Le vrai titre de la conférence devant les amis du musée de
Grenoble était :
« Le mythe de
l’Italie : l’Académie de France à Rome ».
L’institution dont la devise affirme « libertas artibus
restituta » s’est installée dans la capitale des arts au début
du règne de Louis XIV dans le pays où les académies de Florence, Bologne et
Rome existaient depuis le XVI° siècle.
Les déménagements ont été nombreux : d’abord sur la colline
du Janicule, au palais Cafarelli, Caprina puis Mancini. Après une interruption due
à la révolution, en 1803, sous Bonaparte, la résidence des jeunes artistes est
établie sur la colline du Pincio à côté de l'église française de la Trinité-des-Monts dans le palais Médicis.
La situation panoramique, au moment
de son achat par l’état français, est bien rendue par ce dessin d’ Henri-Roland-Lancelot Turpin de Crissé envisagé du côté pourtant austère de la façade.
Le système académique créé par Louis XIII ne doit pas
fournir seulement une formation technique mais aussi intellectuelle. Depuis les
maîtrises datant du moyen âge, cette nouvelle façon d’enseigner apparaît comme
une libération pour les artistes, que l’état utilise cependant bien vite à son
service. Les meilleurs espoirs
termineront leur formation parmi les exemples antiques pour former une élite au
service de la monarchie.
Colbert et le
premier peintre du roi Louis XIV, Charles Lebrun en furent les maîtres d’œuvre.
C’est depuis cette époque, avec la part de théorie ajoutée,
que se distinguent les arts majeurs et mineurs, les artistes et les artisans,
les sculpteurs et les ébénistes.
Avec
« Jeroboam sacrifiant aux idoles », Fragonard a remporté le Grand prix de Peinture
de l'Académie royale et peut s’installer à Rome.
Devant le Veau d’or, la main du roi d’Israël se dessèche
alors qu’il désigne un prophète invoquant Dieu. Le fond
d’architecture est superbe, tous les regards convergent vers les protagonistes
principaux. Cette peinture d’histoire n’annonce guère les
charmantes frivolités consolantes à venir du peintre baroque mais le thème
imposé doit permettre d’évaluer la culture de l’artiste pour satisfaire aux commandes
de l’église et des princes. Le directeur d’alors, Natoire, va pourtant lui
permettre de trouver sa place.
Il effectue alors « L'Enjeu perdu ou Le Baiser
gagné » une commande privée non autorisée mais volontiers pratiquée par les sociétaires.
Le vigoureux « Portrait
de l’abbé de Saint-Non » aux vives couleurs, « exécuté en une heure » comme mentionné à l’arrière du
tableau, est celui de son ami, son mécène.
Ingres peint « François Marius Granet » avec le palais du Quirinal en fond, depuis le toit de son
atelier de la villa Médicis.
Ce bâtiment construit en 1544 à l’emplacement des jardins de
Lucullus a été acheté par « Ferdinand de Médicis » alors
cardinal, devenu plus tard duc de Toscane, qui le fait réaménager pour abriter
une vaste collection d'œuvres d'art, implantant sur sept hectares des jardins
qui vont connaître prochainement une réhabilitation.
Les fresques initiales de Jacopo Zucchi se voient dans « Un atelier à la villa Médicis » d’ Eugène Lacroix.
Et plus encore dans le « studiolo » ouvert aux visiteurs
où foisonnent oiseaux, grotesques, végétaux…
Ce lieu prestigieux où les artistes prennent leur essor est
une vitrine de la France.
« Pédro II, empereur du Brésil, visite les ateliers ».
Murielle Mayette Holtz qui a connu avec la Comédie française d’autres
paniers de crabes, en est présentement la directrice, venant après Eric De
Chassey très apprécié et le furtif Frédéric Mitterrand. Balthus qui rénova les
murs avec un enduit qui porte son nom fut aussi critiqué.
Horace Vernet installa dans ces murs, à sa
fantaisie, une « Chambre turque ».
Côté jardin, l’élégante façade fut ornée de bas-reliefs
antiques dont la plupart des originaux ont été remplacés par des copies.
Les plafonds à caissons de « L’appartement du Cardinal » ont subsisté alors que des
incendies et l’eau pour les éteindre en ont détruit bien d’autres.
La « Vue du jardin de la Villa Médicis à
Rome » par Velasquez représentant une serlienne, ensemble
de trois baies, est remarquable par une manière qui annonce Corot bien avant
Corot.
Au fond du jardin le « Carré des Niobides », fontaine
sans eau, dont les acanthes vont bien aux moulages d’antiques représentant les
enfants de Niobée atteints par les flèches d’Apollon et Artemis, car l’imprudente
s’était vantée d’être plus féconde que Léto, une des maîtresses de Zeus.
Sur l’esplanade, « La vasque » de Corot
, qui comporterait en son centre, d’après la légende, un boulet de canon envoyé par la fantaisiste Christine
de Suède depuis le château Saint-Ange afin de réveiller le cardinal Carlo de
Médicis pour l’inviter à une partie de chasse.
« Ici, on a le
luxe du temps, la magie du lieu, mais, dès qu'on quitte la villa, la réalité
vous saute à la figure. »
Ainsi s’exprime une privilégiée d’aujourd’hui qui ne peut
passer guère plus que six mois là bas contre trois ou quatre ans jadis.
On s’amusait bien du temps où le « Char des artistes de l'Académie de France »
s’affichait au Carnaval de la ville
éternelle quand les bagarres sur la place d’Espagne en contrebas étaient plaisantes.
Quelques dignes fantômes hantent cette prison dorée: Berlioz, Gounod,
Charpentier, Debussy.
C’est que les
pensionnaires n'appartiennent plus seulement à la peinture, à l’architecture, à
la gravure sur pierres fines, mais à l’histoire de d’art, au cinéma, à la
littérature, à la cuisine… Ils sont recrutés sur dossier et non plus sur
concours, sous la houlette du ministère et non plus de l’Académie des beaux
arts. Le prix de Rome ayant disparu depuis 68, fut remplacé par le mal nommé
« nouveau prix de Rome» en 2014, en réalité un parrain de promo. Mais les jeunes
talents en vidéo ou design, peuvent toujours
apprécier aux frais de la princesse républicaine, le « Mercure » de Jean de Bologne
dont un pied repose sur un souffle de vent. Une clause les oblige à mentionner
dans leur C.V. leur passage à l’Académie de France à Rome.
« O tempora, o mores » «
Quelle époque ! Quelles mœurs ! »