mercredi 2 février 2011

Touristes en chine 2007. # J4. La muraille.

Départ pour Jinshanling qui n’est pas le plus éloigné des lieux pour aborder la Grande muraille ni le spot le plus couru par les tours opérators. Nous parcourons quelques centaines de kilomètres dans un brouillard qui nous empêche de profiter vraiment du paysage. La Buick à l’aile repeinte dans la nuit, dont les dépassements nous surprennent, roule sur la voie de gauche systématiquement mais respecte les limitations de vitesse. Les frontières de la capitale qui englobent la campagne correspondent plus à un district qu’à une commune.
Dans l’hôtel Jin Shan au pied de la muraille, nous est réservé un petit pavillon rien que pour nous avec trois chambres autour d’un salon. Nous nous promenons après quelques courses de bouche : eau et biscuits. Une escouade bien organisée de marchands de souvenirs silencieux mais bien présents, s’accroche à nous pour l’ascension, chacun le sien !
La grande muraille serpente à l’infini, ponctuée de tours surmontant le paysage semi-brumeux ; la réverbération est forte, heureusement le vent est bien présent. Il y a deux jours nous visitions la cité interdite, aujourd’hui nous sommes dans un lieu majeur de l’histoire du monde nous apprécions ce privilège et peu importe si ce monument est visible ou non de la lune. C’est une sorte de ligne Maginot qui a plus servi à ravitailler des contrées éloignées que défendu des mongols. Environ 10 millions d'ouvriers seraient morts pendant les travaux. Les livres parlent d’un dragon couché sur des collines : 8800 km avec des interruptions. Les chiffres varient mais restent dans des dimensions colossales. Les marches de taille inégales montent et descendent et recommencent. La pente est rude mais la route, suivant les crêtes, n’est pas droite. Nos « guides locaux » nous abandonnent avec la promesse que nous ferons affaire en bas. Nous croisons, surtout après la station d’arrivée du téléphérique, d’autres touristes, mais pas des hordes. Nous cassons une petite graine à l’abri frais d’une tour. Nous nous séparons : les plus gaillards poursuivent enfin à leur rythme, Danny redescend avec Diane qui pétoche autant qu’elle avec l’orage qui s’annonce, nous, nous flânons.Tonnerre, la brume s’estompe, le ciel noircit avec des pointes de lumière magnifiques, la vue se dégage et nous sommes seuls! Roulement de tambours dans le ciel, le ciel change de seconde en seconde, la muraille révèle ses teintes de briques, du gris au jaune ou rouge. Les paysages ressemblent aux peintures… chinoises, du foncé au clair pour les collines et montagnes. Nous prenons un chemin différent bien entretenu et empierré où la pluie nous surprend. Une maison abandonnée au bout d’un pont « à la chinoise » nous impressionne. A l’arrivée nos vendeurs sont là, le marchandage est souriant, tandis que notre comparse nous immortalise dans nos ponchos de Schtroumpfs. Le temps est breton : nous apprécions le silence, pas une voiture. Quelques voix lointaines et un coq ; nos sportifs reviennent bien contents et nous rédigeons nos cartes postales en commun. Il en manque toujours une quand on croit avoir fini : fous rires.Repas à 18h30 dans le restaurant de l’hôtel situé dans un bâtiment en contrebas. Vaste salle « communiste » à l’éclairage blafard avec petite scène de théâtre dont le décor représente bien sûr la muraille. Nous commandons des plats traduits vaguement en anglais, ce sera la surprise. Un vrai festin sans presque attendre : des pommes de terre râpées au goût de céleri à peine cuites et craquantes, du poulet aux haricots, de la viande au piment et cumin : fort mais excellent et de la viande sucrée pour farcir des tranches de tofu qui ressemblent à du cheddar ! Mifa, soupe aux noddles, bières, thé. Les serveuses s’ennuient derrière le comptoir. Il pleut. Nous profitons du pavillon, bavardages sous la galerie puis dans le salon pour faire le point des jours à venir, et discussions politiques. Il nous faut réfléchir sur la façon d’éclairer les lampes avant de nous allonger, tant les circuits sont inhabituels.

mardi 1 février 2011

Paul à Québec. Michel Rabagliati.

