J’envoie, vers
quelque entrepôt où se réchauffe le Cloud, ces quelques mots destinés à se
perdre dans « le silence éternel des espaces infinis » qui persistent
depuis Pascal. Je vacille, ivre de
clics, de problèmes démographiques en crise climatique et autres conflits
géopolitiques, sur fond d’interrogations éthiques, face aux défis
technologiques… Hic !
Le valétudinaire minus remercie l’informatique qui lui permet d’oser s’exprimer.
Chaque jour, dans
nos corps, dans nos déplacements, la science fait ses preuves et il serait bien
ingrat de dénoncer toutes les avancées artificielles dues à l’agent humain.
Qui peut croire
qu’on pourrait interdire l’IA comme on se priverait de penser ?
Mais grâce à la
puissance des computeurs, il y aura bien des acteurs pour utiliser comme au judo leur force pour
maîtriser la bête, se ménager du temps de cerveau disponible pour travailler et
inverser le cours de la facilité, de la coolitude.
Pourrons-nous
trouver une voix authentique dans un appareillage appelant au compromis contre
les clivages populistes bardés de lignes rouges ? Il conviendrait de laisser
à leur illusion de pouvoir nos éminents boucs émissaires et voir en face la puissance
des algorithmes et nos paresses numériques, nos tocs et nos éthiques retoquées.
Les lénifiantes ambiances
visant à apaiser les cris risquent pourtant de se substituer, dans le domaine des
apprentissages, à toute improvisation, à toute fantaisie.
Reliés aux IA, dans
les écoles, les bousculés des travaux en îlots tournant le dos aux paroles magistrales, pourraient à leur
rythme, faire valoir leur singularité, reprendre ce qui leur a échappé en toute
discrétion face à des machines infiniment patientes.
Dans bien des entreprises,
les bureaux individuels furent bannis, comme fut promulgué le travail de
groupes pour les élèves, dans un monde devenu de plus en plus individualiste.
Les égos ont explosé oubliant les idéaux entre égaux.
Sur les écrans, une
fois contournées haine et bêtise, les pensées pertinentes ne manquent pas. Dans
leurs emballages de papier, je saisis plus volontiers les mots qui me
conviennent, comme ceux de Julia De Funès qui aime « penser sans
bannière » :
« Refuser la moralisation facile, la soumission
technocratique, l’individualisme forcené, l’absurdité normative et le clanisme
de la pensée… »
Même pour proclamer
notre liberté, faire valoir notre indépendance, nous suivons les autres par
machines interposées ou main sur l’épaule (de géants).
Combien s’accordent
à déplorer la destruction du monde alors que tant d’autres s’appliquent à le
dévaster ? L’acharnement de nos parlementaires à ne pas voir les déficits
est un signe d’une déliquescence de nos civilisations proclamée depuis des millénaires.
Submergé de grands mots tambourinant dans le vide, bien difficile de percevoir des pensées optimistes, d'avoir connaissance d'actes responsables.
Les organisations politiques en phase de putréfaction, telles Gribouille,
poussent à une dissolution qui les diluerait. Ces péripéties ne gagnent pas en dignité
à s’accumuler dans notre sac à dos qu’on prendrait pour un parachute avant de sauter
de la falaise.
« La terre pressée de se jeter à l’eau trébucha et
ce fut la falaise. »
Sylvain Tesson