chemin partiellement goudronné entre Rochepaule et Devesset , connue pour son lac, nous sommes allés voir l’avancée des travaux d’un maçon solitaire qui a transformé une ferme en ruines en maison insolite. A la recherche de références plus précises, je n’ai pas trouvé cette bâtisse remarquable par ses tours et la persévérance du bâtisseur, même sur un site répertoriant des centaines de châteaux et autres manoirs de la région. 
Dans la série des personnages étonnants, Robert Chassignole, un ancien électricien, nous a fait visiter son petit musée où les outils d’artisans voisinent avec ceux des paysans, objets à deviner dans le Smilblick qu’est devenue notre histoire rurale.
Bon conteur par ailleurs, artiste compositeur de petits animaux en bois et pommes de pin,  joueur de fil de cuivre, il redonne vie à  une époque autour d’une paire de sabots. Il nous apprend qu’il y avait jadis des taxes sur les briquets et les cartes à jouer dans les nombreux cafés d’alors. Montreur de pierres magiques, il fait valoir ses talents de radiesthésiste jouant volontiers du pendule.
Il habite le
hameau de Poux sur la commune de Saint-Julien-d’Intres traversée par la Dolce Via empruntée par les cyclistes 
sur près de 90 km entre La Voulte-sur-Rhône et Saint-Agrève suivant l’ancienne voie de chemin de fer aux ouvrages remarquables.
 

mercredi 22 octobre 2025

Corps et mouvement dans la peinture de Rubens. Gilbert Croué.

A l’articulation de deux siècles, Rubens
 (1577-1640) , grand coloriste et metteur en scène de riches compositions , « accentuant les ascensions ou précipitant les chutes, dans des cohortes de corps aux arrangements spectaculaires », exprime l’art baroque.  
« Le grand jugement dernier »
https://blog-de-guy.blogspot.com/2014/02/poussin-vs-rubens.html
Parmi 1300 œuvres (esquisses, cartons de tapisseries, dessins, gravures, peintures de très grands format…) Pierre Paul Rubens n’a réalisé que quatre autoportraits, alors qu’on en attribue une quarantaine à Rembrandt.
  
