jeudi 16 janvier 2014

Le Titien vs Michel Ange.


La peinture contre le dessin, « la querelle des coloris » qui sera développée au cours d’autres conférences par Michel Hochmann aux amis du musée remonte à la Renaissance et même à l’ Antiquité entre Aristote pour qui la beauté est matérielle (à l’huile) et Platon qui penche pour la beauté idéalisée (la ligne) .
A rechercher au-delà de l’heure où nous ont été présentés surtout des textes mais assez peu d’images, il y aurait aussi « la remise en question du Maniérisme (M. Ange) au nom des critères d'un classicisme ».
En tous cas lorsqu’une élève en 2013 regrette de ne pas assez dessiner en art plastique : ça remonte à loin.
Les critiques d’art s’empoignent déjà au milieu du XVI° siècle :
Vasari  auteur de « Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes » contre Dolce dont le livre « Dialogue de la peinture intitulé l'Arétin » a remis en cause Michel Ange le maître de Rome et de Florence.
Quand il est question du passage obligé par la copie de l’antique, Annibal Carrache dit :
« Je n’ai pas assez de place pour prouver la sottise de ce couillon de Vasari. » 
Querelles de campaniles entre Florence (pierre noire) et Venise (vert Véronèse) ?
L’homme (croquis) affronte la nature (fresque)
et l’idée (crayon) contrarie la spontanéité (pinceau),
mais « le maquillage n’empêche pas la laideur ».
Le graphisme comme procédé éducatif c’était jadis, la liberté a pris le pas.
Nous n’aurions pas soupçonné des prémices impressionnistes chez Le Titien (ci-dessus) pourtant Vasari le chantre du trait (ci-dessous) en personne ne disait-il pas ?
« les dernières [œuvres] sont peintes par touches apparentes, largement brossées dans un style de taches, si bien qu’on ne peut les regarder et qu’il faut s’éloigner pour les voir dans leur perfection. »

mercredi 15 janvier 2014

Ethiopie J 15. Hawasa, Awashe


La matinée commence par la visite du marché aux poissons, situé au bord du lac d’Hawasa. Nous pénétrons dans l’enceinte où des arbres sont couverts de marabouts dont quelques uns se disputent les restes de poissons lancés à la volée. Un dick dick effarouché est présenté dans les bras d’un jeune homme. Des petits restaurants bordent la plage herbeuse où des étudiants et des pêcheurs viennent manger du poisson pour pas trop cher.
Deux barques accostent et déversent leurs filets pendant que deux contrôleurs pèsent et mesurent chaque poisson d’une maigre pêche. Sous la halle couverte, des hommes coupent les filets de tilapias, gardent de côté la tête et l’arête centrale pour parfumer des soupes. Un caissier gère les comptes derrière sa table. A côté, de jolis singes verts nous suivent, les mâles sont dotés de testicules bleu cobalt et d’un pénis rouge vermillon. Leurs petites mains  fines attrapent délicatement la galette de maïs qui les a attirés.
Nous prenons la route d’Addis Abeba via la rift vallée, les ventes proposées sur la route changent encore selon les villages : carottes, pommes de terre, oignons…
Nous passons à Shashemene, village où résident les rastafarians d’Ethiopie accueillis par Hailé Sélassié, le négus.
En 1966 l’empereur d’Ethiopie arrive en Jamaïque qui subit une sécheresse depuis très longtemps, et ce jour là il pleut. Une prophétie de Marcus Garvey promettait l’arrivée d’un messie venu de l’Est qui sauverait l’homme noir. Hailé S. est haussé au rang de Dieu ; revenu chez lui, il offre l’hospitalité aux Jamaïquains et donne des terres à une cinquantaine de familles.
Mais les disciples de Bob Marley ne sont pas forcément « cool » aujourd’hui, sollicitant une « donation » pour une simple photographie de murs.  Notre guide nous met en garde contre cette « antre à racket » que constitueraient les bâtiments peints aux couleurs rasta : rouge pour le sang versé des esclaves, jaune comme l’or et vert comme la nature,  couleurs présentes sur tant de drapeaux africains : Mali, Sénégal, Guinée, Cameroun, Ghana, Congo, Ethiopie…
Nous rejoignons Iwaye, longeons des serres  tellement vastes que des vélos sont nécessaires pour s’y déplacer. Lorsqu’on arrive à la jonction Addis/Nazreth à Debre Zeit, il bruine comme en Angleterre. Nous déjeunons en attendant le mini bus qui doit nous prendre en charge en remplacement des deux 4X4  qui ne sont plus indispensables pour les routes à venir.
Nous faisons nos adieux à nos chaleureux chauffeurs, et prenons la route plus tôt que prévu. 
Nous avons bien ri avec eux qui nous racontaient:
« Dans le conseil  gouvernemental « il faut espacer les naissances » certains voulaient bien comprendre qu’il s’agissait d’un espacement géographique et non dans le temps. »
Ou alors cette autre blague :
« - Combien faut-il de temps pour relier telle ville à une autre ?
- Si tu vas lentement 6 à 7h, si tu vas vite : 3 jours car tu auras cassé des choses. »
Les paysages changent encore, un des champs inondé héberge une colonie de pélicans, les troncs d’arbre disparaissent sous les seaux. Nous traversons le champ volcanique  de Metahara et nous nous arrêtons pour admirer le cratère, les cases disséminées paraissent bien misérables. Nous sommes sur les terres des Kereyou nomades éleveurs de dromadaires. 

