dimanche 21 décembre 2025

Ten thousand Hours. GOM.

La troupe australienne Gravity and Other Myths a utilisé le langage du Commonwealth pour son titre, mais évidemment ces acrobates sautent les frontières, en jouant si bien des limites de la pesanteur.
J’avais été dithyrambique lors de leur précédente prestation à la MC 2 il y a deux ans,  
et défaillances de la mémoire obligent, je redécouvre avec enchantement les performances des huit acrobates variant à l’infini les envols, les chutes, les balancements, les empilements, les sauts, les culbutes, les portés aériens, les courses, les réceptions douces…
Quel plaisir procure ce travail d’une telle précision où sur un rythme étourdissant s’enchainent les exploits dans une chorégraphie fluide !  Il fait bon retrouver des qualités devenues rares : haute conscience professionnelle et exaltation de la confiance.
Le tempo est donné par une batterie en live devant un décor où s’affichent d’immenses chiffres au décompte changeant. Le solo du batteur a légèrement perturbé pour moi l’intensité foisonnante du début du spectacle même si les cinq gars et les trois filles avaient bien besoin de souffler. 
Leur humour mettant en scène sans emphase les difficultés de leurs exercices avec les gémissements d’une artiste lors de mouvements pouvaient parler plus facilement à mes articulations que les vols planés croisés qui ont conservé toute leur magie et gagné toute mon admiration.  

samedi 20 décembre 2025

Voyage voyage. Victor Pouchet.

Orso et Marie partent dans une vieille voiture pour échapper au chagrin d’une grossesse qui n’a pas pu aller à son terme.
Pudeur, poésie, légèreté : le roman de moins de 200 pages ne fait pas le malin en sillonnant la France des hôtels de zone industrielles à la découverte de musées insolites jamais regardés avec mépris.
Les statues du musée Grévin démodées recyclées pour des scènes bibliques suscitent la mélancolie plutôt que l’ironie.
Un musée des poids et mesures peut alléger les cœurs et les larmes peuvent apaiser. 
« Il pleurait pour cet enfant en photo, qui le regardait depuis une guerre dont il ne savait rien.
Il pleurait de n’avoir pas vraiment pleuré depuis des semaines, il pleurait d’avoir voulu tenir, il pleurait la tringle à rideaux pourrie et la peinture qui s’écaillait, il pleurait la fatigue de la route, il pleurait de n’avoir pas su dissiper la tristesse de Marie, il pleurait de l’aimer tellement fort… » 
Et c’est pas triste !
Un romantisme enjoué emmène au delà de la diversion, sur fond de chansons populaires, vers des beautés cachées et croise la douceur des rapports humains sans que jamais la mièvrerie poisse les tableaux.

vendredi 19 décembre 2025

Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Robert-Vincent Joule Jean-Léon Beauvois.

Je ne soupçonnerai pas celle qui m’a recommandé ce pavé de 366 pages d’avoir cherché à me manipuler en me proposant cette édition augmentée depuis sa première parution en 1987 bien qu’un bandeau inamovible affichant 500 000 exemplaires vendus en France s’inscrive dans une démarche publicitaire des plus ordinaires.
Cet ouvrage de psychologie sociale, dont le projet de vulgarisation est louable, cumule les références propres aux universitaires avec plus de 20 pages de bibliographie et des notes à la pelle, avec usage d’un humour laborieux et vieilli pour séduire le lecteur.
Les dénominations des techniques commerciales, répétitives, datent du temps des représentants en aspirateurs des années 50 : « le pied-dans-la-porte », « la porte-au-nez », « le pied-dans-la-bouche », « le pied-dans-la-mémoire », qui s’ajoutent à « l'amorçage » et autres « pièges abscons ».
A l’heure des réseaux sociaux ce type de livre présenté comme un prêt à penser de développement personnel est condamné à l’obsolescence. Le champ politique est ignoré alors que des usines à trolls et hackers cultivent la haine et nous livrent une guerre inédite et que des arnaqueurs escroquent tant de solitaires.
L’esprit critique est bien sûr plus que jamais nécessaire mais le soupçon permanent mine nos rapports sociaux qui à la fois peuvent manquer de spontanéité ou succomber par ailleurs à une impulsivité aggravée par les pseudonymes. Tout le monde n’a pas des intentions cachées aux motifs pervers, mais nous interagissons sans cesse pour convaincre, faire valoir habillement nos opinions.   
Quelques conseils de bon sens sont énoncés comme apprendre à revenir sur une décision : 
«  - Moi quand j’entreprends quelque chose je vais jusqu’au bout »
« Peut être penserez-vous avec nous : en voilà un de plus qui est tombé, avec dignité et de belle manière, dans un piège abscons. » 
Mais bien des exemples sont tellement simplistes que certains développements théoriques apparaissent comme des bavardages inutiles.
Souvent citée, la candide madame O, personnage ô combien manœuvrable, vient d’être  victime d’un « placement de produits » en regardant un film, une occasion de récapituler des situations favorables à des tromperies : 
« On ne lui a pas demandé de veiller aux affaires d’un inconnu, de jeter un coup d’œil à un salon en promotion, ni de garder la place de quelqu’un dans une file d’attente, et encore moins de passer deux heures par semaine, pendant au moins deux ans avec un jeune délinquant. On ne lui a pas davantage touché le bras ou dit qu’elle était sensible à la détresse humaine. » 
Les grosses ficelles qu’elle n’avait pas vues auparavant, nous placent du côté des futés dans un univers où la méfiance est devenue tellement massive qu’elle nous amènerait à douter à tous coups de la générosité de nos semblables, de leur honnêteté.

