jeudi 14 mars 2024

Les pastellistes au XVIII° siècle. Fabrice Conan.

Les poudres du pastel conviennent parfaitement à la représentation biblique de « l’homme qui n’est que poussière » comme le rappelait Diderot, cité par le conférencier devant les amis du musée de Grenoble. Pietro Antonio Rotari : « Jeune fille à l’éventail ».  
« Au moment où l’expression de l’intime, des sensibilités et de la psychologie entre dans l’art du portrait de façon déterminante, le grain saisissant du pastel, ses poudres, le fondu des traits et le moelleux de la matière sont un atout. »
Dans le « Portrait de Monsieur Quatrehomme du Lys » cet intellectuel peint Charles le Brun, le corps ne commande pas la tête.

Le cadrage serré par Robert Nanteuil de l’évêque de Riez puis d’Autun, 
« Louis Doni d'Attichy »  constitue un travail préparatoire pour une gravure. 
Les traits du visage sont essentiels, les yeux nous dévisagent.

« Louis XV » a 19 ans, François Lemoyne, le saisit en contre-plongée sans perruque. 
Son regard échappe au spectateur

comme le « Portrait d’un homme » de Joseph Vivien, dans des tonalités sourdes 
dont la couleur bleue souvent utilisée révèle la délicatesse de la peau.

Dans son « Autoportrait » le geste de Charles Antoine Coypel s'ouvre vers le public. 
Des collages soignés permettaient de plus  grands formats et le papier devait être préparé pour que le pastel morde et ne perde pas trop d’éclat sous la lumière trop vive du soleil.

Maurice Quentin De La Tour rend hommage à son professeur « Louis de Silvestre »
avec précision et dynamisme.

Il admirait Rosalba Giovanna Carriera, la vénitienne, recherchée par le Tout-Paris, 
et reçue à l‘académie de peinture de Paris.

 Elle a réalisé le « Portrait de James Gray ».
William Hoare de Bath
saisit la belle allure de  Henry Hoare « Henry the Magnificent » banquier mécène aménageur des jardins de Stourhead, à l’anglaise.
Jean
-Baptiste Perronneau va chercher ses sujets hors des cercles parisiens où règne De La Tour.  Son « Théophile Van Robais » industriel du Nord porte une perruque à rouleaux, appelés marteaux
et « Charles-Francois Pinceloup de la Grange » prend bien la lumière.

John Russell ne brosse pas les épaules de « George de Ligne Gregory » 
couvertes de poudre.

Le suisse Jean-Étienne Liotard, après un séjour à Constantinople, aimait se présenter comme peintre turc quand la Turquie était à la mode.
Son « Portrait de Marie-Frédérique van Reede-Athlone » âgée de sept ans a conservé ses nuances vibrantes.
Les couleurs de
« Charles Benjamin de Langes de Montmirail, Baron de Lubières » viennent de dessous.
« La chanteuse Louise Jacquet » nous interpelle
et « Lord Stuart » en pied joue sur toutes les faces.

Dans le « Portrait de Joseph et John Gulston » de Francis Cotes
l’admiration circule et  la volonté dynastique, la propriété s’inscrit dans le paysage.»

Si les portraits sont inhérents au pastel, Cornelis Troost aime illustrer des proverbes, des expressions hollandaises et autres scène théâtrales: 
« Arlequin, magicien et coiffeur: les rivaux exposés »

« Chanter autour de l'étoile lors de la Nuit des rois » ou dans une série les personnages évoluent au gré de leur ébriété :

« Ceux qui le pouvaient, marchèrent, ceux qui ne le pouvaient pas, tombèrent. » 
Mais quand le brillant pastelliste se représente c’est avec la palette du peintre. 
« La vie était couleur pastel, celle des bonbons de l'enfance» David Foenkinos

mercredi 13 mars 2024

Ode. Stephan Eicher.

