lundi 15 janvier 2024

Perfect days. Wim Wenders.

Nous suivons pendant deux heures la vie quotidienne d’un employé d’une société de nettoyage des toilettes publiques à Tokyo. Le personnage principal interprété par Koji Yakusho, prix d'interprétation masculine à Cannes, gardera pourtant tout son mystère.
Le réalisateur des « Ailes du désir » par sa poésie ancrée dans le quotidien nous incite avec douceur à la réflexion et à saisir la beauté du quotidien, du présent.
Les musiques choisies expriment tout leur charme parmi de rares dialogues.
J’ai adoré le sujet, tant la choquante notion «  boulot de merde » de nos sociétés repues est devenue banale, alors que furent tellement vantés, au moment de la COVID, les métiers des invisibles, de ceux qui exerçaient en « première ligne », que plus grand monde ne veut exercer.
Le monsieur taiseux est consciencieux, discrètement d’une autre époque, avec ses cassettes, ses photographies argentiques et ses livres. 
Au lever du jour, la ville d’aujourd’hui lui appartient. 
Quand il franchit le seuil de sa modeste maison pour se rendre au travail dans des lieux aux architectures singulières qu’il contribue à rendre remarquablement propres, il sourit au soleil qui se lève. 
Sa disponibilité à accueillir avec retenue les surprises, ressort d’autant mieux que son emploi du temps est d’une apaisante régularité.
Si les toilettes constituent un refuge pour certains face aux sollicitations familiales,  aux alentours de celles de Tokyo, Wenders invente une oasis inattendue de calme et d’humanité.

samedi 13 janvier 2024

Entre ciel et terre. Jón Kalman Stefánsson.

Des pêcheurs affrontent l’océan à la force de leurs bras ; le froid les saisit.
La mort les attend, un gamin qui l’a vue de près revenu à terre va-t-il choisir la vie ?
Pour prolonger la quatrième de couverture qui évoque le pouvoir des mots un extrait page 74:
« Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous sommes ni vivants ni morts. »
Depuis le silence, entre ivresse et sobriété,  bêtise et lucidité, solitude et amitié, la poésie et la très rude réalité, le rêve: les 250 pages ouvrent des espaces infinis, qui s’approchent d’un conte et de ses métaphores. 
« Il n’est jamais monté aussi haut, il n’a jamais été aussi proche du ciel et, en même temps, jamais aussi loin. Il avance lentement et péniblement, abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n’existe pas. » 
Les gouffres sont amers et la lande triste, les destins austères. 
L’écrivain a ses inconditionnels, il nous dépayse non seulement parce qu’il nous emmène en Islande, à une  rude époque, parmi des personnages qui font penser à des statues glacées, mais aussi par une écriture jouant parfois trop avec l’absolu jusqu’à vous surplomber, vous refroidir. 

vendredi 12 janvier 2024

Infographie de l’empire napoléonien. Vincent Haegele. Fredéric Bey. Nicolas Guillerat.

Maintenant que les recettes de cuisine se présentent essentiellement en vidéo et que les émotions s’expriment en « Emojis », les journaux qui n’osent plus guère les caricatures, représentent l’actualité avec de plus en plus d’images : cartes et graphiques.
L’histoire se met à l’infographie : après la seconde guerre mondiale et la Rome antique,  voilà de Bonaparte à Napoléon. 
On a d’ailleurs prêté au petit caporal la formule : 
« Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. » 
L’inventivité des représentations ne se fait pas au détriment des textes vivants et précis pourtant imprimés, à mes yeux, en caractères trop petits.
Il faut bien 28 chapitres en 150 pages pour nous faire réviser ou apprendre ce qu’étaient les institutions d’alors, décrire la grande armée et les coalitions jusqu’à la chute de l'empire.
La documentation est impressionnante et la présentation attractive pour exprimer aussi bien les rapports dans la famille Bonaparte, l’histoire de la Corse ou le temps mis pour parcourir la distance Paris Strasbourg à pied (14 à 21 jours) en voiture (4 jours), à cheval (2 à 3 jours) …
Des entrées originales apportent un regard neuf sur un règne, ainsi la mise en évidence des communications, le recensement de tous les complots, la comparaison des économies européennes, l’évolution des populations ou la course aux brevets entre la France et l’Angleterre…
Cet ouvrage apporte des informations pointues concernant l’évolution des corps d’armée, leurs compositions, les formations tactiques. 
Les batailles de nature différentes au cours de 20 ans de campagnes mettent en évidence cavalerie, artillerie, le corps du génie, la garde impériale, les services de santé… 
«  En son temps Larrey a contribué à révolutionner cette technique en pratiquant l’amputation par désarticulation, bien plus rapide et sûre, l’os n’étant pas sectionné. » 
Quelques mises en perspective surprenantes sont intéressantes: 
«  Si l’on compare le bilan des guerres de la Révolution et de l’Empire à celui de le guerre de 30 ans ( 1618- 1648) évalué à deux millions de combattants et trois millions de civils morts en Allemagne sur une population totale de quinze millions, leur impact sur la démographie européenne est bien moindre »

jeudi 11 janvier 2024

Lautrec. Roger Planchon. Jean Serroy.

