jeudi 28 novembre 2019

Artemisia. Jean Seroy.

Pour le cycle de conférence « Les peintres au cinéma » débutant ce lundi, le film présenté devant les amis du musée a précédé l’analyse.
Il s’agissait du film d’Agnès Merlet de 1997 consacré à Artemisia Gentileschi, intitulé  simplement « Artemisia », la première femme à avoir signé ainsi ses toiles au temps du Caravage.
La réalisatrice avait suivi l’école des beaux arts à Orléans, elle était bien placée pour faire s’exprimer un art au moyen d’un autre art.  Mais la tâche n’est pas toujours aisée, ainsi entre peinture et littérature, à voir les précautions prises par les peintres pour évoquer le seul livre, la Bible, pouvant vite classer l’auteur dans une confrérie selon qu’était choisi le nouveau ou l’ancien testament.
Cette coproduction internationale avec Michel Serrault dans le rôle d’Orazio Gentileschi,Valentina Cervi petite fille de celui qui fut Peppone auprès de Don Camillo et le serbe Miki Manoljovik dans le rôle d’ Agostino Tassi, son maître, avait coûté cher comme tous les films d’époque, mais ne rencontra pas son public.
Pourtant ce moment intense d’une vie, loin d’un biopic, où la liberté se cherche, a des résonances bougrement contemporaines : le peintre Agostino Tassi est accusé de viol sur la jeune Artémisia. Au début du XVII° siècle, la notion de viol était surtout liée à la défloration qui mettait en jeu l’honneur de la famille, mais les ambigüités autour de cet acte perdurent, quand d’autres intérêts entrent également dans les appréciations d’une justice qui avait alors les moyens de vous faire parler. 
Tassi qui travaillait avec Orazio Gentileschi va parfaire la formation de la jeune fille dans le domaine de la perspective, mais le libertin l’entrainera dans une liaison passionnée. Elle se mariera avec un autre le lendemain du procès intenté par son père qui fut un évènement bien documenté mais dont le verdict reste flou.
De Florence, la patrie de son mari, elle revient à Rome et passe à Naples l’essentiel de sa carrière après être allée à la cour de Londres où elle retrouve son père dix ans après.  
« Suzanne et les vieillards »
Ce récit de l’apprentissage d’une femme, devenue un symbole féministe, face aux hommes, constitue aussi une réflexion sur le regard dès le générique où une bougie se reflète dans un œil.  
En cette époque baroque, Artemisia regarde son corps dans un miroir, « Danaé » et le corps des hommes qu’on lui cache, Tassi peint dehors derrière des cadres qui découpent les paysages  comme les barreaux d’un pensionnat religieux dont le père l’a exfiltrée ou ceux de la prison de son amant .
« Judith et Holopherne » est un autoportrait et le portrait de son violeur. La jeune juive qui mettait fin à la vie d’un prince Assyrien n’accomplit pas une mission comme chez Le Caravage, c’est un évènement générateur pour elle. Le sang de la décapitation coule comme celui de la défloration ou celui de la torture qu’elle a subi et que Tassi fait cesser en avouant sa faute, préservant les mains de son amante.
 
De Cranach à Klimt, le sujet qui ne figure que dans les livres deutérocanoniques (apocryphes pour les protestants et les juifs) fut très traité.
Orazio Gentileschi. "Judith sa servante et le  tête d'Olopherne"
La symbolique de la chasteté triomphant de la luxure a pu apparaître aussi comme
« l’Église catholique romaine qui décapite l’hérésie luthérienne représentée par Holopherne ».
L’icône féministe a peint des princes d’Italie et d’Europe et d’autres figures féminines fortes, « Cléopâtre » ou « Betsabée ».

