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mardi 14 avril 2009

Les Kinés # 3

Arrive à la suite de Kiné # 1 et # 2 publiés les mardis précédents
Virgile
Le jour de la séance de massage tant attendu, il s’est mis à geler à pierre fendre. C’était le moment de sortir le gros bébé rose.
J’ai d’abord enfilé le string de chez Z. et puis les nippes habituelles marques Bernard, Trois Cuisses, Amamie, Camard.
Dans la salle d’attente, il faisait si chaud que j’ai voulu ôter mon manteau. Comme la fermeture à glissière ne glissait pas j’ai résolu d’attendre que Virgile me prenne en charge.
Le prince des lieux m’a invitée à pénétrer dans son local. Un Virgile conforme à la description qu’en avait faite Juliette. Je dirais même selon l’expression favorite d’une de mes petites filles : « en plus mieux ».
J’étais en nage.
- Mettez-vous à votre aise. Je reviens.
Et il est parti avec son air à la Lambert Wilson. Dans son costume noir de champion de Kwen Khi Doo.
C’est alors qu’a commencé mon martyre.
Impossible de bouger d’un millimètre cette foutue glissière. Bloquée.
Je me suis mise au boulot. Et que je te tire vers le haut et que je te violente vers le bas. Elle ne bouge pas. La sueur ruisselle, ma douche est foutue, je vais sentir pas bon. Han ! En haut. Han ! En bas.
Prisonnière du bibendum, la Micheline !
Virgile entre :
- Ah, vous trouvez qu’il ne fait pas assez chaud, je vais monter le chauffage !
- NOOOOOOOOOOOOOON !
Il me regarde stupéfait.
- Je suis coincée dans mon manteau… la fermeture est bloquée et j’ai si chaud !
- Vous permettez…
Il s’active pour me désincarcérer. Il tire, il pousse, il souffle, il tord, il froisse, en vain. Il commence à s’énerver le Virgile. Le voici qui brutalement empoigne le haut du manteau, qu’il me secoue, qu’il me soulève de cette façon… comme s’il allait m’en mettre une. Non. Il m’agite, exaspéré. Il me balance à droite à gauche. Il me couche à plat, à califourchon sur mon édredon il s’acharne. Mon string s’est réfugié au fond de mon collant pure laine.
- Pitiéééééééééééééééééééééééééé !
Les yeux fous, il m’ envoie rouler sur le tatami, se prend le visage dans les mains. « Excusez-moi ! Je n’arrive à rien avec votre panne de glissière. Made in China, probable…
Lui ça se voit qu’il dégouline ! Moi je cuis à l’étouffé.
- C’est moi… Je reprendrai rendez-vous… Je vous laisse un chèque.
Mes ciseaux de couturière sont redoutables. Aiguisage chaque année. Le bibendum rose passe un mauvais quart d’heure. Sa chair blanche, idiote et synthétique, se répand à mes pieds tandis que peu à peu je retrouve ma liberté.
Mes cervicales en ont pris un coup. La rhumatologue malgache m’a redonné quinze séances. Juliette était contente de me revoir. On a continué à refaire le monde et j’ai repris rendez-vous pour la fin du mois avec Virgile.
- En confidence je peux vous dire qu’il a eu peur pour vous. C’était plutôt rigolo, en fin de compte, non ?
- Après coup. Oui.
- Enfin ça l’a secoué, Virgile !
- Moi aussi !

Marie Treize

mardi 7 avril 2009

Les Kinés #2

Vient comme son titre l'indique après Kiné #1 paru la semaine dernière:

A la quatorzième séance j’ai voulu en savoir un peu plus sur le massage thaïlandais; sur le masseur, j’avais mon compte de détails.
- Ca ne m’enlèvera pas la peau ?
J’avais le souvenir cuisant d’une énorme Bédouine écorchant mon dos dans un hammam minable de Toulon. Les jours de spleen on ferait mieux de rester planqué devant ou derrière un écran plutôt que de chercher réconfort en n’importe quelles mains.
- Et comment faut-il être dévêtu, euh, vêtu ?
- Nu, nu, le massage du fessier est très agréable alors les culottes ça empêche.
- Ben…
- Mais vous pouvez mettre un string si…
Je suis devenue très pudique à partir de cinquante ans. Allez savoir pourquoi ?
A la dernière séance j’ai pris mon courage à deux mains. Tout en enfilant mes collants pure laine de chez « Bernard », vente par correspondance pour les frileuses :
- J’aimerais prendre rendez-vous avec Virgile pour un massage.
- … Pas avant la fin du mois… Désolée.
- Et pour les strings… Vous croyez… ?
- Ecoutez, j’en ai vu de très jolis en ville chez Z. Alors a-do-ra-bles ! J’ai craqué pour un ensemble tee-shirt et string parme. Un papillon rose derrière chacun en organdi. Fait en Inde probablement.
- Ils n’avaient pas plus simples, sans papillon ou colibri ?
- Chez Z. ils ont de tout et les soldes battent son plein !
Se moquait-elle de moi, Juliette ? Pensive, elle me regardait enfiler mes baskets T.B.S. bleus en solde à la défunte Camif.
Chez Z, j’étais la seule cliente à farfouiller dans les bacs. J’ai mis à droite ces petites choses légères, transparentes, arachnéennes, roses, noires, dorées. Enfin des choses pour derrières en boutons, je veux dire arrières et avants encore dans la fraîcheur des adolescences réelles ou prolongées.
J’ai enfin dégotté un string de coton blanc qui coûtait la peau des fesses, si je peux oser cette expression.
La caissière m’a demandé si c’était pour un cadeau ?
- Non, c’est pas pour ma petite fille, c’est pour moi. Je pars au Vietnam avec mon copain.
Je n’ai même pas rougi ! La nuque bien redressée (merci Juliette !), fière comme la sirène du Mississipi
Je digérais laborieusement un moka quand je l’ai vu. « 30 euros » en rouge sur une énorme étiquette. Moka éclipsé, j’ai pénétré dans cette caverne d’Ali Baba, direct, comme on tire un poisson d’une rivière.
Puis toute bête, prête à ressortir :
- Qu’est-ce que… ?
La vendeuse a jailli de derrière un millier de manteaux, matelassés, taillés dans des couettes.
J’ai pris la travée des moins chers. Ils pendaient, les polissons, bien dodus, bien gonflés, promettant des errances confortables jusqu’au printemps.
J’ai essayé un beige : il a mangé mon teint.
J’ai essayé un foncé : je ressemblais à une veuve corse (pour changer des siciliennes).
J’ai essayé un blanc : employée au SAMU.
J’ai acheté le rose sans vraiment l’essayer, comme ça, vite fait.

