mercredi 13 avril 2022

Strasbourg # 4

Aujourd’hui, le programme envisagé nous amène à utiliser la voiture.
Nous garons sans problème la Clio pratiquement place de la République au nord de la ville.
C’est le cœur du quartier allemand, dit Neustadt ou encore Strasbourg impérial
construit au XIX° siècle sous Guillaume 1er  dans un style imposant.
Autour d’un joli rond-point s’élève un ensemble de bâtiments administratifs. Il comprend tout d’abord le palais impérial qui manifeste la puissance des  Prussiens et possède une façade tripartite dont la partie centrale supporte un dôme.
L’emblème de l’aigle apparait ainsi que les armoiries de l’Alsace et de la Lorraine. Cette résidence s’adapte aux aléas de l’histoire, transformée en hôpital lors de la 1ère guerre mondiale, elle servit de siège à la Kommandantur nazie et échappa à la destruction réclamée un temps pour cette raison.
Une bibliothèque et le théâtre  conçus dans le même style avec la préfecture  occupent les autres côtés  de la place.
Ces édifices entourent  un jardin paisible au sein duquel un monument aux morts se conforme à une réalité particulière. La statue représente une mère, allégorie de Strasbourg, elle  pleure ses deux enfants morts à la guerre, l’un pour la France et l’autre pour  l’Allemagne. Dépourvus de leurs uniformes, ils se retrouvent à égalité face à la destruction. Autour,  se déploient avec majesté quatre vénérables ginkgo bilobas offerts par l’empereur du Japon à Guillaume II.
Le musée Tomi-Ungerer consacré aux dessins depuis 2007,
centre international de l’illustration loge dans une rue adjacente à l’intérieur de la villa Greiner qui avait accueilli le président Poincaré, ami du propriétaire d’alors. Cette habitation commencée en 1884 quand l’Alsace était occupée par les allemands est construite dans un « style français » éclectique avec des « éléments néo-classique, néo-Renaissance et néo-baroque ».
 Maintenant, les intérieurs blancs du sol au plafond mettent parfaitement en valeur les travaux  de l’enfant du pays Tomi Ungerer et renouvellent régulièrement les présentations parmi 2179 œuvres graphiques de 150 artistes.
Ils ne sont pas nombreux les illustrateurs de livres pour enfants à connaître la notoriété, l’auteur des « Trois Brigands » est l’un d’eux qui a donné son nom à une école.
Ses travaux préparatoires sont intéressants, la simplicité demande de la besogne.
De nombreuses planches sous cadre accrochées aux murs 
et des jouets donnés par l’artiste  placés sous vitrines révèlent son univers, son humour  et son style limpide.
Nous apprécions aussi Pascal Lemaître et son « petit cordonnier  de Venise ».
Les œuvres du niveau 1 ne s’adressent  pas précisément à la jeunesse.
 
Elles se déclinent en plusieurs thèmes :
Nous commençons par les affiches New-Yorkaises  de Saul Steinberg renouvelant l’art publicitaire dans les années 60-70.
Nous poursuivons avec les dessins d’humour et de satire français publiés dans des journaux des années 60. Ils déclenchent encore le  sourire ou font grincer des dents. 
Leurs créateurs s’appellent : Maurice Henry,
Jean Maurice Bosc,
Claude Ribot, dont  l’humour noir parait parfois hermétique, 
Michel Cambon, obsédé par des obus noirs et leur chute,
Borislav Sajtinac publiait  dans Hara Kiri,
Jean Alessandrini.
Viennent ensuite des dessins de presse français des années 20 en noir et blanc, constituant  déjà une violente diatribe contre Hitler et sa montée en puissance.
Pour terminer, Olivier Dangla, employé par « Le Monde », expose ses dessins d’audience. Il  croque, les différents partenaires des procès qui portent le masque chirurgical, symbole de notre actualité…Il les esquisse au crayon et ajoute de l’aquarelle pour un résultat  plein de vitalité.
Connu pour ses publicités et des affiches politiques pour lesquelles convenait sa ligne claire au service d’un humour efficace et de la poésie, Ungerer a réalisé aussi de truculents dessins.
Ils  figurent au sous-sol du musée
, pour des sujets plus coquins.
L’exposition comporte des projets de bijoux d’inspiration sexuelle débridée, des peintures de sorcières et de gastéropodes sans équivoque quant à leur signification.

 

mardi 12 avril 2022

C’est aujourd’hui que je vous aime. François Morel & Pascal Rabaté.

