jeudi 2 janvier 2014

Watteau Antoine.


Prononcer Ouateau comme  à Valenciennes où il est né.
Depuis 28 ans de conférences aux amis du musée, le peintre des fêtes galantes n’avait pas été présenté, le manque est désormais comblé avec Eric Conan.
Watteau, élève à Paris de Gillot, illustrateur, décorateur, peintre, fréquente le marché Saint Germain où se donnent des parodies des succès théâtraux de l’époque, « libertin d’esprit mais sage de mœurs ». Son œuvre sera marquée par la commedia del arte et s’il apprend les arabesques, les singeries, il apporte sa propre fantaisie au cours de la Régence dont il incarne par ses toiles, la légèreté, la délicatesse.
Pourtant il ne vécut que six ans après le règne de Louis XIV (54 ans au pouvoir).
En 1717, il est élu membre de l’Académie de peinture après avoir présenté  le « Pèlerinage à l’île de Cythère» dans une catégorie crée spécialement pour lui : «  peintre de fêtes galantes ». Jardin d’amour inspiré de Rubens qu’il avait eu l’occasion de voir au musée du Luxembourg.
Rodin a écrit: « … les pèlerins font monter leurs amies dans la nacelle qui balance sur l'eau sa chimère dorée, ses festons de fleurs et ses rouges écharpes de soie. Les nautoniers appuyés sur leurs rames sont prêts à s'en servir. Et, déjà portés par la brise, de petits Amours voltigeant guident les voyageurs vers l'île d'azur qui émerge à l'horizon. »
Greuze y vit des « fricassées d’amour ». Les amants s’en vont.
J’aime ses dessins aux traits efficaces. Dans les scènes bucoliques, les frottis sont légers pour des frondaisons presqu’impressionnistes. Quand s’effacent les décors, la frontière entre le réel et sa représentation est floue. La mélancolie se mêle à  la futilité, la sensualité s’esquisse.
Les musiciens accordent leurs instruments, dans un décor pastoral, les tourtereaux content fleurette.
« L’enseigne de Gersain » fut sa dernière œuvre, aux belles dimensions alors que souvent la taille de ses productions est modeste, en milieu urbain cette fois.
Des commentateurs y voient un précurseur de Degas ou Daumier pour cette scène de la vie parisienne.
Depuis la rue pavée nous entrons dans la boutique idéalisée qui permet de citer Rubens, et les flamands. La palette est lumineuse, s’anime de personnages aux tenues soyeuses, se regardant dans un miroir, un portrait de louis XIV est mis dans une caisse, alors qu’un marchand présente une scène mythologique.
En 1721, il meurt de tuberculose, il a 37 ans.
Alors que beaucoup de ses tableaux sont à l’étranger, au Louvre le grand  « Pierrot » longtemps appelé «Gilles », le clown immobile lumineux et triste, nous interroge.

mercredi 1 janvier 2014

Bon an

La photographie est prise sur le vieux port à Marseille sans montage, les reflets sont ceux d’un miroir de 46 sur 22 mètres de  Norman Foster.
Je prends un petit morceau d'un texte d'Ariane Mnouchkine paru sur Médiapart  pour présenter mes voeux aux lecteurs de ce blog :
« Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont  ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs. »

mardi 31 décembre 2013

The beats. Pekar. Piskor. Buhle.



Une histoire de la beat generation aux Etats Unis.
Les dessins de Piskor, très ligne claire, sont un peu raides pour transcrire la folie de l’époque qui est mieux traduite par d’autres dessinateurs qui ont collaboré à cette anthologie graphique.  Dans la dernière partie du livre, ils se sont attachés à décrire la biographie de personnages moins fameux que Kerouac, Burroughs, Ginsberg dont on apprend qu’ils ne furent pas toujours glorieux. La femme de Burroughs meurt d’une balle dans la tête, son Guillaume Tell a été maladroit.
Les œuvres respectives de ces géants de la littérature au mitan du siècle d’avant : « Sur la route », « Howl », « Le festin nu »  développent les thèmes des grands espaces, où la description de voyages par les drogues, l’alcool, le sexe, firent scandale et succès dans une Amérique coincée.
Il est des épisodes intenses comme l’histoire de cette toile de Jay Defoe « the rose » qu’elle a mis 8 ans à peindre et sous ces 30 cm d’épaisseur pesait une tonne, il a fallu découper un mur pour la déménager.
Mais les 200 pages ne rendent pas toujours compte de l’effervescence de l’époque.
Pourtant il est frappant de voir l’importance de la poésie dans les années 50 et l’influence de la culture « Hobo », les chemineaux des trains de marchandise, sur les beats et beatniks dont les recherches spirituelles et formelles les menèrent souvent vers le pacifisme, le surréalisme, et pour quelques femmes vers le féminisme.

lundi 30 décembre 2013

Le géant égoïste. Clio Barnard.


