lundi 18 janvier 2016

A peine j’ouvre les yeux. Leyla Bouzid.

Elle est belle la jeunesse ! Je craignais pourtant que ce film soit manichéen : le pouvoir d’un dictateur vers sa fin, Ben Ali, et des parents coincés contre la musique, et les premiers amours.
Nous sommes en Tunisie en 2010.
Tout est  nuancé, fin et fort, complexe et évident. Bien filmé de près et à distance, avec des temps de tension et de grâce, du punch et de la douceur, dans la sensualité et la pudeur, les passions et la retenue.
Ces derniers temps nous avons été gâtés par les femmes réalisatrices
Turque avec une belle révolte : « Mustang »
Tunisienne et un docu fiction original : « Le Chalat de Tunis »
Marocaine aux filles rebelles de « Sur la planche »  
et aussi une autre du côté de Marrakech « Much loved »
Le titre est extrait d’une des chansons qui galvanise ce film :
 « A peine j’ouvre les yeux,
 je vois des gens éteints,
leur sang est volé,
leurs rêves délavés » 
paroles mélancoliques sur des rythmes rocks qui n’oublient pas le oud et grand bol d’énergie.
Les actrices sont excellentes et la mère qui préfère pour sa fille des études de médecine à une vie dangereuse est jouée par la belle Ghalia Benali … chanteuse.

dimanche 17 janvier 2016

La princesse de Clèves. Magali Montoya.

Je dois à un ancien président de la République, qui beaucoup esquinta la France, quelques sept heures de plaisir théâtral. Puisque Sarko qui tant brunit en cours de route avait raillé le roman de madame de Lafayette publié en 1678, cette œuvre ne pouvait avoir que des qualités.
Quoique : « Les paroles les plus obscures d'un homme qui plait donnent plus d'agitation que des déclarations ouvertes d'un homme qui ne plait pas »
Avec délectation, j’ai éprouvé combien cette balise de notre culture que je méconnaissais était constitutive de notre identité française. Le saut à l’élastique n’étant plus de mon ressort, le risque d’être enfermé à la MC2 de 15h à 23h 15 était jouable.
Pourtant, même si en fond de la sobre scène, un grand panneau généalogique rappelle les noms des personnages, l’entrée dans les intrigues du XVI° siècle à la cour d’Henri II, me fut laborieuse. Elles me semblaient hors sol, bien peu politiques, si loin par exemple de Shakespeare qui guette toujours quand on s’approche des planches et du pouvoir.
« Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit Madame de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n'est presque jamais la vérité. »
Mais en éprouvant la dimension exceptionnelle offerte par le temps, je fus bientôt emporté par la ferveur des actrices dépassant la narration, par la langue de l’auteure et sa finesse pour décrire les passions et nous rappeler la violence des vertus, la beauté, l’amour et … la liberté.
«  La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne d’Henri le second. »
Ainsi commence l’histoire qui parfois tourne au vaudeville : à cette hauteur, il faut tenir la longueur. La performance admirable des actrices nous facilite l’entrée dans les méandres, les contradictions des passions très modernes, dans la fatalité des drames ;
« Je n’ai que des sentiments violents et incertains dont je ne suis pas le maître : je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraissez plus digne de moi ; je vous adore, je vous hais ; je vous offense, je vous demande pardon ; je vous admire, j’ai honte de vous admirer ; enfin, il n’y a plus en moi ni de calme ni de raison. »
Si des blagounettes nous effleurent en comparant les langages SMS à tant de sophistication des sentiments, la redécouverte de mots enfouis nous régale : ainsi « commerce » qui n’est pas celui de l’OMC, « raccommodements », « enjouement », « inclination », « affliction » « opiniâtrer », « souffrir », « manquer à soi même », « fâcheux » … « faire la cour ».
De ces tourbillons soyeux, mieux accompagnés par la musique que par une peintre sur le plateau qui commence bien ses tracés puis se perd parfois dans des barbouillages, pouvons nous encore apprendre de la fragilité des hommes, de leur quête ?
Qui peut oser clore ces riches heures, en écrivant ?
«… et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. »

samedi 16 janvier 2016

Chantiers. Marie-Hélène Lafon.