jeudi 18 décembre 2025

Bruges # 1

Après une nuit fraiche justifiant la couette, nous nous apprêtons à aborder cette nouvelle journée.
Nous nous rendons à la gare, et passons par le guichet pour acheter nos billets préférant pour cette opération une présence humaine à la froideur d’un automate. L’employée chargée de cette fonction se montre souriante, elle s’exprime en français pour nous renseigner et bavarder de but en blanc … de foot !
Nous attrapons le train de 9h30, direct jusqu’à BRUGES.
Il accueille les 1ères classes à l’étage, il réserve le bas aux secondes.
Le trajet dure à peine un quart d’heure. Dehors le crachin s’installe.
A l’arrivée, nous tombons sur un Office du tourisme à l’intérieur même de la gare, bien sûr plus conséquente que celle d’Aalter.
En plus de collecter les renseignements ou  prospectus habituels, nous réussissons à réserver une visite guidée en français  pour 14h30. Nous sortons de la gare plutôt excentrée mais disposant  d’une vaste esplanade et d’espace pour toutes sortes de véhicules.
Nous nous engageons vers la ville historique.
Nous atteignons assez rapidement des rues étroites, pavées,
bordées de maisons en briquettes rouges et toits à redans.
Une décoration variée entre vitres et rideaux des fenêtres du rez-de-chaussée personnalise chacune d’elles dévoilant les goûts de leurs propriétaires pour des collections de cygnes, d’indiens, de tulipes ;
ainsi ces installations contribuent avec les voilages à cacher l’intimité des intérieurs.
Une propreté irréprochable règne dans les rues, les lieux privés comme les lieux publics.
J’ai même vu un jeune ramasser un papier pour le jeter à la poubelle.
Vu le temps, et en fonction de la visite en extérieur prévue cet après-midi, nous optons pour découvrir le Groeningemuseum, confortés par le guide du routard  qui le gratifie de trois routards.
Le musée s’ouvre en 1er sur l’exposition temporaire dont le thème porte sur les  
« riches heures » du moyen-âge.
Elle propose de délicats livres décorés, bien mis en valeur,
enrichie de quelques lorgnons, avec aussi des boîtes /livres pour les ranger :
que de  minutie pour  des ouvrages parfois au format de poche !
Puis l’exposition permanente nous entraine dans un parcours parmi les peintres primitifs flamands, avec par exemple de pièces maitresses de :
Yan van Eyck  (« la Madone au chanoine Joris Van Der Paele »), 
Hans Memling (« triptyque Moreel ») 
Maitre de la légende de Sainte Ursule (peintre anonyme),
ou encore le célèbre Jeronimus  Bosch (le jugement dernier).
Quant à Gérard David, il est l’auteur d’un dyptique « le jugement de Cambyse » impressionnant destiné à l’origine au Stadhuis  pour mettre en garde les gouvernants contre les tentatives de malversations; il  puise son inspiration dans les histoires d’Hérodote concernant l'arrestation et l'écorchage à vif du juge persan Sisamnès  accusé de corruption et puni sur l’ordre de Cambyse.
Pour leurs tableaux, les primitifs flamands pratiquaient et dominaient  la peinture à l’huile. Cette spécificité flamande s’explique par leur  difficulté à faire appel à la technique a fresco (fresque) fréquente en Italie mais  rendue délicate dans les pays du nord à cause de l’humidité ambiante.
Après les primitifs, dans une remontée chronologique des siècles apparaissent, des œuvres de la Renaissance, du XVII ème et XVIII ème siècle, et des « luministes » (terme préféré à celui d’impressionnistes).
 
Il fait encore bien gris lorsque nous ressortons du musée. Nous nous rapprochons des canaux, en direction de la place du burg puis de la touristique Marktplatz central .
 
