vendredi 4 décembre 2009

Des hommes. Laurent Mauvignier

Parmi les styles, il y a l’écrit, le parlé; dans ce livre comme une voix intérieure vous prend dans ses spirales. La lecture n’est pas facile mais peu importe l’identité du narrateur pour approcher de la vérité de ces paysans échoués à garder des cuves d’essence en Algérie et qui sont revenus.
« C’est le moment où l’on regarde le drapeau dans le ciel bleu, le moment où l’on essaie de se faire croire qu’on est là pour quelque chose comme des idées, un idéal, une grandeur quelconque, un projet de civilisation comme l’explique l’une des brochures qu’il a reçues en arrivant »
Ce n’est pas la brochure du bien et du mal : la boue de l’Ardèche et le ciel blanchâtre de l’Algérie pèsent comme le temps.
Les silences à se casser les dents durent des décennies, des vies entières.
Sous l’accumulation des mots banals, nous nous approchons d’une réalité familière :
« C’est plutôt qu’après le séjour au club Bled, oui, c’est ça, toujours de quoi rire, déjà ça, la rigolade, qu’on y aille, il avait osé ne pas revenir et n’en faire qu’à sa tête de mule et aujourd’hui voilà où on en est_ »
Je me repens d’avoir pensé du haut de mon surplomb de petit instit’ que la littérature française était mal en point, Mauvignier est une hirondelle. Autant qu’après le drame du Heysel, le livre qu’il avait écrit, « Dans la foule », m’avait paru essentiel ; avec ce dernier ouvrage il va bien au-delà des traumatismes d’une guerre et pose pour chacun ce qui oriente un destin, ce qui compose notre difficile humanité.
« Je vois bien le paysage, tout blanc, enfin blanc d’un blanc grisâtre et fade comme du pain rassis, sans forme, avec des pavillons noyés dans le ciel épais et mou, et dessus les champs, les bois durs comme du marbre… »
Il dit bien les pierres, les maisons, les hommes.
Quand « La littérature présente le monde ».

jeudi 3 décembre 2009

Jean le Gac

Si « l'art narratif se situe au cœur même de l'activité humaine : là où le groupe se constitue une mémoire », Jean Le Gac est un représentant caractéristique de ce mouvement artistique , « l’art narratif » qui compte Fromanger, Cueco, Pignon Ernest ... Il est vraiment à sa place depuis 1992 au musée de la mer à Sainte Marguerite, une des îles de Lérins, au large de Cannes.
Sur cette île charmante aux grandes allées d’eucalyptus, aux criques familiales, les bâtiments militaires perdent de leur rudesse avec les pensionnaires des centres de loisirs, affairés à des ateliers de théâtre, de peinture, à des parties de basket. Dans des cellules du fort royal, l’artiste peintre a accroché ses immenses toiles rappelant qu’une partie de la suite d’Abdel Kader fut enfermée là, et le masque de fer. Par les ouvertures dans les murailles à l’épaisseur impressionnante, cinq rangées de barreaux laissent cependant passer une lumière suffisante pour les chevaux vigoureux, les femmes rêvées, de l’artiste qui s’est mis dans la peau des reclus. Nous repartons avec des images fortes d’une méditerranée qui sous son bleu immuable recouvre des pierres de souffrance.