Rendez vous pour la suite la semaine prochaine . Marie Treize

mardi 31 mars 2009

Les Kinés #1

« Ce qui est terrible quand on vieillit, c’est qu’on reste jeune. » Oscar Wilde.
Juliette
Les rhumatismes ? Connaissais pas.
Mais quand des douleurs sournoises ont investi bras et nuque au point de briser mes nuits j’ai consulté.
La rhumatologue, jeune Malgache aux doigts longs et fins, m’a rassurée : bien de la chance que ça vous arrive si tard…
Elle m’a piquée le cou, des images de mygales traversaient mon écran frontal.
« En attendant je vous donne quinze séances de kiné. Mais vous savez ce n’est pas un traitement curatif, ce n’est qu’un soin des symptômes. »
Ouais, en attendant les soins palliatifs ! Quand on devient vieux on peut être sûr que par malchance, ça va durer.
J’ai pris rendez-vous chez la kiné du bourg voisin : Juliette. Fortiche, au courant des dernières nouveautés. Ce qui est bien en général avec les kinés c’est qu’on peut se livrer en leur compagnie à une thérapie remboursée par la Sécu. Pendant que la praticienne vous étire, vous malaxe, vous pinçotte, vous gnognotte, vous ramolotte, elle vous parle et vous lui parlez, d’abord par politesse. Puis comme vous aimez les mêmes livres et les mêmes films et que vos petits-enfants ont l’âge de ses enfants, vous en arrivez à échanger des points de vue et des sentiments intergénérationnels. C’est quelque chose d’entendre que la mère de la kiné, que sa grand-mère même, pensent comme vous. Exactement comme vous. Personnellement ça ne me rassure pas d’être formatée à ce point mais Juliette, ça l’attendrit et j’ai droit à une caresse entre deux étirements. Toujours ça de pris. Qui ferait du mal à sa grand-mère ? Quant à sa mère, la réponse reste ouverte.
Nous avancions pas à pas dans la connaissance de nos réciproques environnements quand est apparu le mari de la Kiné, non pas dans l’embrasure de la porte de la salle des délices mais sur les lèvres bien ourlées de son épouse. « Il a des doigts de magicien, Virgile. L’as du massage thaï… ». Ses mains quittèrent quelques secondes mon épaule gauche comme si elle se passait un film très personnel.
Bon sang, il y avait encore des gens capables d’appeler leur fiston Virgile au lieu de Kevin ou… J’ai la flemme d’aller consulter mon Télé Sept Jours.
Un masseur romain et poète…
De séance en séance j’en appris un peu plus sur les capacités, talents et compétences de Virgile, le masseur thaïlandais prodigieux
Certes, Juliette, avait du savoir-faire. A la cinquième séance je ne souffrais déjà plus de mes cervicales. Mais je crois que ce qui me soignait le mieux c’étaient les descriptions du fameux Virgile coulant de la bouche bien ourlée de son épouse vers mon cou en processus inexorable de flétrissement.
Et Virgile était maître de Kwen Khi Doo (art martial plutôt hard) ! Et Virgilinounais aussi commettait des textes (c’est bien la moindre des choses) ! Et Virgilamour, les femmes en étaient folles. « Ah ! Il est si beau, le visage coupé à la serpe et le nez fort comme celui de Lambert Wilson. »
J’adore Lambert Wilson son nez fort et ses yeux doux.
« Et il chante aussi mon Virgile ! »
- Rendez- vous , la semaine prochaine.
Marie Treize

mardi 24 mars 2009

Grossesses d’ogresses

J'ai replacé les planches sur la margelle. La sueur me coule entre les omoplates en dépit du froid. La lune est mon seul témoin ; elle se moque bien des frimas, pleine comme elle est, à sourire, contente d'être au maximum de son tour de taille. Tu ne peux empêcher, ma vieille, que ce que j'ai fait, je l'ai fait et bien fait et que rien ne pourra défaire ce que j'ai fait.
Là-bas dans la maison basse, ils dorment, les six fils, les trois filles, leur père aussi. Les innocents, ils dorment …
Ah ! Les innocents…
Hier soir, il a considéré longuement la situation, en larmes : non je ne peux pas faire ça ! Quand je pense que c'est son extrême sensibilité qui m'a séduite, il y a dix ans de cela… Il saurait me comprendre… nous marcherions la main dans la main, les yeux dans la même direction, comme écrivait Saint Ex… qui a largué sa bonne femme la plupart du temps ! Aux poèèètes, on pardonne tout. Aux épouses, les basses œuvres ! Faut-il être particulièrement conne pour aimer un homme de lettres ! J'ai froid au dos, c'est la sueur qui se fige. Je ne peux pas partir tout de suite. Il faut que je sois sûre. Je n’entends plus rien mais on ne sait jamais !
Oui, il a dit en reniflant, moi je ne peux pas faire ça… Toi, tu sais gérer ces affaires, ton enfance à la campagne t'a endurcie. La vie, la mort c'est du naturel pour toi… Moi, tu le sais bien, la vue de mon propre sang m'envoie dans les vaps.
Excuse-moi, a-t-il pleurniché. J'ai eu cette journée pénible avec l'éditeur. Bonne nuit, chérie.
Regarder dans la même direction… moi devant, lui, derrière. Quand je pense qu'il n'a pas voulu assister à la mise bas de nos neuf enfants !
Il y a une heure, j'ai mis au lit ma nichée. Les plus petits étaient joyeux comme d'habitude, ils attendaient l'histoire. L'aînée, Amélie, a encore bougonné qu’elle voudrait bien avoir sa chambre à elle, qu'elle n'aurait pas d'enfants quand elle serait grande, que d'ailleurs elle ne se marierait pas, qu'elle serait juge pour enfants, avec le boulot qui ne manquait pas ! Je l'ai câlinée, je lui ai dit que je l'aimais. Elle a pris son pouce, a sombré de suite.
Les petits attendaient leur conte en sautant sur leur lit. "Le Petit Poucet ", a hurlé Norbert !
- Je vous l'ai déjà raconté cent mille fois, non ?
- On s'en fiche. C'est une histoire de famille nombreuse et nous on aime les histoires de famille nombreuse…
- Ouais, a complété Célimène (ma future prix Nobel) parce que les ogres peuvent réussir quelquefois, si le plus petit n'est pas assez malin !
Et elle a pincé le nez du dernier dans mes bras.
- Allonge un peu l'affaire des deux lits, tu sais. Les filles de l'ogre avec leurs couronnes et les pauvres avec leurs bonnets, a supplié Clément, l'aîné des garçons.
- Dis, maman, y a pas d'ogre dans le jardin qui va passer par la fenêtre quand tu dormiras ?
- Non, il n'y a pas d'ogre dans le jardin. Et s'il venait, maman le tuerait avec la hache à bois, ai-je affirmé avec conviction et geste violent.
J'ai pensé… pas d'ogre mais peut-être une ogresse.
La lune escalade les proues du Vercors. Je n'ai plus froid. Penser à mes enfants me réchauffe. La mousse de la margelle est douce, humide sous mes doigts. Aucun bruit. Tout dort. J'ai bien accompli ma mission, ce travail qui revenait à ma mère, à ma grand-mère… Depuis des siècles, la chaîne sans fin des Baba Yagas
L'élastique bien serré autour du sac de plastique.
Il a dit que je savais faire…
Oui je sais faire ces choses-là : le coup au lapin derrière les oreilles, la chienne à mener chez le véto pour l'ultime piqûre, l’anguille à écorcher vive. Oui, je sais. Je sais aussi raconter des histoires, pousser un chariot entre les rayons de conserves, et maintenir en vie les orchidées. Tu as les doigts verts ma chérie.
Ce que je déteste, c'est l'odeur de l'éther. Je ne m'y ferai jamais.
Le silence. Je suis morte de fatigue, je rêve d’un lit tiède, à son corps chaud sous la couette où il ronfle du ronflement délicat des poètes.
Miaulement plaintif amplifié par la gorge du puits.
Zut ! C'est à refaire !
Marie Treize

