Dans la ville de Stendhal, le conférencier récidive dans
cette dernière conférence de l’année 2014 aux amis du musée.
Il se réfère à Pastoureau, l’historien, pape de la
symbolique des couleurs tout en apportant un regard original quand la nuit va se « lever » alors que dans
l’expression courante, elle a tendance à « tomber ».
« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait
au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et
la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la
lumière d'avec les ténèbres.
Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce
fut le premier jour. »
Au plafond de la
Sixtine, vu de dessous, le Dieu de Michel Ange, à la barbe nuageuse sépare le bien du mal. La lumière
permet de percevoir le monde et d’entrevoir le Tout Puissant par
l’intermédiaire d’un philosophe de la renaissance Marsile Ficin qui concilia Platonisme et Christianisme. Pic de la Mirandole fut son élève.
En Egypte, le maître
des cérémonies des morts, Anubis, le Dieu chacal est noir, en référence au
sombre limon régénérateur du Nil. En Grèce, Charon le passeur des âmes était
fils de Nyx (la nuit).
Perséphone, la belle
enlevée par Adès avec ses chevaux noirs aux reflets bleutés chez Rembrandt va
vers les enfers. Elle sera assignée en garde alternée six mois (automne /
hiver) plus bas que terre aux côtés de son époux et six mois sur terre (printemps /
été) avec sa mère Déméter. Par
ailleurs, lors de ce rapt, jamais le marbre n’a été plus chaud que dans la
statue du Bernin où la pierre se fait chair.
Dans toute cette
mythologie pleine de passions, Zeus punit les titans qui avaient dévoré un de
ses enfants, première incarnation de Dionysos, en les réduisant en cendres d’où naquit l’humanité
partagée désormais entre l’amour et le mal.
La vierge noire de
Montserrat est plus extatique mais Marie qui a été comme le premier manteau
couvrant « le fruit de ses entrailles », tient son fils promis à la
dernière couverture que sera la terre. Cette clairvoyance permet de se « dégraisser »
du merveilleux antique.
Mais les mythes
nourrissent notre humanité : Rodin
sculpte Eurydice dans l’ombre, derrière Orphée aveuglé par la lumière à la
sortie des enfers, et nous sommes éblouis.
Le noir corbeau depuis Apollon qui le teinta ainsi à cause
de son manque de vigilance, se retrouve auprès de Noé, s’attaquant à la
charogne, et dans l’ultime champ de blé de Van
Gogh.
« Nul autre peintre n'aura su trouver comme lui, pour
peindre ses corbeaux, ce noir de truffes, ce noir de gueuleton riche, et en
même temps comme excrémentiel. » Artaud
Dans la
querelle de la couleur et du noir le bénédictin Suger pense que le Créateur est
lui-même à l’intérieur d’un monde chatoyant alors que pour le cistercien
Bernard de Clairvaux il n’y a place que pour la contrition et la mort.
Les
premiers portraits tels que celui d’un condottière balafré mais raffiné par Antonello da Messine tiennent du « selfie »,
tant sa situation précaire devait s’affirmer face aux établis.
La beauté du monde se révèle avec ses contrastes : La
« jeune fille » de Petrus
Christus au front épilé, au teint diaphane porte une ravissante coiffe
noire, et « La belle Ferronnière » en réalité Lucrezia Crivelli
maîtresse de Ludovic Sforza le maure ainsi que Cecilia Gallerani, « la dame à l’hermine (patibulaire)»
peintes par Léonard de Vinci sont si
belles sur fond sombre.
Le magicien de l’éclairage, Le Caravage, peint Béatrice Cenci qui avait été condamnée injustement à mort en « Sainte Catherine
d'Alexandrie », un enfant des rues représente l’amour et lui-même
est à la fois David et Goliath : le sang coule sur le noir.
La lune d’Aristote est tachée, elle n’est plus la frontière
entre un monde cristallin et un monde putride: Galilée est dans le mouv’.
Le noir est élégant : la dame au voile d’Alexandre Roslin est coquine, celle à
la mantille de Goya est inquiète
derrière sa pose assurée.
Van Gogh dessinait : « On
dirait qu'il y a de l'âme et de la vie dans cette craie de montagne, qu'elle
comprend ce qu'on attend d'elle, qu'elle y met du sien. Je voudrais la baptiser
craie tsigane. »
« De l’humilité
des sols aux lumières de Soulages »
tel était l’intitulé de la conférence : nous avons fait le tour du pot au
noir, en concluant avec notre contemporain reconnu en premier par le musée de
Grenoble. Le nonagénaire marqué par l’art pariétal, laissa les images derrière lui. A Conques ses vitraux doivent se voir le soir quand ils restituent les ors
du jour. Celui-ci, brûle tant de ses œuvres qu’il possède un incinérateur. Mais notre
syntaxe a pu se régénérer pour « aller au-delà du voile de l’image »
quand la lumière accroche sur la matité des matières rythmées.
« Le noir est
subtil et sait surprendre en rugissant derrière son apparent silence »