mercredi 2 décembre 2009

J11 : Hué, le dimanche

Le train a visiblement du retard. Le responsable du service du wagon nous rapporte nos tickets et vient nous avertir de l’arrivée vers 1h30.
Notre contact Djanne (Jeanne ou Jane s’écrit en fait Trang et se prononce Djeanne)se signale avec son panonceau où sont écrits nos noms. Elle nous présente déjà la ville dans un français plus difficile que celui de Manh : Hué est la capitale culturelle du pays. Elle nous amène à l’ « Orchid Hôtel » Chu Van Ann Street. Chambre grand luxe avec ordinateur, mini chaine stéréo, TV écran plat, belle décoration et salle de bains toute neuve, petite attention délicate : des pétales de rose égaient des draps blancs immaculés.
Vite au lit pour poursuivre notre sommeil interrompu jusqu’à 8h30 du matin. Nous déjeunons sur place dans une petite salle : œuf, charcuterie, fruits, yaourts, nems avant d’affronter le soleil et découvrir la ville sans la présence du guide. Nous choisissons de « badalusser » du côté de l’hôtel, le long de la Le Loï, bordée de maisons coloniales françaises. Les deux fondations d’art contemporain signalées par Le Routard, Le Ba Dang art foundation et la fondation d’art contemporain Biem Phung Thi (1Phan Boi Chan) ont leurs portes closes pour cause de repos dominical. Par contre nous entrons librement dans le collège Quoc Hoc, l’une des premières écoles française du pays édifiée en 1896 et qui accueillit en son temps Ho Chi Minh et Giap. Dans un parc ombragé, vers le fond, s’élèvent des bâtiments rouge sombre, certains réservés aux salles de classe, d’autres aux dortoirs, cantine, sanitaires, au sport. Il y a même une piscine. Des équipements sportifs extérieurs manquent d’entretien. Bâtiment scolaire troisième république qui donne l’impression d’un lycée Champollion avec plus de végétation. Quelques jeunes visitent l’endroit et s’y photographient dans « la cour d’honneur » pas loin de la statue d’Ho Chi Minh. La ville de Hué est paisible sous ses arbres, provinciale; c’est dimanche dans l’ancienne colonie. Sur les grandes et larges avenues, la circulation est tranquille, pas de horde de scooters au coude à coude. De plus les feux de signalisations semblent beaucoup mieux respectés qu’à Hanoï.
Jeanne nous récupère à 13h 30 et nous partons en voiture climatisée à la conquête de la citadelle. Nous entrons par la porte du Sud et bien que bâtie à partir de la cité interdite de Pékin, c’est tout à fait particulier. L’ensemble date du début du XIX° siècle et servit jusqu’à 1945 quand Bao Daï abdiqua. Nous passons donc une première enceinte en voiture et nous stoppons devant « le cavalier du roi » sorte de fortification à la Vauban où flotte le drapeau Vietnamien, hissé la première fois lors de la terrible offensive du Têt en 1968. Nous franchissons à pied la deuxième enceinte, par la porte du midi et pénétrons dans la cité impériale : un grand portique allie bronze et émail. Il donne accès à deux grands bassins symétriques, pullulant de carpes rouges avides de nourriture, bien qu’alimentées régulièrement. Nous voyons le palais du trône, le pavillon de lecture, le théâtre royal, le palais de la reine mère, le temple du culte des empereurs N’Guyen, la cité interdite bien endommagée, le bassin royal, les galeries couvertes qui font penser aux cloitres de chez nous. L’UNESCO finance cet ensemble classé au patrimoine mondial qui a subi beaucoup de dégâts pendant les guerres. Il règne encore une impression d’abandon, d’herbes folles, de ruines et de mystères pleins de charmes. Murs et portiques, dragons et décorations sont agrémentés d’incrustations en tessons de porcelaine, qui scintillent au soleil. Le rouge fané des bâtiments, le jaune impérial des tuiles convexes et concaves (Ying et Yang) ou le vert des toits qui abritaient les mandarins, le bois sombre et brillant des galeries, les décorations colorées des portes, les grandes urnes en bronze, la verdure et la végétation ; tout est photogénique. On pense parfois au Facteur Cheval (cf. Le Routard). Lorsque nous sortons après une visite en pleine chaleur mais dans le calme, nous croisons des groupes nombreux qui s’élancent pour la visite. Quel bonheur de se jeter goulument sur l’eau fraîche sortie de la glacière par notre chauffeur ! Il nous dépose à 4 km à la pagode de la dame céleste.Après quelques marches, nous passons devant une tour à sept étages qui symbolisent les sept réincarnations du Bouddha Il y a des statues de cette dame avec un enfant ressemblant à une vierge à l’enfant. C’est alors que nous proviennent les échos de début de la prière des moines, nous nous précipitons, enregistreur au poing. Les moinillons, souvent des orphelins, rasés mais conservant une longue mèche de cheveux, ont du mal à chanter grave et juste, mais n’hésitent pas à donner de la voix même l’on peut avoir l’impression qu’ils « font les andouilles ». Nous admirons le joli jardin de bonzaïs derrière le temple, le stupa, la petite forêt de filaos. Au-delà de l’enceinte nous pouvons apercevoir un immense cimetière.
Nous rentrons en bateau orné de dragons à la proue. Remontant la rivière des parfums, nous passons sous le pont Clémenceau de style Eiffel. Des baigneurs nagent avec des bouées et les enfants s’amusent avec un pneu près de la berge. C’est agréable avec la lumière déclinante de la fin d’après midi, malgré les tentatives vaines de la dame du bateau de nous vendre des souvenirs et de nous mettre en avant sa petite fille à photographier.
Nous rentrons tout doucement à l’hôtel. La dernière sortie à 6h45 nous mène à un restau du Routard, tout à côté de l’hôtel (31 Chu Van Ann) le Ong Tao. Il est un peu difficile à trouver car en étage, De grandes tablées bruyantes mangent sous des néons, au milieu de ventilateurs monstrueux et actifs. Nous trouvons une table libre dans une pièce séparée par des portes coulissantes vitrées derrière lesquelles un groupe d’hommes d’un âge (70, 80 ans) accompagnés de 3 ou 4 femmes, trinquent à la bière ou à l’alcool où trempe un serpent. Nous faisons confiance au jeune serveur et mangeons comme des rois, des nems aux légumes, à la viande, du bœuf roulotté dans des feuilles, des nouilles aux légumes, et du riz, du thé avec œuf et crevettes, arrosé de la bière de Hué : total : 168 000 D (moins de 8€) Nos compagnons s’égaient de plus en plus. Un couple mixte Vietnamien/Française engage la conversation. Après cette révision de l’Asie en ses pagodes et palais, nous prenons plaisir à la douche et à la climatisation.

