lundi 22 décembre 2025

Edvard Munch. Peter Watkins.

Le film de 3h 30 tourné en 1973 présenté par Jean Serroy a pu convenir aux amis du musée de Grenoble.
Le réalisateur anglais qui a fini sa vie en France à l’âge de 90 ans, il y a quelques mois, s’était reconnu dans le destin  du peintre expressionniste norvégien : Edvard Munch (prononcer Munk). « Un travail de génie » Ingmar Bergman. 
Peter Watkins était resté fidèle à l’esprit du groupe de « jeunes gens en colère » auquel il avait appartenu avec ses sujets : nucléaire, guerres, la Commune…  et une critique radicale de la « monoforme » des récits télé ou ciné. Il a fini par quitter le milieu du cinéma, ses projets se heurtant à des difficultés de distribution et au mécontentement des producteurs.
Intitulé «  La danse de la vie » le film n’a pas été défendu par la télévision norvégienne qui l’avait financé et c’est la version de 2004 remontée à partir de négatifs que nous avons vue.
Tourné avec des amateurs pour lesquels la ressemblance était un critère essentiel, remarquable pour l’acteur principal, ceux-ci étaient invités à exprimer leurs propres opinions.
Loin des biopics habituels, nous suivons le récit de la vie du jeune Edvard de 1884 à 1895 entrecoupé de surgissements du passé et de projections vers l’avenir, d’abord dans le milieu bourgeois de Kristiania (l'ancien nom d'Oslo).
Le jeune artiste se heurte à son milieu protestant, à son père médecin dans les quartiers ouvriers, en fréquentant les anarchistes  de «  La bohème ». Il est marqué par la folie du grand-père et la mort de phtisie de sa mère et de sa sœur.
Sa passion pour celle qu'il nomme madame Heiberg dans son journal à la troisième personne s’accompagne d’une prenante jalousie.
Après Paris où il apprendra expressionnisme et symbolisme, il s’installe à Berlin où règne le suédois exilé Strindberg.  Cet itinéraire intellectuel croise un parcours sentimental ardent lié aux mouvements sociaux de l’époque.
Les autoportraits naturalistes du début vont laisser passer l’expression des sentiments avec « L’enfant malade »  
« Dans la maison familiale nichaient la maladie et la mort. »
« Nuit à Saint Cloud »
et
faisant partie de « La Frise de la vie » : « Le cri » où est inscrit : 
 « Ne peut avoir été peint que par un fou ! »
« La Madone » s’abandonne
et un baiser passionné devient celui d’une « Vampire » 
Ces tableaux mis en valeur dans le film furent reproduits en variant les techniques : eaux-fortes, lithographie, xylographie comme le cinéaste a multiplié les voix, les façons de filmer mariant fiction et documentaire.
Le son est soigneusement traité avec des grattages qui amplifient l’intensité des gestes du peintre pourtant fragile, toujours toussant. Les cris des oiseaux dominent les querelles humaines. Une place importante est laissée aux critiques adressées à celui qui ne sera reconnu que tardivement.  
«  La maladie, la folie et la mort sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et m’ont accompagné toute ma vie.»

dimanche 21 décembre 2025

Ten thousand Hours. GOM.

La troupe australienne Gravity and Other Myths a utilisé le langage du Commonwealth pour son titre, mais évidemment ces acrobates sautent les frontières, en jouant si bien des limites de la pesanteur.
J’avais été dithyrambique lors de leur précédente prestation à la MC 2 il y a deux ans,  
et défaillances de la mémoire obligent, je redécouvre avec enchantement les performances des huit acrobates variant à l’infini les envols, les chutes, les balancements, les empilements, les sauts, les culbutes, les portés aériens, les courses, les réceptions douces…
Quel plaisir procure ce travail d’une telle précision où sur un rythme étourdissant s’enchainent les exploits dans une chorégraphie fluide !  Il fait bon retrouver des qualités devenues rares : haute conscience professionnelle et exaltation de la confiance.
Le tempo est donné par une batterie en live devant un décor où s’affichent d’immenses chiffres au décompte changeant. Le solo du batteur a légèrement perturbé pour moi l’intensité foisonnante du début du spectacle même si les cinq gars et les trois filles avaient bien besoin de souffler. 
Leur humour mettant en scène sans emphase les difficultés de leurs exercices avec les gémissements d’une artiste lors de mouvements pouvaient parler plus facilement à mes articulations que les vols planés croisés qui ont conservé toute leur magie et gagné toute mon admiration.  

samedi 20 décembre 2025

Voyage voyage. Victor Pouchet.