mardi 17 mars 2009

Soignantes

« Vous avez dit développement durable ? »
Je suis infirmière en gérontologie. Ces vieux sont de vieilles barques à la dérive…
Pas toujours. Quelque fois, une petite brise souffle, une voile se lève, répit de trop courte durée pour notre pessimisme latent. Alors, pour un peu nous nous mettrions à crier dans les chambrées : on le sait, il y a de la vie là-dedans ! Manifestez ! Manifestez !
Nous étions bien embarrassées un samedi à cause d’une petite personne recroquevillée au fond de son lit, alimentée par perfusion, ne parlant pas. Nous avions perdu sa fiche de médicaments : ça tourne trop vite les soignants ! A la porte de la chambre nous nous interrogions. Une voix aigrelette, soudain ! « Cachets roses… Mémantine… un seulement, boîte sur… étagère… haut… blanche. » Dernières paroles de la petite dame emportée par l’épidémie de gastro un mois plus tard.
Parfois, quand je rentre du boulot au petit matin, j’ai à peine le courage d’appuyer sur l’accélérateur ; une fois mon fils m’a retrouvée ronflant dans ma voiture garée de traviole à l’endroit réservé à Mme Lequeue, une pimbêche notoire vivant de commerce nocturne, bien plus profitable que de s’échiner auprès de petits vieux pas bien riches et abandonnés en fin de vie. Ceux du corridor de la mort comme nous les appelons à deux heures du mat, devant cette foutue machine à café qui fait de la rétention de pisse.
- Ouais, éructe Yasmina, en allumant son clope, et ils n’ont rien à attendre du Président pour une remise de peine !
- Toi non plus, tu n’auras pas de remise de peine, la coupe Coline, va donc t’achever dehors, tu nous empestes !
La première fois que j’ai vu la porteuse d’eau, c’était un matin de mars. Elle avançait dans ma direction, haute silhouette penchée en arrière, un peu trébuchante. Elle s’arrêtait tous les dix pas. Elle portait une lourde charge, le corps arc bouté. Je l’ai frôlée, elle n’a pas fait attention à mon véhicule. J’ai ri à cause de l’immense arrosoir qu’elle serrait contre son ventre. J’ai pensé à Cosette et tout ça… Mais cette femme aurait pu être l’ arrière grand-mère de Cosette ! J’ai monté mes neuf étages : l’ascenseur était encore en panne. Mon fils n’avait pas débarrassé la table de la cuisine, l’enfouaré ! J’ai pris un Stillnox. J’ai sombré.
Le lendemain, grasse mat. J’ai lavé les jeans de mon fils, j’ai jeté en tas son linge sec sur son lit pas fait. « J’en ai plein le dos, lui ai-je dit, trouve-toi une copine, du travail et tire-toi de mon herbe ! »
J’ai recroisé ma Cosette. Elle poussait une brouette avec deux bidons dedans. Tiens, que je me suis dit, elle est passée de jardinière à marchande de lait. Ses muscles secs se tendaient sous la peau nue de ses bras tannés. J’aurais pu l’aider mais j’étais claquée : on avait eu trois décès, on avait couru toute la nuit… Cet après midi j’irais me faire une toile. J’adore Catherine Frot, toujours fraîche et rieuse. Elle ne doit pas torcher beaucoup de déments séniles, sa peau est si lisse, sa silhouette impec ! Comme dit Coline, c’est bon de savoir qu’il y a une vie avant la mort !
Cette Cosette sur le retour allait bien quelque part ? Comme j’étais de repos tout le week-end, que mai larguait ses parfums, je me suis levée très tôt pour guetter ma mystérieuse. En zigzaguant elle poussait sa brouette grinçante. Elle a tourné sur l’avenue où ils ont abattu tous les arbres, des platanes centenaires bien agréables pendant les étés torrides. A la place, c’est la mode, ils ont planté des chênes rachitiques, protégés par des corsets de ferraille. Les toutous du quartier devront se contenter des calendes des voitures pour soulager leurs vessies !.
Cosette s’est arrêtée devant le plus misérable des arbustes. Ses feuilles étaient des réductions de feuilles : on aurait dit un sapin de Noël bien après Noël !
Elle s’est massé les côtes et le dos, elle a poussé une plainte rauque : elle parlait.
Je me suis glissée derrière une camionnette, tout près.
« Oui, je sais que tu es mal parti, mais faut pas te décourager. Regarde ce que je t’ai apporté… soixante litres d’eau, tirée de mon puits. J’ai ajouté du purin d’ortie. Bon ça pue mais tu verras, c’est bon pour le rachitisme… Aoh ! T’as encore perdu six feuilles. C’est pas la peine de me mentir, c’est les tiennes, près du grillage. Et pas de vent la nuit dernière. Arrête tes bobards. Au lieu de te laisser aller, pompe, mais pompe donc, espèce de petit con ! Tu ne bouges même pas tes branches, tu restes là, avachi, une vraie guenille. Résiste, prouve que tu existes. Voilà que je me mets à chanter ! Tu me rends folle !
Avec une casserole, elle a vidé l’eau de ses bidons et puis elle a soulevé les bidons pour arroser avec le reste le pied du chêne. J’ai bien vu qu’elle pleurait en repartant avec sa brouette allégée.
Fin mai le protégé de Cosette s’est couvert d’un beau feuillage vernissé. Il était bien le seul. Ses frères avaient crevé les uns après les autres.
J’aurais pu imiter l’entreprise de sauvetage de la vieille femme ! Mais moi, j’ai assez à faire avec mes vieilles branches de la maison de retraite.
Les jardiniers municipaux ne savent peut-être pas que les arbres nouvellement plantés s’arrosent même en hiver ? Ca a fait un raffut de tous les diables ce gaspi des plantations ratées. Articles furibards dans la presse locale, interpellations des écolos au Conseil municipal, les Verts mal à l’aise…
Du bruit… pas d’eau !
Je n’ai jamais revu la fée de l’eau du puits avec purin d’ortie incorporé… Vit-elle toujours ? S’en est-elle retournée au royaume des Sylves ? Désormais, quand un de mes patients refuse de boire, je lui murmure (s’il est cardiaque) ou je lui hurle (s’il est sourd ) « Allez, bois donc, espèce de vieille conne, de vieux con ! »
Ils rigolent, ils boivent.