«
Les Quatre Continents» ou «Les Quatre Fleuves du Paradis».
Ouvert à la littérature, à l’archéologie, à l’architecture, devenu riche par sa peinture, il parle six langues qu’il mettra au service de la diplomatie : « J'estime tout le monde pour ma patrie. »
Sa maison anversoise construite sur le modèle des palais génois accueille de riches collections. 
Il eut trois enfants avec sa première femme, Isabella Brant, 
morte de la peste, qui figure « Sous la tonnelle de chèvrefeuille ». 
A cinquante trois ans, il se remarie avec une jeune femme de seize ans,  
« Hélène Fourment et deux de ses enfants ». 
« J’ai choisi une jeune femme d’une famille bourgeoise convenable, alors que tout le monde me conseillait d’épouser une femme de la noblesse. Mais je redoutais l’orgueil, ce mal général de la noblesse, certainement chez les femmes. J’ai donc choisi une jeune fille qui ne soufflera pas quand je prendrai mes pinceaux. »
Douze ans après sa naissance du côté de Cologne, il était revenu avec sa mère à Anvers que ses parents avaient fui. 
Après avoir joué au page chez sa marraine, il s’inscrit  à la Guilde de Saint Luc, et réalise un « Adam et Eve » expressif, inspiré de Dürer qu’il gardera toute sa vie.
En 1600, il part pour 8 ans en Italie.
Au service du Duc de Mantoue où il rencontre Monteverdi et Galilée, et fait moisson de modèles, « Angelot jouant du rebec d’après le Corrège »
il acquiert pour son mécène « La mort de la vierge » du Caravage.
Il  avait apprécié Le Titien
 pour l’intelligence de ses sujets, « Le viol d'Europe »
les mouvements du Tintoret, « Lamentations autour du Christ » l,
les lumières  de Véronèse, « Les noces de Cana » .
Les oratoriens de Rome lui commandent «  Saint Grégoire pape, entouré de saints et de saintes » qu’il installera dans la chapelle funéraire de sa mère qui vient de mourir avant de trôner au musée de Grenoble où ses dimensions (477 × 288 cm) vont décider de la hauteur des plafonds.
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/04/saint-gregoire-valerie-lagier.html
« Le Portrait de Brigida Spinola Doria » fait briller la marquise génoise.
Revenu en Flandres, il reçoit de nombreuses commandes pour les églises détruites, 
pillées, à redécorer.
Dans « L’érection de la croix » de 
la cathédrale d’Anvers, la Vierge et saint Jean, stoïques et dignes, symboles de l’institution catholique inébranlable, encadrent, en face des romains, les hommes musclés éprouvant le poids insupportable du Christ.
En face, 
lors de « La descente de croix »
tous ceux qui ont porté le Christ sont habillés de rouge,  
comme « Saint Christophe », aux allures d’Hercule. Ce patron des arquebusiers figure sur un volet du retable fermé.
Quarante personnes travaillent dans ses ateliers, « La Chasse au tigre ».
Les corps sont célébrés avec « Vénus et Adonis » au moment où il la quitte malgré ses supplications. Il sera tué par un sanglier peu de temps après son départ.
«Adonis meurt dans les bras de Vénus »
, elle le transformera en anémone.
Pour se reposer des intrigues des cours royales, les réjouissances de « La Fête de village » permettent de respirer et de jeter un coup d’œil égrillard aux coquins qui ne manquent pas.
Il n’a pas oublié la guerre de trente ans, « Les Conséquences de la guerre » où l’Europe se désespère bien que Vénus tente d’arrêter Mars entrainé par la furie Alecto, l’implacable.
Il avait réalisé à Londres : « Minerve protégeant la paix ».
Une des versions du « Jugement de Pâris »  commandé par le roi d’Espagne Philippe IV fut achevée par Rubens très peu de temps avant sa mort en 1640. Vénus sera choisie, elle promettait l’amour, alors qu’Athéna proposait la science et Junon le pouvoir. 
« L’art ne consiste pas à imiter la nature mais à l’exprimer ».

mardi 21 octobre 2025

Un père. Jean louis Tripp.

L’article indéfini du titre évite un trop vibrant possessif et permet ainsi d’impliquer intimement chaque fils et chaque père qui se régaleront de ces 350 pages.
L’autobiographie partagée entre l’amour et incompréhensions évite tout pathos avec un narrateur fugueur de bonne heure pas toujours dans un beau rôle et ce père admirable pas toujours irréprochable.
L’auteur revient sur son pseudonyme dérivé de Tripier objet de moqueries et dont il est fier dans la dédicace au padre Francis Tripier- Mondencin.
La paternité c’est aussi la transmission d’un nom. 
« Cet homme est mon père...Mon papa.
Mais que sais-je de lui ?
Je n'ai vécu avec lui que pendant mon enfance...
Alors que sais-je donc de l'homme ?
De celui qu'il est avec ses amis, ses femmes et ses maîtresses...
Qui et comment aime-t-il ?
Et pourquoi l'aime-t-on ? »
 
A travers la chronique familiale, toute une époque est revisitée avec le vendeur de l’Huma au volant de la 404 familiale en Roumanie et en Allemagne de l’Est depuis leur Sud Ouest natal.
L’intime où la confiance se mêle aux trahisons se tricote avec les évènements du monde. Le rugby, la pédagogie Freinet, l’humour, agrémentent la chronique depuis nos années soixante où on marchait sur la lune et ce qu’il advint quand le mur tomba.
Les dessins expressifs se fondent parfois dans des couleurs sombres sans perdre de leur honnêteté.
« Les souvenirs… les vrais, les arrangés et ceux qu’on se fabrique… 
Ceux qu’on avait oubliés… qui parfois nous reviennent… 
Et ceux disparus à jamais. »