Comme le temps s’éclaircit, Girmay modifie le programme et avance la visite du parc d’Awashe. Nous passons la barrière de métal évidée en forme d’oryx (« Vercinge est oryx ») et suivons le chemin sans nous écarter comme il nous est demandé sur les pancartes à l’entrée. La voiture stoppe plusieurs fois et nous mimons les indiens en chasse pour nous approcher des oryx en faisant bien rire nos compagnes.
Nous avons l’occasion de voir une petite famille de phacochères bien gras mais fuyants, des pintades, des francolins et grâce à l’œil infaillible de Jean, nous débusquons deux grosses tortues. L’air embaume une sorte de jasmin.
G. nous presse, il souhaite nous montrer les chutes de l’Awash et il est plus de 18h, la nuit risque de nous surprendre. C’est fabuleux ! (« de toutes les matières c’est la wash que j’préfère ») Plusieurs bras se déversent à gros bouillons et « fument » d’embruns. L’eau marron, brassée tombe bruyamment, elle exprime une énergie surprenante, indomptable, sauvage surtout après les oueds à sec que nous avons traversés.
Sur la route goudronnée retrouvée, nous croisons une caravane de camions en provenance du port de Djibouti, débouché maritime du pays. Nous n’avions plus l’habitude d’une telle circulation à qui G. attribue la mort de chiens, alors que dans le sud les conducteurs évitent soigneusement toutes les bêtes pour échapper à la rétribution des propriétaires. Nous nous installons au « Genet hôtel » Genet est la traduction d’Eden (paradis) à Hawash. Les dallages de marbre sont luxueux mais il n’y a pas d’eau chaude. Quand il fait chaud : pas d’eau chaude.

mardi 14 janvier 2014

Les Folies Bergère. Porcel & Zidrou.


Un coup de poing à l’estomac.
« À la fin de la guerre - parce que faudra bien qu'elle se termine un jour, hein ! - on s'est tous juré d'aller fêter ça aux Folies Bergère, à Paris. C'est pour ça, le nom. »
Encore la guerre ! Et c’est le grand mérite de cet album de renouveler le genre en mêlant le fantastique qui en général ne m’embarque guère, la boue des tranchées et Monnet à Giverny loin du front quoique…
Un pantin Mimile se prend une balle dans le casque et les poilus, qui enfants chassaient les taupes, sont devenus taupes mais ne cessent de rire : « poil au pire » et s’inventent des repas de luxe quand vient le rata avec certains qui y laissent leurs boyaux dans la gamelle. Magnifiquement dessiné.
Au cœur de la folie, l’humour. L’humanité de chacun a encore plus de grandeur quand elle doit se coltiner la mort, l’absurdité, à chaque pas. J’ai rarement eu le sentiment comme cette fois de percevoir la puanteur qui pouvait émaner des tranchées au bord desquelles les cadavres de vos frères pourrissent.
Une grande BD forte avec laquelle on se dit : il n’y a que la BD pour rendre compte ainsi d’une telle folle réalité qui touche l’intime et l’universel, la folie, la colère, la beauté, les souvenirs, la chair et la fantaisie.
« Je vous salue patrie ! Vous êtes bénie entre toutes les nations et tant pis si on y laisse nos entrailles. »