Prix du public à Angoulême, et ce n’est pas volé ! Rares sont les B.D. avec leurs allures rigolotes qui vous bouleversent, eh bien c’est le cas avec ce volume de 187 pages aux éditions la Pastèque.
Portant en série télévisée, j’aurai méprisé cette chronique de la vie heureuse d’une grande famille. Et pourquoi découpée en cases, je suis entré dans l’histoire de ces gens ordinaires ? Les assemblées y sont chaleureuses et les individus sympathiques. Bien des expressions de là bas ajoutent des couleurs : « Ils font exprès pour t’étriver p’pa… Achale moi pas toi ! » Les traits sont ceux d’un fin humoriste, le montage et les cadrages élégants permettent le recul qui mène à l’universel. On aimerait assurer aussi gentiment, efficacement et souvent joyeusement l’accompagnement d’un des piliers de la tribu qui arrive en fin de vie. Le temps a passé depuis la cabane à sucre dans la campagne, les jeunes ont déménagé, les petits ont grandi, le grand père fume ses dernières cigarettes. Le récit des années terribles de sa jeunesse a beau être violent, venant dans un moment apaisé d’une vie réussie, il participe à la plénitude de ces existences.
« Vieillir n’est pas drôle pantoute mon Paul, profitez de vot’ jeunesse, parce que ça passe vite en simonac, la vie. »

lundi 31 janvier 2011

Le secret de Chanda. Oliver Schmitz

Un enfant vient de mourir, sa mère est malade, le père est une loque : heureusement la fille ainée va sauver le reste de la famille et donner un peu d’espoir dans un milieu où la superstition attise la folie des foules. Le SIDA n’est pas qu’une catastrophe sanitaire mais un désastre culturel, une démolition de la société. La solidarité qui permettait encore la survie dans les quartiers explose. Ce film se déroulant en Afrique du sud est un mélo, mais il n’y a pas de honte si son efficacité amène à dévoiler les non-dits, avancer un peu vers la vérité.

dimanche 30 janvier 2011

Que faire ? (Le retour). Jean- Charles Massera.

Je n’avais pas apprécié un des livres du critique d'art, et écrivain : « We are l’Europe » et là mis en scène par Benoit Lambert avec de bonnes tranches de chanson et des citations à la pelle, je me suis régalé avec toute la salle de l’Hexagone qui applaudissait en cadence une représentation théâtrale qui se termine tout de même par la confection d’un cocktail Molotov. Et nous sommes à Meylan, en banlieue chic. Martine Schambacher et François Chattot les deux acteurs sont pour beaucoup dans la réussite de la soirée avec leur conviction, leur entrain, leur fraîcheur. Dans leur cuisine en bois blanc, avant le « Que faire ? » léninien, la question féconde est « On garde ? » Ainsi quand il faut se débarrasser de livres, est ce qu’on met dans un sac la révolution française, la russe, mai 68, la déclaration des droits de l’homme, l’art contemporain, Beuys et d’autres ? Dont une américaine qui aurait composé un alphabet culinaire et va offrir l’occasion au couple laconique au départ, de partir en vrilles réjouissantes. Il est question de politique et du sens de la vie, il faut vivre malgré l’absurde et le vide qui s’ouvre sous nos pas. Des extraits de Ferré, Piaf, Deleuze et Guattari, Descartes, Bourdieu, je me disais : il faut retrouver ces morceaux, il y avait du Godard paraît-il et du Bergman, mais je n’ai pas reconnu. En tous cas c’était bien, par contre j’ai récupéré le texte d’une chanson d’Anne Sylvestre découvert ce soir :
« J'aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J'aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer
J'aime les gens qui tremblent
Que parfois ils ne semblent
Capables de juger
J'aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté
J'aime leur petite chanson
Même s'ils passent pour des cons
J'aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas comme il faut,
...
J'aime les gens qui doutent
Et voudraient qu'on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu'on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu'on leur dise que l'âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu'on les remercie
Qu'on leur dise, on leur crie
"Merci d'avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu'elles ont pu".

Et une petite pastille de Mouloudji :
« Bien qu'aveugles sur fond de nuit
entre les gouffres infinis
des milliards d'étoiles qui rient...
faut vivre...
malgré qu'on soit pas toujours beau
et que l'on ait plus ses seize ans
et sur l'espoir un chèque en blanc
faut vivre...
malgré le cœur qui perd le nord
au vent d'amour qui souffle encore
et qui parfois encore nous grise
faut vivre... »

samedi 29 janvier 2011

Ce qui a dévoré nos cœurs. Louise Erdrich.