mercredi 27 novembre 2019

Lacs italiens 2019. # 2. Bergame ville haute

Le ciel bleu d’hier a disparu : grisaille mais temps doux. Réveil et petit déjeuner en douceur. Nous partons à pied le long de la viale Giovanni XXIII  qui devient viale Roma puis viale Vittorio Emmanuele II, grande artère fréquentée même ce dimanche matin. Belles demeures, banques cossues installées dans des immeubles historiques. Une course autour de la ville basse se prépare ; des tentes blanches de l’autre côté de la Place de la liberté illustrée par une statue avec un pendu par les pieds, abrite des stands dont un pour nourrir et abreuver les chiens, l’autre pour promouvoir le rotary club ...
Nous trouvons facilement la stazione  du funiculare et nous nous mettons dans la file d’attente bien fournie.
Nous commençons par nous promener dans le parc près du musée de la Rocca, parc du souvenir  recueillant des monuments à la gloire  des soldats italiens  morts dans l’aéronautique, dans la marine ou  à la gloire  des  déportés ou encore de la Croix Rouge. A l’entrée un panneau alerte sur la présence du moustique tigre. 
Première belle vue sur les toits avec des cheminées originales qui ravissent D. et une belle unité de tuiles.
Nous arpentons ensuite les rues, de préférence désertes, étroites, pleines de jolies surprises  et débouchons sur la piazza Vecchia, investie en ce moment par un festival Landscape avec  des groupes de  pots de fleurs d’herbes pourtant courantes mais prenant un autre aspect dans ce contexte et des arbustes sans pots dont les racines cachées dans la terre recouverte de copeaux forment une boule maintenue par un grillage.
Sous les arcades, une installation de fauteuils, transats et relax posés sur un faux gazon invite le passant à un temps de pause agréable.
La place est magnifique, car  elle camouffle  aussi la piazza del Duomo que nous découvrons mieux en grimpant sur une loggia accessible par un escalier dont chacune des  marches reçoit un grand globe lumineux sur le côté gauche. Outre la vue sur les 2 places (Vecchia et Duomo), la loggia propose un accès à une exposition sur le bois  et son travail : artisanat d’objets en bois comme des sacs à main, marionnettes, bicyclette, œufs ….
Nous approchons de Santa Maria Maggiore. Nous  admirons la  superbe façade, où les couleurs rose/ blanc ou noirs/blancs alternent.  Deux lions en pierre rouge sous le porche supportent 2 colonnes. A l’intérieur, l’office, bien qu’il soit plus de midi comme l’ont annoncé les cloches à toute volée, n’est pas terminé et nous  empêche de déambuler dans le splendide décor que nous entrapercevons. 
Pause repas en attendant en terrasse sous les parasols blancs en compagnie de moineaux effrontés : bruschetta ou pizza, tiramisu ou tarte au chocolat, bière et déca.

mardi 26 novembre 2019

Le chalet bleu. Servais.

La petite fille s’appelle Alice, elle se réfugie dans la vallée des loups après avoir lu un livre caché par les parents. Les références ne manquent pas, à moins que ce soient des stéréotypes. C’est une maison bleue, sans empreinte carbone.
Les dessins sont agréables pour magnifier la nature, mais pourquoi user d’une mystique de pacotille comme dans le texte qui suit les 72 pages quand est invoqué le « Grand Tout »? La « walking therapie » ne s’appellerait-elle pas la marche ?
Les contes invoqués, l’atmosphère onirique et pourtant lumineuse suffisent pourtant à rendre la lecture plaisante. Et à travers les saisons de la vie ce récit d’initiation ne manque pas de profondeur.
Le dessinateur est devenu grand-père, et son intention de transmettre se heurte à mon sens à la profusion de son apport : utopie d’un monde où bêtes et gens vivent en harmonie, critique de notre civilisation ou la lenteur et le silence ont fui, les petits garçons sont des balourds et les légendes nécessaires livrées avec explication de leur sens profond. Licornes et lutins sont chez eux … l’amour est fort et pur, la mort inévitable.
« L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même ». Elisée Reclus

lundi 25 novembre 2019

J’ai perdu mon corps. Jérémy Clapin.