Orso et Marie partent dans une vieille voiture pour échapper au chagrin d’une grossesse qui n’a pas pu aller à son terme.
Pudeur, poésie, légèreté : le roman de moins de 200 pages ne fait pas le malin en sillonnant la France des hôtels de zone industrielles à la découverte de musées insolites jamais regardés avec mépris.
Les statues du musée Grévin démodées recyclées pour des scènes bibliques suscitent la mélancolie plutôt que l’ironie.
Un musée des poids et mesures peut alléger les cœurs et les larmes peuvent apaiser. 
« Il pleurait pour cet enfant en photo, qui le regardait depuis une guerre dont il ne savait rien.
Il pleurait de n’avoir pas vraiment pleuré depuis des semaines, il pleurait d’avoir voulu tenir, il pleurait la tringle à rideaux pourrie et la peinture qui s’écaillait, il pleurait la fatigue de la route, il pleurait de n’avoir pas su dissiper la tristesse de Marie, il pleurait de l’aimer tellement fort… » 
Et c’est pas triste !
Un romantisme enjoué emmène au delà de la diversion, sur fond de chansons populaires, vers des beautés cachées et croise la douceur des rapports humains sans que jamais la mièvrerie poisse les tableaux.

vendredi 19 décembre 2025

Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Robert-Vincent Joule Jean-Léon Beauvois.

Je ne soupçonnerai pas celle qui m’a recommandé ce pavé de 366 pages d’avoir cherché à me manipuler en me proposant cette édition augmentée depuis sa première parution en 1987 bien qu’un bandeau inamovible affichant 500 000 exemplaires vendus en France s’inscrive dans une démarche publicitaire des plus ordinaires.
Cet ouvrage de psychologie sociale, dont le projet de vulgarisation est louable, cumule les références propres aux universitaires avec plus de 20 pages de bibliographie et des notes à la pelle, avec usage d’un humour laborieux et vieilli pour séduire le lecteur.
Les dénominations des techniques commerciales, répétitives, datent du temps des représentants en aspirateurs des années 50 : « le pied-dans-la-porte », « la porte-au-nez », « le pied-dans-la-bouche », « le pied-dans-la-mémoire », qui s’ajoutent à « l'amorçage » et autres « pièges abscons ».
A l’heure des réseaux sociaux ce type de livre présenté comme un prêt à penser de développement personnel est condamné à l’obsolescence. Le champ politique est ignoré alors que des usines à trolls et hackers cultivent la haine et nous livrent une guerre inédite et que des arnaqueurs escroquent tant de solitaires.
L’esprit critique est bien sûr plus que jamais nécessaire mais le soupçon permanent mine nos rapports sociaux qui à la fois peuvent manquer de spontanéité ou succomber par ailleurs à une impulsivité aggravée par les pseudonymes. Tout le monde n’a pas des intentions cachées aux motifs pervers, mais nous interagissons sans cesse pour convaincre, faire valoir habillement nos opinions.   
Quelques conseils de bon sens sont énoncés comme apprendre à revenir sur une décision : 
«  - Moi quand j’entreprends quelque chose je vais jusqu’au bout »
« Peut être penserez-vous avec nous : en voilà un de plus qui est tombé, avec dignité et de belle manière, dans un piège abscons. » 
Mais bien des exemples sont tellement simplistes que certains développements théoriques apparaissent comme des bavardages inutiles.
Souvent citée, la candide madame O, personnage ô combien manœuvrable, vient d’être  victime d’un « placement de produits » en regardant un film, une occasion de récapituler des situations favorables à des tromperies : 
« On ne lui a pas demandé de veiller aux affaires d’un inconnu, de jeter un coup d’œil à un salon en promotion, ni de garder la place de quelqu’un dans une file d’attente, et encore moins de passer deux heures par semaine, pendant au moins deux ans avec un jeune délinquant. On ne lui a pas davantage touché le bras ou dit qu’elle était sensible à la détresse humaine. » 
Les grosses ficelles qu’elle n’avait pas vues auparavant, nous placent du côté des futés dans un univers où la méfiance est devenue tellement massive qu’elle nous amènerait à douter à tous coups de la générosité de nos semblables, de leur honnêteté.

