mercredi 22 janvier 2025

Les gros patinent bien. Olivier Martin-Salvan Pierre Guillois.

Depuis son tabouret l’homme en surpoids voyage grâce à son gracile comparse qui court dans tous les sens, brandissant des cartons annonçant nuages et ferry, jouant la mouette et un phare à un rythme endiablé. Les rires n’ont pas cessé pendant une heure vingt.
Les Monty Python figurent comme référence et le mot  anglais « slapstik » peut caractériser cette forme d’humour burlesque, quand deux bâtons entrechoqués imitent une claque.
C’est pas tous les jours qu’on rigole, alors le public ne s’en prive pas qui a fait de ce voyage au pays des stéréotypes un succès depuis deux ans. 
Ils « cartonnent. »
Ils ont le sens du public quand ils se disent agacés par les claquements de mains des spectateurs et nous marchons puisqu'il faut prendre à partie le méchant qui nous le rend bien.
Quand le maladroit marche dans le caca, parle une langue inventée, et que tout tourne autour d’une séduisante sirène, nous revenons, allégés, en terre d’innocence, nous délectant de blagues nulles et d’’engueulades pour de faux.
Voilà du théâtre populaire où emmener toutes les classes qui apprécieront l’inventivité, l’humour des deux compères, nous en mettant plein les yeux, le ventre, avec trois fois rien : du scotch et des feutres, des emballages. 
Il faut plus de cinq heures pour installer les 500 cartons avant la représentation et refaire la marmotte passée à la broche, remettre dans leur boite tous les éléments qui se sont déchainés : pluie, neige et grêlons, donner un coup de balai.     

mardi 21 janvier 2025

Un cow-boy sous pression. Achdé & Jul .

Pour le 125 ° album de la série initiée par Morris nous sommes invités à Milwaukee, capitale de la bière où notre héros solitaire avec un sérieux mal de dos pour cause de surmenage est  appelé afin de tenter de mettre un terme à une grève dans les brasseries.
Dans cette ville au cœur de la « German belt » (6 millions d’immigrés allemands) les traditions sont maintenues : discipline et syndicalisme. Le shérif Benz portant une étoile à trois branches , comme une marque de voiture célèbre, n’est qu’un exemple de clin d’œil où les jeux de mots sont nombreux parmi des faits bien réels, au pays où « Les Desperados sont mis en bière ».
Et nous savons tout sur les origines du ketchup Heinz, du hamburger de Hambourg,  d’Eisenhower et Trump. 
Pour la tradition, nous retrouvons immanquablement les Dalton appelés à remplacer des grévistes alors que pour la nouveauté des cases adoptent des formats et des cadrages inédits. 
Lorsque Lucky Luke, se mettant tout nu, dépose ses habits noirs, rouges et jaunes, pour les faire sécher, les couleurs de la Belgique patrie de Morris sont comprises comme celles du drapeau allemand ainsi que peut l’indiquer l’indien « Aigle à deux têtes ».

lundi 20 janvier 2025

Truman Capote. Bennett Miller.

Un documentaire diffusé sur Arte après ce biopic remarquable de 2005 permet d’apprécier encore plus la performance de l’acteur couvert de récompenses, Philip Seymour Hoffman, dont la ressemblance avec l’écrivain est impressionnante. Nous voyons aussi des extraits du film de Richard Brooks de 1957 tiré du roman « De sang froid » inspiré du massacre d’une famille par deux repris de justice en 1959. Des intervenants apportent des éléments intéressants après l’heure cinquante que dure le film de Bennett Miller à ses débuts,
 
nous approchant du mystère d’un écrivain hors du commun et de celui des meurtriers.
Si les journalistes travaillent horizontalement, le romancier a l’intention d’approfondir, de multiplier les approches. Au départ il veut décrire l’impact pour les habitants de la petite ville du Kansas de ce crime affreux, sans mobile évident. Et nous allons bien plus loin.
A aucun moment on ne doute de la culpabilité des deux hommes, mais Truman Capote ne se contente pas de se renseigner sur leur passé terrible, il entretient surtout avec l’un des deux, Perry Edward Smith, des rapports très amicaux non dépourvus de manipulations de part et d’autre. La mort est promise aux deux hommes malgré les recours financés par l’écrivain. 
Les 8000 pages de notes doivent trouver leur aboutissement : redoutable compte à rebours.
C’est toute la richesse du film de montrer le new-yorkais  mondain, maniéré,  enquéteur réussissant à séduire le promis à la pendaison, au cœur de la Bible Belt au début des années 60. L’auteur de « Petit Déjeuner chez Tiffany » brillant et fuyant, drôle et tragique, direct et menteur, charmeur et gougeât, se sachant  génial et dans le doute permanent, n’est pas forcément sympathique avec son rire effrayant, ambigu, complexe. Il va connaître un succès considérable mais ne produira plus d’œuvre majeure. Il meurt en 1984 vaincu par l’alcool. Philip Seymour Hoffman est mort d’une overdose en 2014. 
« Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas » Thérèse d’Avilla

samedi 18 janvier 2025

Le soleil des morts. Bernard Clavel.