Marie Treize

mardi 10 mars 2009

Tu connais Sophie Marceau ?

« …Marcher dans le désert (…) Marcher dans les pierres (…)
Dormir dehors
Il faut un minimum
Une bible un cœur d’homme
Un petit gobelet d’aluminium… »

Alain Souchon
Le chameau* porteur du gaz, des pommes, de la quincaillerie, de quelques sacs privés s’est échappé à l’insu des trois chameliers mauritaniens qui devisent tout en tirant sur leur mini trompette de pipe. Trois silhouettes maigres, tuniques grises, ceintures de virilité, chèches noirs.
Votre servante juchée sur un des deux bestiaux restants (elle s’est fait une entorse avant de quitter la France : acte manqué, discours réussi !) alerte Mohammed, chef parce qu’il est grand, de stature et de gueule, fils d’un notable de Chinguetti, chef parce qu’il a trois épouses et toute la suite féconde qui va avec, parce qu’il parle français et triche à la belotte.
Petit Sidi, fait demi tour, vole comme un ange sur l’enfer du reg ! A mon avis on mangera froid ce soir et les deux quadras femelles du groupe qui suit pédestrement à quelques kilomètres se passeront de lingettes.
Je m’en fiche des bagages ! J’ai mal au derche sur ce foutu chameau qui navigue en galère : roulis et tangages m’envoient glisser à droite, à gauche et puis en avant et en arrière. Si seulement j’étais obèse, ça me calerait et je verrais le paysage ! Bof ! Y a pas de paysage.
Mohammed et Grand Sidi allument une pipe. Ils attendent, adossés à leurs chameaux tandis que je m’interroge sur la trousse à pharmacie. Aura-t-elle le baume salvateur ?
Grand Sidi, proprio de ma monture, me fait l’offrande d’une espèce de machin truc transparent qu’il a prélevé sur un épineux : « mâche, bon, Maritreize... »
- Gomme arabique, commente Mohammed.
Et zou dans le bec, ce cadeau du désert ! Maintenant, ma vieille, ton bec tu risques de ne plus l’ouvrir avant que ta langue ne finisse par user cette saloperie de plastique naturel qui te soude les mâchoires.
Mohammed a disparu le temps de trente coups de langue.
Il réapparaît tenant précautionneusement une jatte en bois.
- Tu en veux qu’il me dit, c’est du lait de chamelle. Tout frais, du campement là-bas.
- Méyapcamp ! Deux coups de langue.
Je refuse de la tête en me tapant sur l’estomac.
Mohammed avale ce lait bleu, si tentant… Mais les bactéries, hein !
Sa bête lape le fond du bol en battant de ses lourdes paupières décorées de cils en chiendent.
Mohammed est un chic type puisqu’il aime sa chamelle.
- Tu connais Sophie Marceau ?
- Fofaro ?
Trois coups de langues, toujours aussi tenace, cette saloperie !
- Quatre Toyota. Cinquante chameaux.
- … ?
- Si j’avais eu tout ça, je l’achetais Sophie Marceau. C’est la plus belle femme du monde.
- Auchiné ? Les coups de langues, les coups de gourde et les jets de salive commencent à faire les efficaces.
- Au cinéma ? Non non, en vrai. Je l’ai vue comme je te vois ! rétorque le polyglotte.
- Téailléenfranche ?
Courage, ça se décolle.
- Ben je voudrais bien mais non j’y suis pas allé en France. J’ai joué dans le film.
- Kéflim ?
- Tu te rappelles pas ? La Passe d’Amogjar. On a vu le fortin de « Fort Saganne » depuis la Passe. Juste avant Ouadane…
- Cha me reffient.
Que oui, ça me revient. Ce petit fort perdu dans le rien. Ce décors de film en dur religieusement préservé par les Mauritaniens. On entendait encore le violoncelle d’ Hyppolite Girardot sur le toit du fortin … Ah ! Depardieu et peuchère la pulpeuse Sophie, ces amours ensablées !
- Ainchi t’aféaKchteur ?
- Tous les rôles j’ai joués ! A cheval, à chameau, à fusil derrière les dunes, à couteau derrière les murettes ! Je suis derrière Depardieu quand il scie la jambe de son copain.
- … !!!
- Corneau m’a engagé pour les repérages. On a tout fait à cheval. Il est revenu plusieurs fois après le film. On a fait des virées autour de l’Adrar… Fou du désert ce type. Je me demande ce qu’il lui trouve au désert.
- Moi auchi !
Il rêvasse en se bourrant la pipette. Il a grandi de dix centimètres.
- Sophie Marceau, c’est bien la plus belle du monde !
Petit Sidi a rattrapé son chameau volage, attiré par quelque chamelle en chaleur. On mangera chaud la biquette morte qui pendouille au flanc du déserteur.
Au pique-nique, tout le monde se retrouve : les quatre sexas, les quatre quadras, dont deux filles et deux gars toujours affamés (dis, il te resterait pas une boîte de thon dans ton barda ?). Les sexas ont ce genre de ressource, ils le savent.
Pendant que les chameliers, guide et cuisinier s’éparpillent dans le rien rugueux pour prier, je raconte l’affaire Sophie Marceau.
- Nous, on doit valoir une chèvre, s’exclame Adèle, approuvée par les autres sexas. Elles rigolent en faisant encore baisser les enchères.
Sieste sous ce vent sournois qui vous recouvre vite fait d’un suaire de quartz.
- Je veux un autre chameau. La Er râhla* de celui-là avec sa peau de bique m’a écorché les fesses.
Grand Sidi défend son taxi et sa monumentale Er râhla. Je ne lâche pas le morceau.
- Si vous ne me donnez pas une autre monture, je pars à pied. Vous aurez ma mort sur la conscience !
- C’est parce que tu ne sais pas monter, persifle Adèle, approuvée par ces chiennes de sexas ! Tiens, j’ai envie de voir les choses (y en a pas, que je me réflexionne) de haut moi aussi. Je vais le monter ton chameau.
Cinq heures plus tard, sous les palmiers dattiers, oasis de carte postale, nous sommes comme des sardines sous l’abri de branchages qui sert aux habitants des villes ( ?) au moment de la récolte des dattes.
Dehors, clair de lune efficace puisque c’est à sa lueur qu’une sexa me badigeonne à la Néosine la zone martyrisée depuis trois jours et la toute fraîchement écorchée d’Adèle.
Vieille carne, et bien fait pour toi ! Ouais, beau clair de lunes.
Grand Sidi, ton chameau, personne n’en voudra plus ! Sauf les chèvres mortes et les bouteilles de gaz.
Tout le monde ronfle. Sauf votre servante qui tend l’oreille. A droite, les deux quadras femelles se parlent à mi-voix :
- Et tu sais ce qu’il m’a dit ce macho de Mohammed ?
- A propos de quoi ?
- Tu sais, le prix des femmes… Comme une conne je lui ai demandé ce que je vaudrais sur le marché ici. Il m’a regardée de haut en bas, a fait le tour de ma personne - tout juste s’il n’a pas examiné mes dents - et a déclaré… Ah, le salaud !...
- Ouais, alors, accouche !
- Une chamelle stérile et un âne !
- Quels goujats, ces types !
- Vos gueules ! ont hurlé les autres en se tournant tous en même temps du même côté.
Dans l’inconfort du lieu, je me suis rappelé qu’à l’hôtel de plein air, à Ouadane, le patron avait dressé une immense Khaïma *d’une blancheur éclatante pour recevoir Théodore Monod.
Nous n’avons pas rencontré le vieux navigateur du désert, celui qui cherchait une petite fleur bleue, et une météorite mystérieuse. Nous sommes partis faire les cons dans la beauté tragique du rien, la veille de l’arrivée de l’auteur de « Méharées ».
« On s’ennuie tellement, on s’ennuie tellement, on s’ennuie tellement
Alors la nuit quand je dors,
Je pars avec Théodore …
Dehors, dehors »
Alain

