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Une automobile
de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine
explosive … est plus belle que la
Victoire de Samothrace. "
La déclaration parue dans le Figaro date de 1909, de la main de Marinetti qui
signe le manifeste de l’école "futuriste" essentiellement italienne présentée par Gilbert
Croué aux amis du musée de Grenoble.
Ce n’est pas le panache qui manque dans leur proclamation
pleine de bruit et de fureur, les mots flamboyants pleuvent depuis « le promontoire
extrême des siècles » portant « un défi aux étoiles » :
« amour du
risque », « énergie », « témérité » rejoignent « insomnie fiévreuse »,
« saut périlleux » et « coup
de poing ».
Le juvénile optimisme de la petite bande à l’orée
du siècle balance :
« L’Italie a été
trop longtemps le grand marché des brocanteurs. Nous voulons la débarrasser des
musées innombrables qui la couvrent d’innommables cimetières. »
Mais d’autres intentions « craignent » :
« Nous voulons
glorifier la guerre - seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme,
le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent et le mépris
de la femme. »
Après la domination autrichienne une fierté nouvelle se cherche en Italie.
Marinetti, le
poète symboliste commence avec les anarchistes et finit chez les fascistes.
Dans son mouvement où
il prône le vers libre, arrivent des peintres, des musiciens, des
architectes pour chanter « les ponts aux bonds de gymnastes
lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés… » et
« tuer le clair de lune »
Balla influencé par le divisionnisme de la touche picturale
chez les pointillistes connait aussi les travaux de Marey et de Muybridge,
photographes décomposant les mouvements.
Son « dynamisme d’un chien en laisse » est emblématique comme sa
« Lampe à arc ». Ses chantiers
et banlieues où les ouvriers sont bien présents, décrivent son époque et une
foi dans le progrès qui nous a abandonnés.
Boccioni a écrit : « Tandis que les impressionnistes font un tableau pour donner un moment
particulier et subordonnent la vie du tableau à sa ressemblance avec ce moment,
nous synthétisons tous les moments (temps, lieu, forme, couleur, ton) et
construisons ainsi le tableau. » Il a produit aussi « La rue
entre dans la maison » magnifique tableau et une célèbre sculpture
puissante et dynamique qui vaut mieux que son intitulé : « Formes
uniques dans la continuité de l'espace » qui entrechoque les points de
vues.
Severini accorde aussi l’art à la science. La
« Danse du Pan-Pan au Monico » rythmée, luxuriante, de ses années
parisiennes précède un « train blindé » où le métal tonne.
Carra, le plus politique dans ses « Funérailles de l'anarchiste
Galli », peut se confondre avec De Chirico et sa peinture métaphysique, il
reviendra au réalisme après avoir été cubiste.
Russolo peint
« la révolte » avec lyrisme mais son apport est majeur dans les arts
du son où il annonce la musique bruitiste, concrète, voire électronique.
Sant'Elia architecte envisage une cité nouvelle et
influence Le Corbusier.
L’avant-garde russe s’inspire de ce mouvement qui intégre
des mots sur les toiles et secoue les formes cubistes. Les œuvres de Delaunay,
Léger, Gris, Duchamp, Malevitch voire Tinguely ont des airs de famille avec ce
mouvement qui se dispersera après la première
guerre ayant fécondé aussi la
poésie : Apollinaire, Maïakovski, le design et bien sûr le cinéma :
« Métropolis », fatalement, puisque la traduction du mouvement fut
leur obsession.
L’exposition "Futurismo & Futurismi" du
Palazzo Grassi de Venise en 1986 fit oublier le silence gêné qu’avaient généré
des fréquentations douteuses avec le Duce.
Sont partis au vent, les tracts lancés jadis depuis le
campanile de la place Saint Marc:
« Nous répudions
l'antique Venise exténuée et anémiée par des voluptés séculaires, nous
répudions la Venise
des étrangers amants du snobisme et de l'imbécillité universels... »