Retour avec délice vers le passé dans un roman au plus près de trois guerres :
de 70 à la seconde, en passant par les bataillons d’Afrique et celle de 14, la préférée de Brassens. 
« - Tout de même, répliqua Charles, est-ce que ça ne fait pas le jeu d’Hitler ?
A nous la charrue et à l’Allemagne l’industrie. Les avions. Les chars. Les camions…
Bat’ d’Af’ ne put s’empêcher de lancer :  
- Moi, chef, j’dirais à nous la faucille et à eux le marteau pour river les blindés. »
En retrouvant l’auteur vedette des années 80, j’avais l’impression de lire à nouveau des morceaux choisis de nos livres de classes de la communale qui délivraient à chaque fois une leçon de morale, tout en vérifiant que j’étais bien de ces temps là. 
« Il allait le plus vite possible et les mots qui dansaient en lui comme la bille dans le grelot l’aidaient à surmonter sa peur. »
L’effroi devant l’absurdité de la guerre, les humiliations militaires et malgré tout le patriotisme, le courage de la grand-mère au lavoir, les joies du braconnage… composent un  riche panorama du siècle passé autour d’un homme d’une incontestable droiture à la présence très physique. 
« Comme toujours, Pauline le regarda de la fenêtre de la salle à manger et, comme toujours, quand il eut traversé la chaussée, il se retourna pour lui adresser un petit au revoir de la main. » 
L’amour et l’amitié ne s’affichent pas, ils se vivent intensément, les douleurs se surmontent. 
« Presque toutes les clientes qui venaient avaient un fils, un mari ou un frère à la guerre. Certains avaient trois ou quatre proches sur le front et on ne parlait guère que des tranchées, des rats, des poux, des blessés et des morts. »
La confortable nostalgie de ces années aux couleurs contrastées, lisibles, tenant en 600 pages, n’occulte pas quelques maladroites simplifications. 
« Que les destructeurs portent un casque en acier ou, comme c’était le cas, le chapeau d’un homme d’affaires devenu maire d’une ville, il s’agissait toujours de salopards et Charles Lambert n’avait jamais aimé les salopards. » 
Ce roman à l’héroïsme un peu compassé, inspiré de la vie de l’oncle de l’auteur, nous repose pourtant  d’ égobiographies contemporaines où le cynisme se fait passer pour de la sincérité.   

vendredi 17 janvier 2025

Schnock. n° 52.

