jeudi 5 décembre 2019

Malevitch, le Suprême. Eric Mathieu.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a présenté l’artiste dont « Le carré noir sur fond blanc » a révolutionné la peinture : « on ne nait pas Malevitch on le devient ».
Il est né à Kiev en Ukraine de parents polonais, Malewicz, en 1879, un an après Trotski et Staline. Il vivra en Russie, et si tous se le disputent aujourd’hui, alors qu’il fut élu député au soviet, il fut ignoré de la Russie soviétique jusqu’en 1962 bien après sa mort en 1935. « Portrait de sa mère »
Sa mère l’encourage dans son choix à devenir peintre ; il aime l’« art français » : Millet qui a anobli les paysans et Courbet qui invitait à plus de réalisme ont parlé aux Russes. Repine peint « Tolstoï dans un champ de labour » son œuvre est considérée comme une « encyclopédie de la Russie d'après l'abolition du servage ».
Le peintre renommé tourne les talons à l’exposition du groupe du « Valet de Carreau » créé par Larionov un des pionniers de l’avant-garde avant qu’avec Natalia Gontcharova « La Ronde », ils ne fondent un autre groupe « Queue d'Âne » plutôt primitiviste, s’éloignant des influences européennes.
Kasimir Severinovitch Malevitch était arrivé à Moscou en 1904 où son emploi de fonctionnaire lui laisse des loisirs pour peindre « Paysage avec jaune maison ».
Il reviendra aux françaises façons en 1930 « Sur le boulevard » où il peint une bourgeoisie qui n’existe pas.
Son « Autoportrait » de 1907, plus sombre que les « Fauves » est marqué par l’expressionisme allemand s‘approchant d’un « cubo-futurisme ». Comment peindre l’intériorité ? Le vert et le rouge ont certes des connotations inquiétantes même s’il convient d’ éviter de tomber dans un mysticisme de la couleur.
Parmi les personnages de « Repos, Société en hauts-de-forme » , très art nouveau, l’un d’eux pisse dru.
En 1908  dans son nouvel « Autoportrait » engoncé dans son col, cerné, 
il se détache du tableau tel le « Christ Achéiropoïète ». L’artiste peut être créateur,  comme Dieu à partir de rien, se détachant de la nature et de toute entrave culturelle.
« Le bûcheron »  fait de bûches est une façon d’interpréter le cubisme à la Léger, tout en s’intéressant au futurisme : peindre le temps avant l’espace. Le fils d’ouvrier, profondément russe, enviait les paysans vivant au rythme des saisons.
Alors que Marcel Duchamp faisait descendre un homme d ‘un escalier, « Le rémouleur » vibre
« Le portrait d’Ivan Klioun » se construit sous notre œil « comme s’il était regardé à travers un bouchon de carafe », peut-on savoir ce qu’il pense ?
L’opéra «  La victoire sur le soleil » dont il a réalisé les costumes voit l’obscurité gagner sur le soleil menteur pour permettre à chacun de voir sa lumière intérieure.
Le « Quadrangle », ou le « Carré noir »  date de 1915,  il est peint par-dessus un tableau cubiste, et appuie sur la touche « reset » de l’histoire de l’art, revient au niveau zéro du langage, base de tout le reste, expulse toute émotion. 
Lors de sa première exposition «  0,10 » parmi 36 œuvres suprématistes, il est dans le « beau coin » celui qui recevait les icônes dans les maisons russes. Le Carré noir, s’accompagne de la croix noire et du cercle.
« Quand disparaîtra l’habitude de la conscience de voir dans les tableaux la représentation de petits coins de la nature, de madones ou de Vénus impudiques, alors seulement nous verrons l’œuvre picturale. Je me suis transfiguré en zéro des formes et je me suis repêché du trou d’eau des détritus de l’Art académique. » L’autodidacte  qui s’interrogeait à propos d’épluchures  représentées sur un tableau attirant d’avantage l’attention que lorsqu’elles sont sur une table, devient un théoricien. Il enseigne à Vitebsk où il prend la place de Chagall après avoir participé aux Ateliers libres de Pétrograd. Ses recherches formelles coïncident avec l’effervescence politique, il ouvre l’Ounovis, (Union pour l’affirmation du nouvel art) puis dirige la section technique plastique de l’Inkhouk,
mais reste un artiste. «  Réalisme Pictural d'un Joueur de Football. Masses de Couleur dans la 4ème Dimension ».
En 1918, il peint le premier monochrome blanc, le « Carré blanc sur fond blanc » : « une concession au classicisme ». Dans les années 20, alors que Staline revient 17 fois écouter Chostakovitch avant de l’interdire, il entre dans une période post suprématiste plus réaliste : « La Charge de la cavalerie rouge »
Le « Carré rouge » n’est pas vraiment carré et l’objet a disparu, ne restent que la couleur et la forme, une abstraction. 
Sa « Maison rouge » n’a pas de fenêtre.
Il est déguisé en prince des artistes très Renaissance pour son dernier « Autoportrait » qui se situe dans une veine « supranaturaliste ».
Comme la vierge des icônes désignant son fils, il  indique avec sa main la forme d’un carré que l’on retrouvera sur sa tombe en 1935. 

