vendredi 13 juin 2014

A quoi ça rythme (scolaire) ?

La longue polémique sur un sujet qui peut sembler secondaire http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/10/arythmie-scolaire.html donne pourtant quelques indications sur une société qui a tant de mal à se réformer, bien qu’un consensus apparut  à un moment.
Si cette évolution a tant de mal à voir le jour, c’est que rien n’est simple et bien peu des commentateurs obnubilés par la situation particulière de Paris n’ont su voir la complexité : les experts avaient parlé, les rubricards pouvaient tartiner paresseusement.
Leur lancinant argument d’une « école qui fatigue les enfants » est ravageur, mais qui plus est faux à mes yeux. Au cours des 27 heures, dans les temps préhistoriques où j’officiais, nous avions le goût, la liberté de doser les activités, et  par exemple l’éducation sportive dispensée à l’intérieur des 6h quotidiennes par des personnels compétents, permettait au maître, entre autres bénéfices, un regard distancié sur ses élèves, une meilleure connaissance, une complémentarité, une cohérence.
Dans quel état de confusion sommes nous entrés pour confondre activités périscolaires et l’école elle-même ? Il y a péril en la demeure. L’éducation artistique, le sport, la musique sont au cœur des fonctions de l’école, et un film, une pièce de théâtre peuvent entrer par exemple dans un projet pédagogique, mais les enlever à la responsabilité des professeurs est dramatique. Au niveau du primaire aucune matière n’est une fin en soi mais seulement une brique dans la construction qui nécessite un maître d’œuvre. Il permet de distinguer information et apprentissage, et s’il n’est pas omniscient, face aux machines, faut il que nous soyons  tellement en perte de sens pour être amené à plaider ainsi pour l’instruction publique ?
Il est vrai que le ludique, les loisirs préparent des temps de cerveau disponibles.
« Le travail, de plus en plus dévalorisé, devient secondaire dans l'empire de la distraction et du fun. L'important, c'est le temps libre, les week-ends, les ponts, les vacances, les sorties, les chaînes câblées, les présentatrices dénudées (et pas que dans la télé de Berlusconi), les jeux vidéo, les émissions people, les écrans partout. Le divertissement scande chaque moment de la vie, rythme le calendrier jusque chez soi, où la télévision, la console de jeu et l'ordinateur occupent une place centrale. Le divertissement remplit tout l'espace, reformate les villes historiques, quadrille les lieux naturels, construit des hôtels géants et des centres commerciaux le long des plus belles plages, crée des villages touristiques dans les plus infâmes dictatures. »
Raffaele Simone
Le « Trépidant Tyranneau » qui ramena la semaine de classe à quatre jours avait saisi la préférence de familles décomposées à l’égard de cette option, fut-il en contradiction avec le « travailler plus » qui nous amusa un temps. Et l’enfant roi fatigué par ses écrans avec un matin de moins à se lever de bonne heure était d’accord. Les corporatistes de la corporation ne l’avouaient pas forcément, mais la formule les arrangeait eux aussi.
Les communes prennent du pouvoir au détriment du ministère et elles sont tellement diverses.  Et les modifications d'Hamon (en aval) n'arrangent rien! Déceler un tel dessaisissement par le ministère lui-même ne peut venir que d’un ringard jacobin -c’est quoi jacobin ? Dans un monde qui fuit les contraintes tout en  se blottissant dans des idéologies les plus raides, on peut imaginer une façon de gouverner qui pour l’efficacité de ses propositions sache distinguer  les besoins d’une petite princesse en route vers sa première année de maternelle et le gaillard de CM2 véloce et plein d’appétit. Tout en évitant comme le fit France inter de traiter d’adolescent un enfant de 12 ans. Mais comme pour la réforme des régions, un redécoupage qui ne serait qu’un équilibre des masses économiques est voué à l’échec, si la culture est ignorée : la Creuse n’est pas le Rhône. On  ne vous l’a pas dit à l’école ?
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Dans le "Canard" de cette semaine:

jeudi 12 juin 2014

Hubert Robert.