Ah tu me plais, tu me plais, miroir schnock de mes années soixante, quand les lumières palissent et que s’arrondissent les angles. Je me suis régalé avec cette livraison du trimestriel qui jamais ne déçoit consacré à Georges Pompidou
J’étais alors très Charlie Hebdo :  
« Pour la bande à Cavanna, Pompidou, qui se présente en homme cultivé, amateur de poésie et d’art contemporain, est en réalité l’incarnation par excellence de la bourgeoisie détestée, de l’ordre moral et du capitalisme financier. » 
Aujourd’hui, j’inverse les propositions et je suis étonné par sa finesse dans la reprise d’un entretien avec Michel Droit pour le Figaro littéraire qui m’aurait fait mourir de honte ou au moins rougir à l’époque, pourtant des formules comme celle là ont de l’allure : 
«  L’œuvre d’art, c’est l’épée de l’archange et il faut qu’elle nous transperce ».
Laurent Chalumeau, dissèque brillamment un morceau d’anthologie quand dans une conférence de presse, à propos de l’affaire Russier (prof suicidée après une relation amoureuse  avec un de ses élèves) le président de la République cite Eluard : 
« Comprenne qui voudra
Moi mon remord ce fut
La victime raisonnable
Au regard d’enfant perdu
Celui qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés. »
 Comme il est d’usage, un diconoclaste permet d’envisager la richesse du successeur du Général en plus moderne, depuis les Beach Boys jusqu’à ses dernières volontés au paragraphe « Ze end ».
Daniel Schneidermann règle ses comptes avec son ancien chef du journal  « Le Monde » tout en nous apprenant les dessous d’une querelle avec le journal Pilote à propos de caricatures de Pompon qui pouvait se montrer Pompidur avec Chaban ou Poher…
En 1978, commençait un feuilleton « Madame la juge» avec Simone Signoret
dont Montand avait dit : 
«  C’était facile de devenir l’amant de Casque d’or,
mais il a fallu beaucoup d’amour pour rester avec Madame Rosa. »
Après le top 15 des publicités pour disques (musicaux), la liste des succès en chansons arrangées par Jean-Claude Vannier s'allonge : « Mélodie Nelson »  « Que je t’aime », Brigitte Fontaine,  Herbert Léonard, Bécaud et Polnareff…
Le dessinateur Serre, «  Humour noir et hommes en Blanc », a commencé à être publié en coffret par les éditions du Grésivaudan avant de faire la fortune de Glénat dans un format plus populaire. 
Henry Guybet, certes pas « un acteur de compétition »  figure parmi les fondateurs du « Café de la Gare », son personnage de Salomon dans Rabbi Jacob, sa silhouette dans «  La septième compagnie » se sont inscrits dans notre paysage.
Parmi le recueil des vacheries, plutôt que les mots de Ségolène Royal contre l’Eurovision ou ceux de Zaho de Sagasan contre Hanouna, Ariane Mnouchkine me semble plus utile à propos des gens de culture envers le public : 
« Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur dit qu’ils étaient des imbéciles, puis comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »

jeudi 16 janvier 2025

Alençon

Si les ablutions matinales et le rangement de la cabane nous prennent peu de temps, nous profitons d
e la table et des chaises pour écrire, lire nos téléphones avant de prendre la route pour Alençon . 
Notre logement ne nous permettant pas de faire du thé ou du café, nous nous attablons en terrasse dans un bar tabac à Onzain, proche de Chaumont mais sur l’autre rive, tandis que les cloches convient les fidèles à la messe. Beaucoup de cyclistes, sportifs ou randonneurs, sillonnent les routes en ce dimanche matin, et les vacanciers trimballent leur monture à l’arrière de leur voiture en prévision de balades dans des sites à découvrir. D’autres s’attardent devant leur café en racontant leurs exploits.
Par l’autoroute, nous parvenons à Alençon vers 12 h.
Le centre-ville s’étend autour des jolies halles à blé, dont la forme circulaire en pierre m’évoque le cirque Jules Verne d’Amiens. La ville est déserte, hormis un bar fréquenté près des halles. C’est dimanche, en août, nous nous heurtons aux rideaux baissés des magasins et des restos. Sur la  vitrine de la boulangerie, les propriétaires s’excusent auprès de leurs clients de nous plus ouvrir le dimanche, faute de trouver du personnel acceptant de travailler le jour du Seigneur. La brasserie signalée comme ouverte est confrontée au  même inconvénient et pas seulement le dimanche, elle a dû mettre la clé sous la porte.
Alors  nous nous rabattons sur un restaurant  marocain / tunisien ; "l’oriental" est le seul établissement ouvert, avec un garçon qui ne craint pas sa peine. Nous apprécions un couscous et un verre de Boulaouane  consommés en terrasse qui se remplit vite. Heureusement la fermeture le dimanche ne concerne pas les musées.
Le musée des beaux- arts et de la dentelle loge dans un ancien collège des Jésuites et ouvre ses portes gratuitement comme tous les 1ers dimanches du mois.
Il présente deux expositions temporaires : 
- La 1ère porte sur l’Egypte, nous la survolons.
- La 2ème s’intitule « le dialogue de fibres ». Elle propose des œuvres de Julien Feller. Cet artiste travaille le bois, le cisèle et arrive à imiter les fines dentelles d’Alençon de façon très réaliste. Elle trouve donc pleinement sa place dans ce lieu.
Les collections permanentes s’articulent autour de 3 domaines différents :

- Le Cambodge d’Adhémard Leclère correspond à une donation d’un natif d’Alençon à sa ville. 