Le fantaisiste 
a rencontré le dessinateur 
et c’est épatant 
 Le récit d’un premier amour, fou et dérisoire est aussi celui d’une adolescence. 
Le comique qui aime tant les répétitions : 
« Notre père qui êtes aux cieux, faites que je baise, que je tire, que je nique […] que je culbute, que je saute, que je reluise… » 
commence lamentablement une carrière dans le registre sensé séduire les filles : 
«  ses trous de balles »  
en commentaire du « Dormeur du val » ne plaisent guère à la récitante, pas plus   
« le cunnilingus » en tant que nuage. 
Les traits légers sur 70 pages vont parfaitement à nos mémoires pastels et rendent vivement, poétiquement, cet amour à graver sur l’abribus de toute sa conviction maladroite, tout en fantasmant sur Bardot, alors que le prix d’une tente à planter aux pays des petites anglaises vaut mieux qu’un rapport tarifé.

lundi 11 avril 2022

Employé / patron. Manuel Nieto.

« El empléado y el patrón » pourquoi la langue espagnole n’a-t-elle pas la même faveur que l’hégémonique anglais dans les titres alors que ce film présenté à la quinzaine de réalisateurs à Cannes est typé ? Il a du caractère, sans manichéisme. 
La dialectique maître/serviteur est universelle et la description des relations de classe très présente dans le cinéma d’Amérique latine. Le regard porté sur une nouvelle génération se renouvelle avec des papas qui s’occupent de leurs bébés aussi bien en milieu aisé que chez les pauvres. Les hiérarchies évoluent quand s'échangent les services. 
Le cheval, symbole de liberté, jouera un rôle éminent dans cette tragédie uruguayenne.

dimanche 10 avril 2022

Nuit funèbre. J.S. Bach, S.P. Bestion, K.Mitchell.

Le journal de salle, qui souvent, n’est à mes yeux qu’un tract publicitaire, était bien utile ce soir pour mieux comprendre la mise en scène autour d’une table de ces frères et sœurs se retrouvant après la disparition du père. Toutes les morceaux présentés sont titrés : motets, chœurs, récitatifs, airs…
La lenteur des déplacements, la solennité des paroles contrastent avec une musique pourrait- on dire divine.
J’ai vu dans ce moment où le ciel semble encore plus vide alors que se prosternent d’avantage les hommes, une invitation à la méditation sur notre destinée.
Le corps et les objets résistent, ils finiront dans la poubelle grise.
La musique élégiaque, sereine, est celle d’une vie de souffrance, de doute et de joie, sublime.
Et même si l’on n’est pas accessible à la transcendance :
« Devant ton trône, je vais comparaître » 
peut se poser la question pour chaque homme quand 
« tout est accompli » et qu'une vie se révise.
Le spectacle d’une heure quinze n’est pas de ceux qui prétendent dépoussiérer une composition mais valorise une œuvre nous concernant depuis ce XVIII° siècle décidément  étape fondamentale de notre civilisation, quand de notre finitude, de notre condition misérable persistent quelques notes dont la douceur peut assourdir les clameurs du monde et apaiser nos terreurs intimes, peut être.

samedi 9 avril 2022

d2ux mille vingt-d2ux. Acte 3.