Eric Conan nous a présenté aux amis du musée de Grenoble l’artiste dont le musée rénové de Valence possède la collection la plus importante après celle du Louvre et de l'Ermitage à St-Petersburg.
Né au temps de Louis XV, le dessinateur et peintre est mort sous Napoléon.
En 1754, il arrive à Rome où il restera 11 ans sous la protection du fils du Duc de Choiseul pour lequel son père avait été valet. Il suit les cours de l’académie et accumule les dessins appréciés  dès ses débuts par des collectionneurs ; ils se retrouvent désormais dans le monde entier.
Dans la ville pittoresque et ses environs, il accumule les souvenirs visuels avec une vivacité d’exécution remarquable. Il poussera jusqu’à Naples où les vestiges sont plutôt grecs.
Il représente les premiers touristes dans les ruines. Ses jardins sont peuplés de statues, de lazzaroni, de lavandières, de bergers, de mamans avec enfants...
Sa façon de dessiner ressemble à celle de Fragonard qu’il rencontre là bas. Bien des graveurs s’en inspireront.
Les ruines font, en ce XVIII° siècle, office de vanités : « combien Rome fut grande et belle ».
Son sens de la gradation de la lumière où il joue bien des réserves, ses jets d’eau vaporeux, ses effets atmosphériques et ses recompositions de paysages imaginaires vont l’amener au succès.
Membre de l’académie royale, il est chargé  de dessiner, d’aménager des jardins au moment de la vogue des jardins à l’anglaise.  
A Versailles après Le Nôtre, des arbres sont abattus, le bassin d’Apollon réaménagé, le petit Trianon renouvelé. Une laiterie aux meubles en acajou, avec plafond à caisson, fausse grotte et cascade a des allures de temple.
Le Moulin Joli à Colombes est une ferme joliment ornée où les clôtures ont disparu remplacées par un dénivelé dit « ahah ».
A Ermenonville, domaine du marquis de Girardin, où Rousseau finit sa vie, des fabriques sont édifiées dans le parc. Les physiocrates pensaient que la richesse de la nature était bonne pour le pays.
A Méréville, l’influence d’Hubert Robert est plus manifeste avec temples, colonnes rostrales, cénotaphe en l’honneur de Cook.
En outre, Il était tout désigné pour dresser un relevé des antiques en Languedoc.
Sur un même tableau figurent le pont du Gard, la maison carrée, les arcs de triomphe de Saint Rémy et d’Orange.
Il sait saisir aussi  l’actualité et son talent va au-delà de son surnom que le conférencier s’est gardé de rapporter : « Robert des Ruines » pour éviter d’inscrire un stéréotype chez ses auditeurs, pas plus qu’il ne nous racontera cet épisode étonnant trouvé dans Libération: « incarcéré à la prison parisienne de Sainte-Pélagie, avant d'être conduit à celle de Saint-Lazare. Il dut sa mésaventure aux fonctions officielles qu'il occupait pour la famille royale. Loin d'être accablé par son sort, il s'acharne à continuer à peindre et, quand le support habituel lui fait défaut, il continue à le faire sur les assiettes de Saint-Lazare. Pour la petite histoire, l'artiste dut de ne pas être guillotiné à l'insignifiance de son patronyme. Un jour que l'on faisait l'appel des condamnés dans la cour de la prison, un citoyen s'avança hors des rangs quand il s'entendit nommer. Il s'appelait, lui aussi, Robert, et c'est lui qui monta sur la charrette qui le conduisit à l'échafaud. Le citoyen Robert Hubert, quant à lui, tétanisé par la sentence, était resté statufié. Son nom de Robert lui a donc assuré la survie, avant de devenir célèbre dans l'histoire de l'art. »
Il avait peint la fête de la fédération, Louis XVI à sa dernière messe, André Chénier à Saint Lazare et une distribution de lait dans cette prison, la démolition de la Bastille et des habitations sur le pont de Notre Dame, le décintrement du Pont de Neuilly, l’incendie de l’Hôtel Dieu, des polichinelles qui peignent et chantent , madame Joffrin qui se fait livrer son déjeuner par une domestique et se promène  chez les abbesses à la mode…
L’incorrigible a bien envisagé des projets d’aménagement du Louvre mais ne put s’empêcher  de l’imaginer en ruines où seul l’Apollon du Réverbère tient debout.

mercredi 11 juin 2014

Musée archéologique Saint Laurent à Grenoble.