Parti travailler en Indochine dans l’administration française entre 1886 et 1911, il se passionne pour les traditions autochtones et collecte des statues de bouddha, des coiffes de danseuses ou actrices, des instruments de musique, des outils, des objets tels des flèches et des carquois.
Il ramène des photographies, des témoignages d’ordre ethnologiques sur les rituels, les modes de vie, reconnus par les spécialistes.
- Une grande partie du musée consacre bien évidemment une place importante à la dentelle  qui fait la réputation de la ville.
La dentelle à l’aiguille d’Alençon se distingue de la dentelle aux fuseaux.
Une vidéo en explique les différentes étapes : le dessin et le piquetage sur le parchemin, la trace, le réseau, le rempli, les modes, le levage, l’éboutage, l’assemblage, le régalage et le luchage pour les finitions.
Réaliser 1cm2 de dentelle nécessite 7 heures de travail !
De 8000 dentelières auxquelles on confiait seulement une ou deux étapes pour optimiser la production au début de la production (sous Colbert), il n’en reste plus qu’une demi-douzaine aujourd’hui, et leurs réalisations atteignent des prix très élevés.
Les salles relatent l’histoire de ce savoir-faire inscrit au patrimoine culturel de l’Unesco, et exposent des dentelles précieuses et délicates dans des vitrines sous des lumières tamisées.
- Qui dit musée des beaux-arts dit peintures.
Beaucoup de celles qui occupent les galeries de ce musée proviennent des œuvres confisquées par les nazis, récupérées depuis, mais dont on ignore le nom des propriétaires et que l’état a confié à différents musées en attendant de pouvoir les restituer.
Il s’y glisse un Fantin-Latour, un Courbet, ou encore un Eugène Boudin, mais rien qui nous retienne longtemps.
Pour se dégourdir les pattes, nous nous lançons dans une promenade en ville, qui commence par la rue du collège puis celle du temple et se poursuit au hasard de nos pas.
Nous tombons sur un beau bâtiment du XVIII° siècle  protégé par une grille et des volets bleu clair, en pierre blanche, sans destination particulière, en tout cas indiquée.
Plus loin, le château des ducs d’Alençon rappelle l’histoire de la ville. Ancien château fort, il passe aux mains des anglais avant d’être récupéré par Marguerite de Valois lors de son remariage avec Henri II.
Elle y entretient une cour cultivée et s’entoure  de poètes dont Clément Marot. Henri IV le détruit. Au XIX° siècle, il est reconverti en prison,  tristement réputée au XX° sous la gestapo, et en activité jusqu’en 2010. S’il ne se visite pas, la ville a aménagé les abords en jardins et espaces verts, équipés de jeu pour enfants (toboggan en inox) .
Nous étendons notre balade jusqu’à la maison à l’étal. Cette petite maison du XV°siècle est la survivance d'une ancienne boulangerie à la façade recouverte d’ardoise, Elle doit son nom à l’étal de granit taillé dans un seul morceau placé sous la fenêtre du bas.
En déambulant vers les rues piétonnes, nous observons la présence d’autres maisons anciennes  à colombage.
Notre journée de visite prend ainsi fin et nous allons prendre possession de notre Airb&b  au rez-de-chaussée du 14 impasse des tisserands avec parking devant la porte. Un studio nous y attend, il tranche avec notre cabane d’hier et nous donne l’impression d’espace.
Il comprend un salon confortable accueillant une immense TV, une petite cuisine américaine cachant un frigo dans le placard et une grande chambre occupée par un bon lit en 160, une salle de bain attenante. Guy se tanque devant l’athlétisme pendant que je lessive rapidement des petites choses et met à jour mon journal. Nous grignotons ce que nous avions prévu pour hier : pain, saucisson, melon puis cakes et chocolat. Et profitons de l’écran géant pour regarder les J.O.

mercredi 15 janvier 2025

Résonance. François Veyrunes.

Un noir ruisseau rectangulaire scintille en fond de scène où quatre danseurs et deux danseuses entrent et sortent en diverses compositions, s’élèvent en poirier, se tiennent, se soulèvent.
Performances gymniques de hip hoppeurs lents, en leurs habits de tous les jours, sur musique électro pimentée de bruits de la nature et de sonorités mystiques.
Si je n’ai point vu « une exploration du corps social et de ses différents modes d’organisation », dans le genre « danse philosophique » comme le caractérisait une amie, je n’ai pas été insensible à la force tranquille des artistes, ni à l’atmosphère languissante où les tentatives de combattre la pesanteur passent par de puissants et doux appuis en solo, à deux à trois.
Des tableaux se montent tels les dessins d’Ernest Pignon Ernest quand il évoquait Pasolini ou Genet, entre deux galopades, nous sommes en terre Galottéenne.
Les inventions plastiques ne sont pas tapageuses et on peut se laisser gagner par les mouvements et les sons hypnotiques qui font de cette heure une expérience qui mérite d’être tentée.