lundi 13 janvier 2014

2 automnes 3 hivers. Sébastien Betbeder.


Les trentenaires peuvent être drôles et renouveler un récit d’histoires d’amour avec  légèreté et intensité.
Ils citent Moustaki de ma génération huitarde, sans faire nunuche :
« Pendant que je dormais, pendant que je rêvais
Les aiguilles ont tourné, il est trop tard
Mon enfance est si loin, il est déjà demain
Passe passe le temps, il n'y en a plus pour très longtemps »
Ils mentionnent Tanner et Munch sans être assommants.
Le reproche souvent fait au cinéma français de ne pas mentionner le contexte social est ici assumé, voire revendiqué. Le film à la fois mélancolique et subtil, très écrit, donne une impression de liberté par la sincérité des acteurs qui commentent leur vie sans être dupes, tout en restant disponibles et empathiques. Le ton est celui des BD de « Monsieur Jean » de Dupuis et Berbérian : entre bobos on se comprend.

dimanche 12 janvier 2014

Borges vs Goya. Rodrigo Garcia, Arnaud Troalic.


Je ne savais rien de l’auteur de « C'est comme ça et me faites pas chier » et je l’ai apprécié en salle de création qui est à la grande salle de la MC2 ce que le « off » est au « in » à Avignon : proximité avec les acteurs, public plus jeune, des spectacles plus risqués donc des déceptions ou des plaisirs plus vifs.
Julien Flament est un acteur qui dégage une énergie communicative et bien qu’il s’exprime en espagnol c’est lui qui tape sur un buzzer qui envoie la traduction et c’est encore meilleur tant sa démence, sa véhémence franchissent en rythme les rebords de la scène.
Deux histoires parallèles d’un côté un père  abusif qui veut entrainer ses deux jeunes fils surdoués à venir admirer des Goya au Prado, la nuit, de l’autre, dans une voiture un ancien admirateur de Borges déçu de ses silences pendant la dictature en Argentine.
Pères et fils, culture et foot, baise et coke,  la fragilité et les certitudes, la danse, le rêve et la folie, sourire jaune et humour noir, les murs, Borges était aveugle, Goya sourd.
Le spectacle d’une heure est musical et visuel.

samedi 11 janvier 2014

XXI. Hiver 2014. N° 25.

Je ne me lasse pas du trimestriel en vente en librairie, depuis son premier numéro, même si je me dis, cet article sur la censure en Chine, bon ça va, je connais, je vais faire l’impasse, et puis la force, l’humour de ce journaliste Wan Keqin emporte l’attention :
«  En Chine il est très difficile de faire des choses humaines, c’est comme grimper une montagne d’épées. »
Le thème développé sur trois articles dans ce numéro particulièrement riche est consacré à « l’argent fou, l’argent créateur »
avec le rêve réalisé d’une femme à Paris qui reçoit des cabossés de la vie dans un bel immeuble,
un dentiste canadien qui a voulu vendre de l’eau des glaciers islandais,
et le défi d’une monnaie locale à Nantes.
Le récit en photos croise les paroles de parrains et marraines d’adoption en France avec des enfants venus d’un autre monde, pas loin de chez eux.
Et ce sont encore des femmes qui nous communiquent de l’énergie :
des  co-épouses teinturières à Bamako
ou cette Maria qui a bâti des villages de la paix pour échapper à l’affrontement des FARC et de l’armée bolivienne.
300 personnes doivent partir de leur village auquel elles venaient de redonner vie :
« nous dormions à même la terre sans revêtement, tassés comme des petites fourmis. ».
Les reportages  ont le temps d’entrer dans la complexité des personnages
ainsi cette jeune russe qui s’est enthousiasmée pour Poutine et qui a abandonné la politique
ou cet ancien ami de Ben Laden avec qui il partagea sa passion des chevaux.
Le petit fils de Roosevelt qui vit en France a beaucoup de choses intéressantes à dire sur les « banksters », les usuriers.
La bande dessinée est mon dessert, c’est Tronchet qui  traverse le lac salé le plus grand du monde en Bolivie où il ne fait pas que du tourisme mais situe aussi les enjeux puisque les 2/3 du lithium mondial essentiel à l’électronique s’y trouvent. Les mines d’argent de Potosi pas très loin de là coûtèrent la vie à 8 millions de personnes du temps de conquistadors.
En pousse-café : une île où vivent sept familles : Tristan da Cunha à 2000 km de Saint Hélène.

