jeudi 18 décembre 2025

Bruges # 1

Après une nuit fraiche justifiant la couette, nous nous apprêtons à aborder cette nouvelle journée.
Nous nous rendons à la gare, et passons par le guichet pour acheter nos billets préférant pour cette opération une présence humaine à la froideur d’un automate. L’employée chargée de cette fonction se montre souriante, elle s’exprime en français pour nous renseigner et bavarder de but en blanc … de foot !
Nous attrapons le train de 9h30, direct jusqu’à BRUGES.
Il accueille les 1ères classes à l’étage, il réserve le bas aux secondes.
Le trajet dure à peine un quart d’heure. Dehors le crachin s’installe.
A l’arrivée, nous tombons sur un Office du tourisme à l’intérieur même de la gare, bien sûr plus conséquente que celle d’Aalter.
En plus de collecter les renseignements ou  prospectus habituels, nous réussissons à réserver une visite guidée en français  pour 14h30. Nous sortons de la gare plutôt excentrée mais disposant  d’une vaste esplanade et d’espace pour toutes sortes de véhicules.
Nous nous engageons vers la ville historique.
Nous atteignons assez rapidement des rues étroites, pavées,
bordées de maisons en briquettes rouges et toits à redans.
Une décoration variée entre vitres et rideaux des fenêtres du rez-de-chaussée personnalise chacune d’elles dévoilant les goûts de leurs propriétaires pour des collections de cygnes, d’indiens, de tulipes ;
ainsi ces installations contribuent avec les voilages à cacher l’intimité des intérieurs.
Une propreté irréprochable règne dans les rues, les lieux privés comme les lieux publics.
J’ai même vu un jeune ramasser un papier pour le jeter à la poubelle.
Vu le temps, et en fonction de la visite en extérieur prévue cet après-midi, nous optons pour découvrir le Groeningemuseum, confortés par le guide du routard  qui le gratifie de trois routards.
Le musée s’ouvre en 1er sur l’exposition temporaire dont le thème porte sur les  
« riches heures » du moyen-âge.
Elle propose de délicats livres décorés, bien mis en valeur,
enrichie de quelques lorgnons, avec aussi des boîtes /livres pour les ranger :
que de  minutie pour  des ouvrages parfois au format de poche !
Puis l’exposition permanente nous entraine dans un parcours parmi les peintres primitifs flamands, avec par exemple de pièces maitresses de :
Yan van Eyck  (« la Madone au chanoine Joris Van Der Paele »), 
Hans Memling (« triptyque Moreel ») 
Maitre de la légende de Sainte Ursule (peintre anonyme),
ou encore le célèbre Jeronimus  Bosch (le jugement dernier).
Quant à Gérard David, il est l’auteur d’un dyptique « le jugement de Cambyse » impressionnant destiné à l’origine au Stadhuis  pour mettre en garde les gouvernants contre les tentatives de malversations; il  puise son inspiration dans les histoires d’Hérodote concernant l'arrestation et l'écorchage à vif du juge persan Sisamnès  accusé de corruption et puni sur l’ordre de Cambyse.
Pour leurs tableaux, les primitifs flamands pratiquaient et dominaient  la peinture à l’huile. Cette spécificité flamande s’explique par leur  difficulté à faire appel à la technique a fresco (fresque) fréquente en Italie mais  rendue délicate dans les pays du nord à cause de l’humidité ambiante.
Après les primitifs, dans une remontée chronologique des siècles apparaissent, des œuvres de la Renaissance, du XVII ème et XVIII ème siècle, et des « luministes » (terme préféré à celui d’impressionnistes).
 
Il fait encore bien gris lorsque nous ressortons du musée. Nous nous rapprochons des canaux, en direction de la place du burg puis de la touristique Marktplatz central .
 
Avant l’heure de rendez-vous de notre visite programmée de la ville, nous  nous régalons au restaurant  Pietje Pek avec au menu : 
soupe et salade de chou-fleur, carbonade frites salade, dame blanche et café. 
Nous constatons au moment de payer que le  coût de la vie plus élevé qu’en France se répercute sur les prix alimentaires et celui des restaurants. 
La ville se remplit, les touristes débarquent en masse. 

mercredi 17 décembre 2025

Montparnasse 19 de Jacques Becker. Jean Serroy.

