Je ne goûte guère les histoires de fantômes et la
formule : « nous vivons avec les morts » me semble relever d’une
poésie ne consolant plus grand monde dans notre univers mortifère. Sans solliciter plus que de raison des mots
irrémédiables, j’ai l’impression d’être renvoyé à un temps disparu, loin des vivants
vitupérants d’aujourd’hui. Familier des Sempé et Maradona tombés depuis peu et premier dans la file des défunts à venir in my family, je ne vais pas contourner les évidences ni m'ensevelir à l'avance, mais mon passé est plus profond que mon futur ultérieur.
Le transfuge que je fus, aurait des dispositions à se
repaître d’images d’antan, mais je ne parviens pas à suivre les ruraux arracheurs
frénétiques de haies, quand sur les trottoirs des villes croissent les herbes
folles.
Et comment comprendre ceux qui demandent tout à l’Etat tout
en ne cessant de miner son autorité ? Les cravatés du RN sages à la
chambre ont aimé le bordel au salon.
Où sont les « leçonneurs » quand les tracteurs se
mettent en travers des routes ?
Ils le diront une fois les décisions prises. Quand les élus du
peuple ont eu la parole, ils ont refusé de débattre par exemple des problèmes
migratoires, allant jusqu’à remettre en
cause la légitimité du conseil constitutionnel ; des élus
Républicains !
Les travailleurs de la terre et les défenseurs de la Terre, ayant planté leurs tentes aux antipodes les uns des autres,
estiment que le monde marche sur la tête.
Des réglementations envahissantes n’arrivent pas à masquer le
faible pouvoir des techniciens impuissants à faire valoir une rationalisation
des pratiques dans des espaces où a fondu la biodiversité. Encore un effet de
la défiance vis à vis des intellos et retour de bâton envers une parole écolo hégémonique dans les médias qui traitent de lobbies tous contradicteurs des bêbelles paroles bobo.
La terre s’épuise et « un agriculteur sur deux partira
à la retraite d'ici 2030 ». Plus personne ne veut faire ce boulot comme
tant d’autres pauvres jobs, pourtant si on veut éviter les désherbants
chimiques, il conviendrait de se pencher sur la question.
Pour illustrer d’autres décalages où l'expérience ne sert plus : me mêlant à une
conversation sur l’école où j’ai passé quelques annuités, je me suis
aperçu face à une écoute pourtant polie
que ce que je racontais était périmé, démodé, caduc. Je revenais sur l’histoire
d’un môme submergé pendant les cours, bien que ses talents de footballeur lui
garantissaient d’être dans le bon groupe sur d’autres terrains. J’avais
convaincu difficilement son papa qu’une orientation en SEGPA serait la bonne
pour son fils. L’année suivante celui-ci apportait son témoignage positif dans
la conversation que j’avais avec d’autres parents confrontés au même choix.
L’inclusion, mot de l'heure, a privilégié la forme « sympatoche »
sur les exigences de fond, la transversalité a percé de part en part toute recherche de compétence, et chacun s’est couché devant l’horizontalité. Je
travaillais dans une institution forte, je ne suis plus sûr que ce soit le cas
à ce jour.
Je me prévaux d’une enfance en blouse et des chaussures
laissées à la porte de la classe dont j’étais le maître, comme en d’autres
lieux sacrés, pour me permettre de dire que je serais volontiers favorable à
l’uniforme qui distingue l’écolier du consommateur de fringues et signe une
appartenance républicaine transcendant des replis communautaires.
Nous ne manquons pas de coach pour avoir des mollets en état
de marche; pour la tête, je persiste à croire aux fondamentaux de la vieille école
qui prétendait s’approcher de
l’exactitude par l’écriture et titille ainsi quelques neurones en voie
d’extinction.
« Ce qui me tue, dans l'écriture, c'est qu'elle est trop courte.
Quand la phrase
s'achève, que de choses sont restées au-dehors ! » J.M.G. Le Clézio