L’église désaffectée en 1980, était classée depuis Mérimée aux monuments historiques.
Aujourd’hui, il ne convient plus de dire « visite de l’église Saint Laurent » mais  au « musée » tant les nouveaux aménagements ont sublimé les lieux par des moyens numériques adaptés, des éclairages judicieux, une pédagogie plaisante. La promesse d’un « décryptage de la crypte » est tenue.
Si l’enveloppe extérieure du XIX° est conservée, la mise en évidence des différentes strates de l’histoire du bâtiment est habile et originale.
Depuis le IV° siècle, un cimetière existait hors les murs, sur la rive droite de l’Isère en face de la bourgade qui aura besoin d’agrandir ses fortifications jusqu’à l’époque  d’Haxo, « le Vauban du XIXème siècle ».
Le lieu fut occupé par des sépultures successives qui ont pu atteindre le nombre de 1500, au moment où le nom de Gratianopolis (ville de l’empereur Gratien) supplanta la dénomination gauloise de Cularo.
Une église cruciforme fut édifiée au dessus des tombes et mausolées .
Puis en 800 une nouvelle bâtisse avec sa nef s’éleva après d’autres reconstructions dont la crypte, dite de Saint Oyand au VI° siècle, très bien conservée, qui reste un rare exemple d’édifice du haut moyen âge encore debout avec ses agneaux et colombes des premiers temps chrétiens.
En l’an 1000 des bénédictins s’y installèrent, ils y prièrent jusqu’en 1790, mais du cloître il ne reste que les fondations.
Mosaïques, peintures, sculptures, vitraux témoignent des différentes époques, ainsi au plafond  se remarquent des svastikas qui n’étaient pas au XIX°, au moment où elles furent peintes, le symbole nazi. Parmi les objets découverts dans les sépultures, un grain de chapelet en forme de tête de mort est remarquable.
Un saint Pierre se devine sous une maçonnerie du XV°, après une vue d’ensemble du site où au dessus de la crypte apparait l’église carolingienne, puis romane jusqu’aux quatre évangélistes peints sur la voûte du chœur autour d’un christ en majesté.
Sur un vitrail,  le saint patron du lieu, Laurent, présente les pauvres à l’empereur comme étant « le trésor de son église », cette impertinence lui vaudra le supplice du grill représenté par ailleurs sur une toile peinte en 1850.
Le site internet http://www.musee-archeologique-grenoble.fr/ est à la hauteur du dispositif mis en place depuis 2011. La visite est gratuite.

mardi 10 juin 2014

Gribouillis. Turf.

Un gribouillis expressif va se promener dans un catalogue des Merveilleuses Usines Mécaniques Modernes genre Manufrance et c’est excellent.
Révélé par une puce perdue dans sa toison embrouillée et après le refus du poêle en fonte de le voir rejoindre une de ces pages, en chien apeuré il va être soumis à un diable sorti de sa boîte qui lui donnera la parole dont il n’abusera pas.
Inventif, poétique, humoristique, l’auteur de « La nef des fous » nous dit bien le monde et la conformité, la liberté, les incompréhensions, la candeur des découvreurs : une  heureuse surprise.
Drap en coton blanc et drap en coton aux motifs fleuris sont excellents en fantômes à la recherche de l’intrus :
« Bigre cette nouvelle est d’importance, il  conviendrait de le retrouver prestement »
« Houlala, les courbatures. J’étais si bien plié moi !

lundi 9 juin 2014

Adieu au langage. Jean Luc Godard.