J’avais manqué l’acte deux de cette publication consacrée à l’élection présidentielle dont j’avais apprécié le premier numéro : 
Cette livraison, avant l’acte 4 prévu en juin, devrait combler l’appétit de tous ceux qui s’estiment frustrés de débats qui n’ont d’ailleurs jamais cessé. Les médias sont les maîtres d’œuvre de ces discussions dont ils regrettent une pauvreté qu’ils entretiennent, comme les frustrations qu’ils flattent.  « Avec quel candidat voudriez-vous partager un barbecue ? » était l’objet d’un sondage comme le rapportait France Info qui ne se contente plus d’informer mais donne dans l’ironie, la distraction, entre deux bombardements.
La diversité des rédacteurs de cette revue permet de varier le curseur de nos accords et désaccords, ainsi le portrait d’un macroniste avec mocassins à gland m’a paru bien conventionnel - moi ce serait plutôt gros sabots - alors que l’analyse du macronisme, apportant un peu de gravité dans un monde fou est d’une haute tenue : 
«… l’efficacité se mesure à la capacité à transformer, parce que ce qui compte, c’est cette action sur le réel, et non l’idée qu’on s’en fait. » 
Nous voyageons de Marseille à Vaulx-En-Velin, d’un pittoresque PMU en Saintonge  au restaurant « Le Bourbon » à proximité de l’assemblée.
Les portraits embrassent tout le paysage avec quelques célébrités, Taubira, De Villiers et des aspirants à la lumière : Geoffroy Didier, Isabelle Saporta (la compagne de Jadot qui n’aime surtout pas être présentée ainsi sauf quand c’est Paris Match), Alice Coffin, le beau frère et la sœur de Marine Le Pen… Un décroissant donne son point de vue en BD. 
Les thèmes : l’armée, la police, les chiens et les chats, la Chine… bien documentés sortent des présentations habituelles souvent rigides comme l’égalité des temps de paroles.
Le recul vis-à-vis des médias est salutaire quand se cherchent de nouveaux espaces du réel,  avec une immersion parmi les micros de « la meute », la description de l’évolution des opinions journalistiques où les réacs prennent leur revanche, l’impertinence de l’émission « Quotidien » qui disparaît quand ceux qu’ils brocardent sont reçus en plateau. Les « spins doctors » à la jonction des politiques et des médias « ont le spleen ».
La découverte des « mèmes »  participant à la « carnavalisation de l’arène politique » ne vaudra pas à mes yeux autant que le rappel historique des présidents de 1914 à 1958. L’article du psychanalyste Yann Diener à partir des paroles d’un enfant disant « mes parents se sont encore dépistés »  au lieu de « disputés » redonne du sens aux mots qui pendant la pandémie sont passés parfois de la métaphore au délire.
Et bien qu’Alexis Jenni soit décevant dans une fiction familiale quelque peu caricaturale, je retiens ce morceau de dialogue entre trois générations : 
« - Vous vous rendez compte que nous appartenons au plus gros parti de France ?
- Pffff, nous n’avons rien de commun, et je n’appartiens à rien, grommela Papi.
- Quel parti, demanda mon fils, qui voulait quand même savoir, ce qui fait que je ne désespère pas de lui.
- Le parti de ceux qui ne se déplaceront pas, ceux qui ne voteront pour personne et laisseront décider pour eux des gens qu’ils ne connaissent pas.
- Ah, c’est pas faux, soupira Papi.
- Grave ! lâcha mon fils. Et pour une fois un tic de langage avait un sens.
Nous nous tûmes. La bouteille d’Armagnac était vide. Nous allions ne rien faire. » 

 

vendredi 8 avril 2022

Si loin, si près.

La guerre en Ukraine a mis en surbrillance le meilleur et le pire de l’âme humaine, mais il n’est pas certain que l’effet de sidération passé, les enseignements, pourtant payés au prix du sang, soient durables. 
Ceux qui parlaient de dictature à tous propos n’ont pas tous appris à modérer leur langage. 
Ils n’ont pas forcément compris que la dimension européenne devenait plus que jamais la mesure adéquate pour nous protéger de la guerre après l’atténuation de la crise due au Covid.
La guerre a revigoré notre continent, mais les sommes d’argent qui seront fléchées pour drones, chars ou hôpitaux de campagne ne seront pas dirigés vers les déserts médicaux.
Nous n'y couperons pas: les jachères vont être à nouveau cultivées et le nucléaire va repartir.
Dans la lutte entre régimes autoritaires et démocraties, les métaphores belliqueuses ont fini par percer les blindages. Ceux qui crachaient sur notre civilisation méprisée par le maître du Kremlin ont-ils graissé les canons des cracheurs de mort ?Face au restaurateur de l’Empire russe, nos gentils qui n’ont cessé de dénigrer l’Empire occidental se trouvent du côté des intégristes des identités et des religions.
Les damnés de la terre africaine s’abstiennent. Wagner, avance sans idiots utiles à ses basques, ceux-ci regardent ailleurs.
Les chenilles des chars en procession ne vont pas crisser sur le mail de Voiron, 
mais ceux qui estiment que le scrutin de ce mois d’avril est « volé », ont des manières trumpistes, creusant le discrédit d’un Occident qu’ils prétendent défendre !
Les abstentionnistes et autres abstinents du débat démocratique, tous les blanquistes, porteurs du drapeau noir et du bulletin blanc, ne s’abstiendront pas de commenter les résultats de la présidentielle dont ils auront contribué à amoindrir le sens. Ils auront saboté la cérémonie républicaine par leur indifférence ou leur aversion envers les autres citoyens. 
Plus grave, cette paresse est flattée par bien des candidats à la présidence de la France qui s’indignent de ne pouvoir débattre d’un bilan de la mandature, qu’ils n’ont cessé de critiquer tout au long de ces cinq ans. Ne sachant que s’opposer, ils se dispensent de toute autocritique au cas où se rappelleraient leurs positions à l’égard de Poutine.
Une jeune interviewée se lamentait de ne pas être assez informée ; que n’a-t-elle cherché, fait fonctionner son moteur de recherche, acheté un journal, regardé son téléphone, parlé à sa maman, demandé à sa voisine… mais que fait l’école ?
Commentateur des commentateurs, je partage l’avis selon lequel ce qui apparaît sur les réseaux sociaux ne reflète pas forcément l’opinion générale mais comme chacun, je fonce dans toutes ces embrouilles. Je persiste à jeter au vent quelques mots comme akènes de pissenlits qu’il me plaisait de voir s’éparpiller en première page d’un dictionnaire désormais bon pour la brocante.  
« Il pousse plus de choses dans un jardin que n'en sème le jardinier. » Proverbe espagnol

jeudi 7 avril 2022

Baisers voulus, baisers volés. Christian Loubet.