vendredi 10 janvier 2014

Pour des humanités contemporaines. Jean Caune.

Dans la présentation par le philosophe Thierry Menissier du livre de Jean Caune à la bibliothèque du centre ville de Grenoble, j’ai bien aimé la formule  
« la culture générale permet de connaître le monde, de l’évaluer, pour y évoluer ».
Les qualités d’ingénieur, de philosophe, de cultureux, de politique engagé de Jean Caune ressortent ainsi que ses talents de comédien où dans un dialogue avec un comparse, il essayera de sortir du genre conférence depuis une table.
Très vite nous allons au-delà du réasticage du mot « humanités » au pluriel, rimant avec « humanité » au singulier.
Une citation de Giorgio Agamben définit le contemporain comme  
« celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l'obscurité. » Allons-y !
Dans notre ville dont les anneaux olympiques se sont défraichis, les « nano technologies »  dans le « Y » à la technophilie enjouée, ne sont elles qu’une appellation publicitaire destinée à pomper des subventions ?
Nous pourrions être sortis de la croyance dans le progrès depuis l’ypérite (gaz moutarde) centenaire, pourtant nous reculons d’effroi à l’idée de perdre l’idée de progrès.
Le savoir non spécialisé devrait permettre le partage, mais à l’université dans la guerre des disciplines : difficile de trouver un langage commun.  Il y a bien eu des polémiques quand un usage métaphorique du vocabulaire scientifique s’est révélé être une imposture, mais bien des mots restent piégés et les formules rhétoriques abondent, ainsi le terme « éducation populaire » a perdu de sa réalité. Les  mots de « diffusion » et de « transmission » se confondent et même « éducation artistique » n’est pas vraiment dans la formation des maîtres (oh pardon ce dernier mot est un intrus).
Ce n’est pas avec une telle assistance pas très potache que va avancer le dialogue entre les sciences empiriques et celles soumises aux interprétations pour éviter les éternelles oppositions entre disciplines dures et molles.
J’ai retenu que les cultures du sud tournées vers le passé permettaient d’envisager plusieurs choses à la fois : comme les femmes (c’est moi qui l’ajoute) ; les cultures anglo-saxonnes, elles, segmentent le temps.
Au cours de cette soirée où Malraux a été évoqué, je n’ai pas perdu mon temps en  allant à la source de son discours intégral prononcé lors de l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens. Ça a de la gueule !
« Le temps vide, c'est le monde moderne. Mais ce qu'on a appelé le loisir, c'est à dire un temps qui doit être rempli par ce qui amuse, est exactement ce qu'il faut pour ne rien comprendre aux problèmes qui se posent à nous. »
« Si le mot culture a un sens, il est ce qui répond au visage qu'a dans la glace un être humain quand il y regarde ce qui sera son visage de mort. La culture, c'est ce qui répond à l'homme quand il se demande ce qu'il fait sur la terre. Et pour le reste, mieux vaut n'en parler qu'à d'autres moments : il y a aussi les entractes. »
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Dans "Le Point ":