Marie-Treize

* En Afrique, il y a les dromadaires (une bosse) mais on dit toujours ‘chameau’
Les chameaux c’est en Asie. Deux bosses.
*Pour Er râhla (pas Elle râla) merci Google !
* tente mauritanienne

mardi 17 février 2009

« Ce jour où ce qu’on sait est devenu inutile » J.B. Pontalis *

Parfois je me dis cette phrase, pendant une insomnie. Je me démène sous ma couverture. Je me sens grise comme un soldat avant la bataille. Je veille, armée.
Ces jours où je me dis que ce que je sais est devenu inutile, ces jours-là, j’ai peur. J’ai peur d’être trop vivante, constat inouï, angoissant.
J’ai peur de me lever, j’ai peur du jour nouveau qui pointe, j’ai peur des minuscules prisons des habitudes, ces petits cercueils.
Alors je reste gisante sous la couverture.
Des couvertures, j’en ai à foison. Des bleues, des roses et des noires. Des unies et des chamarrées, des laineuses, des cotonneuses, des soyeuses, des écossaises, la somptueuse en mohair, si légère.
A l’abri sous mes couvertures, je me répète ce que je sais, je me raconte mes vies : je vis à l’étouffé. Je tricote entre les vieilles images et les récentes des contes improbables. Etais-je heureuse dans ce champ où le photographe m’a surprise endormie dans la plénitude de mes trente ans ? Etais-je malheureuse sur cette plage où je ne souris pas, où je regarde des enfants qui s’éclaboussent.
Oui, je me raconte ce que je sais de ma vie, ces bribes, comme fibres végétales palpitant doucement dans le vent de la mémoire. Souvenirs fugaces, instables, insaisissables, du sable.
Tout ce que je crois savoir de moi et qui ne me sert à rien. Des écrans, des enveloppes, des tchadors. Je sue, le souffle en suspend, lasse comme un poisson pris dans la vase d’une mare desséchée.
Et puis je me lève, je rejette le linceul tissé par l’insomnie. Je retrouve l’eau froide, puis les vaisseaux bleus du Vercors défiant l’espace, le ciel et la vallée. Les premiers pas du matin sont chaque jour les premiers pas de la vie. Hier n’est que fumée et demain dans la brume. Un merle siffle sans vergogne sur la gouttière, la lumière brise les fenêtres. Le monde est terrible, vivre est terrible, être soi est une terrible énigme.
Il est des nuits merveilleuses où je brûle toutes mes couvertures. Le sommeil m’emporte comme une mère. Mes rêves me disent que je suis une inconnue, que la seule tâche, la seule qui vaille la peine qu’on s’y livre, c’est d’accepter de se perdre en cette inconnue corps et biens. Alors je ne peux me dire guérie, mais il arrive que je m’espère sauvée.
Philomène
J.B.Pontalis est un écrivain contemporain édité chez Gallimard.
Son œuvre est marquée par son travail de psychanalyste, mais c’est une empreinte légère, pudique, modeste.
Je n’ai lu de lui que des œuvres faites de fragments par exemple, « Fenêtres », « Perdre de vue », « l’enfant des limbes »
J.B. Pontalis m’étonne au vieux sens de se prendre la foudre.

mardi 3 février 2009

Résistance contre Base - Elèves. « Les blés sont sous la grêle »

Monsieur le préfet,
Avant votre destitution, puisque récemment Grenoble n’a pas connu qu'une seule manifestation de 50 0000 personnes, mais deux ! Je porte à votre connaissance ci-dessous un texte lu par un individu nommé Jean Jullien devant 1500 de ses semblables. Comme il s’agit de mon maître, j’ai l’honneur de m’en déclarer complice. Par ailleurs si vous envisagez de mettre en « cabane » ce passionné du Vercors, parce que ça commence à faire un moment qu’il sème ses petites graines de liberté, vous devrez prévoir un vaste parloir parce qu’il y aura sûrement du monde pour lui apporter des oranges (non traitées).
Discours lu pour la défense de Jean Yves Le Gall directeur ayant refusé de « renseigner » Base Elèves, aujourd’hui menacé de sanction.
J’étais instituteur, directeur d'école.
Je suis ici pour bien des raisons.
J'ai travaillé syndicalement, pédagogiquement, avec plusieurs des directeurs qui refusent de renseigner Base-Elèves, dont Jean-Yves. Je les connais bien, je les estime. Ils disent non à de l'inacceptable. C'est la moindre des choses d'être à côté d'eux.
Fraternellement.
Une autre raison, c'est que je suis grand-père.
J'ai vécu le temps où, instituteurs, nous étions les maîtres de notre travail.
Concevoir et fabriquer ensemble des outils, apprendre le métier en allant dans les classes des uns et des autres, discuter quand c'était difficile...
Accompagner les enfants, leur donner les moyens de s'exprimer, de communiquer ; leur apprendre à s'organiser ; leur faire comprendre la nécessité de lois, de lois pour vivre ensemble, faites en commun ; laisser les enfants se tromper, tâtonner, découvrir... je suis convaincu que cela reste le cœur d'une éducation durable.
Et j'entends maintenant le manque de temps, les pressions, la traque de la rentabilité, je lis le ressenti de l'un des 170 réfractaires à Base-Elèves, qui écrit : « … l'école n 'est plus un lieu qui se gère lui-même mais un lieu géré en temps réel de l'extérieur et à son insu, l'école n 'est plus un lieu qui se pense mais un lieu qui est pensé. » Dans ce plan qui est en route, le tâtonnement expérimental, l'accompagnement des enfants, l'humain ne sont pas cotés : cette école à laquelle nous avons apporté une pierre d'humanisme, les naufrageurs sont en train d'en faire une machine à produire les cadres, les exécutants, les chômeurs dont leur système a besoin.
Un fichier, on sait où ça commence, on ne sait jamais où ça peut aller, celui des empreintes génétiques a dérivé jusqu'aux faucheurs de maïs . . .
Et dans notre environnement de jungle ultra-libérale, on peut vraiment, sans rire, se porter garant de l'usage d'un fichier ? Qu'en plus, l'enfance soit dans la nasse n'est pas tolérable.
Au sortir d'un conseil de discipline, dans les années 70, j'ai entendu, si j'ai bonne mémoire, le délégué syndical qui venait de défendre le collègue, expliquer qu'il avait plaidé la tradition universitaire.
Le 9 décembre dernier, un petit groupe de parents et de grands-parents réunis ici, devant l'Inspection Académique opposait un barrage symbolique à l'entrée des directeurs convoqués pour se former à Base-Elèves. La police avait été appelée et le représentant de l'I.A., très présent, ne s'est pas opposé à ce que des policiers sortent leurs triques d'emblée et, je peux le certifier, les utilisent.
Il se pourrait que des traditions universitaires soient en train de se perdre.
La Résistance des années 40 Ieur fait encore peur : : « il s’agit aujourd'hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance », écrivait en octobre 2006 un ancien numéro 2 du Medef.
Une résistance qu'ils couvrent de sur-commémorations pour la récupérer, la délayer, pour faire oublier que c'était non seulement un combat contre un envahisseur mais aussi pour un pays plus juste, pour la dignité des travailleurs, un combat contre l'Etat Français qui raflait, qui emplissait des camps et qui déplaçait les instituteurs.
Un Etat Français auquel le leur se met parfois à ressembler.
Les résistances aujourd'hui, ils les répriment. Une sanction est une sanction et c'est bien d'une sanction dont il est question pour Jean-Yves, directeur indocile et syndicaliste notoire.
Ce qui se passe maintenant n'est rendu possible que par un conditionnement en route depuis du temps. Maintenant, les blés sont sous la grêle, le temps est venu de se serrer les coudes, de retourner aux syndicats, aux mouvements pédagogiques, d'y travailler.
Dire non au gâchis, désobéir, dire oui à la vie. .. avons-nous oublié ? Et parce que, dans le déni de vie qui est en route, il y a de l'absurde, se souvenir de Camus : « je tire de l'absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion ».
29 janvier 2009