Je garde de mes ancêtres laboureurs, une part d’incompréhension à l’égard des oisifs qui se promènent dans la campagne; je me soigne, mais c’est encore dans les livres que je trouve le plus de charme à la nature.
Louise Erdrich nous avait livré un ouvrage roboratif avec « La chorale des maîtres bouchers », c’était son côté allemand ; cette fois c’est sa part indienne qui s’exprime puissamment.
Un tambour rituel découvert lors d’un inventaire dans une maison américaine va être le véhicule de transmission d’histoires essentielles peuplées de personnages qui acquièrent très vite une densité chaleureuse. Même les corbeaux dévoilent de leurs mystères, alors si les loups, les ours constituent un fond romanesque, les humains dans ces contrées où le froid est plus froid, sont palpitants.
L’empathie de la romancière n’est jamais mièvre et bien des scènes sont violentes, des situations pénibles avec incendies, abandons et chienne folle ; elle nous emmène où elle veut sans les artifices du polar. Nous partageons sa façon d’envisager la vie, la mort, les filiations d’une façon inédite. Ce tambour dont il est question qui exacerbe les sentiments, qui initie, qui rappelle, c’est ce livre lui même.
Je suis assez imperméable aux atmosphères fantastiques et pourtant dans ces 300 pages, j’ai suivi avec passion ces dialogues entre vivants et morts, à la fois poétiques et enracinés dans la terre la plus élémentaire.
« Tu es ici pour être engloutie. Et quand il t’adviendra que tu sois brisée, trahie, abandonnée, blessée, ou que la mort te frôle, autorise- toi à t’asseoir au pied d’un pommier et écoute les pommes tomber en tas autour de toi, gaspillant leur goût sucré. Dis-toi que tu en as goûté autant que tu as pu. »

vendredi 28 janvier 2011

Champ de ruines

La politique s’est tellement dévaluée que subsistent seulement quelques silhouettes ridicules à qui lancer des boulettes.
Morano et Lefèvre entretenaient avec constance la vieille impression facile que « décidément le niveau baisse ! » mais Alliot Marie (« Ali Mariolle » Le Canard) vient de les rejoindre au fond du panier. L’image de la France prêtait à sourire avec « Nicolas le Névrosé » selon le mot de Patrick Rambaud ; c’est la honte à présent, plus personne ne rit, elle est partie la patrie des droits de l’homme, dans le passé.
La Tunisie : en dehors de Daniel Mermet qui prêchait dans le désert depuis des années, les vertueux de la dernière minute qui envahissent les écrans sont inconvenants, et le parti socialiste, qui côtoya Ben Ali dans l’internationale du même nom, ne peut que se montrer discret.
Quotidiennement, viennent s’accumuler les signes de la dégradation des services de santé, de l’éducation, des transports, de la justice, de l’emploi et les seules mesures en matière de fiscalité sont péjoratives pour l’environnement, ils s’apprêtent en outre à cramer l’ISF !
Si Hollande dit « mourir dans la dignité, c'est respecter ce que l'on a été, mais il faut aussi vivre dans la dignité», il a bien sûr raison, cependant comment secouer le pessimisme qui nous accable ?
Le plus préoccupant, car le plus durable, c’est la mise à bas des valeurs qui tenaient debout les citoyens, qui donnaient sens au travail.
Les recteurs étaient des serviteurs de l’intérêt général, ils obtiendront des primes personnelles, s’ils appliquent avec zèle une politique mortifère pour le service public. Et les télés de jouer la diversion voulue par les communicants gouvernementaux : l’anglais à trois ans, et tout et son contraire sur les rythmes scolaires pour masquer les dégâts sans précédents occasionnés à l’école par l’ancien de l’Oréal, Chatel.
Ceux qui ne mesuraient pas leur conscience professionnelle avec quelques Euros, ont les tripes qui se nouent. Des suicides à la poste, chez les policiers, après France télécom : faites venir le psy sur le plateau ! Que peut-il rester de la responsabilité des acteurs d’une société qui ont cru à la noblesse de leur travail ? Les tissus les plus intimes de la société sont touchés par une marchandisation des plus cyniques : l’argent pour les chefs d’établissements n’aurait pas mieux servi à l’embauche d’un jeune ? Woerth ministre de la République fit profession de tromper l’état et récompensa ceux qui se soustrayaient à l’impôt : ça c’est vu ! Mais nous sommes passés à d’autres dadas.
La défaite sur les retraites va au-delà des retraites et ce n’est pas rien cette régression. Le défunt journal Bakchich qui ne manquait pas de vigueur, reconnaissait que ce n’était pas que la faute des directions syndicales. Le « Ploutocratique Leader » (P. Rambaud) peut se féliciter devant son premier cercle de la passivité des enseignants devant l’hécatombe des postes, c’est grave. On a peut être crié trop de fois à la casse des services publics, là c’est fait !
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Dessin du Canard

jeudi 27 janvier 2011

L’exaltation du corps au temps du baroque.