mardi 1 décembre 2009

Chambres noires

Les miroirs sont des maraudeurs. Des canailles. D’ignobles menteurs. Ils ne créent ni ne retiennent. Je te prends et je te jette. Amnésiques. Alors on a inventé les appareils photo. Au début ils magouillaient avec la lumière dans leurs chambres noires, leur camera à soufflet.
L’attente du cliché développé créait le suspens. Ah ! Fais voir les photos ! Ah, Oh ! Ce que ! Et là ? Lui ? Elle ? Ah ! Quand même ! Après. Encore. Mouais… A table !
Alors est venu le génie qui dit zéro et compte jusqu’à un. De géniaux débiles ont inventé les « numériques ». Nous voici revenus aux miroirs, ces indépassables virtuoses de l’instantané. Et toutes ces machines, ces clés USB, ces imprimantes, ces scanners. Le temple du Moi multiplie ses saints.
Pourtant, nous ne sommes pas quittes en dépit de la manipulation effrénée de nos idoles sur papier glacé. Ils demeurent, ces réduits confinés que nous baladons toute notre vie. Fardeaux si légers que beaucoup leur dénient toute existence… Jusqu’au jour, jusqu’à l’heure de la stupeur. Alors vole en éclats, notre petite boîte noire, l’autre côté du miroir. Notre vie nous éblouit d’une lumière si insoutenable qu’elle nous fait mourir. Nous périssons de nous voir sans l’aide des miroirs. Peut-être qu’alors, certains découvrent un dieu fait à leur image, suprême création de leur intarissable besoin de consolation. La vie nous rattrape et nous fige dans la mort avant d’aller se reproduire plus loin. Reste l’insensible plaque des pierres tombales.
Qu’as-tu fait de ta vie ? De profundis. La vie t’a eu et… bien profond !
Il nous arrive, alors que nous poursuivons nos chemins aléatoires dans le magnifique terrain miné qu’est notre vie, de mettre le pied à quelques millimètres d’un engin explosif. Nous nous arrêtons au bord de l’anéantissement, pétrifiés par le regard de la Méduse. Nous ne dansons plus alors, insouciants que nous étions, dans les près et les bois. Nous mesurons nos pas, nous regardons nos montres, nous supputons les dénivelés, nous faisons le point, adossés à de vieux arbres. Nous avons vieilli… Féconde constatation ! Combien de kilomètres parcourus ! Nous soupirons. A quelle distance sommes-nous du but ? Nous sommes si fatigués ! Alors l’arbre nous fait la leçon. Nous nous asseyons sous ses frondaisons, pour l’écouter : « Il n’y a pas de but, sinon celui de croître, de faire souche et puis de disparaître. Contents. » Les arbres, même auprès des lacs et des rivières ne se mirent point, s’admirent encore moins. Ils sont trop occupés à édifier les colonnes du ciel. A proclamer l’extravagante pugnacité de la vie.