Parmi quelques titres à l’affiche : « Les amants de Montparnasse » est le plus fidèle à un scénario évoquant les deux dernières années de la vie de Modigliani interprété par Gérard Philippe. 
Max Ophuls réalisateur de « Lola Montès » avait déjà décrit la déchéance d’une artiste, il ne pourra aller au bout de son dernier projet, repris par Jacques Becker sans le dialoguiste Henri Jeanson qui en avait préparé les bons mots.
Becker avait lui aussi traité de la fin tragique d’un créateur de mode dans «  Falbalas » et de l’amour fou avec « Casque d’or ». Le réalisme poétique alors en vogue touchait à sa fin.
L’œuvre d’une heure trois quart tournée en 1958 est inspirée par le roman « les Montparnos » de Michel Georges-Michel décrivant le milieu artistique venant après celui de Montmartre : Foujita, Kissling, Juan Gris, Ribeira, Soutine, Chagall, Picasso… tous étrangers.
Le contexte historique d’une fin de guerre euphorique est évacué ainsi que le folklore bohème. Un sombre noir et blanc se focalise sur « Modi » en artiste maudit ; le séducteur s’autodétruit dans l'alcool et la drogue.
Sa relation désinvolte et violente avec Béatrice, une journaliste anglaise jouée par Lilli Palmer, autre monstre sacré, s’interrompt lorsqu’il tombe sous le charme de Jeanne Hébuterne interprétée par la lumineuse Anouk Aimée.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2013/10/modigliani-entre-legende-et-histoire-de.html 
 A l’atelier, ils se dessinent mutuellement : 
l’amour s’unit à l’art dans un rare moment de bonheur. 
Bien qu’il ait vendu quelques tableaux, ses contemporains ne reconnaissent pas ses recherches de la « haute note jaune » chère à Van Gogh qu’il cite devant un acheteur américain auquel il n’a pas envie de vendre.
Le rapport de l’artiste et des marchands et les difficultés pour vivre de son travail sont vus sous différents regards comme avec son ami toujours disponible ou la quête humiliante pour un portrait sur un coin de table de bistrot. Son unique exposition personnelle sera un échec, une de ses sculptures passera à travers la vitre de la porte de la galerie.
Deux nus en vitrine dont les poils pubiens vont chatouiller le commissaire de police du quartier et offrir quelque publicité à l'artiste désargenté. Alors que s’érigeaient tant de monuments aux poilus morts pour la France, cette pudibonderie ignorant « L’origine du monde » est à rapprocher du code Hays en vigueur dans le cinéma américain qui interdisait les baisers de plus de trois secondes.
Lino Ventura découvert par le réalisateur de « Touchez pas au grisbi »  incarne un marchand de tableau parfaitement odieux qui s’empare des toiles alors que Modigliani vient de mourir et qu’il ne le dit pas à Jeanne. 
Elle s’est suicidée un jour après son amoureux laissant une orpheline.
La réalité fut plus âpre que le film si bien éclairé avec un père impitoyable de Jeanne amoureuse trop soumise, et malgré des amitiés indéfectibles, le désespoir immense du peintre des femmes aux yeux vides.
« Aujourd'hui, tous les musées du monde et les grands collectionneurs se disputent les œuvres de Modigliani; chacune de ses toiles vaut des dizaines de millions.
Hier, de son vivant, en 1919, personne ne voulait de sa peinture. 
"Modi", incompris, désemparé, doutait de lui-même... »
Gérard Philippe meurt en 1959, Jacques Becker en 1960 après « Le Trou » considéré par Jean-Pierre Melville comme « le plus grand film français jamais réalisé ».

mardi 16 décembre 2025

Les garde-fous. Bézian.

Dans la grande maison d’architecte isolée où est attendu un tueur en série, le huis clos se voudrait étouffant. 
Le lettrage, le fin graphisme participent avec élégance à une atmosphère glaçante. Mais l’esthétisme éloigne toute émotion et malgré des dialogues ciselés, nous restons indifférents à cette histoire dont les personnages semblent étrangers les uns aux autres.  
De belles lignes inhabitées.

lundi 15 décembre 2025

Les enfants vont bien. Nathan Ambrosioni.