mercredi 4 décembre 2019

Lacs italiens 2019. # 2 B. Bergame ville haute (suite)

Nous retournons à la cathédrale, rendue aux visiteurs attirés par sa splendeur. 
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/11/lacs-italiens-2019-2-bergame-ville-haute.html
Elle renferme :
- le tombeau de Donizetti, musicien du pays,
- beaucoup de décorations colorées avec des encadrements dorés ou en bas-reliefs,
- un Christ souffrant et décharné sur sa croix  coiffé d’un drôle de dais
-  2 orgues se faisant face encadrant le chœur comme à Vérone,
- un époustouflant confessionnal baroque en bois précieux : palissandre ?
le tout baigné dans une forte odeur d’encens.
C’est un intérieur assez original, témoignage  de la richesse de la ville du temps des Vénitiens.
Nous suivons les conseils d’un Italien encadrant le festival Landscape  et nous nous dirigeons vers le funiculaire, le 2ème, conduisant à San Vigilio. 
Nous maitrisons la machine automatique qui nous pourvoit en tickets et renseignons même d’autres personnes. Dès la gare d’arrivée nous bénéficions d’une très belle vue sur la citta alta. 
C’est un joli  petit quartier à l’image de la ville haute. Par un escalier, nous accédons en haut du château, royaume des amoureux et des fourmis volantes. La lumière est douce, la vue sans entrave sur les villages avoisinants.
 
Nous rentrons à pieds jusqu’à la maison aidés par le GPS,  en dédaignant les autres funiculaires, à travers des rues pavées de galets, heureusement bordées de plans lisses pour handicapés. C’est une descente plaisante vers la ville basse de 3,4 km soit trois quarts d’heure.
Arrêt dans le market indien en bas de chez nous, un lieu de RDV de blacks, qui ne peut nous fournir ni Spritz, produit inconnu, ni sauce tomate. Le patron appelle un Ivoirien à la rescousse comme traducteur, de plus en plus entreprenant et collant, suivi d’un Sénégalais. D. me sort d’affaire et discrètement nous rejoignons notre logis.
Ce soir : salades tomates/concombres, pâtes fraiches à l’huile d’olive/ail, après apéro bitter et biscuits indiens pimentés indiens.

mardi 3 décembre 2019

La revue dessinée # 26. Hiver 2019.

228 pages de BD concernant l’actualité avec des ho! et des bof !
Excellente idée que de choisir le traitement par Wikipédia de l’évènement « gilets jaunes ».
A travers le fonctionnement de la référence collaborative en matière d’information et les débats qui accompagnent une édition sur le web, sont mis en évidence la diversité des acteurs, la dynamique et les contradictions que le surgissement de ce mouvement a fait naître.
L’appréciation : «  tandis que des jets de pavés répondent aux tirs de flash-ball » aurait pu être complétée par « et vice-versa ».
Inattendu et nuancé, un reportage sur le rapport que les policiers et les gendarmes entretiennent avec leurs armes est intéressant.
 « Retour à Istambul » avec un hôte kurde est plus convenu : la répression est sans nuance, l’oppression s’aggrave.
L’apport des abeilles a déjà été documenté, porteraient-elles gilet jaune comme il est dit dans l’introduction ? Je croyais que c’était la guêpe dont la taille était en jaune et noir.
Un retour sur « # MeeToo » n’apprend pas grand-chose.
Le côté naïf du regard d’un novice dans le domaine sportif, cette fois-ci, la zumba, a déjà été exploité.
J’ai trouvé bien désinvolte le dessinateur, par ailleurs amusant, qui illustre la contestation de la formulation : «  association de malfaiteurs ».
A travers les changements de noms pour les villes se mesure le poids des habitudes : la dénomination « Grelibre » après la Révolution n’a pas duré pour effacer « noble » qui heurtait les oreilles et l’appellation Saint Petersburg après être passée par Petrograd, Léningrad, est revenue aux origines : c’est ce qu’on appelle aussi une révolution.
Dans une série concernant les lieux de pouvoir, « La maison de la chimie » occupe une position importante.
L’entrée dans le domaine de l’action sociale d’opérateurs privés à travers les CIS (Contrat à Impact Social) initié par un certain Benoit Hamon est instructive.  
Pour une fois, je connais un peu l’artiste, Björk,  présentée dans la série, « face B » : c’est qu’elle serait plutôt face A.
Mais les séquences retenues du film de Godard « La Chinoise » dispensent de regrets de ne l’avoir pas vu.
La description de la fuite en avant des stations de sport d’hiver montre bien la difficulté de combattre un réchauffement climatique tangible là haut pourtant depuis des années, quand tant d’emplois sont en jeu. Et la multiplication des canons à neige a beau être contre productive le profit immédiat commande. 