mardi 20 janvier 2009

Michel Zevaco , la fureur de lire

Premier épisode: Atelier d’écriture
Quelle idée d’avoir proposé « bibliothèque » ! Tout à coup tu te dessèches, crevant d’ennui sur un banc d’école, rêvant à tes cabanes dans le bosquet aux sources de la Riante. Tu aimes les livres pourtant… La perspective d’un devoir à accomplir a-t-elle réveillé en toi la rébellion enfantine ?
Et pourtant tu aimes les livres et fréquentes « la » bibliothèque municipale.
Le mot imposé « bibliothèque » t’a agacée comme l’aurait fait un acouphène, une piqûre d’insecte, une fuite de robinet !
Jouer sur le mot, faire de l’esprit. Bof !
« Bon d’accord ? On prend ce mot comme déclencheur d’écriture … »
Et sniff ! A nous la poussière !
Bibi t’es toqué, la bibine en teck, la bible high tech, la bible en tchèque, l’habit bio-tech. Bref ça te « gratte » comme disent les gosses à juste titre : tu ne connais point de relation plus intime que celle d’une peau avec une puce. Et quand puce il y a on ne sait plus qui est tu et qui est moi.
De gratter le papier, aucune envie, mais l’obsession de t’y mettre te persécute au coucher, au lever, au petit déj, pendant les balades en montagne.
Et pourtant tu fréquentes une bibliothèque fort bien pourvue. Et pourtant tu aimes lire, et pourtant tu dévores des livres. Tu en as souvent trois en chantier que tu laisses bavarder entre eux : cela te repose de les laisser se critiquer ou s’aduler tandis que tu somnoles, que tu ronfles doucettement au tiède d’un fauteuil.
Deuxième épisode : Retour dans le passé
Tu as 13 ans. Ce que tes mère et tantes nomment « livres » ce sont des magazines édités après guerre : Confidences, Nous Deux, Bonnes soirées. Elles se les refilent. Tu les dérobes, les emportes dans ton coin secret ces éducateurs de vie sentimentale absolument cons. Et tu te gaves de feuilletons sucrés et moralisateurs. Tu sors de ces lectures les yeux hagards, les guibolles flageolantes : « T’as encore passé l’après midi à lire, tu ferais mieux de m’aider, dit ta mère. » Tu considères, vaguement honteuse, cette femme si terre à terre, aux ongles mal soignés, aux préoccupations grossières (comment finir le mois !) Ne voit-elle pas en sa fille l’émergence future (l’an prochain) d’une princesse adulée, d’une star du cinéma (Paramount), d’une assistante (faut quand même pas en demander trop !) de grand savant. Hein comment peut-elle l’ignorer ? Seuls les livres te comprennent et ton chien Adam si bien nommé, car il a de fameux crocs.
Au village de Caudry-en-Cambrésis (59), à l’époque, il n’y a pas de bibli. municipale. Il y a bien la bibli. de la paroisse tenue par une célibataire d’âge canonique pourvue d’un sublime jardin où nous pouvons nous égarer avec les abeilles et une Vie de Sainte. La vie des saintes est plus passionnante que celle des saints parce que les premières réagissent mieux aux différents martyrs, qu’elles laissent à leur passion des morceaux d’elles-mêmes. Mais leur vie est quand même insipide. Pas d’amants, de prétendants, d’amoureux. Vouées à des morts précoces, elles aiment un homme qui n’existe que dans le ciel, un homme sans bras vigoureux, sans voiture de course, sans compte en banque. Elles passent leur vie à se faire bouffer par des lions, ou dans le meilleur des cas à astiquer les parquets sous les quolibets des non initiées jusqu’à ce qu’elles choppent la tuberculose. Alors on les aime car elles vont avoir l’auréole.
D’autres mystères essentiels t’intéressaient mais les « livres » des tantes n’étaient guère explicites en la matière et que dire des leçons « live » du bouc et de la chèvre si dépourvues de poésie ?
Il y avait bien la bibli laïque : cinquante volumes dans l’armoire de la classe de quatrième du cours complémentaire : « Petite Fadette » , « Sans Famille », « En Famille », « Fabiola », « Ben Hur ». Les martyrs ne sont jamais loin même chez Jules Ferry.
Vous vous battiez pour les deux ou trois volumes les plus croustillants. Il y avait une liste d’attente. En juillet vous recouvriez de papier craft les livres usés ; on vous apprit même à les relier. Refaire un livre était passionnant, requerrait habileté et affection. Les grillons chantaient, vous attendiez les mois d’ennui des grandes vacances. Peut-être que l’amour ? Ce grand escogriffe aux mollets prometteurs sur son vélo de course et qui ne vous regardait pas.
Troisième épisode
La rencontre survint pourtant et ce ne fut pas dans une bibliothèque. Présidèrent à cet événement un film suivi d’un larcin.
On projetait au village, sur un drap tendu dans le parc municipal, un film qui mit en émoi toutes les cellules de ton organisme. Cela se passait dans la Tour de Nesle ; une terrible Marguerite de Bourgogne s’y livrait à des orgies. Ah le beau mot ! Comme il t’a fait rêver, imaginer ! Le héros ? Un magnifique personnage à la Mandrin, à la Robin des bois. Amoureuse folle du personnage, tu assistas aux trois épisodes de samedi en samedi et morte de chagrin après la disparition de l’élu, tu t’es traînée en état second de la maison au collège, de l’évier au lavoir, de ton lit à ton lit. C’était donc fini cet enchantement ? Tu ne verrais plus bondir le héros, de chevaux en murailles, de murailles en chevaux, de bras de belles en bras de plus belles, et bientôt dans tes bras à toi !
Il y avait une librairie à Caudry-en-Cambrésis (59)… Timidement tu as demandé si se vendait un livre dont on avait fait un film récent, Tour de Nesle et compagnie.
- Je dois le commander, te dit le libraire poupin. C’est un très gros roman vous savez. Cher (on n’avait pas encore inventé le pocket book) L’auteur, Mademoiselle, est Michel Zevaco.
Tu as commandé. Tu as volé dans la caisse de la boulangerie maternelle. Une pièce chaque jour pour masquer le larcin. La transgression est-elle nécessairement l’entrée en liberté ?
Un jeudi tu as réceptionné un gros bouquin qui n’entrait pas dans ton cartable.
Tu es entrée en religion. Tu ne quittais plus ta tour, te nourrissant d’eau, de sang, d’amours pirates.
Quand la lecture fut terminée, que ton amour t’eut quittée, il fut bien inutile d’essayer de réparer la rupture en relisant ici et là un passage. La passion ne fait pas marche arrière, quand bien même s’agirait-il d’une passion de papier.
Epilogue
Bien des années plus tard, te remémorant tes émois de lectrice devenue autonome, tu as constaté, mortifiée, que tu avais oublié le nom du héros volatile, sans avoir perdu pour autant celui de la sanguinaire bourguignonne.
Google a colmaté le trou de mémoire. Ton héros avait le sourire de ton père sur la toile blanche du parc municipal. L’aventurier intrépide se nommait Buridan. Rien à voir avec Buridan et son âne.
A treize ans tu as englouti les romans de Zevaco et autres auteurs de cap et d’épée. Jamais tu n’as retrouvé le goût du premier roman acheté en douce à Caudry-en-Cambrésis(59).
Alors de désespoir tu as épousé un rat de bibliothèque.