« Un Ken Loach sans l’humour » m’a dit une amie qui m’avait précédé au cinéma : pas mieux.
L’amitié est-elle un luxe ?
En tous cas elle est chaotique entre deux jeunes exclus de l’école amenés à récupérer des métaux dans des quartiers à l’abandon du Nord de l’Angleterre.
Des chevaux pâturent sous la lune et courent sur la route.
Qu’il est dur cet enfant hyper actif échappant à toute patience pédagogique qu’il faut tirer de dessous le lit ! C’est sa sauvegarde.
Il ne peut se cacher dans un trou de souris d’une enfance encore si proche, comme il en existe dans les livres qu’il n’a pas lus.
Ce film fort décrit la misère sans détour et aussi la vitalité de certains, l’amour des mères. La tendresse aux ongles noirs y est furtive, cependant les tours de la centrale électrique peuvent paraître belles.
La réaliste réalisatrice est subtile, pénétrante et juste, les acteurs vrais et émouvants.
Même s’il faut aller chercher loin la signification du titre tiré d’un conte d’Oscar Wilde qui éclaire d’une belle lumière cet impitoyable récit contemporain.
Un géant a chassé les enfants qui jouaient dans son jardin, alors l’hiver s’y est installé…

dimanche 29 décembre 2013

Le crocodile trompeur. Samuel Achache Jeanne Candel.



Il parait qu’il ne subsiste qu’un tiers du long livret de « Didon et Enée » de Purcell écrit en 1689 dans ces deux heures de spectacle, le reste étant de la farce (« Le Didon de la farce » n’est pas de moi), sauce Monty Pithon, en tous cas humour anglais, réservé plutôt aux « happy few ».
Je suis de ce public qui essaye d’accéder à des domaines qui ne me sont pas familiers : « opéra- champagne-caviar » quand sur le plateau, les voix disent, dit-on, les passions.
L’opéra est un genre qui ne se laisse pas aborder facilement, mais j’étais content après l’avalanche de propositions loufoques, que les chanteuses mêlées avec bonheur aux musiciens puissent montrer tout leur savoir.
Les dieux contrarient  l’amour de la reine Didon envers Enée qui la quitte, elle en meurt de chagrin.
Devant la faveur critique qui présentait ce mix théâtre/opéra, je m’attendais à apprécier pleinement un spectacle « déjanté » bien que le qualificatif devienne un passage désormais banal dans un monde de « péteur de câbles » et de « grimpeur de tours ».
La mode est au collage si possible hétéroclite. Pourtant si je reconnais volontiers auprès de mes amis qui ont apprécié en majorité cette soirée à la MC2, des séquences sympathiques, des digressions curieuses, l’ensemble baroque m’a paru de bric et de broc destiné à devenir « gravataire », c’est que nous sommes dans les débris.
J’ai aimé quand Enée traine Didon sur un tapis rouge et inversement, quand la reine amplifie les battements de son cœur et que la musique se déchaine, quand elle s’installe à la batterie.
Mais l’esthétique des ruines me lasse quand  m’assaillent des images de Sarajevo ou de Haïti, de préférence à Carthage contrée si proche des dieux dans ces temps où Cupidon fréquentait les demi-dieux et les demi-sels. Un emblématique skieur fournit une prestation spectaculaire et originale mais je n’en ai pas perçu l’utilité dans cette œuvre dont j’ai eu l’impression d’avoir attendu trop longtemps qu’elle démarre enfin.

samedi 28 décembre 2013

Freedom. Jonathan Franzen.


