Je ne pensais pas que la rencontre entre le trait
charbonneux
d’un maître du dessin et la
verve du titulaire de la médaille Fields soit aussi fructueuse : eh bien
c’est une réussite, sur des sujets ardus pas tous résolus à l’issue des 190
pages, mais révélant des personnalités inconnues passionnantes.
Nous pouvons essayer de suivre, pendant la seconde guerre
mondiale, les recherches de Werner
Heisenberg autour de l’atome et nous comprenons ses doutes avec le principe
d'incertitude au cœur des relations entre scientifiques et pouvoirs politiques.
« Un scientifique, ça fonctionne un peu comme
une artiste, ou un poète. L’imagination, c’est l’outil indispensable pour créer
l’impossible. »
D’autres trajectoires sont décrites : celle d’un des
pères de l’informatique qui a décrypté
le code Allemand Enigma, Alan Turing.
Leo Szilard, qui
a eu l’intuition de la réaction en chaîne et installa le principe de
précaution, pouvait rire de la prophétie d’un autre savant parlant de l’énergie nucléaire: «C’est une énergie minuscule.Quiconque
croit pouvoir l’exploiter est un rêveur lunaire »d’où le titre.
Ces génies étaient modestes, fantaisistes, cherchant au-delà
de leur discipline, souvent en conflit avec l’administration, avec des
capacités impressionnantes pour anticiper.
Hugh Dowding, le
militaire qui contribua à la victoire de la bataille d’Angleterre était tout
aussi autonome :
« La rigueur est mère
de liberté. »
D’où découlaient quelques principes féconds :
« - Voir les
choses sans fard
- Ne pas sous-estimer l’adversaire
- Rien de bon ne se construit sur la peur
- Prendre vite des décisions difficiles
- Ne pas croire aux idées reçues
- Faire confiance et le montrer »
Une documentation riche, partagée agréablement met en
lumière le rôle déterminant des chercheurs, révèle des aspects méconnus et
réactive des questions fondamentales à l’heure où la notion de progrès n’est
plus évidente, quand des politiques à courte vue risquent de favoriser l’émergence
de forces obscurantistes qui avaient alors été repoussées.
Avec à l’intérieur une histoire juive :
Ce sont deux enfants
juifs, Leo et Ede. Ils se disputent, c’est violent. Ils demandent à voir le
rabbin pour régler leur différend. Le rabbin est en train de dîner avec sa
femme, mais il accepte de les recevoir.
- Je veux bien
entendre ce qui vous oppose. Commençons par toi, Leo.
- Rabbin, nous avons
construit cette bombe atomique dans notre jardin. Elle sera bien utile pour
intimider nos ennemis. Mais elle peut aussi faire de gros dégâts, et nous ne
parvenons pas à nous mettre d’accord sur son utilisation. Rabbin, c’est nous
qui avons construit cette bombe, nous en avons donc la responsabilité, et en
outre, nous connaissons son fonctionnement mieux que personne. Il est donc
logique que nous puissions nous-mêmes décider de son usage.
Le rabbin :- Tu
as raison, bien sûr. Que voulais-tu dire, Ede ?
- Rabbin, si nous
avons construit cette bombe, c’est avant tout pour l’amour de la curiosité et
non pour être utile. Nous ne sommes pas plus doués que les autres membres de la
famille pour les affaires sociales, peut-être moins ; son pouvoir affecte tout
le monde, et c’est donc au chef de famille de décider ce que l’on en fera ;
nous n’avons pas voix au chapitre.
Le rabbin : –
C’est clair, tu as raison.
La femme du
rabbin :
- Mais ils défendent des points de vue
contraires, tu ne peux pas dire au premier qu’il a raison et au second qu’il a
raison !
Le rabbin marque une
pause... Il réfléchit, tout le monde attend son verdict... Et il répond à sa
femme.
– Toi aussi, tu as
raison.