jeudi 18 décembre 2025

Bruges # 1

Après une nuit fraiche justifiant la couette, nous nous apprêtons à aborder cette nouvelle journée.
Nous nous rendons à la gare, et passons par le guichet pour acheter nos billets préférant pour cette opération une présence humaine à la froideur d’un automate. L’employée chargée de cette fonction se montre souriante, elle s’exprime en français pour nous renseigner et bavarder de but en blanc … de foot !
Nous attrapons le train de 9h30, direct jusqu’à BRUGES.
Il accueille les 1ères classes à l’étage, il réserve le bas aux secondes.
Le trajet dure à peine un quart d’heure. Dehors le crachin s’installe.
A l’arrivée, nous tombons sur un Office du tourisme à l’intérieur même de la gare, bien sûr plus conséquente que celle d’Aalter.
En plus de collecter les renseignements ou  prospectus habituels, nous réussissons à réserver une visite guidée en français  pour 14h30. Nous sortons de la gare plutôt excentrée mais disposant  d’une vaste esplanade et d’espace pour toutes sortes de véhicules.
Nous nous engageons vers la ville historique.
Nous atteignons assez rapidement des rues étroites, pavées,
bordées de maisons en briquettes rouges et toits à redans.
Une décoration variée entre vitres et rideaux des fenêtres du rez-de-chaussée personnalise chacune d’elles dévoilant les goûts de leurs propriétaires pour des collections de cygnes, d’indiens, de tulipes ;
ainsi ces installations contribuent avec les voilages à cacher l’intimité des intérieurs.
Une propreté irréprochable règne dans les rues, les lieux privés comme les lieux publics.
J’ai même vu un jeune ramasser un papier pour le jeter à la poubelle.
Vu le temps, et en fonction de la visite en extérieur prévue cet après-midi, nous optons pour découvrir le Groeningemuseum, confortés par le guide du routard  qui le gratifie de trois routards.
Le musée s’ouvre en 1er sur l’exposition temporaire dont le thème porte sur les  
« riches heures » du moyen-âge.
Elle propose de délicats livres décorés, bien mis en valeur,
enrichie de quelques lorgnons, avec aussi des boîtes /livres pour les ranger :
que de  minutie pour  des ouvrages parfois au format de poche !
Puis l’exposition permanente nous entraine dans un parcours parmi les peintres primitifs flamands, avec par exemple de pièces maitresses de :
Yan van Eyck  (« la Madone au chanoine Joris Van Der Paele »), 
Hans Memling (« triptyque Moreel ») 
Maitre de la légende de Sainte Ursule (peintre anonyme),
ou encore le célèbre Jeronimus  Bosch (le jugement dernier).
Quant à Gérard David, il est l’auteur d’un dyptique « le jugement de Cambyse » impressionnant destiné à l’origine au Stadhuis  pour mettre en garde les gouvernants contre les tentatives de malversations; il  puise son inspiration dans les histoires d’Hérodote concernant l'arrestation et l'écorchage à vif du juge persan Sisamnès  accusé de corruption et puni sur l’ordre de Cambyse.
Pour leurs tableaux, les primitifs flamands pratiquaient et dominaient  la peinture à l’huile. Cette spécificité flamande s’explique par leur  difficulté à faire appel à la technique a fresco (fresque) fréquente en Italie mais  rendue délicate dans les pays du nord à cause de l’humidité ambiante.
Après les primitifs, dans une remontée chronologique des siècles apparaissent, des œuvres de la Renaissance, du XVII ème et XVIII ème siècle, et des « luministes » (terme préféré à celui d’impressionnistes).
 
Il fait encore bien gris lorsque nous ressortons du musée. Nous nous rapprochons des canaux, en direction de la place du burg puis de la touristique Marktplatz central .
 
Avant l’heure de rendez-vous de notre visite programmée de la ville, nous  nous régalons au restaurant  Pietje Pek avec au menu : 
soupe et salade de chou-fleur, carbonade frites salade, dame blanche et café. 
Nous constatons au moment de payer que le  coût de la vie plus élevé qu’en France se répercute sur les prix alimentaires et celui des restaurants. 
La ville se remplit, les touristes débarquent en masse.