Le XVII° siècle sera celui du corps triomphant. La beauté est aussi masculine quand Le Caravage l’amène dans sa lumière.
Par des cadrages serrés, sur des fonds sombres, l’attraction vers le corps humain est cependant teintée de culpabilité. Bacchus malade, c’est un autoportrait : le corps est fragile. Le bourreau de Saint Matthieu est plutôt bien traité, comme Judith la criminelle et l’amour vainqueur a un air coquin. La rédemption arrive après les souffrances, c’est Isaac sur le point d’être sacrifié. La mise en évidence de l’influence du Caravage assez récente, est indiscutable aujourd’hui. Des corps de vieillards prennent de la noblesse avec Ribera. Au palais Farnèse, le baroque grimpe au plafond, c’est la bénédiction de la chair avec Annibal Carrache et ses mises en scènes panoramiques. Les jésuites qui l’ont accueilli, avec ses amours de dieux antiques, se sont montrés habiles en renvoyant la mythologie au rang de fable ; ces Apollon ne font plus peur. L’orchestration symphonique de cette gloire des corps, encadrés par des trompe- l’œil rend gloire au corps, création divine.
Poussin a passé l’essentiel de sa carrière à Rome, et sa Vénus triomphale est d’une humaine beauté.
Christian Loubet, intervenant devant les amis du musée, a mentionné les collages d’Ernest Pignon qui a remis dans les rues de Naples les représentations des modèles qui inspirèrent les peintres d’alors. Il parle d’ « effets spéciaux » concernant l’élargissement de la scénographie avec Rubens. Persée représentant la peinture libère la beauté. Je reviendrai voir son jugement dernier à la fluidité impressionnante. Les filles de Leucippe semblent consententantes quand elles se font enlever par Castor et Polux avec leurs courbes généreuses aux rythmes complémentaires.
La vision du corps sera plus prosaïque avec Rembrandt qui se met dans un coin d’un tableau où il représente son épouse, pour nous dire : « je suis le gardien de la beauté de ma femme ». Sa leçon d’anatomie où les apprentis chirurgiens en toute discrétion chromatique ont les yeux rivés sur un corps mort pour mieux apprendre la beauté des vivants. C’est « l’âge d’or ».
La source de la lumière est au centre des tableaux du discret Georges De La Tour dont les corps nacrés resplendissent. Son prisonnier, qui est interprété aujourd’hui comme étant Job au corps flétri reprenant de l’énergie avec sa femme qui vient le visiter. René Char : « La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n'ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l'emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d'ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l'homme assis. Sa maigreur d'ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L'écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore. »
Le Mars de Vélasquez semble déchu, le temps emporte les corps. Le Bernin qui sculpta souvent des statues pour des tombeaux est le mieux placé pour représenter l’art baroque en donnant vie au marbre. La plus immuable des pierres devient l’organe des métamorphoses. « La vérité dévoilée par le temps » n’est pas qu’un titre parmi d’autres, c’est à travers la théâtralité la plus outrée la sublimation du corps, celui-ci n’est pas que faible, il s’exalte. Sublime il nous transporte. Sainte Thérèse accède à la transverbération dont Wikipédia nous dit : « Ce terme désigne le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé. Il s'agit d'une blessure physique provoquée par une cause immatérielle. Il s'agit du prélude à l'union du "Verbe" et d'une âme, sous forme de noces ou mariage mystique » Encore le « Verbe ». Sainte Thérèse, elle-même, écrivait : « J'ai vu dans sa main une longue lance d'or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu'il y avait un petit feu. Il m'a semblé qu'on la faisait entrer de temps en temps dans mon cœur et qu'elle me perçait jusqu'au fond des entrailles; quand il l'a retirée, il m'a semblé qu'elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu'elle me faisait gémir » Il fait chaud dans la chapelle de Santa Maria della Vittoria à Rome.