vendredi 17 juin 2016

Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet.

Le village en couverture du livre est couvert de nuages. Nous sommes loin de 81 quand une icône à clocher de la campagne de Mitterrand figurait sur un fond bleu. Cet essai de 370 pages murmure à  mes oreilles couchées par l’inquiétude, avec le mot « malheur » pour appeler, excessif, fidèle pourtant au sentiment que se complaisent à renvoyer nombre de nos compatriotes.
La clarté de l’expression favorisée par la forme de dialogue avec un journaliste de Marianne et un chercheur du CNRS permet d’avancer dans la compréhension de cette dépression française. De surcroît, je me retrouve dans cet essai en terrain rassurant avec la laïcité rappelée comme valeur inaliénable. Tout en admettant que je n’avais pas envisagé une telle importance du rôle de la religion dans les processus historique, ni que le général De Gaulle fut dans la durée aussi exceptionnel :
« En mettant ensemble l’autorité de l’Etat et la légitimité démocratique, l’incarnation monarchique et l’impersonnalité républicaine, le dynamisme économique et l’identité historique du pays, les bourgeois et les prolétaires. »
Notre universalisme, depuis 89, événement majeur dans la formation de notre nation, s’est perdu dans la mondialisation.
La sévérité de l’historien philosophe à l’égard de la construction européenne prônée depuis un moment comme substitut au socialisme, m’amène à réviser quelque naïveté. Au moment où la réconciliation avec l’Allemagne n’était pas acquise, le projet du « marchand de Cognac », Jean Monnet, visait à : « en finir avec l’Etat jacobin à la française en le contournant, disperser les pouvoirs, retrouver les vraies communautés, favoriser un style de gouvernement paternaliste où les gens éclairés prennent pour eux à la bonne distance des passions et des pressions populaires, les décisions qui s’imposent pour le bien commun. » 
Quant à aujourd’hui, alors que l’économie a supplanté le politique:
« On ne peut parler de l’Europe qu’au nom des objectifs que nous lui assignons. L’épreuve de la réalité n’a pas de place dans le discours sur elle »
Aimant les paradoxes, j’apprécie la formule qui relève  cette « ruse de la raison » :
« Mitterrand aura été le président par lequel sera passée la libéralisation de la société française que Giscard aura échoué à opérer »
Et cette façon de gouverner qu’on redécouvre à chaque fois :
«… l’axiome qui guide notre classe gouvernante : il vaut mieux ne pas affoler les français en leur décrivant sans fard la mutation à laquelle ils sont condamnés. »
Plus près de nous Sarkozy :
« Pour lui, énoncer les problèmes équivalait à les résoudre »
Et pour se faire du mal, extraire quelques mots du plan Langevin-Wallon et voir que ces ambitions ne sont plus d’actualité :
«La possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance, mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. »
Et après avoir remarqué la dissipation foudroyante des souvenirs après Charlie et le Bataclan à la mesure de l’émotion, insister sur le retour du « Business as usual »:
« Le néolibéralisme n’a pas besoin de se définir comme un passé parce que ce passé est révolu au regard de ce que sont les mœurs, les croyances, les aspirations spontanées des individus »
Pourtant : « Les questions qui sont devant nous, la question écologique, la question migratoire, la question des dérèglements du capitalisme financier, la question de la confrontation des cultures, la question du régime démocratique en mesure de faire face à ces urgences, signent toutes , de manière convergente, la fin de l’économisme triomphant… »
...................
Le dessin de la semaine vient de Télérama:

1 commentaire:

  1. Je ne crois pas que l'économisme soit prêt à perdre sa tête, pour ainsi dire.
    C'est important de penser que l'économisme, c'est une forme d'idolâtrie du chiffre, pour mesurer et concrétiser la valeur dans un monde qui a besoin de preuves, et qui raffolent de preuves chiffrées.
    Le pauvre fric est, lui aussi, soumis à cet idolâtrie qui porte bien son nom à mes yeux.
    Tu nous vois prêts à lâcher la preuve par le chiffre ?...

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