Le mot « délicat » est de tous les commentaires pour ce film d’une heure cinquante.
Le réalisateur de 26 ans, offre à deux enfants deux rôles magnifiques alors que souvent les mômes sont relégués à l’arrière plan, cette fois les premiers concernés par le départ de leur mère tiennent leur place, forte.
La tante, Camille Cottin, elle aussi remarquable, les prend en charge et va grandir avec eux.
Si au début j’ai pu me désoler, comme de coutume, sur l’état d’une société où une mère en arrive à abandonner ses enfants, des interrogations plus subtiles apparaissent concernant les responsabilités, les culpabilités.
Un policier, une juge, une directrice d’école, un collègue, une ex amante, tous bienveillants aident à surmonter les difficultés de la célibataire en apprentissage parental express sans que colères, incompréhensions, solitudes, aient été cachées.
Par exemple, la séquence du déménagement aurait pu exprimer seulement de la violence mais des dialogues souvent amorcés derrière des portes fermées permettent d’aller vers l’apprivoisement et la vie qui attend. De beaux moments.
Lors de recherche suscitées par ce film sensible, je retiens quelques chiffres frappants :l’an dernier, le ministère de l’Intérieur a dénombré 53.000 disparitions « inquiétantes » dont près des trois quarts concernent des mineurs.

dimanche 14 décembre 2025

Histoire d’un Cid. Jean Bellorini Pierre Corneille.

Quatre comédiens et deux musiciens tentent une « variation ludique » pour faire entendre la pièce de 1637 aux anciens élèves de quatrième et à quelques collégiens d’aujourd’hui.
Les vers les plus célèbres renommés « punchline » sont là :
« Ô rage ! ô désespoir, ô vieillesse ennemie ! Que n’ai-je donc vécu que pour cette infamie. » récités par la foule sollicitée par un Rodrigue bondissant avant que soit opportunément rappelé : 
« Ton père s’appelle Don Diègue, pas Mick Jagger ». 
Les facilités de la parodie farcesque sont évitées, le dilemme cornélien entre amour et honneur persiste à sembler obsolète autant à l’élève du siècle dernier qu’au spectateur blasé de 2025.
Subsistent quelques mots inscrit sur notre friable socle commun  : 
« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles. »
« Vas, je ne te hais point »,
« Nous partîmes cinq cent ; mais par un prompt renfort
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port » 
 « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
 « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend pas le nombre des années. » 
Par contre j’avais oublié l’infante et son secret et tant de flots de sang racontés qui grossissent ceux que nous avions cru laisser à la porte de la MC2, c’est qu’ il y a encore matière à puiser dans les œuvres du passé et pas seulement dans le désespoir d’un père vieillissant, sans qu’un matelas gonflable ne subsiste comme seul souvenir d’une proposition déjà démodée.

samedi 13 décembre 2025

L’antilope blanche. Valentine Goby.

Marabouté par ce livre, comme on dit des jeunes hommes « tisanés » tombant en amour, là bas dans le continent des mystères insondables, j’y ai retrouvé la vie de Douala décrite entre 1950 et 1960. Elle ressemble à celle que je connus dans les années 70, sans que le mot « latérite » ne fut écrit, alors que cette terre rouge colore pour toujours mon année au Cameroun et baigne d’autres romans également costauds.
J’ai révisé et appris aussi la violence de la colonisation et des luttes pour la décolonisation, alors que mes convictions soixante-huitardes me portaient à dénoncer un impérialisme que j’ai servi malgré la lecture d’ouvrages alors interdits.
Je comprends intimement la position de cette directrice du collège moderne pour jeunes filles de New Bell, ses Antilopes, consacrant sa vie à aider à l’émancipation de jeunes filles, tout en restant derrière les murs de son établissement. 
« Instruisez un garçon, vous aurez éduqué un homme ;
élevez une fille, vous aurez civilisé une famille. » 
L’auteure a romancé l’histoire vraie de Charlotte Michel personnage mythique de la ville construite au bord du rio dos Camarões (rivière des crevettes), nom  donné par les Portugais. L’écrivaine que je découvre avec plaisir se situe dans une post face. Elle ne souhaite pas : 
« déroger au souci moral affiché par ma génération, à qui la colonisation semble un outrage, et la guerre, et toute forme de domination blanche occidentale. Ma rencontre avec les Antilopes n'a pas bouleversé mes convictions profondes et mes valeurs. Mais elle a modifié mon regard sur la vie d'une femme qui, en son temps, fut exemplaire. Fut aimée. D'un amour filial et non servile. Un tel amour, plus de cinquante ans après les faits, ne pouvait que répondre à un amour reçu. Devant lui, la raison s'incline, et les grands discours. » 
Parfois les intentions les meilleures alourdissent la lecture, alors que palpitent ces 276 pages sans pathos.
La musique a pu s’enrayer : 
«Pour mener gaiement nos rondes nous cherchons les bois ombreux ... les bois ombreux… les bois ombreux…  
Le bras glisse dans le sillon, se hausse, dérape à nouveau. 
Ma Bertha ouvre un œil, bâille. J’ajuste l’appareil.
Mers, vallons, forêts profondes, comme nous tout semble heureux ! » 
Loin des représentations en noir et blanc, les nuances n’entament pas une volonté exemplaire. 
« Combattre une coutume, c’est ouvrir une brèche dans tout le système traditionnel.
Et hors de la coutume, la solitude peut être affreuse. »

vendredi 12 décembre 2025

Missionnaires cloîtrés.

