jeudi 21 avril 2016

Saint Grégoire. Valérie Lagier.

La Conservatrice du musée de Grenoble est venue présenter l’œuvre de Rubens aux amis du musée : « Saint Grégoire pape, entouré de saints et de saintes, vénérant l’image miraculeuse de la vierge à l’enfant, dite de Santa Maria in Vallicella ».
Pour contenir tant d’intentions, il faut bien toute la surface monumentale de la toile 
de 4,77 m sur 2,88 m autour de laquelle se construira le musée de la place de Verdun ; une telle taille sera également prise en compte dans le bâtiment de la place de Lavalette.
Alors que Le Caravage aurait pu prétendre honorer la commande des Oratoriens en janvier 1606, c’est Rubens resté en Italie pendant 8 ans et connaissant bien le trésorier du pape, qui emporte le marché pour 300 ducats.
Destiné au maître-autel de la Chiesa Nuova de Rome, cet exemplaire ne reste pas accroché longtemps. Est-ce un refus des commanditaires car le saint ressemblerait trop à Philippe Néri pas encore « en odeur de sainteté », ou le véto de Rubens mécontent de la lumière inondant le tableau, atténuant les effets des étoffes somptueuses ? Rubens louait lui-même : «  la qualité exquise du coloris, la finesse des têtes et des étoffes reproduites d’après nature »
De nombreuses ébauches ont été proposées précédant l’œuvre gigantesque : quelques putti ont disparu ainsi que les palmes autour de Domitille dont le visage désormais proche de « Lucretia » de Véronèse, a été modifié.
Un cahier des charges précis demandait de mettre en évidence La Vierge figurant déjà là sur une fresque miraculeuse qui saignait depuis qu’elle avait été frappée par un hérétique. Celle-ci réapparait les jours de fête derrière le médaillon à clapet en cuivre dans la partie supérieure du tableau que Rubens a peint sur ardoise pour remplacer la toile prévue. Synthétisant deux images miraculeuses parmi tous ces putti, elle repoussait la peste dans une scène «  qui illustre parfaitement l'esprit de la Contre-réforme triomphante ».
La conférencière ne détaillera pas l’esthétique des diagonales, des courbes et contre-courbes annonçant le style baroque, avec ses escaliers au premier plan invitant à entrer dans le paysage dont l’architecture « symbolise la fin des croyances païennes au profit de la religion chrétienne victorieuse ».
 Grégoire Ier, Grégoire le Grand, pape de la fin du VI° siècle est surmonté de la colombe d’inspiration divine mais ne porte pas la tiare habituelle révélée par des radiographies récentes.
Il est entouré de Saint Maurice, en militaire romain ayant refusé de persécuter les chrétiens associé à Saint Papien. Sa silhouette est inspirée du Corrège parmi d’autres influences vénitiennes.
Sainte Domitille qui leur fait face est présentée comme un exemple de mépris des richesses du monde, pas vraiment édifiante cette fois dans cette robe luxueuse, avec sa coiffure très XVII° flamand. Ses complices Saint Achille et Saint Nérée, eux aussi enrôlés dans l’armée romaine, finirent martyrs. Parmi les nombreuses retouches, ses bras et son épaule ont été découverts après la présentation du tableau aux moines.
Pierre Paul Rubens est vraiment européen : né en Allemagne où sa famille calviniste avait fui, il parle l’espagnol, le flamand, l’italien, l’espagnol, le latin, le français ; redevenu catholique il joue un rôle diplomatique éminent.  Il a travaillé pour Marie de Médicis, Philippe IV d’Espagne, Charles 1er d’Angleterre. Installé à Anvers, son grand atelier qui a produit 1400 œuvres avait besoin de nombreux collaborateurs dont Van Dyck, Snijders ou Jordaens…
Après avoir essayé de laisser ce tableau à son mécène Vincent De Gonzague duc de Mantoue, il va le rapatrier à Anvers pour la chapelle funéraire consacrée à sa mère qui venait de décéder et que rejoindra sa première femme : c’est que cette peinture lui tient à cœur.
Elle y reste jusqu'au XVIII° siècle quand les armées révolutionnaires amènent le tableau en France. L'œuvre volée découpée en plusieurs morceaux puis reconstituée, rejoindra le Dauphiné en chariot en 1811 avec Champaigne et Véronèse.
Au bout de ces transports de multiples restaurations et rentoilages ont été nécessaires. Depuis 1935, dans son cadre flashy, marque du musée grenoblois, elle n’a pas repris la route, même pour un prêt.

mercredi 20 avril 2016

Le roi est mort !