La première image proposée par le conférencier devant les amis du musée de Grenoble est celle de « Io et Zeus » par le vif Le Corrège pour illustrer un thème récurent de l’art occidental : le baiser, « ce point rose qu’on met sur le i du verbe aimer » Edmond Rostand.
Un nuage divin embrasse la nymphe ingénue, vue de fesse.
Les premiers « baisers consacrés » vont du « Rendez-vous à la porte dorée » de Giotto où les anges annoncent à Joachim et Anne qu’ils vont engendrer Marie
au « Baiser de Judas » d’Ary Scheffer 
quand le Christ méprise le traitre car il sait son sacrifice inéluctable.
Les représentations d’une intimité entre « La vierge et l’enfant » 
telles que Quentin Metsys en donne une version sont rares.   
Concernant « le frisson des lèvres », la mythologie a fourni une source inépuisable de représentations.
L’insatiable Zeus prend toutes les formes :  
Véronèse pousse loin la métonymie avec « Léda et le cygne »
comme Giulio Romano lorsqu’il fait se rencontrer « Zeus et Olympia ».
Luca Cambiaso, le maniériste, 
donne une version quasi cubiste du baiser au mourant avec « Vénus et Adonis ».
« Hercule et Omphale »
chez François Boucher 
ont inversé les rôles et à pleine bouche, les sens triomphent.
L’ « Amour et Psyché » de François Picot est subtilement sensuel.
Chez Francesco Hayez « Le baiser » troubadour a été vu 
comme l’union du Nord et du Sud Italiens.
Les charmants « Amoureux surpris » de  Ferdinand Waldmüller s'inscrivent dans un mode rustique.
Même chez les « artistes et modèles modernes » le mythe de « Pygmalion et Galatée »  vu par Gérôme permet de ne pas tomber dans l’anecdote.
Camille Claudel avait séduit son sculpteur Rodin : « Le baiser ».
Celui d'Andrès Zörn fait entrer la banalité dans un cadrage et une touche instantanés.
Chez Klimt le corps féminin fleuri se love dans la structure minérale du corps masculin.
L’érotisme fusionnel porte le malheur chez Edvard Munch 
et la nuit avec son « Vampire (L’amour et la douleur) ».
Les amants musculeux fixent une auto représentation d’ Egon Schiele, mort avant sa trentième année, « 
L'Étreinte»
Dans ces explorations entre amour divin et charnel 
Toulouse Lautrec occupait  une bonne place et aussi Courbet 
« Ambigüité récente »
titrait pourtant le conférencier
c’est que « Le baiser » anthropophage de Picasso
plus connu que « La douceur » n’a pas la tranquillité
des pierres cubistes de Brancusi.
Baisers voilés pour « Les amants » de Magritte,
projetés dans l’au-delà avec Chagall,
corps fondus chez De Staël inspiré par la musique « Les Indes galantes ».
L’expressionniste Otto Müller « Le couple d’amoureux » nous est proche
comme le néo impressionniste Ron Hicks
quand le « Kiss » de Roy Lichtenstein valait pour les posters.
Ne pas oublier « Le baiser de l’hôtel de ville » de Doisneau,
ni la pochade de Banksy, « Kissing Coppers »,
la publicité de Toscani, « Le prêtre et la nonne »,
ni la performance d’Orlan « Le Baiser de l'artiste » 
avec quatre intensités différentes, à partir de 5 F.
Les « baisers volés » sont gracieux quand avec le Bernin, Daphné échappe à Apollon
ou lorsque Fragonard traite « Enjeu perdu, baiser gagné ».
Hans Belmer ira à l’extrême du morbide sadique avec « Le baiser de la mort »
comme est résignée une sculpture de Barba et Fonbernat au cimetière de Barcelone. 
« Sa destinée a été accomplie.».
La pandémie nous rappelle que les baisers nous manquent, bien qu’ils soient devenus parfois la « menue monnaie » des amoureux, ainsi le cinéma les célébra : « Autant en emporte le vent ».