Les descendants des anciens colonisateurs lestés de culpabilité ont peut être été soulagés par nos replis opérés en Afrique, à moins que l’indifférence l’ait emporté ; nous avons tant d’autres bourriques à fouetter.
Ces péripéties de moins en moins lointaines marquent une étape de plus dans le désenchantement de notre propre civilisation envoyant, pour le meilleur et le pire, des missionnaires, des ingénieurs, des militaires, des commerçants, des médecins, dans les pays chauds.
Nous ne croyons plus en Dieu, ni en nous-mêmes, comment peut-on être encore désirables et porter la bonne parole démocratique?
Les migrants en direction de l’Europe contredisent-ils ceux qui nous ont foutu à la porte ?
Les Russes prenant notre place seront-ils plus respectueux et plus désintéressés ?
L’Iran abrite le plus grand nombre de réfugiés (3,5 millions d’Afghans).
La réflexion : « La plus grande force de l’Europe est de se savoir faible » fait honneur à notre humanisme mais conforte Poutine qui a beau jeu d’exploiter nos doutes, et Trump.
Quand dans l’excellente séquence radiophonique des « Petits bateaux » avant le vespéral et dominical «  Masque et la plume » où ce sont les enfants qui posent les bonnes questions, un bambin de quatre ans et demi demande :  
« Pourquoi les grands ont plus de droits que les petits ? » 
La réponse est adéquate lorsqu’elle reprend les mots de la convention internationale des droits des enfants avec le droit d'être protégé, nourri, soigné, éduqué, de s'exprimer, d'avoir des loisirs… Mais il m’a semblé que ce petit se plaçant au niveau des adultes réclamait d’autres droits pour lui et non pour celui qui se casse les ongles dans quelque mine de terre rare.
Cet élève de maternelle se pousse du col et se pose en souverain contestant la loi, il en établirait bien une autre dans le prolongement d’une prise de parole valorisante.
Tout en me méfiant des généralisations, je ne m’interdis pas de voir là encore des fêlures dans le lien social, pour jouer avec les hiérarchies il a besoin de règles. Les grands, les grands parents, usaient trop volontiers d’arguments d’autorité maintenant dévalués, ils n’ont plus qu’à se défouler sur les réseaux qu’ils vilipendent dans la foulée.
Ce monde numérique sans visage exacerbe les violences, conforte les solitudes, aggrave les inaptitudes pour les peu coutumiers des froides machines.
« L'ennemi est sot; il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui. »
Pierre Desproges. 
Si je dis que je ne vais pas pleurnicher, c’est que je vais le faire, en voyant  l’humour en fuite, le second degré incompris, les symboles à la base des narratifs religieux, ignorés. Pas de recul, tout est pris au pied de la lettre, l’exigence dont on s’exempte pour soi est requise pour tous les autres. Le niveau baisse en littérature, le cinéma souffre, les chansons s’essoufflent, l’art contemporain se pose en tas qui indisposent, l’industrie souffre, l’école ne fait pas de vague, quant au niveau de la mer et à celui des politiques…
Delogu député LFI sur une chaîne algérienne : 
« Qu’est-ce que nous, Français, avons à voir avec la Pologne ? Je respecte l’État de Pologne et les Polonais et les Polonaises, mais qu’avons-nous à avoir avec eux ? Alors si je dois maintenant acheter, je dis n’importe quoi, des pommes de terre, il faut peut-être que j’aille les acheter de l’autre côté. Je dis ça, je sais même pas s’ils ont des pommes de terre là-bas ».
Il se présente comme maire de Marseille : un coup à devenir supporter du PSG !
Faut-il en rire ? Y a-t-il un adulte dans la salle ?  
« La technique atteindra un tel niveau de perfection
que l'homme pourra se passer de lui-même. » 
Stanislas Jerzy Lec