Une de mes écrivaines préférée
a du choisir son titre comme elle pèse chaque mot tout au long des 112 pages,
mais « A l’établi », qu’elle emploie volontiers pour évoquer son travail, aurait mieux convenu, à mon goût, qui dit bien la minutie et l’œuvre solitaire.
« Ma place est à l'établi, où ça fermente, où je fomente »
La grammairienne vient de la campagne, d’un monde disparu.
« Le père est lancinant. Il répète on est les derniers on est périmé. Il sait que le monde devient mauderne, il le voit à la télévision ; le journal, les papiers de la banque et de la chambre d’agriculture le disent. C’est le tout début des années soixante-dix, il est content d’avoir un tracteur et des machines efficaces qui épargnent la fatigue, il n’est pas dressé contre les choses mais il sent qu’elles échappent, ça lui échappe. »
Et revient sur les mots, leur redonne couleurs.
« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. »
C’est le premier livre que j’arrive à reprendre après les tueries de novembre, et de tels rappels aux subtilités de la langue accusent la fin d’un autre monde au moment où le collège se déforme.
Si la trajectoire qui mène de la ferme à cette exigence dans le travail d’écrivain peut être familière, je n’ai pas assez de connaissances de Claude Simon auquel un chapitre est consacré pour apprécier intimement son approche, mais la musique générale me va.
«  Je vois la phrase, elle s’incarne, c’est la clôture de barbelés que les hommes tendent entre deux piquets de châtaignier ou de chêne fortement équarris ; les enfants sont là, ils aident, ils assistent, ils fournissent le marteau, les tenailles, les crampillons, ils portent, ils transportent, ils galopent ; et ils voient, ils pourraient voir la phrase se tendre entre deux piquets de châtaignier comme entre la majuscule  et le point... »
Une intime.

vendredi 15 janvier 2016

Liberté.

Je ne vais pas m’atteler à une rédaction, genre qui parait-il se raréfie, autour d’un mot tellement lourd, mis pourtant avec désinvolture à toutes les sauces et qui par nature s’échappe entre les paragraphes.
Je vais essayer de surcroit de ne pas trop citer des auteurs oubliés :
« Il existe aussi une liberté vide, une liberté d'ombres, une liberté qui ne consiste qu'à changer de prison, faite de vains combats entretenus par l'obscurantisme moderne et guidés par le faux jour. » Jean Edern Hallier
La liberté qui n’avait plus à faire valoir sa licence tant elle semblait aussi évidente que l’air et l’eau, nous ne la voyions plus à l’abri de nos portes blindées. A réinterroger.
Ainsi il me semble abusif, factice et contre productif de prétendre faire exercer son libre arbitre,   à un nourrisson, sponsorisé par papa et maman, pour savoir s’il préfère son yaourt à la fraise ou à la framboise.
Et sur des murs repeints de frais, je ne vois que l’effacement de ce mot si vif,  « libre » lorsqu’il dégouline sur le territoire des autres, alors que cinquante ans en arrière j’aurais tenu le pinceau au moment où on enlevait l’échelle.
En matière d’élevage, je crois bien que ce sont les cadres qui libèrent, leur absence angoisse et fait se couvrir de baillons et de masques les enfants abandonnés. Il y a des barrières à ne pas franchir, quand l’avalanche menace.
Entre deux réveillons, mon libéral préféré se croyait cohérent depuis ses racines croyantes jusqu’à ses engagements barristes en  affirmant qu’il n’y a rien à faire contre le réchauffement climatique : je suis sceptique  face aux climato sceptiques, et il y en a. Parce que terre Gaïa, autre madone, en aurait vu d’autres, il ne s’agirait pas de contraindre les libres propriétaires de 4X4, ni les libres actionnaires des mines de charbon… je ne suis pas d’accord.
Les seuls qui croient à nos frontons où s’écaillent « lib’, ég’, frat’ » sont ceux qui les mitraillent, les autres aux oreilles incrustées d’écouteurs regardent de haut l’école qui n’a plus qu’à laisser les élèves bavarder gentiment. La chaire est faible.
« Qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son »
La multiplication des canaux d’information a restreint les choix, et raréfié les confrontations toniques. Se rejouent-elles encore, en dehors des papiers fossiles, les oppositions souverainiste/mondialiste qui avaient pris la suite de communisme contre conservatisme ?
Ou comme l’écrit J.F Colosimo :
« le partage s’insinue entre ceux qui postulent que l’homme est son propre demiurge, qu’il peut se réinventer tous les matins, et ceux qui pensent que l’homme est un être historique, que cette histoire le constitue et l’oblige. »
L’étincelle pouvait naître du frottement de deux options contradictoires, alors que se creusent comme sillons parallèles, des trajectoires qui s’ignorent ou l’inné et le carnet d’adresses sont déterminants. Plus de flamme.
Pas vraiment free.
……………
 Le dessin au début de l'article est paru dans courrier international et Le soleil (Québec) et ci dessous sur le site de Libération sur lequel il convient de cliquer pour qu'il soit lisible.