Ne pas trop dire des péripéties du scénario, ne pas « divulgacher », tant un des charmes de ce film d’animation vient des surprises qu’il nous réserve.
Une main à la recherche de son corps : je craignais le « gore » pas du tout ! La poésie, la fantaisie sont au rendez-vous.
Si loin d’une fable intemporelle, le parcours périlleux de la main ouvre des perspectives originales. Les rapports entre un jeune homme et une jeune fille sont très contemporains, entre désinvolture et exigence.
Le propos qui tourne autour de l’accession à l’âge adulte passe par une douce recherche qui vise à échapper à son destin. Les rappeuses musiques additionnelles mettent un peu de peps à un tapis musical quelque peu sirupeux. Le graphisme est original proche des japonais avec de surcroit une patine du passé et de la buée, sans aller vers le tape à l’œil Pixar qui émerveille mais retient plus par l’éblouissement de la forme que par l’émotion naissant par exemple dans un hall d'immeuble impersonnel au seul son d’une voix à l’interphone, un soir de pluie, quand le livreur de pizza est en retard. 

dimanche 24 novembre 2019

Un instant. D’après Marcel Proust. Jean Bellorini.

J’ai le souvenir dans le Off d’Avignon de la mention « d’après… un auteur prestigieux » qui  avait le don d’attirer l’attention parmi des sollicitations nombreuses mais s’avérait parfois décevante.
Cette fois à la MC 2, dans la grande salle qui se prête plutôt aux mises en scènes spectaculaires, j’ai été ému et trouvé pleinement réussie cette approche d’un géant de la littérature dont la précision va au cœur de notre intimité.
Les souvenirs d’une grand-mère vietnamienne prennent une dimension universelle quand ils s’entrecroisent avec les mots attentifs de Marcel P. Le morceau qui aurait pu être de « bravoure » concernant la madeleine est habilement contourné : après avoir englouti « un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint- Jacques » l’acteur se sent des envies d’écrire.
Mais il sera plutôt question d’un porc au caramel  dont les saveurs permettent de se rappeler : 
« … quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
Pendant une heure trois quarts nous pouvons déguster les mots qui expriment l’intensité de vivre, et une ardente « présence au monde » à travers le rappel de la vibration d’un instant passé. Nous prenons le droit d’aller faire un tour vers les territoires de nos mémoires et de cet amour absolu, tyrannique accompagnant souvent l’enfance, qui avec la mort omniprésente pourraient se mettre en triptyque pour composer un titre Lelouchien : la mémoire, l’amour, la mort.
Ce serait to mutch, mais ces absolus vont bien à l’essentiel de nos vies, non ?
Des chaises encombrent la scène, grenier de la mémoire, surplombée par une pièce silencieuse d’où les mots proviennent. A défaut de faire revivre la grand-mère et la mère tant aimées, la subtilité des longues phrases nous aide cent ans après à mieux vivre avec nos fantômes, avec nous mêmes.
« … depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n’ont jamais cessé ; et c’est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir. »

samedi 23 novembre 2019

Dispersez-vous, ralliez-vous ! Philippe Djian.

Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !
Le titre est tiré du poème « Les corbeaux » de Rimbaud et ne trompe pas sur les contrastes décrits tout au long du livre paru en 2016 avec la façade lumineuse à la Hopper en couverture pour annoncer les solitudes.
La narratrice est une fille qui devient femme, elle est tout à fait comme dit la quatrième de couverture : « une introvertie » chez les indifférents.
Avec son frère : « Nous n’avions jamais pu établir de vrais rapports, lui et moi, si ce n’était à travers la violence, le ressentiment, l’incompréhension, de sorte que nous n’avions rien de particulier à nous dire, pas de nouvelles à prendre, pas de plaisir particulier à nous voir »
Nous sommes dans le siècle: réchauffement climatique et pizzas à commander et dans le milieu habituel de la littérature française : cinéma, Martini-Gin, coke et petites culottes qui volent.
On a tellement dit que l’écriture de Djian était « rock », maintenant que les porteurs de santiags sont en EHPAD, la distinction n’épate plus guère, mais elle me convient :
«  Souvent, lorsque j‘avais quelque chose d’important à dire, les mots ne venaient pas, ils restaient bloqués dans ma gorge comme des cotons-tiges enchevêtrés dans un siphon. »
Et me surprend :
« J’ai traversé quelques pièces jonchées de cartons avant de tomber sur lui. Les cartons étaient vides et lui-même ne semblait pas en très grande forme - disons vide, lui aussi. »
A la page 216, une dernière phrase sèche qui dit bien une société d’individus desséchés quoiqu’imbibés.  
«  Tu es toujours là, j’ai demandé.
Il avait raccroché. » 

vendredi 22 novembre 2019

Progressisme et conservatisme : moteurs de notre vie collective ?