Fabrice Conan, devant les amis du musée de Grenoble, bouclait un cycle de trois conférences consacrées aux portraits « La passion du paraître, de vie à trépas » au moment où dans la cathédrale Notre Dame toute proche, un hommage était rendu à Serge Kampf, mécène du rugby et patron de Capgemini.  
En écho à la présentation au château de Versailles des rituels funéraires pour le tricentenaire de la mort de Louis XIV, il s’agissait de saisir quelles furent les images destinées à être gravées pour l’éternité.
Deux obélisques en bois peint imitant les marbres, plaqués de crânes en papier mâché, inspirées par l’Italie, figuraient à l’entrée de  cette exposition, elles auraient pu être édifiées par les ateliers des Menus plaisirs d’alors qui confectionnaient habituellement les décors des opéras et des ballets pour la cour. L’apparat, les symboles ont repris vigueur au XVII° siècle, à l’époque du baroque où le grand bonheur est à la mesure des grandes tristesses.
Jusqu’au dernier moment le roi atteint de la goutte, conduisit son chariot, ainsi lors d’une « Promenade dans les jardins du Trianon » le 11 août 1815.
Il a alors 77 ans, un âge allant bien au-delà de la moyenne du commun des mortels, mais pas si exceptionnel parmi les privilégiés.
Son « Portrait en cire » que réalisa Antoine Benoist dix ans auparavant, laisse deviner un corps résistant aux assauts des médecins mais pas à celui des dentistes qui ont creusé des trous dans le royal palais à l’hygiène dentaire compromise par l’abus de meringues.
Son testament, dont la rédaction a été encouragée par madame de Maintenon, ne sera pas plus respecté que celui de son père Louis XIII, cassé par le parlement.
Parmi ses dernières apparitions : « Le roi reçoit l'ambassadeur de Perse », un imposteur, en  présence de l’arrière petit fils qui apprend le métier.
Lorsque Louis XIV invite sur son lit de mort, le dernier espoir de la dynastie, il lui montre son attachement en lui disant « Mon mignon » et se repent « de ne pas avoir apporté la paix à son peuple » d’après Saint Simon. Les témoignages du grand écrivain sont à prendre avec prudence, lui qui avait renoncé aux champs de batailles malgré la réprobation du Roi.
Atteint de la gangrène, Louis « Le Grand » refuse l’amputation, et organise sa sortie, recevant les corps constitués, ses serviteurs, les princesses :
«  Vous m’avez donc cru immortel ? » 
« Je pars, mais l’état demeure » en contradiction avec le fameux : « L’état c’est moi ».
Le 1er septembre 1715, le souverain meurt à « huit heures et quart et demie » (8h 23).
Aussitôt se met en place le cérémonial.
Le cadavre royal, subit une tripartition : les entrailles destinées à Notre Dame, et le cœur sont mis à part du reste du corps embaumé avant que celui-ci  ne soit exposé dans la chambre de Mercure à Versailles.
La nécessité de garder un corps présentable avant l‘inhumation a été plus facile à respecter que pour Saint Louis. Il avait fallu faire bouillir les chairs de Louis IX et les laisser à Palerme : les os arrivant  jusqu’à Saint Denis, nécropole des rois de France.
Le Roi Soleil va rejoindre ses prédécesseurs, en une nuit, à la lumière de 800 flambeaux, suivi par un cortège comptant 2500 personnes. Tel « Le convoi funèbre de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV, arrivant en vue de Saint-Denis, le 10 août 1683»,
L’iconographie est absente au moment de la disparition, et les rites de présentation qui duraient huit jours ont varié depuis Henri IV.  Bien que les cérémonies soient grandioses, il n’y aura pas de statue de gisant. Soixante-douze prêtres célèbrent des messes en continu et seulement les plus hautes personnalités ont le droit de s’agenouiller. Lors de la période de grand deuil qui ira en s’atténuant en demi-deuil, les civils de la cour portent de grands manteaux à la façon des moines. La période d’affliction doit durer un an et deux mois ; les miroirs, les tableaux sont recouverts de tissus noirs. Mais le pouvoir n’est pas vacant, les conseils se réunissent. Le grand Chambellan change la couleur des plumes de son chapeau, du noir au blanc, pour annoncer « Vive le roi » après avoir proclamé : «  Le roi est mort ».
Dans les variations de couleurs : « Louis XIII en costume de deuil » est vêtu de pourpre : sa personne s’efface devant la représentation.
« Marie Stuart » avait été une des dernières à porter le deuil en blanc, Anne de Bretagne aurait été la première reine à le porter en noir.
Quant à la « Duchesse de Nemours », elle profite de cette période pour n’accepter aucune demande en mariage.
La grande cérémonie des obsèques ne se tient que le 23 octobre dans la basilique drapée de noir où des milliers de cierges éclairent le catafalque et l’autel. Sous un dais gigantesque la couronne, le sceptre et la main de justice reposent sur le cercueil. La Justice et la Force pleurent et des squelettes soutiennent une couronne. Honoré de Quiqueran de Beaujeu prononce l’oraison funèbre du « très haut et très auguste prince Louis XIV », mais c’est de Jean-Baptiste Massillon à la Sainte Chapelle que l’histoire retient : 
Des messes sont dites dans tout le royaume et jusqu’à Mexico.
« Dieu, seul est grand, mes frères »
Celui-ci avait, dans d’autres prêches, rejoint l’opinion d’un certain Vauban, me rappelait ma référente en histoire, ou les écrits de Boileau :
« On voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés par le soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet, ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. »
À la révolution, en 1793, à Saint Denis, les caveaux des rois sont ouverts et leurs restes dispersés. Une plaque du cercueil de Louis XIV sera utilisée pour son cuivre sous forme de casserole.
Des aspects des rituels monarchiques ont subsisté : le tableau représentant « Les Funérailles de Sadi Carnot » en 1874  au Panthéon, est tellement gigantesque qu’il n’a jamais été exposé.