Ma fidélité à Eicher n’est pas déroutée par les recherches qu’il continue à nous faire partager
sous une forme qui respecte à la lettre la définition d’ode : 
« Poème lyrique destiné à être accompagné de musique »
Les textes de Djian ne disparaissent pas sous les rythmes entrainants, ils gagnent en punch. 
Et il en faut pour sortir du confinement : 
« Sans contact 
Enfermés dans nos sacs
 A moitié fous 
Nous manquions de tout »
 Heureusement la musique est là, dans «  Le plus léger au monde » : 
«  Ils chantent : « nevermind the darkness 
Baby, you will be save by the rock’n’roll » 
que même avec mon anglais, je comprends 
mais pour « Lieblingsläbe » une traduction n’aurait pas été du luxe.
« Ne me dites pas non pt2 » 
« Pour baiser votre cou 
J’ai écrit des chansons » 
Mais du coup, il se défend, dans un autre morceau : 
« C’est pas moi qui serre »« Autour de ton cou ». 
« Doux dos » a beau bien sonner tel « dadoux ronron » : 
« Ne me dis pas qu’on avance 
Quand tout s’effondre autour de nous » 
«  A nos cœurs solitaires » ne se fait pas d’illusions,et même la sincérité semble vaine :  
«  Je te mentirai disant ». 
La « Rêverie » de l’autre est inaccessible : 
«Tes yeux sont ouverts 
Ta bouche est fermée » 
La poésie offre une « Eclaircie »: 
«  Je peux voir les nuages 
Qui filent vers l’horizon 
Cinglant au passage 
Les murs de nos prisons 
Leurs cavaleries sont fortes
 Elles prennent leurs positions »
 Dans le désarroi : « Où sont les clefs ? » 
« Acceptons l’histoire 
Qui nous réunit  
Si c’est quelque part 
ça sera ici » 
même si : 
« Sens-tu venir « L’orage » 
Les nuées dans le ciel » … 
« Regarde ce paysage
 Sa beauté sa laideur » 
Je vois le monde comme ça.

mardi 12 mars 2024

Océan noir. Martin Quenehen Bastien Vives. Hugo Pratt.

Je ne sais si j’ai bien fait d’aller vers le dernier Corto Maltese par l’intermédiaire d’un scénariste qui situe cette fois les aventures du mythique personnage au XXI° siècle et d’un dessinateur original aussi à l’aise avec les noirs et blancs et gris que son maître disparu en 1995. 
Le marin énigmatique, hiératique, m’avait toujours tenu à distance et je n’ai pas cru davantage à ses amours dans cette livraison où son rapport aux autres est toujours aussi lointain.
Forcément fuyant, mystérieux, le « lonesome » pirate est toujours en voyage, cette fois du Japon aux Andes.  
Cette reprise d’un auteur phare de la BD ne vaut pas celle du « Lonesome cow-boy »
ni celle de gaulois irréductibles
ni même celle d’un fainéant génial indestructible vu par un dépressif notoire. 

lundi 11 mars 2024

La mère de tous les mensonges. Asmae El Moudir.

La réalisatrice met en place avec ses proches un petit théâtre pour explorer des secrets de famille qui coïncident avec un moment occulté de l’histoire du Maroc, quand pour du pain il y eut plus d’une centaine de morts en 1981.
Les personnages façonnés par son père et sa mère sont davantage que des marionnettes, des objets transactionnels qui permettent une tentative de récit sur fond de charmants décors pour de belles mises en abyme. Cependant bien des mystères restent dans l’ombre surtout si on n’a pas toutes les clefs de l’histoire du royaume chérifien. 
Ce dispositif original offre de belles vues dynamiques et l’occasion de réfléchir au statut des images. La grand-mère présentée en dragon domestique est à la fois crainte et respectée par les braves protagonistes de cette tragi-comédie. 
Elle sera le repaire pour garder en mémoire cette plaisante séance de 1h 30.

samedi 9 mars 2024

Un roman russe. Emmanuel Carrère.

