Au début d’un cycle concernant la peinture espagnole, le
conférencier devant les amis du musée de Grenoble a fait immédiatement le lien
avec l’exposition Picasso qui vient de s’ouvrir place Lavalette. Celui-ci a
produit 58 toiles inspirées des Ménines du
« peintre
des peintres ». Le Rijksmuseum d’Amsterdam en ce moment aussi fait rejoindre Vélasquez et Rembrandt jusqu’en
janvier 2020 sous le titre : « L’or du
siècle ».
Diego Rodríguez de
Silva y Velázquez né à Séville en 1599, il y a 420 ans, signait souvent du
nom de sa mère. Son père ecclésiastique était notaire comme le père de Léonard ou
celui de Duchamp. La villes des monastères était à son apogée, quand l’or
des Amériques remontait le Guadalquivir
(al-wādi al-kabīr) avant que les marchands de Cadix ne prennent la main.
Il fut l’élève de Pacheco et se maria avec sa fille.
Le beau-père était contrôleur des images saintes pour le compte de
l’Inquisition, homme d’influence et de grande culture.
A 18 ans, Velasquez
peignit l'Immaculée Conception
aux vêtements sculptés, entourée de ses 12 étoiles, la lune sous ses pieds,
en diptyque avec Saint Jean l’évangéliste écrivant
l’apocalypse sur l’île de Patmos. Son modèle était sans doute son
frère.
Les Larmes de Saint Pierre au visage mature
où se lit l’influence du Caravage
rencontre aussi l’âme andalouse qui goûtait les représentations picaresques.
Saint Thomas
du musée d’Orléans est l’une des trois toiles de Vélasquez qui demeurent
en France alors que le Prado en compte 45.
Saint Paul fait partie de cette série des apostolados
(apôtres), figures fortes aux épidermes sensibles comme chez Ribera.
Le pain et le vin de l’eucharistie sont là pour Le
déjeuner qui réunit autour de la
table les trois âges de la vie. Le genre « bodegon » (nature morte)
n’a pas évacué la dimension religieuse.
En arrière-plan des tableaux du flamand Joachim Beuckelaer, qu’il
a pu connaître,
des éléments sacrés sont présents derrière les étals appétissants
du Marché
aux poissons, une allégorie de l’eau, élément primordial comme le feu
ou l’air.
Le profane passe-t-il devant le sacré quand Le
Christ dans la maison de Marthe et Marie apparaît au second plan ?
La Vieille faisant frire des œufs : « j'avais faim, et vous m'avez donné à manger », l’enfant
incline la tête
comme celui qui étanche sa soif avec une eau
parfumée à la figue, chez Le porteur d’eau. La
cruche et les récipients convoquent le réel, « plein pot ».
Non moins présente, La Vénérable Mère Jerónima de la Fuente en
partance pour évangéliser les Philippines tient son crucifix comme un
marteau.
Après le portrait de Luis
de Góngora lors d’un premier voyage à Madrid,
il revint, grâce à Fonseca, à la cour composée
essentiellement d’andalous et il apprécia dans les collections royales Le Titien,
Véronèse,
le Tintoret…
Il réalisa un premier portrait de Philippe IV avant tant d’autres,
pendant 37 ans, devenu l’Aposentador Mayor,
le peintre officiel. Les traits prognathes des Habsbourg signaient une dynastie.
S’il n’a pas comme Rubens qu’il a rencontré, une position de
diplomate, il voyagea, alla en Italie, peingnit en plein air, avant les
impressionnistes, une
Vue du jardin de la Villa Médicis à Rome.
La modernité passe devant une antiquité, comme
le profane croise la mythologie dans Le sacre de Bacchus dit
aussi « Les ivrognes ».
La Tunique de Joseph met en évidence les corps.
Le
Christ crucifié, par quatre clous pour le
couvent des Bénédictines de l'Incarnation de Saint Placide fut financé par le
roi amoureux d’une des religieuses, expiant ainsi sa faute après une mise en scène
macabre de la part de la mère supérieure. La présence d’un repose-pied
caractéristique de l’école espagnole, donne une certaine sérénité à l’émouvant
supplicié, souvent plus sanglant de ce côté là des Pyrénées.
La reddition de Breda est une œuvre pédagogique où s’exprime la
magnanimité.
Elle rejoint les portraits équestres de la famille royale dans le
palais du Buen Retiro dont celui du prince héritier,
Le Prince Balthazar
Carlos.
Les militaires ont parfois du temps pour des castings
plébéiens, celui qui pose pour le
Repos de Mars est bien
mélancolique.
Dans sa série des
bouffons, certains portant des noms de grands d’Espagne, Le Bouffon aux calebasses, est
d’une grande force.
Sur un fond tel que celui de « l’homme de
plaisir »,
Pablo de Valladolid,
Manet fit plus tard scandale.
Les ménines, (les demoiselles d'honneur), tableau complexe,
présente une famille consanguine compliquée autour de l’infante Marie Thérèse
qui épousera Louis XIV. Il est le plus commenté des tableaux :
« théologie de la peinture »,
« philosophie de l'art ».
Vélasquez a su révéler les faiblesses
des grands
: Charles
II dit « l’ensorcelé » fut le dernier de la dynastie qui
laissera sa place aux Bourbons.
Innocent X lorsqu’il vit son
portrait repris depuis par Bacon, Picasso, s’exclama : « troppo
vero ».
Vénus à son miroir, sur soie noire, est d’autant plus remarquable que les nus
étaient rares. La beauté a la face floue et la fesse ferme.
Les Fileuses ou La Légende d'Arachné, sujet
littéraire de chez Ovide est un objet baroque pas toujours facile à
démêler.
Dans une de ses dernières réalisations, Mercure et Argos, le
messager des Dieux a fermé cent yeux de celui qui devait veiller sur Io
transformée en vache pour échapper au courroux de Junon la femme de Jupiter.
L’artiste qui peignit l’or du siècle, ferma ses yeux pour
toujours en 1660, il en avait ouvert tellement.
« Vélasquez a trouvé le
parfait équilibre entre l'image idéale qu'on lui demandait de reproduire et
l'émotion qui submerge le spectateur. » Francis Bacon