jeudi 5 octobre 2023

Basquiat & Warhol. Picasso.

A la fondation Vuitton aux larges espaces,
deux artistes majeurs de la seconde partie du XX° siècle, 
Basquiat et Warhol ont joué à quatre mains.
 Picasso en son Hôtel Salé, est présenté dans les mille formes
qu’a pu prendre son travail de toute une vie. 
Nous sommes allés au bois de Boulogne depuis l’Etoile dans une navette électrique parallélépipédique vers le lieu devenu incontournable depuis bientôt 10 ans des expos à voir.
Malgré les témoignages d’amitié consacrés par une salle particulière et les mots de l’habile Andrew Warhola, je suis resté avec l’impression d’une collaboration intéressée plutôt que celui d’un enrichissement artistique entre le maître du pop art et celui de la culture urbaine.
« Je crois que les tableaux que l’on fait ensemble sont plus réussis 
quand on ne peut pas dire qui a fait quelle partie »
Une exposition en 86 annoncée par une affiche représentant les deux maigrichons 
avec des gants de boxe accentue l’idée d’une démarche avant tout commerciale.
Cependant les « punching bags » où sont peints le visage du Christ et le mot judge évoquant les « strange fruits » de Billie Holiday, ramènent au racisme et à la mort présente dans ces années SIDA.
Tous les deux populaires, le lisse convient à l’échevelé, mais je les préfère dans leur spécifité. Warhol avait repris les pinceaux, il amorçait plutôt un dialogue qu’une fusion jouant tous deux avec les répétitions en de vastes compositions.
Si ce blog a déjà parlé de l’auteur undergroud, 
le patron de la Factory est évoqué lui à travers des récits de voyages à Venise, Arles, New York, Bergame, Madrid, Mougins, lors de rencontre avec d’autres artistes ou au cours de thématiques sur le pouvoir, le travail des femmes, les Etats-Unis et une expo au Musée de Grenoble.
Picasso a fait naître
aussi de nombreuses pages sur ce blog,
La visite guidée dont nous avons bénéficié dans l'hôtel particulier construit par Pierre Albert de Fontenay qui percevait l'impôt sur le sel, n’élude pas les violences conjugales de Pablo Picasso mais se consacre essentiellement, avec clarté, à son travail tellement inventif et stimulant. 
Effectivement « la collection prend des couleurs » avec le designer britannique Paul Smith, qui met en valeur avec humour et respect des œuvres majeures de l’espagnol disparu il y a cinquante ans.
« Le Jeune Peintre », si léger, un de ses derniers tableaux, clôt le parcours depuis le laboratoire cubiste, la mélancolie bleue, les voyages imaginaires, ses animaux et scénographies, « Déjeuner sur l’herbe » et « Demoiselles d’Avignon »…
Quelques affiches, comme celles qui furent apposées dans le monde entier invitant à la fête des yeux, de l’intelligence, tapissent une salle entière et donnent une idée du rayonnement du prodigieux artiste.
Nous en ressortons tout joyeux.

mercredi 4 octobre 2023

Paris # 3.

A Paris, même pour une andouillette et un Mont Blanc,
l’histoire vous frôle quand le serveur en « rondin » (gilet noir) et  grand tablier, note la commande sur la nappe en papier du Bouillon Chartier, sous ses colonnades art nouveau.
« Félicie » chantée par Fernandel permet de patienter quand on téléphone 
au restaurant rue du Faubourg-Montmartre :
« Afin d'séduire la petite chatte,
je l'emmenai dîner chez Chartier, 
comme elle est fine et délicate, 
elle prit un pied d'cochon grillé... »
Il fallait ça après « Le Musée de la vie romantique » à l’intitulé prometteur 
mais où l’artiste invitée ne nous a pas enthousiasmés.
Les encres de Françoise Pétrovitch auraient mieux convenu comme illustrations dans un livre. Ici leur grand format les affadit surtout lorsqu’il s’agit de portraits,
alors que ses paysages pas vraiment originaux sont agréables.
Nous passons du quartier de « La nouvelle Athènes » à Montparnasse 
où l’atelier musée de Bourdelle a lui aussi un charme insoupçonné depuis la rue.
Dans les travaux monumentaux puissants et harmonieux de l’élève de Rodin n’apparaissent pas les vibrations de son maître.  
« Sans l'adresse de la main, le sentiment le plus vif est paralysé »

mardi 3 octobre 2023

Sex Story. Philippe Brenot Laeticia Coryn.