Dans le débat jamais fini de la distinction entre écrivain et auteur, ce roman sincère, impudique, révèle un créateur passionnant et un individu insupportable. 
« C'est bien. Et ce que je trouve surtout bien, c'est que tu parles de ton grand-père, de ton histoire à toi. Tu n'es pas seulement venu prendre notre malheur à nous, tu as apporté le tien. Ça, ça me plait. »
Au prétexte de la révélation du destin honteux de son grand-père, il va chercher dans une ville russe les traces d’un hongrois interné là bas pendant plus de cinquante ans après la fin de la  seconde guerre mondiale. 
«On ne peut pas vivre ici, et pourtant on y vit. » 
Il tourne un film où se développent les questionnements autour de la création, de l’authenticité. 
« Honte d’être pauvres, paumés, poivrots et peur d’être montrés tels. » 
Entre temps, il entretient une relation torride, avec une femme qu’il aime et qu’il méprise, jouet de ses fantasmes exprimés par l’écriture d’une nouvelle dans « Le Monde ». 
«…  un mélange de forfanterie sexuelle et de perte de contrôle qui, sans laisser indifférent, met plutôt mal à l’aise.» 
Dans une intrication de toutes ces palpitantes histoires personnelles, tant de mots fervents à l’égard de sa mère, de sa compagne, nous touchent, entre malaise et intérêt durant 397 pages: 
« Il fallait que les gens soient un peu ridicules pour que ressorte combien nous étions, elle et moi, intelligents, cultivés, ironiques, en un mot supérieurs. » 

vendredi 8 mars 2024

Le droit d’emmerder Dieu. Richard Malka.

La publication de la plaidoirie de 2020 du défenseur de « Charlie Hebdo » lors du procès des assassins qui a coûté la vie à 15 personnes en 2015 est utile. 
« Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ne sont pas seulement des crimes. Ils ont une signification, une portée politique, philosophique, métaphysique. » 
L’affaire des caricatures de Mahomet remonte à 2005 et ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que de rappeler la chronologie des évènements. Il réactive la mémoire et fournit de l’énergie.  
« A nous de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustrations, en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et d'intellectuels, héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline à Pol Pot. C'est à nous de nous battre. » 
Je trouve le titre grossier mais peut être nécessaire pour nous tenir en éveil depuis un camp qui a tendance à jouer de la litote, à se coucher. 
« Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire, à l'Encyclopédie, à la Révolution et aux grandes lois de la Troisième
République, à l'esprit critique, à la raison, à un monde régi par les lois des hommes plutôt
que par celles de Dieu. Ce serait renoncer à enseigner que l'homme est cousin du singe et
ne provient pas d'un songe, renoncer aussi à ce que la Terre ne soit pas totalement ronde. Ce
serait renoncer à considérer la femme comme l'égale d'un homme. »
 
Au-delà du chagrin de ne plus retrouver Cabu ou Wolinski dans nos journaux, réactivé par ces 96 pages fortes, les enjeux sont colossaux. 
« Et enfin, qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être mangé, pour citer Churchill à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, parce que c'est toujours la même histoire : quand on est confronté à des phénomènes qui nous font peur, certains choisissent de pactiser. Mais à un moment, le crocodile munichois devient tellement gros, à force d'être nourri de nos renoncements, que ce qui aurait pu être arrêté avec un peu de courage devient un monstre qui menace de nous engloutir. »

jeudi 7 mars 2024

L’école de Nancy. Claire Grebille.