Je ne peux plus compter sur mes copines, jusqu’aux plus cinéphiles, pour m’accompagner voir le dernier Godard,  même pour seulement une heure dix de surprises.
«Le philosophe est celui qui se laisse inquiéter par la figure d’autrui»
Il s’agissait de la version en 2D, mais de toutes façons avec l’helvète qui s’est lancé dans la 3D nous sommes dans une autre dimension.
«Les deux grandes inventions : le zéro et l’infini. Mais non : le sexe et la mort.»
Des plans très brefs, des musiques interrompues, des couleurs saturées, des citations rapides, des acteurs péremptoires, un chien, des images poétiques, des cadrages obliques, des morceaux de vieux films, la neige sur l’écran et sur les routes, des livres posés sur une table au bord d’un parking.
 « La pensée retrouve sa place dans le caca »,
La liberté.
Mais celui qui dans les années 70 a participé à l’expérience de télévision à la Villeneuve de Grenoble, au discours politique radical, se kripte. Avec la meilleure volonté, je n’arrive plus à décoder, sans doute formaté par les films habituels, et me contente d’apprécier les reflets de la pluie sur le bitume, quelques feuilles tombées dans une flaque, rendu à mes pensées brouillées, à mes bavardages, à mes silences.
« Bientôt tout le monde aura besoin d’un interprète pour comprendre les mots qui sortent de sa propre bouche »

dimanche 8 juin 2014

Torobaka. Akram Khan Israel Galvan.

Le bangladais installé à Londres concluait sa résidence à la MC2 http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/itmoi-in-mind-of-igor-akram-khan.html , en collaboration avec le sévillan, sémillant gardien de la flamme : le katchac est si proche de la danse gitane dans les volutes des ses bras et la frappe des pieds. Le toro et la vache.
La danse invite la musique, elle-même tape, rythme, pioche, pique, vibre, pieds nus et  voix nues..L’espagnol est tranchant, le danseur vedette de ces dernières années par chez nous plus enrobant : tous deux d’une intensité, d’une précision époustouflante. Le roi des pieds en vient à enfiler des chaussures à ses mains et il danse de toute son âme. La musique n’est pas en boite et les  chanteurs sont impressionnants dans leur profondeur, nous les suivons dans leur tour de la Méditerranée dont la variété ajoute au charme et à la force du spectacle.
Dans le tourbillon des gestes passent toutes les passions : le défi, la séduction, la vivacité, l’humour, l’accueil, l’orgueil, la générosité, la gravité, la violence qui mène à  poursuivre le rythme en frappant de la tête sur le sol.

samedi 7 juin 2014

Rosa candida. Audur Ava Olafsdottir.

Un jeune homme qui vient d’être père par inadvertance quitte la maison paternelle après la disparition accidentelle de sa mère, il laisse son frère jumeau autiste et son vieux père dans leur maison parmi les laves froides.
Le tableau pourrait être chargé et contrasté en regard de sa nouvelle vie où il reconstitue en un tour de main la plus belle roseraie du monde où vont se multiplier ses boutures de « Rosa candida », dans un monastère lointain où va le retrouver la mère de sa petite fille dont il va savoir s’occuper à merveille.
« Les femmes sont comme ça. Elles surgissent tout à coup devant vous, au seuil d'une nouvelle vie, un marmot sur les bras pour vous signaler que c'est à votre tour d'endosser la responsabilité d'une conception intempestive, d'un enfant-accident.»
Les conditions de lecture influent sur nos lectures. J’ai été emballé tant que je l’ai lu d’un trait appréciant le traitement original des personnages, l’écriture simple, l’humour doux.
« Je trouve qu’il est aussi important que cette jeune fille étrangère-je dis jeune fille comme mon vieux père- se représente une plage de sable vaste et déserte, sans aucune trace de pas, et puis rien d’autre que la mer sans fin… » Je préfère les recherches, les tâtonnements.
Si vers la fin  je me suis un peu lassé de la douce félicité dans laquelle baigne Arnljotur, dit Lobbi, je recommande portant volontiers ce roman islandais. La petite fille dans un monde vieux redonne la santé autour d’elle. Hormis le portrait  sans l’once d’une méchanceté d’un père à gros sabots, fréquenter pendant 332 pages autant d’ingénuité et d’innocence nous console de bien des tromperies du monde.
« On parle du corps à cent cinquante-deux endroits dans la Bible, de la mort à deux cent quarante-neuf et de roses et autre végétation terrestre à deux cent dix-neuf. J'ai recensé cela pour toi; ce sont les plantes qui m'ont pris le plus de temps; figuiers et vignes se cachent partout et il en est de même pour les fruits et toutes sortes de semences » a repéré le moine cinéphile qui parsème le parcours de quelques  formules de sagesse qui ne se prennent pas au sérieux.