Avant de mettre en place une exposition Toulouse Lautrec à
Martigny, le conférencier qui va poursuivre sa carrière au Canada, intervenait
pour la dernière fois devant les amis du musée de Grenoble. Ce deuxième exposé
autour de Montmartre de 1875 à 1905 intitulé « Paris trottine » va
traiter de « la rue qui flirte, qui
rit, qui pleure, qui gronde ».
La rue, lieu de
commémoration.
Paris effondré, éventré, vingt ans après 1870, porte encore les
stigmates de l’empire mis à bas et de la Commune écrasée, dont on ne sait
toujours pas le nombre exact de morts. Exposé au musée d’art et d’histoire de
Saint Denis,
« Plaisanteries devant le
cadavre d’un communard » d’un anonyme, réunit, prêtre, bourgeois
et élégants devant le « partageux » gisant parmi les ruines.
L’exposition universelle de1878 et la multiplication des
statues dédiées aux grands hommes qui ont fait la France doivent célébrer la
renaissance du pays.
Le 30 juin est consacré à « la paix et au
travail » et vise à conforter le régime républicain encore fragile. « La rue Montorgueil » de Monet, célèbre cette
journée et non pas le 14 juillet qui deviendra fête nationale en 1880,
comme en
témoigne Alfred
Roll : « Le 14 juillet 1880, inauguration du
monument à la République »
Sur
« La Place Clichy » par
Edmond Grandjean,
le monument du maréchal de Moncey qui a résisté aux cosaques vient d’être érigé
à l’emplacement
d’une ancienne barrière
des fermiers généraux.
La rue, lieu de
festivités.
Des fêtes foraines décorées par des artistes s’implantent
provisoirement où s’élevaient les
enceintes de la capitale désormais arasées.
Signac faisait partie du groupe
du « Petit Boulevard », il peint : « Le boulevard de Clichy, la neige »
Paul Chocarne-Moreau multiplie
les scénettes
comme celle « Des
bons amis ».
La rue,
lieu d’investissement artistique.
Pour la publicité des affiches Verneau, « La Rue », où sont
réunies quelques « trottins », la lithographie de Steinlen
est composée de 6 lés tant la dimension est importante ( 2,38 m X 3,04 m). La fragilité des
supports a amené des transpositions en carreaux de céramique, la rue devenant
alors un musée en plein air.
La rue, lieu de
transgression.
La
« Mascarade descendant les
Champs-Elysées » de
Georges-Antoine
Rochegrosse,
regroupe
vivement et poétiquement des représentations de courants artistiques divers.
La rue, lieu de
revendications.
« La grève au Creusot » des ouvriers de Schneider est
la plus célèbre des toiles de Jules Adler, le peintre des humbles. Aristide
Bruant chantait à cette époque:
« Pour gouverner,
il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre »
La rue, lieu de
désirs, de regards, de transactions (illicites).
Toulouse Lautrec fréquente les maisons closes au moment de
leur déclin, mais ses représentations ne sont jamais avilissantes.
« Le
spectateur n’est pas un voyeur, mais un témoin ». « Au salon de la rue des moulins » l’attente est
ennuyeuse.
Jean-Louis Forain est plus direct : « Le client » fait son
marché. Degas dit de ce concurrent qu’ « il peint la main dans la
poche » pour signifier qu’il emprunte volontiers aux autres.
L’exode rural a jeté sur le pavé bien des
« grisettes » travaillant dans la mode et se prostituant
occasionnellement. « Prostituer » signifie au
départ « mettre en avant, exposer
au public » avant de tourner au péjoratif : « avilir ». Les
artistes ont rencontré fatalement ce monde dont ils reflètent quelques
facettes :
De « Madame
Valtesse de la Bigne », aux airs printaniers, une grande
horizontale, peinte par Henri Gervex qui aurait inspiré la Nana de Zola
à
« La cocotte » de
Van Dongen
qui disait pourtant
« la femme est
le plus beau des paysages », on ne peut plus morbide.
Quand Félicien Rops y va carrément : «
À vendre »
la « Femme aux Champs-Élysées la
nuit » de Louis Anquetin, apparaissait quand s’allumaient
les becs de gaz, on disait « Belle de nuit ».