lundi 4 janvier 2010
Yuki et Nina
Quelques scènes réussies en ouverture de ce film de Nobuhiro Suwa et Hippolyte Girardot où deux fillettes posent de bonnes questions à des adultes assez immatures, en voie de séparation. Puis la fantaisie légère qui faisait le charme initial devient invraisemblable. La petite japonaise et son amie un moment drôles et émouvantes deviennent horripilantes. Des scènes soit disant dans le rêve plombent au contraire le film au final bâclé. Et c’est toujours un certain cinéma français qui se déroule paresseusement dans des milieux où n’existent pas les contraintes économiques. On peut cependant y amener sa fille ou sa petite fille pour les changer des films d’animation, cette amitié avec ses complicités peut leur parler.
dimanche 3 janvier 2010
Avec Léo
Léo le seul, pour toujours. Ferré. Lui qui autorisa l’absolu, et pourtant, aujourd’hui, venu des tréfonds de mes années, de mes passions, je n’ose rédiger un billet le concernant pour la machine à giga, alors que j’aligne volontiers les mots à propos des Fatals Picards.
En contournant, je vais tenter de livrer quelque sentiment concernant les artistes qui en 2003 ont saisi le chiffon noir du blanc échevelé disparu 10 ans avant. Si tous ont des musiques plus chatoyantes que le vieil original, ce sont les plus anciens qui conviennent le mieux à mes oreilles. Brigitte Fontaine et sa voix, Lavilliers avec sa fidélité ; Noir Désir était fait pour, presque trop. « Thank you Satan » s’évapore par contre avec Dionysos et j’ai beau aimer Zebda, « Vingt ans » ne leur va pas, alors qu’Higelin traite fort bien « Jolie môme ». « Avec le temps » est tellement monumental que Baschung semble atone, mais la force des paroles emporte le morceau, ainsi « Mon camarade » a beau avoir le trop mignon Dominique A pour le servir, cette chanson me transperce, comme « Si tu t’en vas » d’un certain Hurleur.
« Je n'sais plus combien ça fait d'mois
Qu'on s'est rencontrés, toi et moi
Mais depuis, tous deux, on s'balade...
On n'prend jamais le vent debout
C'est lui qui pousse et on s'en fout
Mon camarade ...
En avril, tous les prés sont verts
Ils sont tout blancs quand c'est l'hiver
En mars, ils sont en marmelade
Mais il y a pour deux vagabonds
Un coin d'étable où il fait bon
Mon camarade ! …
Je me demande, certains jours
Pourquoi nous poursuivons toujours
Cette éternelle promenade...
Oui, c'est parc'qu'on n'a pas trouvé
Le bonheur qu'on avait rêvé...
Mon camarade...
Un jour, on s'ra tout ébahis
On arrivera dans un pays
Plein de fleurs, d'oiseaux, de cascades...
On s'ra reçus à bras ouverts
Y aura des carillons dans l'air !
Mon camarade !…
En contournant, je vais tenter de livrer quelque sentiment concernant les artistes qui en 2003 ont saisi le chiffon noir du blanc échevelé disparu 10 ans avant. Si tous ont des musiques plus chatoyantes que le vieil original, ce sont les plus anciens qui conviennent le mieux à mes oreilles. Brigitte Fontaine et sa voix, Lavilliers avec sa fidélité ; Noir Désir était fait pour, presque trop. « Thank you Satan » s’évapore par contre avec Dionysos et j’ai beau aimer Zebda, « Vingt ans » ne leur va pas, alors qu’Higelin traite fort bien « Jolie môme ». « Avec le temps » est tellement monumental que Baschung semble atone, mais la force des paroles emporte le morceau, ainsi « Mon camarade » a beau avoir le trop mignon Dominique A pour le servir, cette chanson me transperce, comme « Si tu t’en vas » d’un certain Hurleur.
« Je n'sais plus combien ça fait d'mois
Qu'on s'est rencontrés, toi et moi
Mais depuis, tous deux, on s'balade...
On n'prend jamais le vent debout
C'est lui qui pousse et on s'en fout
Mon camarade ...
En avril, tous les prés sont verts
Ils sont tout blancs quand c'est l'hiver
En mars, ils sont en marmelade
Mais il y a pour deux vagabonds
Un coin d'étable où il fait bon
Mon camarade ! …
Je me demande, certains jours
Pourquoi nous poursuivons toujours
Cette éternelle promenade...