jeudi 14 janvier 2016

La modernité photographique au temps de Georgia O’Keefe. Hélène Horain.

Recoupant des articles passés
ci-dessous le compte rendu de la conférence d’une doctorante en histoire de l’art, complément utile à l’exposition O’Keefe qui durera encore tout le mois de janvier 2016.
Sous l’égide des amis du musée dont le livret présentant ses activités portait en couverture, de la photographe Imogen Cunningham, le « Magnolia blossom », tellement proche des fleurs emblématiques de Georgia O’K, cette turgescence au milieu de tant de blancheur demanda 80 prises de vues.
C’est d’ailleurs sous le signe de l’amour que la collaboration peinture/photographie est apparue. Ainsi  Alfred Stieglitz et Georgia O'Keeffe ont pu mettre en scène leur complicité, assez éloquente pour célébrer la Saint Valentin.
La portraitiste Gertrude Käsebier présentée à l’exposition parisienne « Qui a peur des femmes photographes? » jusqu'au 24 janvier 2016 à l’Orangerie et à Orsay, a figuré en bonne place dans la revue prestigieuse « Camera Notes » de Stieglitz où se rencontraient philosophes, peintres et photographes.
La  revue « Camera Work » qui lui succéda devint l’organe du mouvement Photo-Secession, se détachant du pictorialisme trop impressionniste, trop collé à la peinture. Les Stieglitz’ s boys veulent faire reconnaître la photographie comme un art à part entière.
« Le potentiel maximum de puissance de chaque médium dépend de la pureté de son utilisation »
Finies les retouches, les effets atmosphériques, pourtant Demachy qui veut s’élever au niveau de la peinture, c’est pas mal, non ? D’ailleurs bien des dissidents ont aimé nuages et vapeurs. La prise de vue est pour eux plus importante que le tirage, mais certains vont lui apporter tout de même grande attention.
Stieglitz avait rangé dans un tiroir, l’épreuve «  The Steerage » prise sur le pont d’un bateau, après avoir sorti son appareil « pesant comme 12 briques de lait », attiré par un canotier, des bretelles, des formes géométriques. Cet instantané deviendra l’emblème de la « straight photography »
Edward Steichen, adopte la même démarche même si son Penseur de Rodin qui se superpose au  monument consacré à Victor Hugo, jouant pourtant des lignes, n’est pas dans la ligne stricte du groupe.
Paul Strand, respectant le formalisme et s’avançant vers l’abstraction, est aussi le plus social avec ses figures de rue : « La femme aveugle ».
Ils captent les villes qui s’érigent à la verticale, les ambitions frénétiques. Le monde s’organise dans la géométrie. « Wall street »
«La photographie doit être une composition générée par l'œil du photographe et écrite par la lumière »
Walker Evans, c’est du franc portrait, son fermier, « Alabama Tenant Farmer », se sait photographié et nous interroge,   
alors que Dorothea Lange avec « Migrant Mother » réalisé pendant la crise des années 30, dans le cadre d'une mission confiée par la Farm Security Administration, aurait demandé aux enfants de tourner la tête et qu’un pouce aurait été effacé. Peu importe, l’icône «  Mère migrante » est  poignante.
Ansel Adams est connu pour ses paysages par exemple, « The Tetons and the Snake River », pris en poses longues, et un procédé le « zone system » qui étalonnait les gris, auquel nous serions redevables, quand notre Smartphone ajuste automatiquement la luminosité.
Un nouveau groupe intitulé « F64 » du nom de la plus petite ouverture photographique, prend la suite.  Imogen Cunningham s'y retrouve. Elle n’a pas seulement donné à voir des fleurs, ses nus masculins ou féminins souvent en double, « Two sisters », renouvellent le genre.
 « Car c'est dans cette chair inadéquate que chacun de nous doit servir son rêve, et donc, doit être rejeté au service du rêve »
Edward Weston, lui, c’était poivron musclé et des nus comme des coquillages.
Son complice Ansel Adams dira de lui :
« Weston est, de fait, un des quelques artistes créatifs d'aujourd'hui. Il a recréé la matière, les formes et les forces de la nature, il a rendu ces formes éloquentes sur le plan de l'unité fondamentale du monde. Son œuvre éclaire le voyage intérieur de l'homme vers la perfection de l'esprit. »
Et tant d’autres: Berenice Abbott Lewis Wickes Hine son « Power house mechanic working on steam pump » est parfait. Tout cela c’était au début du siècle précédent.

