jeudi 2 février 2023

Les choses. Fabrice Conan.

A l’occasion de l’exposition de « natures mortes », « still life », de tous temps et de toutes latitudes que présente le Louvre jusqu’au 23 janvier 2023 - la précédente remontait à 1954 -
le conférencier devant les Amis du Musée de Grenoble s’inscrit dans les traditions de l’association 
« Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage » de Luis Egidio Melendez.
Elle est bien vivante la « Nature morte vivante » de Salvador Dali.
3500 ans avant J-C, sur les dalles du « Cairn de Gravidis », situé depuis sur une île bretonne, sont gravées des haches parmi des ondulations saisissantes. 
Les objets accompagnaient alors des offrandes et confirmaient un statut social.
« 
Les habits de François C »
, de Christian Boltanski, sont présentés d’une façon monumentale, plus personnalisée que les tas de vêtements qu’il a accumulés en d’autres lieux pour évoquer l’anonymat des victimes de la Shoah.
La mosaïque de
« La chambre mal balayée » du IIe siècle av. J.-C est d’une grande modernité,  comme une variante du « Eat art ».
En Egypte, « La Stèle funéraire du chancelier et trésorier Senousert » (1900 av J.C) a la dédicace élogieuse, et le défunt aura de quoi manger dans l’au delà et de la bière à boire.
Pompéi recèle tellement de trésors : ce « Squelette avec deux cruches à vin » (Askoi) du premier siècle préfigure tous les « Memento mori »
« souviens-toi que tu es mortel » dont un très didactique dans les mêmes lieux. 
La mort concerne le riche comme pour le pauvre, la roue de la fortune est imprévisible et fragile le papillon de l’âme humaine.
Parmi les objets de la Passion à l’intérieur d’un « Livret de dévotion » en ivoire, 
le rectangle représente le tombeau du Christ, la présence humaine est éludée.
Derrière la « Vierge d'humilité » de Niccolò di Buonaccorso, livre et matériel de couture inscrivent dans le monde domestique la vertu devenue accessible.
« Six kakis »
d’un moine bouddhiste chinois du XIIIᵉ siècle
ont inspiré récemment Buraglio.
« L’armoire aux bouteilles et aux livres »
en trompe l’œil 
présente tous les accessoires d’un médecin.
« Le marché aux poissons »
de Joachim Bueckelaer  évoque l’abondance, la fertilité, avec l’épisode de Jésus au lac de Tibériade en arrière plan.
Comme la représentation des  fruits et fleurs dont l’essor date du XVII° siècle, n’est pas un sujet édifiant, elle est permise aux femmes. 
La « Coupe de cerises, prunes et melon » de Louise Moillon harmonise les couleurs.
Sous son chapeau extravagant le cupide « Collecteur d’impôts » de  Marinus van Reymerswale, n’a pas vu que la chandelle vient de s’éteindre.
« Les cinq Sens et les quatre éléments »
de Linard est à la fois une nature morte et une vanité (le miroir, les cartes à jouer du tiroir). Le dossier pédagogique du Louvre précise :  
« Le luth et la partition sont en lien avec l’ouïe, le miroir et le verre de vin avec la vue, les fleurs avec l’odorat, les fruits avec le goût, le mortier et son pilon pour le toucher. C’est aussi une allusion aux quatre éléments : les légumes pour la terre, le réchaud pour le feu, l’oiseau de Paradis pour l’air, l’aiguière pour l’eau. Un même objet peut même associé à plusieurs symboliques différentes. »
« La desserte »
de Heem est tout aussi chargée en symboles et la musique a cessé, 
les feuilles sèchent,
Matisse et ses équilibres instables lui a rendu hommage.
Il n’y a pas que les flamands, les « bodegón » espagnols sont aussi sublimes. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/04/zurbaran-et-le-tenebrisme-europeen-jean.html
« La Chambre du Trésor »
(2012)  de Gilles Barbier est immense, cette nouvelle caverne d’Ali Baba dénonce les pillages commis contre le monde comme Erró ou Arman quant aux accumulations occidentales. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2015/04/erro-au-mac-lyon.html
Jean Siméon Chardin
excellait dans un domaine auquel il a donné ses lettres de noblesse. « Pipes et vases à boire dit la tabagie », du nom du coffret contenant les accessoires du fumeur.
Fastueux sont les « Panaches de mer, lithophytes et coquilles » d’Anne Vallayer-Coster.
L’objet parle de notre regard sur le monde, comment on se l’approprie.
Le truculent Marcel Duchamp avait présenté un porte-bouteilles en 1916, « ready made » qui avait disparu, il récidive en 1921 en précisant sur le cartel :
« Antique certifié »
La « Cabeza de Vaca » par Andres Serrano nous a à l’œil.