J’aurais aimé jouer avec les mots pour dire que ce livre, qui ne se lit pas d’une main, était à mettre entre toutes les mains.
Le propos a surtout une visée pédagogique, mêlant habilement le récit des évolutions des mœurs au fil des siècles et des anecdotes éclairantes à propos de Casanova ou Sade mais aussi de Cléopâtre ou de la reine Victoria.
Quant à présenter ce volume de 200 pages à mes petits enfants, je ne sais si ce serait à moi de le faire, bien que cette histoire de la sexualité soit essentielle pour comprendre l’histoire de l’humanité. 
« A  l’âge de 11 ans, un adolescent sur deux a déjà vu une scène pornographique. » 
Un : à onze ans il ne s’agit pas d’un adolescent.
Deux : ce livre n’est pas pornographique, même si les scènes de coït abondent.
Ces représentations longtemps tabous, traitées en ligne claire, ne dégagent pas un érotisme tel qu’un dessinateur comme Manara sait en jouer. 
Elles s’insèrent dans un ensemble didactique.
Des citations de Boucher, Ingres, Manet agrémentent des pages denses démentant des idées reçues : la ceinture de chasteté daterait plutôt de la Renaissance que du temps des croisades alors que « le droit de cuissage » n’apparaît pas dans les archives.
Par contre j’ai appris que jadis des municipalités, des seigneuries, des monastères possédaient des bordels. 
Quand arrive le chapitre concernant le XX° siècle, l’expression : « c’était mieux avant » n’est pas de mise, mais l’avenir envisagé laisse entrevoir une déshumanisation inquiétante, même si en 2060 les représentants à l’ONU de l’Iran et du Yémen s’embrasseraient sur la bouche après l’adoption de la dépénalisation de l’homosexualité. 

 

lundi 2 octobre 2023

Oppenheimer. Christopher Nolan.

Les productions précédentes du réalisateur ne m’avaient pas laissé de souvenirs impérissables
et je ne me sentais pas à priori intéressé par les états d’âme du père de la bombe atomique.
Eh bien, j’ai beaucoup aimé ce film à la rencontre d’un personnage passionnant, car ambigu face à un dilemme colossal à la mesure de la puissance des dieux avec la machine de mort qu’il a mis au point : 200 000 morts à Hiroshima et Nagasaki.
La reconstitution du puzzle narratif est stimulante mêlant excitation intellectuelle, luttes de pouvoirs et vie sentimentale,  identité juive face au régime nazi et fierté américaine.
Et surtout quelle responsabilité face à l’humanité : prométhéen !
La durée de trois heures permet de mesurer l’omniprésence et la virulence de l’anti-communisme, les aléas de la notoriété et l’aptitude d’une nation à mener un effort de guerre colossal.
La puissance financière, la mobilisation massive des scientifiques sur un site constitué de toute pièce au milieu du désert au Nouveau Mexique dans un contexte historique on ne peut plus brûlant sont parfaitement évoqués sur une musique efficace et des images séduisantes, un montage haletant qui permet de donner à réfléchir avec des dialogues approfondis où se risquent des enjeux cruciaux.

dimanche 1 octobre 2023

Le crabe aux pinces d’homme. Manset.

Onirique, exotique, mélancolique, nous retrouvons sous une voix à nulle autre pareille,
un univers bizarre et familier, drôle et inquiétant, rare. 
« Dans un pays de délices » : 
« Deux petits chimpanzés
Se poursuivaient dans les branches
De fruits et de rosée » 
A partir d’un jeu de mots à la ligne claire : « Le crabe aux pinces d’homme »,
nous sommes invités au pays : 
« Des montagnes au-delà de tout ce que le monde connaît »
 Dans « L’espérance » aux senteurs  de lait, d’orgeat et d’ortie : 
« Les petites filles ont mis des robes blanches »…
« Mais voilà qu’un bombe tombe ». 
Bashunguien « Pantera » : 
« Je tuerai la panthère
Pour ce qu’elle a fait de moi » 
« Marilou », si jeune, meurt dans la chaleur : 
« Alors que tout autour
Ricanaient les vautours ». 
Avec « Les sandales noires » on peut bien se demander:
« Et qui reste des heures en cherchant le pourquoi
Du mystérieux carquois
Vide
Qui mène à quoi. » 
Dans « Une histoire d’amour » les rapprochements 
entre « espadrilles » et « escadrille » m’ont semblé bien hasardeux.
Les amis, renard argenté et limaçon se succèdent dans « Laissez-nous ». 
Les images de « Mais elle est là » sont plus parlantes 
« Il ne s’était rien passé, passé
Qu’un autre qu’elle m’aurait vu passer
Comme ce tas de feuilles ramassées
Qui tourne et vole après qu’il fut laissé »
que les mots apprêtés de « La fontaine de la vérité d’amour » 
« Céladon s’en allait par les sentiers moussus
Dans le dédale abstrait du conte allégorique » 
Cessons là.

samedi 30 septembre 2023

Irréfutable essai de successologie. Lydie Salvayre.