Le conférencier devant les amis du musée a noté les points de vue différents que pouvait ouvrir le troisième film de Roger Planchon sorti en 1998 après « Georges Dandin » (1987) et « Louis, enfant roi » (1994).
Le metteur en scène, homme de théâtre, a proposé dans sa distribution Morier-Genoud appartenant à sa troupe, bien connu par chez nous du temps de Lavaudan,
il joue le rôle de Fernand Cormon le peintre académique qui forma Lautrec, Van Gogh, Emile Bernard, Matisse, Soutine…
Degas, le peintre de l’intimité, s'adressant à Lautrec avait rendu son verdict :  
« Vous êtes du bâtiment ».
A l’époque des impressionnistes, le premier des affichistes qui n’aimait guère la nature, 
fut celui de « la beauté crue ».
Le comte de Toulouse Lautrec a perdu ses titres de noblesse dans le titre du film de 1h 40,
cependant l’importance de sa filiation est soulignée à travers un père viveur et fantasque
marié à une mère pieuse dont la proximité de sang est exagérée par Planchon pour expliquer la santé fragile du monsieur « cloche-pied » et illustrer la fin de la race aristocratique.
Les nuées de domestiques du château Albigeois contrastent avec le monde post communard des blanchisseuses, prostituées, danseuses parisiennes.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/le-monde-de-toulouse-lautrec-gilles.html
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/03/le-monde-de-toulouse-lautrec-2-gilles.html
Les aventures sentimentales sont documentées depuis Jeanne d'Armagnac « si grande et si belle » alors qu’il se dit lui-même « si petit et si laid »,
jusqu’au modèle et artiste Suzanne Valadon qui fut aussi maîtresse de Renoir 
entre coup de foudre et disputes : « Il y a du muscle dans votre crayon ».
Rosa la rousse lui avait fait cadeau de la syphilis.
Le film de John Huston «  Moulin rouge » en 1952 se consacrait principalement à la danse, 
le rythme de celui-ci va à l’encontre de la paralysie de Lautrec, 
avant le terme de sa vie à 37 ans.
Les tableaux sont animés, les séquences s’enchainent, les chansons réalistes reflètent l’époque : 
« Ils sont comme ça, ils sont des tas, des fils de race et de rastas
Qui descendent des vieux tableaux…
Ils sont presque tous mal bâtis, ils ont les abattis, trop petits
Et des bidons comme des ballots » Aristide Bruand

mercredi 10 janvier 2024

Oh Johnny. Liora Jaccotet.

Six ans déjà que Jean Philippe Smet est mort après 3 280 concerts et plus de mille chansons interprétées.
Il était bien plus qu’un chanteur pour ses admirateurs que la jeune metteuse en scène installe au Petit théâtre de la MC2. Une enquête a précédé la représentation et rappelle des démarches tout aussi fécondes, restituant avec respect des paroles rarement présentes sur les plateaux.
L’évocation de ces années adroitement menée va au-delà de la description d’un fan club, en développant les portraits de la femme du garagiste, de sa copine mariée à un handicapé, d’un collectionneur et d’un imitateur.
Un hommage national avait été rendu à Johnny Hallyday, phénomène français, marqueur du temps de la jeunesse. Ce moment solennel interrogeait  même ceux qui l’avaient méprisé. 
Il était de droite et la perplexité perdure à propos de la dissociation entre classes sociales et préférences culturelles.   
La pièce évite ces bavardages et habilement, aimablement, ravit les spectateurs invités après la représentation à un karaoké après 1h 30 d’émotions, de sourires, d’empathie.

mardi 9 janvier 2024

Les week-ends de Ruppert & Mulot.

La publication de ces dessins dans les colonnes du journal « Le Monde » en 2014 au format de 36 cm de haut sur 55 mm de large a poussé à l’inventivité Florent Ruppert et Jérôme Mulot aux patronymes très BD.
Les dialogues égrenés de haut en bas sont teintés d’humour noir et absurde allant vers un politiquement incorrect encore plus réjouissant en 2024. 
« Il y a moins d'étoiles filantes quand on se rapproche de la rentrée. T'as remarqué ?
- Attends, commence pas à foutre la mauvaise ambiance avec ta rentrée, laisse-nous profiter des vacances jusqu'au bout, on va en voir des étoiles filantes, faut attendre un peu c'est tout.
- Zéro étoile filante, c'est con, j'aurais pu faire un vœu par rapport aux bouchons demain. »
 
Rassemblées en album les scènes souvent situées en des lieux de loisir, perdent un peu en surprise. Les moments de poésie s’effacent sous les vomissements d’une choriste ou la répétition de moments angoissants. Lorsque le format se remet parfois à la pleine page et que les dessins perdent leurs couleurs, les personnages qui ne sont plus forcément perdus dans le paysage, semblent bien raides et maladroits.
Étroit et un peu court.

lundi 8 janvier 2024

Past lives - Nos vies d’avant. Celine Song.

Ce premier film apporte un regard neuf d’autant plus précieux que la trame de deux amis d’enfance se retrouvant est assez classique comme est familière l’interrogation sur le hasard des rencontres. 
Les personnages se cherchent atténuant par leur honnêteté l’usure opérée par le temps et l’éloignement entre la Corée native et une nouvelle vie américaine.
Loin de toute violence, le dépaysement est bienvenu, même si la gentillesse, l’humanité de chacun n’évitent pas les larmes.
Dans un format tranquille de 1h 50, des acteurs à l’émouvante sobriété, expriment toute la délicatesse du propos.
L’amorce est féconde quand une voix off se demande quels sont les rapports des trois protagonistes présents dans un bar à une heure tardive de la nuit. 
D’autres séquences pudiques, magnifiques, enrichissent la complexité des rapports amoureux traités avec une sincérité non dénuée de nostalgie.