samedi 16 janvier 2016

Chantiers. Marie-Hélène Lafon.

Une de mes écrivaines préférée
a du choisir son titre comme elle pèse chaque mot tout au long des 112 pages,
mais « A l’établi », qu’elle emploie volontiers pour évoquer son travail, aurait mieux convenu, à mon goût, qui dit bien la minutie et l’œuvre solitaire.
« Ma place est à l'établi, où ça fermente, où je fomente »
La grammairienne vient de la campagne, d’un monde disparu.
« Le père est lancinant. Il répète on est les derniers on est périmé. Il sait que le monde devient mauderne, il le voit à la télévision ; le journal, les papiers de la banque et de la chambre d’agriculture le disent. C’est le tout début des années soixante-dix, il est content d’avoir un tracteur et des machines efficaces qui épargnent la fatigue, il n’est pas dressé contre les choses mais il sent qu’elles échappent, ça lui échappe. »
Et revient sur les mots, leur redonne couleurs.
« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. »
C’est le premier livre que j’arrive à reprendre après les tueries de novembre, et de tels rappels aux subtilités de la langue accusent la fin d’un autre monde au moment où le collège se déforme.
Si la trajectoire qui mène de la ferme à cette exigence dans le travail d’écrivain peut être familière, je n’ai pas assez de connaissances de Claude Simon auquel un chapitre est consacré pour apprécier intimement son approche, mais la musique générale me va.
«  Je vois la phrase, elle s’incarne, c’est la clôture de barbelés que les hommes tendent entre deux piquets de châtaignier ou de chêne fortement équarris ; les enfants sont là, ils aident, ils assistent, ils fournissent le marteau, les tenailles, les crampillons, ils portent, ils transportent, ils galopent ; et ils voient, ils pourraient voir la phrase se tendre entre deux piquets de châtaignier comme entre la majuscule  et le point... »
Une intime.

2 commentaires:

  1. Ça fait vachement envie. Même que... je crois que je vais me l'acheter. Merci de me l'avoir fait découvrir, Guy.

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  2. Elle doit venir à la librairie du Square prochainement.

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