mardi 19 avril 2016

Grand prix. Marvano.

De l’utilisation du sport à des fins politiques : l’idée n’est pas neuve.
Mais elle prend une dimension spectaculaire quand Hitler, qui n’avait pas le permis de conduire un véhicule à moteur, utilise la course automobile pour le prestige de son régime qui se met en place. 
Il est intéressé par la recherche en motorisation qui n’avait pas été  prévue dans ce domaine par le traité de Versailles. Porsche, Volkswagen, Mercedes, vont y travailler.
Les traits précis du dessinateur belge conviennent bien au sujet qui ne manque pas de complexité : le champion Caracciola était allemand
Dans les années trente les coureurs automobiles, une coupe de champagne dans une main, entourés de belles femmes, vivent dans des palaces entre deux compétitions meurtrières, en dehors du monde.
Préfacée par Jacky Ickx, cette série de trois albums dont j’ai lu les deux premiers, satisfera surtout les amateurs de belles carrosseries et ceux pour qui les évocations des circuits de Montlhéry, du Nürburgring, voire Mellaha en Lybie ont des parfums de gazoline. 
Et il y a toujours à apprendre : je ne savais pas que les nazis avaient organisé en 1937, une immigration des juifs vers la Palestine, alors sous mandat britannique.
Autre info qui relativise des arguments explicatifs de la seconde guerre mondiale:
« Le traité de Brest-Litovsk, imposé aux russes par l'Allemagne impériale en 1917, a été bien plus rigoureux que le traité de Versailles. L'Union Soviétique a perdu d'un coup un territoire plus grand que la France et l'Angleterre réunies ! Plus les trois quarts de son industrie lourde et 60 millions d'habitants ! »

lundi 18 avril 2016

Titli, une chronique indienne. Kanu Behl.

Jamais vu l’Inde comme ça, avec ce film en milieu urbain, social, policier, documentaire, sentimental un tout petit peu : un sacré voyage.
Les acteurs sont bons, l’écriture des images originale sans excès, le scénario réserve sans cesse des surprises, rythmé et subtil, tendu.
Corruption de la police, mariages arrangés, distance entre riches et pauvres : du noir.
Quelques bâtons d’encens se consument devant les vieux autels mais la misère rend dément.
Au-delà, d’une famille bancroche de petits malfrats (y en a-t-il de grands ?)  tout le monde ment. Heureusement, la force des femmes - une fois encore - apporte une touche d’optimisme après plus deux heures d’une violence qui prend diverses formes, tempérée par un certain humour noir.  
Ah oui ! Titli veut dire papillon.
De quoi réviser les icônes non violentes loin des bolées sucrées de Bollywood.

lundi 11 avril 2016

Volta a terra. João Pedro Placido.