lundi 2 décembre 2019

Les misérables. Ladj Ly.

Je me joins à l’unanimité critique, qui pourtant me rendait méfiant, pour dire que j'ai vraiment apprécié ce film original.
Peu importe que des situations ne soient pas rigoureusement documentaires, le constat criant est vraiment éclairant sur des années d’évolution de la banlieue ; le film « La haine » a été tourné il y a déjà  24 ans.
La violence ne quitte pas l’écran depuis les premières images d’une liesse populaire explosive lors de la finale du mondial de 2018 jusqu’à l’apocalypse finale.
La hargne, la rage des plus jeunes, victimes et acteurs, est effrayante.
Les rapports des policiers entre eux sont durs, sous couvert d’humour viril, et bien entendu les mots qui s’échangent avec les jeunes sont agressifs ou ceux des adultes envers les enfants d’une brutalité qu’on ne sait plus voir. Quand un des flics revient chez lui et s’envoie une bière bien méritée, les querelles de ses filles pour être plus familières en arrivent à paraître insupportables.
L’intrigue palpitante permet une immersion passionnante dans un milieu dont on cause mais qui nous reste étranger.
Le titre était certes déjà pris, mais du haut de son Olympe, Hugo peut servir encore :
« Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes.
Il n'y a que de mauvais cultivateurs. »
Loin des simplifications qu’affectionnent tous les vautours qui survolent la question « banlieue », l’invitation à la réflexion n’est pas délivrée en des couleurs optimistes.
Que peuvent, les maires, les architectes, les profs, les policiers, les parents, la République, le cinéma ? 
   

dimanche 1 décembre 2019

Héritiers. Nasser Djemaï.

Nous avons retrouvé avec un plaisir augmenté de surprises, l’auteur bien de chez nous http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/vertiges-nasser-djemai.html
Il avait apporté sur un plateau, « Les invisibles », il y a huit ans déjà, et aurait pu continuer dans cette veine « documentaire », mais bien que le décor soit différent, il continue à fouiller du côté de la transmission, de l’héritage, de l’exil ou de l’assignation à résidence, de nos aveuglements, avec une façon de faire qui concerne chacun.
Une famille dans une grande maison au bord d’un lac évoque Tchekhov dont les dilemmes traversent les siècles et supportent les évolutions, d’autant plus qu’un glissement poétique est apporté avec cette création et amène à douter de la réalité ; celle-ci en est augmentée.  
Ces demeures envahies de racines coûtent cher. Déchirer les factures, fuir dans le rêve ne peuvent constituer des réponses. Entre temps se jouent de douces démences qui comportent chacune une part de raison : celle de la vieille mère qui fait partie des murs n’est pas plus délirante que celle de son fils qui ne cesse de se jouer un film ou celle de sa fille qui ne peut que gérer le chaos.
Les acteurs sont excellents entre le fils exubérant, la fille de bonne volonté et son mari raisonnable, la tante des bois et la mère prête à embarquer. Le gardien a une belle voix même si son monologue trop surligné « poétique » est le seul bémol que j’apporterai dans cet excellent spectacle de près de deux heures.

samedi 30 novembre 2019

La maison au bord de la nuit. Catherine Banner.