mercredi 13 janvier 2016

France culture papiers. Eté 2015.

Winston Churchill,  Orson Welles, Germaine Tillion, Arthur Rimbaud,  sont d’un autre temps et pourtant tellement contemporains, ils occupent pas mal de pages du trimestriel qui en comporte près de 200.
Fabrice Lucchini cite La Fontaine, Céline, Flaubert… et s’explique sur son goût excessif des phrases des autres.
«  La gauche a de la gueule, simplement cela condamne à l’excellence » : c’est de lui.
Et les applaudissements viennent concernant son besoin d’exactitude avec la langue :
« Le pire que j’ai entendu : «  Wagner c’est juste génial ». En disant juste je m’épargne une exigence de précision, une maîtrise d’adjectif. »
Les sujets sont considérables :
quand J. L. Etienne s’exprime avant de repartir en expédition Antarctique,
appuyé par un reportage photographique sur les réfugiés climatiques aux Maldives, au Tchad… au Pérou les glaciers fondent,
mais face à l’atlantique les remparts d’Essaouira tiennent.
Pourquoi titrer « le sport c’est de la culture », avec les sempiternels « combats fraternels » du rugby, « la beauté du geste » au tennis, la boxe qui « spiritualise le corps » à moins qu’il ne « corporéise » l’esprit ? La photo de Ben Barek commence à dater.
Par contre un rappel historique concernant la liberté de la presse quand «il revient aux dieux de s’occuper des insultes qu’on leur fait » est d’actualité. Cette livraison qui était disponible en librairie avant novembre ne prendra pas de coup de vieux de si tôt.

mardi 12 janvier 2016

La tectonique des plaques. Margaux Motin.

« J’ai trente quatre ans. Je fais un réel travail sur moi pour faire la paix avec moi-même… »
Immersion dans l’univers d’une parisienne régressive qui a tellement envie de redevenir petite fille depuis sa rupture amoureuse, se retrouvant en fait avec sa petite fille qui aurait tendance à être plus mûre que sa mère, à qui elle ressemble bien sûr. Comme elle ressemble à sa propre mère qui lui donne évidemment des conseils pour élever sa fille alors qu’elle, elle fumait des Gitanes dans la voiture.
Problèmes de fringues, « pantalon à rayures avec T Shirt à pois », de liberté, de nouveau copain, de copines, désespoir pour un néon impitoyable dans une cabine d’essayage et môme protégée par son impertinence, laissée souvent à elle-même.
Les familles mono parentales ne sont pas toujours aussi drôles et le quotidien des solitudes n’a pas toujours cette élégance du trait, ni ces agréables couleurs pastels.
L’autodérision  y est  charmante, l’autobiographée séduisante, une sincérité rafraichissante dans la lignée de Pénélope Bagieu http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/11/josephine-penelope-bagieu.html avec quelques pages poétiques qui ponctuent la chronique fine et rigolote en 346 planches.