Oui, c'est parc'qu'on n'a pas trouvé
Le bonheur qu'on avait rêvé...
Mon camarade...
Un jour, on s'ra tout ébahis
On arrivera dans un pays
Plein de fleurs, d'oiseaux, de cascades...
On s'ra reçus à bras ouverts
Y aura des carillons dans l'air !
Mon camarade !…
samedi 2 janvier 2010
Les droits de l’homme ont-ils un avenir ?
Il est bon que les questionnements s’attaquent à des causes incontestables.
Y a-t-il une usurpation du combat anti totalitaire avec ces droits mis à toutes les sauces et pourtant si mes souvenirs sont bons il n’a pas été question des sans papiers dans ce débat au forum de Libé à Lyon en septembre ?
Cette fois, Finkielkrault tombe à gauche face à Alexander Hall, homme politique et historien polonais.
Mon philosophe préféré est un peu comme Guy Bedos qui se présente encore comme le mal aimé, alors qu’on ne voit qu’eux. Mais il y a une part de vrai : dans cette omniprésence, il y a la part patrimoniale faite au témoin d’une époque révolue.
On le voit mais on ne l’écoute plus. Sera-t-il le Dernier Homme ?
« Au nom des droits de l’homme, on lève une à une toutes les barrières aux désirs des individus. Le camp des limites et le camp de l’illimitation brandissent le même étendard. »
Il puise ses exemples dans la prédation sur Internet, les mères porteuses, et prêche pour le droit à la réfutation. Eloge de la faillibilité qui est la condition de la liberté d’expression, de même que la laïcité est la base de l’exercice de la démocratie, comme la mixité dans la civilité européenne. Le débat politique sera déterminant pour déjouer les ruses de la domination de classe pour que l’universel ne soit pas lu comme le modèle occidental imposé.
La responsabilité devrait être l’obligée du monde, bien que la tradition soit désormais récusée, pour que l’opinion ne soit pas une reine absolue ; reste encore et encore le savoir, l’éducation.
Y a-t-il une usurpation du combat anti totalitaire avec ces droits mis à toutes les sauces et pourtant si mes souvenirs sont bons il n’a pas été question des sans papiers dans ce débat au forum de Libé à Lyon en septembre ?
Cette fois, Finkielkrault tombe à gauche face à Alexander Hall, homme politique et historien polonais.
Mon philosophe préféré est un peu comme Guy Bedos qui se présente encore comme le mal aimé, alors qu’on ne voit qu’eux. Mais il y a une part de vrai : dans cette omniprésence, il y a la part patrimoniale faite au témoin d’une époque révolue.
On le voit mais on ne l’écoute plus. Sera-t-il le Dernier Homme ?
« Au nom des droits de l’homme, on lève une à une toutes les barrières aux désirs des individus. Le camp des limites et le camp de l’illimitation brandissent le même étendard. »
Il puise ses exemples dans la prédation sur Internet, les mères porteuses, et prêche pour le droit à la réfutation. Eloge de la faillibilité qui est la condition de la liberté d’expression, de même que la laïcité est la base de l’exercice de la démocratie, comme la mixité dans la civilité européenne. Le débat politique sera déterminant pour déjouer les ruses de la domination de classe pour que l’universel ne soit pas lu comme le modèle occidental imposé.
La responsabilité devrait être l’obligée du monde, bien que la tradition soit désormais récusée, pour que l’opinion ne soit pas une reine absolue ; reste encore et encore le savoir, l’éducation.
vendredi 1 janvier 2010
« Une année de plus …
« ... à quoi bon les compter ?
Ce jour de l’An parisien ne me rappelle rien des premier janvier de ma jeunesse ;
et qui pourrait me rendre la solennité puérile des jours de l’An d’autrefois ?
L’année n’est plus cette route ondulée, ce ruban déroulé qui, depuis janvier,
montait vers le printemps, montait,
montait vers l’été pour s’y épanouir en calme plaine, en pré brûlant coupé d’ombres bleues, taché de géraniums éblouissants,
puis descendait vers un automne odorant, brumeux, fleurant le marécage, le fruit mûr et le gibier,
puis s’enfonçait vers un hiver sec, sonore, miroitant d’étangs gelés, de neige rose sous le soleil … Puis le ruban ondulé dévalait, vertigineux,
jusqu’à se rompre net devant une date merveilleuse,
isolée, suspendue entre les deux années comme une fleur de givre :
le jour de l’An … »
C’est de Colette dans « les vrilles de la vigne » remise en majesté sur le blog
« Actu bien pris tes comprimés » que vous pouvez visiter à partir de la colonne de droite de cette page, je viens de le découvrir et mis dans mes blogs préférés.
Sur son bandeau une citation de Desproges :
"En cas de morsure de vipère, sucez-vous le genou, ça fait marrer les écureuils"
L’année commence bien.
Ce jour de l’An parisien ne me rappelle rien des premier janvier de ma jeunesse ;
et qui pourrait me rendre la solennité puérile des jours de l’An d’autrefois ?
L’année n’est plus cette route ondulée, ce ruban déroulé qui, depuis janvier,
montait vers le printemps, montait,
montait vers l’été pour s’y épanouir en calme plaine, en pré brûlant coupé d’ombres bleues, taché de géraniums éblouissants,
puis descendait vers un automne odorant, brumeux, fleurant le marécage, le fruit mûr et le gibier,
puis s’enfonçait vers un hiver sec, sonore, miroitant d’étangs gelés, de neige rose sous le soleil … Puis le ruban ondulé dévalait, vertigineux,
jusqu’à se rompre net devant une date merveilleuse,
isolée, suspendue entre les deux années comme une fleur de givre :
le jour de l’An … »
C’est de Colette dans « les vrilles de la vigne » remise en majesté sur le blog
« Actu bien pris tes comprimés » que vous pouvez visiter à partir de la colonne de droite de cette page, je viens de le découvrir et mis dans mes blogs préférés.
Sur son bandeau une citation de Desproges :
"En cas de morsure de vipère, sucez-vous le genou, ça fait marrer les écureuils"
L’année commence bien.
jeudi 31 décembre 2009
La X°biennale au Musée d’Art Contemporain de Lyon.
Une vidéo à l’entrée remplace la cabane de Ben, il s’agit d’un guitariste à moitié maquillé en noir dont les paroles sont prises dans des discours d’Obama : il faut le savoir !
Comme sont oubliables des vidéos de scènes de plage, ou des automates en uniformes qui battent tambours. Par contre des reconstitutions de tableaux classiques avec des personnages contemporains parfaitement éclairés, ne manquent pas d’attirer notre attention. Et la salle remplie de représentations évolutives d’un village en république tchèque est spectaculaire. Sarkis a été plus discuté entre nous, l’atmosphère créée dans de grands espaces qui lui sont réservés rassure un de mes amis, je suis plutôt refroidi. Une certaine poésie peut naître cependant de ces journaux soulevés par un courant d’air et bien que traditionnelles des phrases au néon peuvent intéresser. Par contre la profusion de bandes vidéos brillantes et noires de Mounir Fatmi produit un effet visuel spectaculaire et la question figurant sur le livret d’accompagnement est d’importance :
« le visiteur est invité à utiliser les photocopieuses, mais que conservent-ils de ce jeu ? Une image vide ? La trace vaine d’un rectangle de papier ? Comment aujourd’hui construit-on une mémoire, comment s’écrit l’histoire ?
Au centre de son œuvre le bégaiement des transmissions culturelles et mentales »
Nous y sommes.
Comme sont oubliables des vidéos de scènes de plage, ou des automates en uniformes qui battent tambours. Par contre des reconstitutions de tableaux classiques avec des personnages contemporains parfaitement éclairés, ne manquent pas d’attirer notre attention. Et la salle remplie de représentations évolutives d’un village en république tchèque est spectaculaire. Sarkis a été plus discuté entre nous, l’atmosphère créée dans de grands espaces qui lui sont réservés rassure un de mes amis, je suis plutôt refroidi. Une certaine poésie peut naître cependant de ces journaux soulevés par un courant d’air et bien que traditionnelles des phrases au néon peuvent intéresser. Par contre la profusion de bandes vidéos brillantes et noires de Mounir Fatmi produit un effet visuel spectaculaire et la question figurant sur le livret d’accompagnement est d’importance :
« le visiteur est invité à utiliser les photocopieuses, mais que conservent-ils de ce jeu ? Une image vide ? La trace vaine d’un rectangle de papier ? Comment aujourd’hui construit-on une mémoire, comment s’écrit l’histoire ?
Au centre de son œuvre le bégaiement des transmissions culturelles et mentales »
Nous y sommes.
mercredi 30 décembre 2009
J 15 : Pléku, Kontum
Un jeune guide charmant nous prend en charge quelques heures pour nous conduire à l’aéroport et enregistrer nos bagages pour un vol sur les lignes intérieures. L’une d’entre nous a gardé son Opinel dans son bagage de cabine, elle est accompagnée au bureau d’enregistrement où on range l’arme dans une boite volumineuse qui voyagera dans la soute.
L’avion à hélice se pose au bout d’une heure sur le petit aéroport de Pleiku que nous avons atteint en crevant l’édredon des nuages. Une bruine insignifiante n’appelle pas la protection du parapluie à la descente de l’avion.
Notre nouvelle guide, madame Thien, parle un français très correct, son fils vit en France… elle connaît l’Ardèche. Nous pouvons vite embarquer dans notre voiture en direction de Kontum, à une trentaine de kilomètres de Pleiku. Nous sommes à 500 m d’altitude, l’air est frais. Nous arrivons chez les montagnards. Les rizières à perte de vue ont cédé la place aux caféiers, au manioc et au maïs. La route parfaitement rectiligne connait des travaux d’élargissement et un tronçon est à l’état de piste.
Le véhicule stoppe devant l’hôtel « Indochine » qui correspond à notre image d’un tel bâtiment dans un état socialiste : démesuré avec une décoration minimaliste et des finitions bâclées. Nous nous installons dans nos chambres de taille imposante, sans ibiscus ni pétale de rose. Nous déjeunons dans un restaurant modeste, en soulevant le couvercle des marmites qui cuisent sur le trottoir : porc aux vermicelles avec ce qu’il faut de piments. Pour la communication, le père s’efface devant son adolescente scolarisée.
Thien s’impatiente car le guide local obligatoire a une minute de retard. Elle nous fait part de sa conception assez rigide du correct et de l’incorrect. « Madame le colonel », c’est ainsi que l’appelait son ex mari, quand on lui a posé la question ce matin sur le service militaire, nous a répondu : trois ans pour les garçons et pour les filles : « ce sont des juments qui veulent devenir cheval ! »
Le guide local a des airs d’un professeur de notre connaissance et se débrouille très bien en français. Il commence son tour par l’église en bois de Kontum construite sur pilotis dans le style des maisons banhars: basse, en bois de fer avec nef et transept, elle est éclairée de nombreuses fenêtres de style gothique dont les vitres sont recouvertes de faux vitraux collés représentant des scènes bibliques naïves.
En voiture nous poussons un peu plus loin vers un premier village banhar. Nous découvrons d’abord une maison communale avec son élégant toit pentu en paille. On y accède par une « échelle Dogon ». A l’intérieur on peut voir le nouveau « génie » Ho Chi Minh, des photos de la rénovation du toit nécessaire tous les dix ans. C’est le lieu de tradition orale : il n’y a pas d’écrit chez les Banhars. Les vieux initient et conseillent les jeunes avant qu’ils fondent une famille de même quand on chuchote une formule magique dans l’oreille d’un bébé, c’est la vie qu’on lui insuffle. Nous traversons ce premier village très dispersé au milieu de la végétation envahissante sur des chemins voire des sentiers d’une terre rouge ravinée par la pluie. Des maisons reposent sur des pilotis avec l’avancée centrale protégée comme un balcon. Sous l’habitation, on peut voir des bêtes dans leur enclos, des outils, des motos appuyées contre des troncs d’arbre évidés, cercueils en attente d’utilisation. Les poules logent dans de petites constructions également sur pilotis telles des châteaux forts.
De pauvres habits sont suspendus sous l’avancée centrale. Les enfants jouent et rient sans excitation. Au point d’eau près de la route, les femmes et les enfants se lavent ou sont de corvée d’eau.
Le deuxième village Banhar, parmi les 650 recensés, est moins disséminé que le premier. Nous y voyons une jeune femme, dans son jardin, tisser une pièce avec beaucoup d’art, entourée de poteaux sculptés par son mari. De jeunes garçons et filles boivent de la bière et jouent de la guitare au bord de la rivière, échappant un moment aux occupations et traditions. Leurs ainés travaillent à la construction d’une église.
Le troisième village parait plus important en nombre d’habitants et d’animaux. Des cochons noirs de toutes tailles surgissent de partout, les poulets, les chiens courent entre les maisons. Nous nous pressons: c’est l’heure où les vaches reviennent des prés situés sur l’autre rive et traversent le fleuve à la nage, les enfants accrochés à leur queue. Les bêtes dérivent avec le courant et mettent pied sur la terre ferme à l’endroit prévu. Dans la lumière du soleil déclinant, c’est une image biblique. Elles doivent ensuite franchir un raidillon pénible, glissant et boueux. Avec nous, sur la rive qui domine, des enfants encouragent et dans le même temps se moquent des animaux dans la difficulté. Une vache glisse et se retrouve coincée sur le dos, les pattes en l’air, sans parvenir à se redresser, ce qui provoque les rires et les lazzis des gamins. L’un d’eux essaie de tirer la vache par la queue, puis la frappe à grands coups de pieds dans les flancs. La pauvre bête trouve enfin l’énergie et le bon mouvement pour se redresser ;
Nous dinons tôt, le restau du Routard s’avérant fermé, nous en trouvons un autre modeste, comme celui de ce matin. Bon bœuf ananas et noodles with vegetables. Il n’est que huit heures quand nous rentrons à l’hôtel.
Nous sommes passés de la côte touristique avec toutes les infrastructures et même plus, à l’intérieur, loin des passages. Notre hôtel « Indochine », seulement vieux de quatre ans, est en passe d’être vendu et sombre doucement vers l’abandon, il n’y a déjà plus de restaurant.
L’avion à hélice se pose au bout d’une heure sur le petit aéroport de Pleiku que nous avons atteint en crevant l’édredon des nuages. Une bruine insignifiante n’appelle pas la protection du parapluie à la descente de l’avion.
Notre nouvelle guide, madame Thien, parle un français très correct, son fils vit en France… elle connaît l’Ardèche. Nous pouvons vite embarquer dans notre voiture en direction de Kontum, à une trentaine de kilomètres de Pleiku. Nous sommes à 500 m d’altitude, l’air est frais. Nous arrivons chez les montagnards. Les rizières à perte de vue ont cédé la place aux caféiers, au manioc et au maïs. La route parfaitement rectiligne connait des travaux d’élargissement et un tronçon est à l’état de piste.
Le véhicule stoppe devant l’hôtel « Indochine » qui correspond à notre image d’un tel bâtiment dans un état socialiste : démesuré avec une décoration minimaliste et des finitions bâclées. Nous nous installons dans nos chambres de taille imposante, sans ibiscus ni pétale de rose. Nous déjeunons dans un restaurant modeste, en soulevant le couvercle des marmites qui cuisent sur le trottoir : porc aux vermicelles avec ce qu’il faut de piments. Pour la communication, le père s’efface devant son adolescente scolarisée.
Thien s’impatiente car le guide local obligatoire a une minute de retard. Elle nous fait part de sa conception assez rigide du correct et de l’incorrect. « Madame le colonel », c’est ainsi que l’appelait son ex mari, quand on lui a posé la question ce matin sur le service militaire, nous a répondu : trois ans pour les garçons et pour les filles : « ce sont des juments qui veulent devenir cheval ! »
Le guide local a des airs d’un professeur de notre connaissance et se débrouille très bien en français. Il commence son tour par l’église en bois de Kontum construite sur pilotis dans le style des maisons banhars: basse, en bois de fer avec nef et transept, elle est éclairée de nombreuses fenêtres de style gothique dont les vitres sont recouvertes de faux vitraux collés représentant des scènes bibliques naïves.
En voiture nous poussons un peu plus loin vers un premier village banhar. Nous découvrons d’abord une maison communale avec son élégant toit pentu en paille. On y accède par une « échelle Dogon ». A l’intérieur on peut voir le nouveau « génie » Ho Chi Minh, des photos de la rénovation du toit nécessaire tous les dix ans. C’est le lieu de tradition orale : il n’y a pas d’écrit chez les Banhars. Les vieux initient et conseillent les jeunes avant qu’ils fondent une famille de même quand on chuchote une formule magique dans l’oreille d’un bébé, c’est la vie qu’on lui insuffle. Nous traversons ce premier village très dispersé au milieu de la végétation envahissante sur des chemins voire des sentiers d’une terre rouge ravinée par la pluie. Des maisons reposent sur des pilotis avec l’avancée centrale protégée comme un balcon. Sous l’habitation, on peut voir des bêtes dans leur enclos, des outils, des motos appuyées contre des troncs d’arbre évidés, cercueils en attente d’utilisation. Les poules logent dans de petites constructions également sur pilotis telles des châteaux forts.
De pauvres habits sont suspendus sous l’avancée centrale. Les enfants jouent et rient sans excitation. Au point d’eau près de la route, les femmes et les enfants se lavent ou sont de corvée d’eau.
Le deuxième village Banhar, parmi les 650 recensés, est moins disséminé que le premier. Nous y voyons une jeune femme, dans son jardin, tisser une pièce avec beaucoup d’art, entourée de poteaux sculptés par son mari. De jeunes garçons et filles boivent de la bière et jouent de la guitare au bord de la rivière, échappant un moment aux occupations et traditions. Leurs ainés travaillent à la construction d’une église.
Le troisième village parait plus important en nombre d’habitants et d’animaux. Des cochons noirs de toutes tailles surgissent de partout, les poulets, les chiens courent entre les maisons. Nous nous pressons: c’est l’heure où les vaches reviennent des prés situés sur l’autre rive et traversent le fleuve à la nage, les enfants accrochés à leur queue. Les bêtes dérivent avec le courant et mettent pied sur la terre ferme à l’endroit prévu. Dans la lumière du soleil déclinant, c’est une image biblique. Elles doivent ensuite franchir un raidillon pénible, glissant et boueux. Avec nous, sur la rive qui domine, des enfants encouragent et dans le même temps se moquent des animaux dans la difficulté. Une vache glisse et se retrouve coincée sur le dos, les pattes en l’air, sans parvenir à se redresser, ce qui provoque les rires et les lazzis des gamins. L’un d’eux essaie de tirer la vache par la queue, puis la frappe à grands coups de pieds dans les flancs. La pauvre bête trouve enfin l’énergie et le bon mouvement pour se redresser ;
Nous dinons tôt, le restau du Routard s’avérant fermé, nous en trouvons un autre modeste, comme celui de ce matin. Bon bœuf ananas et noodles with vegetables. Il n’est que huit heures quand nous rentrons à l’hôtel.
Nous sommes passés de la côte touristique avec toutes les infrastructures et même plus, à l’intérieur, loin des passages. Notre hôtel « Indochine », seulement vieux de quatre ans, est en passe d’être vendu et sombre doucement vers l’abandon, il n’y a déjà plus de restaurant.
mardi 29 décembre 2009
En famille
La soupe aux choux de grand-mère, un événement.
Grand-père se déchaussait le premier : cors, durillons, oeils de perdrix, quelques poils blancs. Il riait, agitait les orteils- les vieux sont joueurs- remontait le bas de son bleu de travail- on ne lui connaissait pas d’autre accoutrement- trempait le doigt dans la marmite. Vérifions la température du bouillon. Trop chaud c’est pas bon pour mes varices.
On l’aidait à se hisser sur le banc, puis sur la table paysanne de bois brut poli par le temps comme il se doit dans les illustrations de bouquins pour gamins, une manière de leur apprendre l’histoire des classes populaires.
Grand-père aimait les soupes de sa femme. Il levait le pied droit, soutenu par sa descendance, le plongeait dans la marmite, le gauche suivait vite le même chemin.
C’est qu’il avait fait la guerre dans les Aurès ; alors, la soupe vous pensez bien !
Le patriarche de son piédestal : oui, elle est assez salée. Comment un pied peut-il doser la salinité d’un liquide ? Je n’ai aucune réponse, de toute façon c’est en famille, les secrets, vous savez. Non, elle n’était pas trop grasse, l’os à moelle avait la bonne taille. Nous devinions que le pépé palpait la chose consciencieusement. Comment un pied peut-il palper, hein ? C’est un secret pour personne que les pieds palpent surtout dans les contes.
Il poussait un soupir de soulagement comme après une longue séance de massage podologique, lâchait un pet. Nous, on aimait les pets de Pépé : c’est pas un vice quand même !
Enfin il redescendait sur la terre battue, eh ! Pauvre terre ! C’était le tour d’oncle Hubert.
Il ne s’asseyait pas sur le tabouret à trois pattes placé dans la marmite. Debout, ses fesses de gendarme pointant. Son regard bleu ne mentait pas ; il fixait par la fenêtre les terres de l’héritage. Il jouissait du glissement des poireaux entre ses orteils et nous en avisait. Ca lui rappelait les algues à marée basse du côté de St Valérie-en-Caux.
Ma grande sœur Berthe, prenait la relève, son missel-mi-raisin, à la main. Droite comme une sainte médiévale, elle gravissait le banc, la table. Sa tête ignorait ce que trafiquaient ses panards. Avec un prénom pareil, on ne peut avoir que des panards, même si ce n’est pas élégant pour une future sainte d’en avoir de si grands.
Je souhaitais furieusement, follement, violemment que mon étourdie de sœur renversât le faitout. Je savais, hélas, de quelle extrême attention sont capables les distraits. Quant aux distraites…
C’était mon tour. Je n’étais pas bien vieille et si timide. Alors monter sur les planches même en famille me fichait la chamade. Je chougnais bien que je susse l’inutilité de mes larmes. Oh ! La grande fille pas courageuse ! Oh la brailloux !
On me juchait de force parmi les couverts. Le bouillon m’arrivait au bas des cuisses. C’était gluant et doux, ça sentait le laurier. Je fermais les yeux toujours et je chantais.
Qui aurait supporté tant d’appétit dans leurs yeux de loups ?
Marie Treize
Grand-père se déchaussait le premier : cors, durillons, oeils de perdrix, quelques poils blancs. Il riait, agitait les orteils- les vieux sont joueurs- remontait le bas de son bleu de travail- on ne lui connaissait pas d’autre accoutrement- trempait le doigt dans la marmite. Vérifions la température du bouillon. Trop chaud c’est pas bon pour mes varices.
On l’aidait à se hisser sur le banc, puis sur la table paysanne de bois brut poli par le temps comme il se doit dans les illustrations de bouquins pour gamins, une manière de leur apprendre l’histoire des classes populaires.
Grand-père aimait les soupes de sa femme. Il levait le pied droit, soutenu par sa descendance, le plongeait dans la marmite, le gauche suivait vite le même chemin.
C’est qu’il avait fait la guerre dans les Aurès ; alors, la soupe vous pensez bien !
Le patriarche de son piédestal : oui, elle est assez salée. Comment un pied peut-il doser la salinité d’un liquide ? Je n’ai aucune réponse, de toute façon c’est en famille, les secrets, vous savez. Non, elle n’était pas trop grasse, l’os à moelle avait la bonne taille. Nous devinions que le pépé palpait la chose consciencieusement. Comment un pied peut-il palper, hein ? C’est un secret pour personne que les pieds palpent surtout dans les contes.
Il poussait un soupir de soulagement comme après une longue séance de massage podologique, lâchait un pet. Nous, on aimait les pets de Pépé : c’est pas un vice quand même !
Enfin il redescendait sur la terre battue, eh ! Pauvre terre ! C’était le tour d’oncle Hubert.
Il ne s’asseyait pas sur le tabouret à trois pattes placé dans la marmite. Debout, ses fesses de gendarme pointant. Son regard bleu ne mentait pas ; il fixait par la fenêtre les terres de l’héritage. Il jouissait du glissement des poireaux entre ses orteils et nous en avisait. Ca lui rappelait les algues à marée basse du côté de St Valérie-en-Caux.
Ma grande sœur Berthe, prenait la relève, son missel-mi-raisin, à la main. Droite comme une sainte médiévale, elle gravissait le banc, la table. Sa tête ignorait ce que trafiquaient ses panards. Avec un prénom pareil, on ne peut avoir que des panards, même si ce n’est pas élégant pour une future sainte d’en avoir de si grands.
Je souhaitais furieusement, follement, violemment que mon étourdie de sœur renversât le faitout. Je savais, hélas, de quelle extrême attention sont capables les distraits. Quant aux distraites…
C’était mon tour. Je n’étais pas bien vieille et si timide. Alors monter sur les planches même en famille me fichait la chamade. Je chougnais bien que je susse l’inutilité de mes larmes. Oh ! La grande fille pas courageuse ! Oh la brailloux !
On me juchait de force parmi les couverts. Le bouillon m’arrivait au bas des cuisses. C’était gluant et doux, ça sentait le laurier. Je fermais les yeux toujours et je chantais.
Qui aurait supporté tant d’appétit dans leurs yeux de loups ?
Marie Treize
Inscription à :
Articles (Atom)