La montagne portugaise où passent les saisons a de bien belles lumières. Mais ceux qui y travaillent ont le corps qui plie sous la pluie et les jeunes qui restent au village peuvent craindre des solitudes à venir. On tue le cochon, plante les pommes de terre, épand le fumier, rejoue la moisson à la faucille, tond le mouton, ou mène les vaches aux cornes majestueuses au taureau ou aux champs. Là, le jeune berger sur son portable apprend que la belle entrevue à la fête du village ne viendra pas vivre auprès de lui. C’était fatal. Portrait habituel d’une condition paysanne qui relie les paysans du monde à nos Causses vus par Depardon. Ici la poésie des temps immémoriaux se teinte d’un trouble à la vue de brutalités à l’égard des animaux, de négligences concernant le matériel, de maladresses dans les relations humaines. Le garçon émouvant qui doit prendre la relève de ses parents harassés semble quelque peu hébété.
……………
Je reprends les publications sur mon blog lundi prochain, le 18 avril.

dimanche 10 avril 2016

Stephan Eicher. Und die automaten.

« J'abandonne sur une chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent »
Nous l’attendions, la chanson « autruchienne » de près de 30 ans d’âge, avec d’autant plus de plaisir qu’elle est régénérée par une formation instrumentale mettant en jeu des automates, sous des lumières séduisantes.
Le sentiment que l’Aramis de la chanson nous la jouerait  « Vingt ans après» ne tient qu’à quelques poils de moustache, le quinqua avance toujours tranquillement :
« Il faut toujours que j’invente sinon on va se rendre compte que je suis un imposteur et que je ne sais pas chanter… »
Le mot « horloger », suisse, évidemment, revient dans bien des commentaires pour caractériser ce moment poétique où les machines aux accents nostalgiques et énergiques, loin d’être inhumaines, nous interrogent sur nos habitudes numériques.
Avec un humour bien à lui, le Bernois qui paye ses impôts en France, joue les chefs d’orchestre et avec ses pieds, allume batteries et accordéon, orgue et vibraphone … il vient d’apprendre le piano, après avoir renoncé au mandarin, joue de plusieurs guitares. Le public est charmé
Depuis http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/03/lenvolee-stephan-eicher.html il cherche et trouve, nous le retrouvons et découvrons : un bel équilibre entre chanson populaire aux accents folkloriques surtout quand il s’exprime en Allemand, aux pulsations rock sur des textes efficaces de ses complices de longtemps Djian et Suter.
« Ne te lasse pas de moi
j'ai encore
beaucoup a découvrir
mais danse autour de moi
j'abandonne
si tu danses autour de moi - oh no no no »
Face à lui, seul en scène, entouré de mécaniques, nous sommes proches de ses hésitations, de son humilité, de son humanité enjouée par-dessus les désillusions.
La salle sympathise et le suit, si elle n’insiste pas outre mesure dans les rappels chaleureux,  c’est qu’il nous a bien régalé.

samedi 9 avril 2016

6 mois. Printemps été 2016.

En 300 pages pour 25 €, la diversité du monde en images :
Diversité des conditions :
Le dossier principal est consacré à la France : du XVI° arrondissement à Clichy-Sous-Bois, en passant par les villages aux abords de Disneyland du côté de Marne-La-Vallée, chaque fois entre soi.
Avec les malheureux qui fouillent aux abords des sites en Birmanie où le jade est exploité ou du côté des geeks désargentés en colocations surpeuplées dans l’espoir du pactole de la Silicon Valley.
Diversité des lieux :
Jusqu’aux confins de la frontière entre Russie et Chine.
Diversité des situations : L’histoire de Tiny se prostituant à 13 ans sur un parking de Seattle qui a eu 10 enfants, et l’album de famille d’un reporter à la maison : soirées-pyjama et chasse aux œufs.
Diversité des regards : celui de Braz chef du service photos de l’AFP, qui en a tant vu qu’il veut sortir des guerres considérées comme des drogues. Celui de Lartigue Jacques Henri que je considérais comme un mondain apprêté dans ses noirs et blancs, alors que ses photos couleurs de sa troisième femme Florette ont vraiment du charme.
Diversité des temporalités : La biographie en photos de Bachar-Al-Assad et le retour sur la chute de l’empire soviétique redonnent une profondeur à l’actualité illustrée ainsi que dans une Erythrée méconnue, ou au Japon toujours surprenant lors de fêtes de divorce, en Haïti dans des villages reconstruits mais quasiment vides, en accompagnant la nuit, des réfugiés entre Serbie et Croatie. Les visages nouveaux des Podemos au parlement espagnol.
Diversité des intimités : des pères et leur fils, torses nus.