Clémence Psyché

lundi 30 novembre 2009

Vincere

Ah parce que Mussolini avait une femme ?
Salutaire remise au jour d’une histoire de fous.
Une tragédie où la belle passionnée, foudroyée par le culot du tribun socialiste à ses débuts, sera broyée comme leur fils lors de la montée vers le pouvoir de celui qui électrise les foules.
Nous pouvons être effarés encore aujourd’hui quand la comédie prend le dessus avec Berlu chez les nymphettes.
Beau film et belle occasion de ne pas voir qu’une reconstitution historique avec ce destin tragique en appât où des grilles ne peuvent délimiter les frontières de la déraison. Les images d’archives, celles de la société, se mêlent parfaitement à la terrible histoire intime.

dimanche 29 novembre 2009

Sous le volcan

D’après « Under the volcano » du britannique Malcolm Lowry, se déroulant au Mexique, joué en Néerlandais sur titré.
Faut-il tellement goûter la déchéance alcoolique, les histoires d’amour finissantes, pour prendre son billet pour un tel spectacle ?
Il suffit d’apprécier le théâtre qui sert un texte déchirant et poétique, l’accompagnant de belles images indisciplinées avec un système innovant n’effaçant pas le texte sous le clinquant. Le sur titrage bien synchronisé n’est pas gênant et nous rappelle qu’il s’agit de littérature avant tout. La musique de cette langue, servie par des voix chaudes, ajoute une dimension universelle à ces vies déchirées qui nous parlent de l’ennui sans ennuyer, de l’amour comme un chariot vers l’enfer, de la mort.

samedi 28 novembre 2009

Le sport peut-il former des citoyens ?

Je ne reviendrai pas sur les photographes qui gravitent autour de Rama Yade et font ressortir d’autant plus la vacuité des propos de la belle dame.
Arnaud Mourot ancien lutteur, président de sport sans frontière, sur la scène du forum de Libé en septembre, avait bien plus à apporter au débat, même s’il était plaisant de rappeler le dessin représentant De Gaulle en survêtement après les J.O. de Rome :
« Dans ce pays, il faut que je fasse tout moi-même ».
Nous sommes loin des anglo-saxons chez qui l’excellence sportive vaut l’excellence scolaire, mais dans notre pays avec 16 millions de licenciés, 250 000 associations, le sport est un phénomène qui traverse l’économie, la culture, la santé, l’éducation.
Le jeu permet pour les plus fragiles de se projeter vers l’avenir, il apprend les règles : à transférer dans le projet éducatif.
Même si le sport est la « bagatelle de la vie », le foot « divin et diabolique » selon Marguerite D. à Michel P., c’est bien l’approche pédagogique qui sera déterminante pour faire du sport soit « l’école de la vie » soit « servir les causes les moins nobles, ou conduire aux comportements les moins citoyens ».
Dans nos sociétés au présent incertain, la lutte permet d’aller au-delà de soi même, même si les outils sont quelque peu émoussés.
Les lendemains de victoire, dans la nostalgie du « tous ensemble », comment échapper à la solitude ?
C’était un samedi à Lyon, la tristesse d’un GF 38 fainéant, des supporters insupportables et les pathétiques appels à la rénovation de mon parti usé : les images du sport et de la politique se percutent.
Qui peut réunir deux fois par mois 60 000 personnes de toutes conditions ?