Marie Trèze

mardi 16 décembre 2008

Vieillir


Vieillir c’est perdre l’insouciance.
Ce sont les bobos et les douleurs quotidiennes à ignorer, en attendant le cataclysme final, c’est la mort qui rôde près des parents, à négocier avec plus ou moins d’habileté ou de chance dans le grand virage final et définitif,
Ce sont les amis, sur le visage desquels on découvre ses propres rides et l’insidieux travail du temps qui passe et vous ronge de l’extérieur, en surface .
Ceux qu’on aime, se débattant dans leur marasme personnel, parfois « cernés de près par les enterrements » comme le disait Brassens qui fut lui-même vite vaincu par la camarde,
Et les enfants, dont, privés de la bienheureuse inconscience de nos propres parents, on n'a aucune certitude heureuse quant à leur avenir …
C’est la peur de l’inéluctable solitude finale, arbre bientôt abattu à son tour, dans le no man’s land de nos cimetières perso …
Mais c’est aussi aimer, aimer passionnément la vie, savoir le prix de chaque instant volé au futur désespérant, et se chauffer à l’amitié, au soleil caressant, à la beauté du monde, à chaque occasion suscitée ou volée au hasard, petit soldat anonyme du grand troupeau humain qui court à sa perte programmée…

13 Août 08- Dany Besset

mardi 9 décembre 2008

Nouvelle du mardi


Désormais les billets publiés sur ce blog s’installent dans une certaine périodicité. Le mardi sera réservé aux lecteurs qui ont envie de publier un poème, un texte. Marie Thérèse Jacquet inaugure la rubrique. Le lundi sera consacré au cinéma, le mercredi à l’école, vendredi aux livres, samedi à la politique. La cuisine, les beaux arts , les spectacles… pour les autres jours

LE CABAS A ROULETTES

« Je suis oublié des cœurs comme un mort, comme un objet de rebut » psaume 31 verset 13