Avant l’heure de rendez-vous de notre visite programmée de la ville, nous  nous régalons au restaurant  Pietje Pek avec au menu : 
soupe et salade de chou-fleur, carbonade frites salade, dame blanche et café. 
Nous constatons au moment de payer que le  coût de la vie plus élevé qu’en France se répercute sur les prix alimentaires et celui des restaurants. 
La ville se remplit, les touristes débarquent en masse. 

mercredi 17 décembre 2025

Montparnasse 19 de Jacques Becker. Jean Serroy.

Parmi quelques titres à l’affiche : « Les amants de Montparnasse » est le plus fidèle à un scénario évoquant les deux dernières années de la vie de Modigliani interprété par Gérard Philippe. 
Max Ophuls réalisateur de « Lola Montès » avait déjà décrit la déchéance d’une artiste, il ne pourra aller au bout de son dernier projet, repris par Jacques Becker sans le dialoguiste Henri Jeanson qui en avait préparé les bons mots.
Becker avait lui aussi traité de la fin tragique d’un créateur de mode dans «  Falbalas » et de l’amour fou avec « Casque d’or ». Le réalisme poétique alors en vogue touchait à sa fin.
L’œuvre d’une heure trois quart tournée en 1958 est inspirée par le roman « les Montparnos » de Michel Georges-Michel décrivant le milieu artistique venant après celui de Montmartre : Foujita, Kissling, Juan Gris, Ribeira, Soutine, Chagall, Picasso… tous étrangers.
Le contexte historique d’une fin de guerre euphorique est évacué ainsi que le folklore bohème. Un sombre noir et blanc se focalise sur « Modi » en artiste maudit ; le séducteur s’autodétruit dans l'alcool et la drogue.
Sa relation désinvolte et violente avec Béatrice, une journaliste anglaise jouée par Lilli Palmer, autre monstre sacré, s’interrompt lorsqu’il tombe sous le charme de Jeanne Hébuterne interprétée par la lumineuse Anouk Aimée.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2013/10/modigliani-entre-legende-et-histoire-de.html 
 A l’atelier, ils se dessinent mutuellement : 
l’amour s’unit à l’art dans un rare moment de bonheur. 
Bien qu’il ait vendu quelques tableaux, ses contemporains ne reconnaissent pas ses recherches de la « haute note jaune » chère à Van Gogh qu’il cite devant un acheteur américain auquel il n’a pas envie de vendre.
Le rapport de l’artiste et des marchands et les difficultés pour vivre de son travail sont vus sous différents regards comme avec son ami toujours disponible ou la quête humiliante pour un portrait sur un coin de table de bistrot. Son unique exposition personnelle sera un échec, une de ses sculptures passera à travers la vitre de la porte de la galerie.
Deux nus en vitrine dont les poils pubiens vont chatouiller le commissaire de police du quartier et offrir quelque publicité à l'artiste désargenté. Alors que s’érigeaient tant de monuments aux poilus morts pour la France, cette pudibonderie ignorant « L’origine du monde » est à rapprocher du code Hays en vigueur dans le cinéma américain qui interdisait les baisers de plus de trois secondes.
Lino Ventura découvert par le réalisateur de « Touchez pas au grisbi »  incarne un marchand de tableau parfaitement odieux qui s’empare des toiles alors que Modigliani vient de mourir et qu’il ne le dit pas à Jeanne. 
Elle s’est suicidée un jour après son amoureux laissant une orpheline.
La réalité fut plus âpre que le film si bien éclairé avec un père impitoyable de Jeanne amoureuse trop soumise, et malgré des amitiés indéfectibles, le désespoir immense du peintre des femmes aux yeux vides.
« Aujourd'hui, tous les musées du monde et les grands collectionneurs se disputent les œuvres de Modigliani; chacune de ses toiles vaut des dizaines de millions.
Hier, de son vivant, en 1919, personne ne voulait de sa peinture. 
"Modi", incompris, désemparé, doutait de lui-même... »
Gérard Philippe meurt en 1959, Jacques Becker en 1960 après « Le Trou » considéré par Jean-Pierre Melville comme « le plus grand film français jamais réalisé ».

mardi 16 décembre 2025

Les garde-fous. Bézian.

Dans la grande maison d’architecte isolée où est attendu un tueur en série, le huis clos se voudrait étouffant. 
Le lettrage, le fin graphisme participent avec élégance à une atmosphère glaçante. Mais l’esthétisme éloigne toute émotion et malgré des dialogues ciselés, nous restons indifférents à cette histoire dont les personnages semblent étrangers les uns aux autres.  
De belles lignes inhabitées.