Les histoires de la famille Esposito (enfant trouvé, exposé) traversent le siècle depuis Castellamare une île au large de la Sicile. La lecture est aisée jusqu’à une conclusion que j’ai trouvée flamboyante après tant de destins variés traités sobrement, de personnages forts où l’immuable se frotte aux bouleversements apportés par la modernité.
«  Le petit avait perdu sa mère tout bébé et, sitôt qu’il avait su marcher, il s’était mis en devoir de sillonner Castellamare en long, en large en travers, pour y chasser le lézard, y distribuer des coups de bâton et dévaler les pentes les plus caillouteuses et les plus escarpées à califourchon sur son âne en plastique bleu à roulettes rouges. »  
Cet échantillon d’humanité affleure au dessus des forces telluriques, cerné par la mer qui à la fois isole et réunit ceux qui tiennent à l’essentiel d’une nature rêche et à ses habitants présents aux autres autant par les ragots que par la solidarité.
« Il suffit que le monde ait des ennuis pour que les gens s'intéressent de nouveau aux miracles. »   
La protection de San’Agata est indispensable à ces vies courageuses dont les capacités d’adaptation sont aussi remarquables que l’intégrité de ceux qui perpétuent les traditions.
Des contes introduisent chaque épisode et rappellent la puissance de la parole, de la littérature.
« Dans la poche intérieure de son uniforme, il conservait son carnet de cuir rouge. La fleur de lys dorée qui en ornait la couverture s'effaçait et le cuir s'élimait, mais les histoires lui prouvaient qu'il existait encore, ailleurs, une autre réalité que celle des tranchées. » 
Amedeo d’abord médecin va tenir un café «  Au bord de la nuit » au nom improbable, soulignant pourtant sa position centrale dans un récit ouvrant sur des réflexions existentielles toujours incarnées jamais surplombantes tout au long de 575 pages qui se dégustent comme un limoncello, avec délice.

vendredi 29 novembre 2019

Liberté.

Prendre le maître mot, essayer de le sortir de toutes les sauces auxquelles il a été mis, et le poser sur la paillasse du quotidien. Lui et ses acolytes sont des mots gros, ils sont en gras dans le texte.
« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. » Voltaire
D’abord essayer d’éloigner ses déclinaisons économiques où sous le libéralisme même éclairé au « néo » c’est bien l’éternel capitalisme qui sévit, allant jusqu’à son versant libéral en ses mœurs, sans tout de même en être réduit à rentrer dans la fabrication d’un cocktail Molotov libertaire.  
Prendre plutôt le mot  « liberté » quand il est brandi pour faire choisir bébé entre un petit pot de patate douce ou une pomme de terre nouvelle.
Dans ce cas domestique, toutes les options ne sont jamais présentées dans leur intégralité et les préférences sont induites. Cette façon de poser des questions dont on connaît la réponse créé des illusions et des désillusions qui annoncent une société de frustrés, d’enfants gâtés jamais rassasiés, jamais contents.
Le terme d’ « autonomie » quoique plus modeste se tient dans ce champ de la réalisation d’un individu léger et court vêtu. Mis à chaque ligne des intentions pédagogiques dès la maternelle, il a été tellement galvaudé qu’il est oublié au moment de l’entrée dans les études dites « supérieures » quand tant de « Tanguy » squattent chez maman. Et les revendications très précoces d’indépendance avec l’affiche sctochée à la porte de la chambre : « interdit à toute personne étrangère » tournent carrément au ridicule quand approche la trentaine. L’argent de poche est accepté ainsi que celui de l’état, mais l’ingratitude pourrait-elle avoir quelque pudeur de temps en temps ?
Le mot « autonome » m’était familier dans mes appréciations portées à propos de bambins en phase de grandir, il a migré vers les degrés qui mènent à la dépendance au moment où les souvenirs se ramassent comme ils peuvent.
« L'autonomie consiste à se donner à soi-même envers l'autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d'une autorité extérieure. » Antoine Spire
Sa rencontre avec le troisième terme de la triade républicaine était fatale quand s’éloigne l’indifférence et que la bonne distance est maintenue entre le « moi » et le « nous ».
 « Autonomie » se conjugue avec « mobilité » qui fut bien un des sujets qui tourna en rond autour des ronds points. Elle monte dans l’automobile. Sous la fumée de son pot d’échappement qui promettait des échappées belles dans les années soixante, la voiture qui rencontre bien des obstacles dans la ville n’est plus nécessaire aux trottineurs; ils ont l’avion.
Pris de tournis, les mots circulent comme ils veulent, en tempête sur les réseaux, ils appellent à la censure des autres. Les enfants de la toute puissance devenus grands s’érigent en juges impitoyables  tout en se maquillant de bienveillance dans d’autres circonstances. Les atteintes à la liberté de parole dans les Universités françaises n’a pas soulevé les foules à l’indignation pourtant toujours disponible. Ainsi le terme «  présumé » qui accompagnait un inculpé avec d’ailleurs des prudences ridicules qui faisait ainsi qualifier un meurtrier pris le couteau à la main, est tombé en désuétude, quand  le tribunal médiatique a pré-jugé avant les magistrats.
« Pour être libre, il fallait d'abord présumer qu'on l'était ». Salman Rushdie
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Le dessin de garde provient d’un journal Iranien Kianoush pour illustrer un article de « Courrier International » consacré à Hong Kong.