- Tu pars ? Tu pars sans moi ? Adèle !
-…
-Tu as ta crise de sciatique, c’est ça qui t’empêche de me répondre ?
-…
- Ma pauvre vieille Adèle !
- Je ne sais pas si je vais te prendre ce matin. Je n’ai besoin que d’une baguette et d’une plaquette de beurre…
- Ouais, t’oublie le kil de rouge. .. Emmène-moi ; huit jours que tu ne m’as pas sorti…
- Ah, huit jours… Huit jours, tu crois… ?
- Si tu vas faire tes courses toute seule, tu vas te mettre plein de miettes et de farine sur ta veste. Le beurre fondra dans tes mains. Allez, emmène-moi avec toi. Toujours enfermé, moi, dans le placard de la cuisine avec ces merdes que tu gardes par flemme : tes chaussures de ski boucanées, les après-ski qui prennent l’eau, les bougeoirs et les vases gagnés au club de scrabble, tes cinq boîtes de cartes postales (ils sont morts tous ces gens qui t’envoyaient leurs amitiés du bord de lagons bleus ?), tes chaussons de danse, tes fringues jaunes et bleues, (pourquoi ne portes-tu plus que du noir et du marron pisseux ?), ces confitures de mûres concoctées en Normandie ( les souris les ont bouffées). Et je ne parle pas des balais dépoilés. Pourquoi diable tu gardes des balais qui ne sont plus que des manches ?
La planche à repasser sans molleton, les bouteilles vides ou presque qui empestent l’acide acétique. C’est le purgatoire dans ce placard. J’ai l’impression d’être dans un cimetière avec toutes ces guenilles et que tu nous as privés de rites funéraires ! Si ça continue je vais croire aux loups… Sors-moi !
- Tu parles trop ce matin, tu me donnes le tournis. Je t’ai déjà dit que tu n’as rien à craindre des loups. J’ai mis des tapettes dans tous les coins. On n’en a jamais attrapé un…
- C’est pas la preuve qu’il n’y en a pas… Les loups sont très malins pour repérer les pièges.
- Tu exagères : il est très bien ton placard, à l’abri des courants d’air. Tu peux y dormir toute la journée sans soucis…
- Sans soucis, c’est vite dit avec toutes ces saloperies qui puent. Et puis il y a les GROS L…
- Ah ! Y en a marre avec eux !
- T’as raison tant que je suis vide ils ne viendront pas… Mais la vie c’est de sortir et de s’en mettre plein !
- Tu ne comprends pas que les temps ont changé, qu’aujourd’hui ce qui compte, c’est la sécurité. Je veux dire la sé-cu-ri-té des pla-cards. La vie il y a rien de plus dangereux. C’est l’instabilité perpétuelle. La vie c’est très mortel. Il vaut mieux pour toi vivre à petit feu.
Quand je t’ai eu en… en … 2000. Ah ça fait déjà huit ans que je suis à la retraite ! Mes collègues s’étaient cotisés. On t’a arrosé au champagne…
- C’ était pas du champagne d’abord, c’était de la Clairette. Tes collègues avaient caché les bouteilles dans ma poche.
- Huit ans déjà !
- Tu bois trop, laisse donc cette bouteille dans mon placard… Tu vas devenir affreuse.
- Bof ! Y a plus de miroirs chez moi et les gens ne me voient plus alors… Economies de fringues, de coiffeur. Un pif rouge, c’est rigolo, non ? Fun, comme ils disent maintenant, sleurp !
- La déprime te guette. Sors nous… Allons nous asseoir sur le banc, à côté du marchand de miel. Tu me raconteras les Trente Glorieuses.
- T’as raison, c’est jour de marché. Bon, je vais te sortir. Tu sais ton discours de tout à l’heure m’a donné une idée. Je vais promener aussi les cartes postales. Les pauvres, elles reverront un peu de pays. Mais, une condition. Promets-moi de ne pas insulter les caniches de la marchande de fromage.
- Ben dis donc, ils lèvent la patte sur …
- Les chiens n’ont jamais fait ça sur toi, ils préfèrent les arbres à un vieux cabas à roulettes tout pour…
- Répète un peu… tout pour… ?
- Pourvu de tous les accessoires modernes…
- Mouais, je suis certain que c’est pas ça que tu voulais dire, Adèle, mais je m’en fiche si tu me sors.
- Ah ! Te voilà devenu raisonnable. Zut, où est mon porte- monnaie ?
- Tu l’as laissé dans une poche de mon flanc, ton très léger porte-monnaie en faux crocodile plus usé que moi !
- Je n’aime pas quand tu ricanes à propos de mon porte-monnaie. Il m’a rendu autant de services que toi. J’aurai bien du mal à m’en séparer, vois-tu !
- Sentimentale, ma pauvre ! Tu collectionnes les cadavres…
- C’est vrai qu’il est léger ce porte-monnaie. Pardi, je ne pourrai pas acheter le beurre, il ne me reste que deux euros, il me faut du pain. Et ma pension qui n’arrive que dans trois jours !
Me voilà bien, tiens !
-Tu as encore un paquet de lentilles et un reste de nouilles dans le frigo
- Les lentilles, je ne les digère plus.
- On te fera crédit à la supérette… Ou alors, on refait le coup du mois dernier. Tu me remets mon double fond…
- Ton fond est trop percé. On a failli se faire prendre ! Rappelle-toi cette boîte de sardines au citron qu’on a perdue en quittant la caisse… Heureusement, le gérant n’a rien remarqué !
- Tu attaches trop d’importance à la bouffe, tu devrais te mettre à la méditation comme moi… Dans le placard, c’est plus facile. Si tu jettes les godasses, ça te fait juste la place. La méditation c’est extra pour les gens qui ne savent plus où se mettre…
- Excuse-moi, je sais que tu détestes ça mais je vais devoir fouiller dans ton fond… Peut-être que ?
- Fais vite et après on sort. J’aime le soleil d’automne.
- Rien. Pas la moindre piécette, juste des miettes de pain et ce vieux radis tout ratatiné.
- En route ! J’ai entendu un claquement de mâchoires !
- Toujours cette obsession ! Laisse-moi mettre mon foulard sur la tête !
- Pffft ! On dirait une des Vamps ! Ce que t’es moche !
- Tu ne t’es pas regardé ! Là, c’est pas trop lourd les cartes postales ?
- Eh ! Je suis encore costaud ! Dépêche… Y a un loup sous l’évier, j’ai vu sa patte velue. Même le balai a des griffes… L’apiculteur t’aime bien, peut-être qu’il te donnera un petit pot,
un échantillon toutes fleurs.
- Allons, allons courage ! Let’s go. We are the champions my…
- Pourquoi tu m’regardes comme ça ? J’ai la trouille quand tu fais ces yeux là.
- Tu grinces mon pauvre vieux, tes côtes saillent sous ta peau de toile cirée à carreaux…
Cette grande fente que tu as devant, c’est nouveau ?
- …
- C’est irréparable. Point final.
- J’ai la ligne, sûr. De la fermeté… Allez, let’s go Adèle. N’allons pas trop vite. Laisse-moi m’emplir d’air, pousse-moi dans les feuilles de platane. J’adore rouler dans les flaques d’eau et les feuilles mortes.
- Quel gamin tu fais !
- S’il te plait, le fleuriste a abandonné quelques chrysanthèmes dorés même pas fanés. Là, dans le caniveau, bigleuse. Mets en un ou deux dans ma poche. Merci.
- Je n’aime pas cette odeur de Toussaint.
- Tu n’as jamais été courageuse.
- …
- J’ai un peu mal à la roulette gauche, celle qui n’a plus de caoutchouc.
- C’est ton rhumatisme. L’acier n’est plus ce qu’il était.

Le cabas à roulettes chante :
« Le soleil d’automne emplit
Tous mes trous, ouais baby !
Je devine, oh oui
Y a un sens à la vie… »
Il poursuit sans chanter :
- Mais pourquoi quittes-tu le marché ? Je ne connais pas cette rue. Jamais tu ne m’y as emmené. Réponds, pourquoi vas-tu si vite ? Pense à ton cœur ; songe à ma carcasse… Ce grand truc, là-bas… ça ne serait pas une benne ? Des gens y jettent un sommier encore bon, des chaises qu’on pourrait revisser et même un ours en peluche ! Les enfants n’ont plus de cœur ! Adèle, à nos âges nous devrions éviter ce genre de spectacle… Mais que fais-tu ?
Tu ne vas pas jeter les cartes postales de tes amis vivants et disparus ?
Tu pourrais, au moins en relire quelques unes. Tiens, celle-là. Tout ce bleu et ce blanc. Elle est restée des années sur le bahut la carte de Maurice envoyée de Santorin… Adèleueueueu !
Ton insensibilité me blesseueueueu. Maintenant voilà que tu me soulèves, pourquoi me caresses-tu l’encolure ? Pourquoi ce baiser sur mon guidon ? Tu me gênes : nos rapports n’ont jamais été si ten… Tu me chantes une berceuse maintenant ! J’ai le vertige en haut de tes bras raidis… Au secours ! Help ! La benne est pleine de loups !

Marité Jacquet 2008-11-30