Le débat animé par Raphaël Bourgois (France Culture) organisé par La Villa Gillet à Lyon dans le cadre de ces journées « (re)faire société mode d’emploi » était tentant, puisque dans l’intitulé, la société est envisagée comme un lieu de contradictions fécondes.
Mais malgré une table séduisante avec Pascal Ory historien,
Agathe Cagé une ancienne du cabinet de Najat Valaud-Belkacem,
et Alexandre Delvecchio du Figarovox,
la salle n’était pas comble, bien que les lycéens de l’établissement des Chartreux qui recevaient ces intellectuels, aient pu faire diminuer la moyenne d’âge des spectateurs présents.
Pas de quoi être très optimistes pour l’avenir quand pourraient se prévoir des systèmes de plus en plus contraignants appelés par l’urgence climatique absolue.
Les mouvements écologistes qui ne se confondent plus forcément avec une nouvelle gauche permettraient de dépasser le clivage, progressistes/ conservateurs, droite/gauche ou gens de quelque part/gens de nulle part mais n’ont que de  bien improbables chances de remporter la mère des batailles et devenir père de la nation, dans l’efficace système institutionnel français.
L’historien replace la confrontation droite / gauche dans la spécificité de la révolution française, atypique, puisqu’elle ne s’adossait pas à la religion, en l’occurrence : la réformée.
Le terme « populisme » pointe inévitablement son groin aussi bien par son emprise mondiale que dans la profondeur historique : le boulangisme fut une invention française où sous un vocabulaire gauchiste, la droite radicale visait le pouvoir.
Si pour Agathe Cagé, l’opposition progressiste /conservateur semble n’être qu’une proposition électorale,  le progrès est-il le « Bien » quand  l’intelligence artificielle rendra les profs inutiles ? Cependant cette division simpliste issue d’un marketing politique n’a pas joué seulement lors de la dernière élection présidentielle. A mon sens, le manichéisme a fait plus de tort que l’analyse de Terra Nova qu’elle voit comme déterminante dans l’abandon de la classe ouvrière par la gauche. J’ai divorcé d’avec Libération quand la moindre critique envers la ministre de l’Education de Hollande vous renvoyait du côté de l’extrême droite.
C’est le rédacteur du Figaro qui parle des gilets jaunes, décrit la dépossession économique, culturelle et démocratique, la démocratie représentative paralysée, et cite Gramsci:
«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres».
Celle qui fut aussi directrice de campagne de Benoît Hamon reconnaît le calme plat dans les productions intellectuelles à l’exception du  think tank libéral, l'Institut Montaigne.
Est-ce que le discrédit de la gauche se repère après la défaite de 2008 ou remonte à la rigueur de 83 et au double langage en vigueur alors ? Au-delà des interprétations des pourcentages concernant la faible progression des écologistes aux européennes malgré la mobilisation médiatique ou bien savoir s'il faut additionner les abstentions au vote RN pour estimer l’importance d’un bloc populaire à 60%, personne ne remet en cause la légitimité des votes. Ce réconfort momentané n’atténue pas mon désarroi persistant lorsque sur les réseaux sociaux s’excitent les putschistes en herbe.
Certes les gouvernements ne font que courir derrière les conséquences du réchauffement climatique, mais les mouvements écologiques  pencheront-ils vers un libéralisme green washé ou loin du libre échange s’ancreront-ils dans l’égologie ?
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Le dessin en tête d'article vient du "Soleil" journal québécois via "Courrier International".