Au début de ces 168 pages j’ai apprécié l’ironie, la vigueur du style autour de nos obsessions : 
«…  coach en mieux-être, coach sportif, coach parental, coach de vie, coach de cœur, coach de deuil, coach de sexe, coach mental, coach de com, coach d’éloquence, coach d’intimité, coach de compétence, coach de performance, coach de productivité, et coach de désintoxication aux coachings… » 
Habilement présentées les citations crépitent : 
« Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste avec elles. » 
« Ne prêtez pas un seconde d’attention à ces propos du dénommé Rainer Maria Rilke qui n’en fut pas à sa première ineptie. »
 Et j’avais cité sur ce blog  l’ancienne prix Goncourt : 
Les  longues énumérations font le tour de  quelques questions : 
« Efforcez- vous, pour plaire à la classe moyenne, d’être moyennement brillant, moyennement profond, moyennement optimiste et moyennement moral. Ou affectez de l’être. »
Et puis, je me suis lassé de mépriser tant d’arrivistes, et la galerie de portraits pourtant bien troussée m’a paru vaine : facile de juger l’influenceuse bookstagrameuse, et déjà bien parcouru le milieu littéraire, même lorsque l’on peut reconnaître   l’écrivain transfuge qui tant s’expose : 
«  écrivains engagés dans la publicité de leur engagement ».
Je crains que dans cette parodie de livre de développement personnel où elle fustige les flatteurs, elle ne soit exempte de tout reproche, quand inévitablement nous nous retrouvons du bon côté : 
« Il est devenu, aujourd’hui, tout à fait superflu de lire, je puis vous l’affirmer sans la moindre nostalgie. Nos cerveaux saturés d'informations incessantes et sans lien les unes avec les autres, ne disposent, en effet, que d'une part réduite d'attention aux œuvres littéraires. Et le nombre de lecteurs véritables, je veux dire de lecteurs ayant un contact intime, direct, charnel, avec elles, ne représente plus qu'une infime partie de la population. »

vendredi 29 septembre 2023

Entre deux.

« L’école est devenue une activité entre deux week-end », je serais tenté d’étendre la formule, dont j’ai usé abondamment, au boulot en général pour le situer entre deux burn-out, ou à quelque vie sentimentale entre deux tabassages, un parcours scolaire entre deux harcèlements, voire une vie tout court entre avortement raté et suicide (assisté) réussi.
Nous sommes dans un temps où il est nécessaire de rappeler que notre liberté est plus sûre, le confort plus courant, le savoir mieux partagé avec les accélérations technologiques et une croissance économique qui progresse dans le monde.
Mais quand la planète s’effondre comment ne pas voir la vie en noir ?
Le droit à l’avortement est devenu un enjeu politique majeur dans bien des pays, le travail une méprisable activité au moment où le chômage régresse. Les rapports sociaux se réduisent à une violence saturant les canaux d’information de récits de femmes battues ou d’ados tourmentés par leurs pairs.
Dans les couches paisibles de l’Occident, le désir de reproduction devient un sujet d’étonnement, alors que l’envie de transmettre connaissances et valeurs sent l’obsolescence comme le terme « vocation » caractérisant jadis hussards noirs et prêtres en soutane.
Ferry Jules parlait de « flétrir l’égoïsme » dans sa « lettre aux instituteurs » de 1883 .
Les formules pour assiettes à l’entrée des appartements du temps du Formica se retrouvent sur les réseaux sociaux qui aiment la brièveté et la solennité. L’une d’elles vantant les vertus de l’école s’est attiré un commentaire lapidaire rappelant le rôle de l'éducation nationale dans la reproduction sociale. Cette remarque portée par les analystes les plus progressistes peut servir d’alibi à tous les renoncements, à toutes les passivités.  
« Ce n’est pas en ignorant la gravité et l’aérodynamique que l’on peut inventer des avions.
Et ce n’est pas en méconnaissant tout ce qui pèse de façon constitutive sur nos structures sociales que nous pourrons trouver des voies d’émancipation. » Bernard Lahire.
Les certitudes en pédagogie sont provisoires depuis « La société sans école » jusqu’au retour de la badine. Quelques capacités d’adaptation sont requises en la matière : de l’instruction à l’éducation, de la démission des parents à leur omniprésence, de la confiance aveugle à la défiance systématique, de la toute puissance du maître à l’effacement de la professeure des écoles. Les bacs +5 se font prier pour exercer alors que sont en retrait les lauréats des baccalauréats bradés de 68. J'obtins celui-ci avant d’exercer à 18 ans devant des enfants de 15 ans.
Nous nous recroquevillons, nous désolant de la virulence de l’Intelligence Artificielle alors que nous pourrions nous enorgueillir de ce type de production humaine. 
« L'intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise naturelle. » Woody Allen
Les bricolages génétiques avec marchandisation des corps pourraient nous inquiéter bien autant. 
Les causeurs en recherche de clics et leur cause d’un jour ne savent s’appesantir sur les échecs. Un clou chasse l'autre, par exemple l’exaltation des moments de fièvre jaune a duré le temps d’un feu de palettes mais aucune leçon n’a été tirée, et les titres à propos de l'interdiction de signes religieux à l'école n'ont pas porté sur l'efficacité du ministre.
Pour échapper à la complexité du monde, une petite querelle subalterne mais pas tant que ça finalement : les appréciations méprisantes contre la cérémonie d’ouverture de la coupe du monde de rugby confirment notre perte du sens du second degré et confortent les attaques de ceux qui vomissent La France, que nous influençâmes jadis sur leurs terres africaines bien que nous les ayons quittés depuis quelques décennies. 
« L’Angleterre s’écroule dans l’ordre, et la France se relève dans le désordre. »