le début de cette histoire familiale de 700 pages m’a paru déplaisant tant l’auteur semble mépriser ses personnages, et en avançant j’ai été pris par la finesse des approches alliée à une franchise revigorante, directe.
Dans sa jeunesse, Madame Bovary aurait joué au basket avec ce romancier américain dont l’efficacité cerne les personnages au plus près par un dispositif qui multiplie les plans tout en restant limpide. Fin et attentif. Dense et plaisant à lire, allant loin dans la psychologie des personnages sans les enfermer, les inscrivant dans le siècle, en étant de tous les temps.
« La forêt septentrionale de feuillus, au sud de Charleston, était maintenant d’une seule teinte, à la veille de l’équinoxe, comme une austère tapisserie de gris et de noirs. Dans une semaine ou deux, l’air chaud du sud arriverait pour verdir ces bois, et un mois plus tard les oiseaux chanteurs assez robustes pour migrer des tropiques les empliraient de leurs chants, mais le gris de l’hiver semblait à Walter être le véritable état d’origine de la forêt septentrionale. L’été n’étant qu’une grâce accidentelle  annuelle»
Tout est précaire dans l’Amérique de Bush et les destins incertains de chaque personnage s’exposent dans une histoire qui nous concerne tous: les tentatives pour faire coïncider nos idées et nos actes, nos contradictions, nos faiblesses, nos aveuglements, nos bonheurs furtifs…
Quelle liberté ?
«  Si tu n’as pas d’argent, tu t’accroches à tes libertés avec encore plus de rage. Même si fumer te tue, même si tu n’as pas les moyens de nourrir tes gosses, même si tes gosses se font descendre par des malades armés de fusils d’assaut. Tu peux être pauvre mais la seule chose que personne ne peut te prendre, c’est la liberté de foutre ta vie en l’air comme tu veux. »
Les Berglund ne sont pas des héros, quoique démocrates.  
« Les Berglund étaient ce genre de progressistes qui se sentaient excessivement coupables et qui avaient besoin de pardonner à tout le monde pour que leur bonne fortune personnelle puisse leur être pardonnée ; des gens qui n'avaient pas le courage d'assumer leurs privilèges »
Dans un entretien au nouvel Obs,  l’auteur dit :
 « L'écriture est désormais la hache qui brise le vernis totalement artificiel de notre monde où le relationnel est subordonné à la technologie. L'écriture permet de reprendre contact avec l'humanité qui existe sous cette surface policée. »
Mission accomplie

vendredi 27 décembre 2013

Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels. Olivier Forlin.



La banalisation du terme « fascisme », les références aux années 30, qui se multiplient en ce moment, m’ont  entrainé à la librairie du Square pour écouter le maître de conférences à l'Université Pierre Mendès France à Grenoble qui présentait son livre dont le sous-titre est essentiel.
Il s’agit d’une histoire des interprétations par les politiques, les intellectuels, qui alimentent nos mémoires sélectives ou envahissantes, pour un phénomène né après la première guerre mondiale.
L’auteur distingue trois périodes.
- De 1919 à 45, où la lecture politique domine,
- puis jusqu’aux années 60 quand les historiens déterminés encore par une grille politique entrent en jeu. Mussolini est présenté à la tête d’une clique parvenue au pouvoir par la violence et la propagande. La population italienne est disculpée.
« Rome ville ouverte » le film de Rossellini peut être cité comme illustration de cette vision.
- Les historiens s’imposent désormais, l’anamnèse est en route, qui reconstitue l’histoire d’un sujet malade.
Bertolucci en  témoigne dans « 1900 », de même que Scola réalisant « Une journée particulière ».
Les phrases remontant des bavardages de nos contemporains Bertrand ou Estrosi, osant  des références lourdes au totalitarisme au moment où Woerth faisait dans les affaires et que des journalistes faisaient leur travail, paraissent dérisoires, mais l’autre : Berlusconi, n’est pas rigolo quand il a dit que « Mussolini n’a tué personne ».
Le nazisme et le fascisme furent des phénomènes internationaux articulant un parti légal à des groupes paramilitaires, vouant un culte aux chefs ; « l’homme nouveau » en Italie est tourné vers le futur alors que la pureté raciale s’inspirait du passé chez les Allemands.
Il fut question dans les discussions qui ont suivi l’exposé qui mettait en appétit, de Sternhell  qui fait remonter les racines du fascisme au XIX° siècle, en France, au moment du boulangisme et de l’anti parlementarisme avec cette « troisième voie » de toujours rejetant marxisme et libéralisme.
Le contexte a changé, le label infamant ne rend pas compte de toute la réalité de l’extrême droite qui par contre est vraiment l’extrême droite : celle du repli sur l’hexagone, polarisée par l’étranger bouc émissaire, populiste, essayant de gommer les traits d’une « Aube dorée », mais  dans le panier bien des fruits portent des taches brunes. 
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Dans Le Canard de cette semaine: