jeudi 16 avril 2009

Dessiner la révolution.

S’il n’y avait les salles d’exposition permanentes au château de Vizille, l’exposition temporaire concernant les dernières acquisitions du musée de la révolution serait un peu austère.
Pourtant, les dessins révèlent la vitalité, l’authenticité des artistes, et pour célébrer l’effervescence de ces heures bi-centenaires, ils constituent un moyen privilégié.
Les sujets présentés visent à édifier le citoyen : la république et à sauver et la nation en majesté montre « la Liberté des nations qui copient la table des droits de l’homme ».
On peut rêver plus imprévu, plus dramatique, plus vibrant.
Il y a un tableau inventé mais émouvant des adieux de Danton et Desmoulins devant la guillotine et de remarquables dessins préparatoires au tableau impressionnant vu au musée : « les dernières victimes de la terreur ». Les nuances, les recherches, le travail sont perceptibles, et là nous retrouvons l’épaisseur du temps, l’engagement de l’artiste un demi siècle après les événements qui ont retenti longtemps; ils étaient si jeunes.

mercredi 15 avril 2009

Pédagogiques conseilleurs. Faire classe # 29

Ayant trouvé mon bac dans la pochette surprise 68, ingrat boomer, j’en suis à approuver souvent les regretteurs du niveau-qui-baisse. Des surdiplômés arrivent dans la carrière d’enseignant, ils renâclent parfois à se pencher bien bas pour torcher une larme ou éponger un vomi. Fils de paysan indûment monté dans l’ascenseur, je me sens plus à proximité des parents blédards que des petits marquis iufimisés...de surcroît, ils sont jeunes, je suis vieux. Les jeunes femelles apprennent mieux que les vieux singes.
Même blanchis sous le harnois, les conseilleurs pédagogiques jouent les juvéniles. Quelle tristesse de les voir courir après tous les renoncements, et s’assoupir sous l’édredon de la branchitude. Ils apparaissent souvent comme l’imbécile de la blague chargé de montrer la puissance de sa pensée devant le bocal d’un poisson rouge et qui repart en arrondissant des « blop ! blop ! ».
Mon échantillon de ces échappés des contraintes du quotidien était formé de trop de conformistes prêchant l’anticonformisme, de directifs prônant la non-directivité. Ils ont bien souvent renoncé à transmettre aux élèves pour prescrire à leurs collègues. Chargés à mes yeux d’animer les débats pédagogiques, ils jouent plutôt les propagandistes peu enclins à laisser s’exercer la liberté qu’ils affichent. Il est vrai que les exemples de dialogues véritables, venant d’en haut, sont peu fréquents et Trissotin n'est plus une caricature. La faute à Rousseau. Bien peu de respect, d’écoute, de reconnaissance … de pédagogie. Dans les débats sévissent toujours l’inamovible Mérieux versus le petit dernier médiatique : Brighelli. Hamon lui navigue bien mieux dans les vagues. Dans les temps héroïques, des copeaux de Bourdieu, des dessins de Charlie hebdo, des airs de Ferré agrémentèrent le bla bla. Illitch est mort oublié, le poisson trempé dans le Perrier se sent un peu patraque… Idéalistes, réactionnaires, démagogues, alouette ! Le match se joue devant des tribunes vides. Les belles phrases et les bons sentiments. La beauté affronte la bonté. Et si l’éducation convergeait avec l’instruction ?
Le miroir grotesque d’un « tout-fout-le-camp » contre « tout-va-très-bien » précède l’incendie froid et silencieux - le pire.
Nous avons cru en la liberté, où l’inné compterait pour des prunes, il est revenu subrepticement nous portant à douter de tout apport étranger aux spirales génétiques.
L’enfant au centre, qui répond ? De qui procède la vérité quand tu as cinq ans ? La liberté se trouve-t-elle à ta portée? Lorsque l’école se tait, qui cause ? Si les enfants avaient plus le temps d’être des enfants, peut être que des jeunes seraient moins revenus de tout avant d’être partis ? Ils ne sont pas dupes, mais quand va-t-on cesser de se mentir ?
« Ce n’est pas à l’école à montrer ça » : finalement les timorés avaient raison contre moi qui paresseusement me laissait aller à « ils en ont vu d’autres ». Après avoir beaucoup péché je me convertis : « chaque chose en son temps ».
Afin de m’inscrire utilement dans la dispute pédagogique, je continue à militer pour la preuve par l’action ; pour moi la pratique fait loi. Eviter les jugements définitifs dans un domaine qui requiert du doigté, de la souplesse, de la tolérance. L’autorité ne se mesure pas à la rectitude d’un rang mais à la capacité à installer une ambiance de classe où personne n’écrase les autres ni ne s’écrase. En gardant la mémoire d’emballements passés, nous pouvons préserver l’enthousiasme primeur, sans se fourvoyer, adopter les technologies nouvelles, des techniques rôdées, pour mieux préserver les fondamentaux : être adultes pour que les enfants qui nous sont confiés grandissent. Notre bibliothèque intime peut céder de la place à quelques D.V.D. Ni scrogneugneux neurasthénique ni « lou ravi » atteint par l’ivresse des sommets entre deux stages en Ifume attitude.
Bien sûr la méfiance systématique à l’égard des experts peut tomber dans la démagogie mais la confiance envers les enseignants et la croyance en leur expertise me semble une des clefs pour reconquérir du sens pour les chargés de transmission.
Et la meilleure garantie pour un élève de trouver sa voie est bien de rencontrer des maîtresses motivées ( voire des maîtres, et là il y aurait des quotas que ça ne ferait pas trop de mâles)
Des experts en sciences de l’éducation se félicitent, si, si, d’une érosion de la conscience professionnelle, signe d’une distanciation qui renforcerait le professionnalisme et surtout les assurerait du silence, de la résignation : aucune menace pour leur planque. L’incompétence constituerait donc à leurs yeux la condition d’une plus grande efficacité ? Glop !

mardi 14 avril 2009

Les Kinés # 3

Arrive à la suite de Kiné # 1 et # 2 publiés les mardis précédents
Virgile
Le jour de la séance de massage tant attendu, il s’est mis à geler à pierre fendre. C’était le moment de sortir le gros bébé rose.
J’ai d’abord enfilé le string de chez Z. et puis les nippes habituelles marques Bernard, Trois Cuisses, Amamie, Camard.
Dans la salle d’attente, il faisait si chaud que j’ai voulu ôter mon manteau. Comme la fermeture à glissière ne glissait pas j’ai résolu d’attendre que Virgile me prenne en charge.
Le prince des lieux m’a invitée à pénétrer dans son local. Un Virgile conforme à la description qu’en avait faite Juliette. Je dirais même selon l’expression favorite d’une de mes petites filles : « en plus mieux ».
J’étais en nage.
- Mettez-vous à votre aise. Je reviens.
Et il est parti avec son air à la Lambert Wilson. Dans son costume noir de champion de Kwen Khi Doo.
C’est alors qu’a commencé mon martyre.
Impossible de bouger d’un millimètre cette foutue glissière. Bloquée.
Je me suis mise au boulot. Et que je te tire vers le haut et que je te violente vers le bas. Elle ne bouge pas. La sueur ruisselle, ma douche est foutue, je vais sentir pas bon. Han ! En haut. Han ! En bas.
Prisonnière du bibendum, la Micheline !
Virgile entre :
- Ah, vous trouvez qu’il ne fait pas assez chaud, je vais monter le chauffage !
- NOOOOOOOOOOOOOON !
Il me regarde stupéfait.
- Je suis coincée dans mon manteau… la fermeture est bloquée et j’ai si chaud !
- Vous permettez…
Il s’active pour me désincarcérer. Il tire, il pousse, il souffle, il tord, il froisse, en vain. Il commence à s’énerver le Virgile. Le voici qui brutalement empoigne le haut du manteau, qu’il me secoue, qu’il me soulève de cette façon… comme s’il allait m’en mettre une. Non. Il m’agite, exaspéré. Il me balance à droite à gauche. Il me couche à plat, à califourchon sur mon édredon il s’acharne. Mon string s’est réfugié au fond de mon collant pure laine.
- Pitiéééééééééééééééééééééééééé !
Les yeux fous, il m’ envoie rouler sur le tatami, se prend le visage dans les mains. « Excusez-moi ! Je n’arrive à rien avec votre panne de glissière. Made in China, probable…
Lui ça se voit qu’il dégouline ! Moi je cuis à l’étouffé.
- C’est moi… Je reprendrai rendez-vous… Je vous laisse un chèque.
Mes ciseaux de couturière sont redoutables. Aiguisage chaque année. Le bibendum rose passe un mauvais quart d’heure. Sa chair blanche, idiote et synthétique, se répand à mes pieds tandis que peu à peu je retrouve ma liberté.
Mes cervicales en ont pris un coup. La rhumatologue malgache m’a redonné quinze séances. Juliette était contente de me revoir. On a continué à refaire le monde et j’ai repris rendez-vous pour la fin du mois avec Virgile.
- En confidence je peux vous dire qu’il a eu peur pour vous. C’était plutôt rigolo, en fin de compte, non ?
- Après coup. Oui.
- Enfin ça l’a secoué, Virgile !
- Moi aussi !

Marie Treize

lundi 13 avril 2009

Le déjeuner du 15 août

Comédie de Gianni Di Gregorio : un fils n’a que sa mère à s’occuper, il recueille d’autres vieilles dames qui encombrent les familles, le temps d’un 15 août qui vide la ville de Rome. Il est bien brave. Malgré les difficultés financières, quelques arrangements permettent à chacune de passer un moment où la chaleur humaine fait oublier la canicule. La Vespa, le gratin de pâtes, le vin blanc, des caprices, des coquetteries, les sourires et la dignité.Léger et nonchalant. L'âpreté de la vie peut entrer dans des parenthèses le temps d'un congé.
« Ce soir on mange léger : une soupe de légumes… on y ajoutera un peu de parmesan »

dimanche 12 avril 2009

Minetti

Les chaises retournées sur les tables indiquent bien qu’il est temps de quitter la scène d’une vie tragique. J’aurai pu m’identifier au vieil acteur attendant dans un hall d’hôtel, un directeur de théâtre qui ne viendra pas. Mais une fois la situation en place, je suis resté indifférent.
Le nom de Thomas Bernhard pour le texte, d’André Engel pour la mise en scène au service de Piccoli laissaient prévoir une émouvante rencontre mais je suis resté détaché. L’acteur qui tient la scène plus d’une heure veut jouer une dernière fois le roi Lear, mais enfermé dans sa solitude, il radote et ses sentences ne passent pas auprès d’une femme se noyant dans l’alcool en cette soirée de la Saint Sylvestre, à peine plus indifférente qu’une jeune fille attendant son amoureux, qui lui laissera son transistor. Il ne semble pas les voir, il rabâche, et Piccoli ne m’emballe pas, j’ai trouvé sa voix fausse alors que les interrogations sur la vie, les masques, le désamour auraient pu sonner moins dans le vide.

samedi 11 avril 2009

30 heures sous un autocar en marche

Un Afghan de 19 ans a voyagé plus de trente heures attaché au châssis d'un autocar entre Athènes et Nowa Deba, dans le sud de la Pologne.
Il souhaitait gagner l'Italie mais s'est trompé de véhicule.
Le sien a accompli un périple de 2 800 kilomètres en passant par la Macédoine, la Serbie, la Hongrie et la Slovaquie.
Intercepté hier par les gardes à la frontière polonaise, Yahiya, originaire de Kaboul a dû panser quelques plaies : un câble de la boîte de vitesse du bus passait près de sa joue et l'incisait à chaque changement de régime.
Il a demandé l'asile en Pologne.
Une brève dans "Libération" il y a trois jours.

vendredi 10 avril 2009

Le moment fraternité.

Pas toujours facile, Régis Debray, pourtant j’ai lu son dernier livre soulevé par un style qui me ravit, comme je serais porté par une musique d’un morceau dont je ne saisirais pas toutes les paroles.
J’ai recopié des phrases pour nos débats contemporains avec mes camarades, même si j’ai mis du temps à considérer que la place faite à l’armée et à la religion, dans cette affaire de fraternité datant de 1848, était démesurée. Je suis bien trop englouti par les nouvelles du jour où un pape vire tellement au ridicule que j’en viens à négliger nos besoins de sacré.
« A l’enseigne de l’Histoire nos Michelet enflammaient les députés, sous le signe de l’actu, les rédac chef donnent des sueurs froides aux ministres »
J’aime le XIX°. L’ancien prisonnier n’est pas dans l’air du temps, il redéfinit les conditions du passage du « on » au « nous », avec ce qu’il faut de frontières, de marches pour s’élever, de rite, de combat.
L’économie seule ne fait pas une société « Chaque pays fait comme il peut, avec les moyens du bord, ce qu’il a dans son sous-sol et sa mémoire »
Quelque peu enivré par sa prose, j’aime retrouver le plaisir de jouer avec le mot « livre », grâce à cet ouvrage qui ouvre, où il se livre dans quelques récits de sa vie.
De l’incarnation, une érudition épatante, fécond jusque dans ses parenthèses :« le parisianisme c’est ce qui reste quand on a tout oublié du jacobinisme »
Fraternité: « Le président de la République se garde de l’utiliser, même dans ses vœux de nouvel an, lui préférant les droits de l’homme. Et quand un préfet plus audacieux le fait résonner le 14 Juillet dans ses pièces de réception, il ne tient pas trop à le voir se concrétiser le lendemain sous ses fenêtres. »
Dans la banalité des jours qui braillent d’individualisme, un air parfumé d’humanité.