De la conférence devant les amis du musée de Grenoble, je ne retiendrai que ce que je n’ai pas déjà écrit lors de deux voyages dans la ville où nous avons eu envie de revenir.
L’école de Nancy est la branche principale de l’Art Nouveau en France dont les racines sont à chercher au Royaume Uni quand l’industrialisation a accéléré la décadence de l’artisanat que conteste le mouvement « Arts and Crafts movement »« Arts et artisanats » dans lequel William Morris joue un rôle éminent. « Strawberry Thief ».
Lié au mouvement préraphaélite,
l’imprimeur, écrivain, dessinateur, architecte, militant libertaire dont « la nature était la culture » rêvait d’un monde plus beau pour tous. 
« … si les gens prennent du plaisir dans leur travail, quand celui-ci atteint un certain niveau, son expression est irrésistible et porte le nom d'art, quelle que soit la forme qu'il revête. »
« Émile Gallé dans son atelier »
(Victor Prouvé), le fondateur de l’Ecole de Nancy en 1901 ne fut pas qu’un théoricien ne hiérarchisant pas les arts, il fut céramiste, ébéniste, verrier : « enfant de l’art et du commerce ».
Comme l’architecte autrichien Otto Wagner, il ne subordonne pas les arts décoratifs à l’architecture et veut assurer le lien du beau et de l’utile.
Siegfried Bing
, marchand d’art japonais avait ouvert un espace d'exposition-vente consacré à « l’Art Nouveau » dont l’appellation apparaissait pour la première fois.
Eugène Viollet-le-Duc
remet au goût du jour le gothique et ses développements organiques,
Antoni Gaudí
sait ce qu’il lui doit
comme Henri Sauvage
ou Victor Horta, figures de proue du mouvement aux lignes courbes.
Emile Gallé, nostalgique de la pureté de la nature, « Ma racine est au fond des bois »
loin des villes noires, se passionne pour la minéralogie et la botanique et multiplie les motifs floraux. 
Courbes et contre courbes baroques, lignes flexibles, abondent « Place Stanislas » à Nancy.
 Alors que 10 000 soldat sont cantonnés dans la ville, la notion de frontière s’impose.
La table « Le Rhin » constitue un manifeste autour de la citation de Tacite : 
« Le Rhin sépare les Gaules de toute la Germanie ».
« L'exposition d'art décoratif lorrain »
de 1894 témoigne du dynamisme de la ville 
où se sont réfugiés tous ceux qui n’ont pas choisi la nationalité allemande.
L’affiche de 1909 pour
« L’Exposition internationale de l'Est de la France »
 
qui attira 2 millions de visiteurs est plus épurée.
Au-delà de l’évènement
« L'hôtel particulier Bergeret » et ses arcatures en accolade étirées marquent l’audace de l’époque,
ainsi que « La villa Les Glycines » située dans le parc de Saurupt destiné à devenir une cité jardin aux constructions modulaires.
« La maison Le Jeune » d’ Émile André  était pour un artiste.
La fantaisie de « L'Immeuble Weissenburger » travaillé dans les moindres détails, 
parfois seulement « vus par les oiseaux », a parue démodée, assez vite.
Pour « La Villa Majorelle », show room de Lucien Weissenburger,
Majorelle a réalisé les ferronneries et le mobilier,
Jacques Gruber les vitraux 
et Alexandre Bigot  les grès flammés.
A travers ces morceaux de bravoure où les valeurs sont interrogées et l’idéalisme de mise, tant de métamorphoses permettent-elles de parler d’un art inquiet ?  
« Piano, la mort du cygne »
Les luminaires de la cristallerie Daum nous éclairent même éteints. « Lampe perce-neige »
Le vase de Gallé « Orphée et Euridice » saisit le moment durant lequel le poète perd définitivement sa femme qu’il avait ramenée depuis le royaume des morts sans avoir respecté l’interdiction de ne pas la regarder. 
Ainsi la France venait de perdre l’Alsace et une partie de la Lorraine.
Il convient de se documenter pour comprendre que « Les Hommes noirs » plaident pour le colonel Dreyfus à partir d’une chanson anticléricale de Béranger : 
« Hommes noirs, d’où sortez-vous ? Nous sortons de dessous terre ».
En conclusion et pour varier les matières : la reliure cuir pour « Salammbô » de Flaubert. 
« La lune se levait au ras des flots, et, sur la ville encore couverte de ténèbres, des points lumineux, des blancheurs brillaient : le timon d’un char dans une cour, quelque haillon de toile suspendu, l’angle d’un mur, un collier d’or à la poitrine d’un dieu. »