mercredi 1 février 2023

Périgueux # 3

Nous ressortons du musée Gallo-romain séduits par la muséographie que nous trouvons sobre et aérée, efficace, moderne et pédagogique avec des écrans tactiles proposant  des textes ou des reconstitutions, à consulter ou à délaisser, face aux endroits importants.
Une fois dehors, armés de notre plan, nous nous aiguillons à nouveau sur le fil conducteur  peint au sol en direction du château Barrière encore bien endommagé malgré les rénovations en cours
et de la maison d’Angoulême, en meilleur état, les deux dans le même style médiéval que l’église Saint Etienne.
L’intérieur de ces 2 monuments ne se visitant pas, nous suivons notre tracé jusqu’au jardin des arènes. Il épouse la forme de l’ancien amphithéâtre dont quelques vestiges délimitent la circonférence.
Les arbres apportent de la fraicheur, comme les brumisateurs installés au centre et sous lesquels s’ébattent deux petites filles surveillées par leur mère.
L’appétit nous pousse à chercher un restaurant : le « Little cocotte » propose une assiette de tajine abricot légumes et boulgour et pour le dessert, le chocolat liégeois nous tente. Après la p’tite cocotte de Brives, voici  little cocotte de Périgueux…
Nous consacrons l’après- midi à la visite guidée du Périgueux moyenâgeux. 
Devant l’Office du Tourisme nous rejoignons un groupe de touristes et l’accompagnatrice nous réunit un peu plus loin place du Coderc, aujourd’hui occupée par les halles qui ont remplacé le consulat (Mairie). De là elle nous  dresse l’historique de la ville.
Nous nous déplaçons ensuite vers la place de l’Ancien hôtel de ville. Une pharmacie loge actuellement dans le bâtiment qui fut officiel, à côté d’une habitation fortifiée dotée d’une tour édifiée du XV au XVII° siècle.
Nous empruntons le passage Daumesnil, du nom de l’ancien général de Napoléon dont la maison des parents négociants dans le blanc se situe à la sortie.
Et nous débouchons ainsi  face à l’église cathédrale Saint Front
D’inspiration byzantine, via Saint Marc à Venise, elle frappe par son originalité avec une architecture rare en occident reposant sur une croix grecque et cinq coupoles.
Paul Abadie entreprend des travaux titanesques pour la sauver de la ruine et lorsqu’en  1870, il construit le Sacré Cœur à Paris, elle lui sert de modèle, notamment pour  la forme des clochetons. Victor Hugo la surnomma « la mosquée de Périgueux ».
Le monumental  lustre en laiton circulaire symbolisant  la Jérusalem céleste trônant à l’intérieur  ressemble effectivement  à d’autres que j'ai pu voir dans des mosquées d’Istanbul.
Nous ressortons par la porte sud  en longeant le cloître que notre guide ne détaille pas vraiment mais j’ai lu qu’ il
possède une particularité : deux des quatre galeries sont de style byzantin, tandis que les deux autres ont été conçues dans un style roman.
Nous tombons alors sur la place du Clautre, où se déroulaient les exécutions. 
Pour s’y rendre, les prisonniers incarcérés dans la maison Vigier reconnaissable à sa belle porte cloutée de redoutables pointes remontaient la rue du Calvaire.
Puis nous nous engouffrons  rue saint Roch, rue Aubergerie, dans la ville basse composée d’un mélange de patrimoine et d’habitat  moderne. De nombreuses maisons moyenâgeuses, de caractère mais transformées en HLM profitent aujourd’hui aux «gueux », ce type de logements favorisant d’importantes subventions nécessaires pour leur restauration et leur entretien.
Traverser la jolie petite place de Navarre plantée d’arbres permet de voir avec recul l’arrière de la maison des Dames de la foi. Son entrée se situe dans l’étroite  rue des Farges (ancienne rue des forgerons). Cette bâtisse très ancienne (XII°)  est  transformée en couvent au XVII° puis divisée en logements locatifs au XIX°, et enfin rachetée en une seule partie par une société privée au XX°.  Elle est classée aux monuments historiques et sort tout juste d’un programme de rénovation dont témoigne la façade.
Le circuit se termine par la tour Mataguerre. Construite au XIII° siècle (d’autres parlent du XIV ou du XV), elle s’insérait dans les  remparts qui  possédaient 28 tours et douze portes. Cette tour est la seule à avoir survécu à la destruction ou la ruine. De forme circulaire,
percée d’archères cruciformes (meurtrières) indispensables à sa vocation défensive, elle possède un parapet à mâchicoulis. 
Son nom « provient de l’occitan matar - mettre en échec- et de guerra - la guerre. 
Ce terme viendrait du nom d’un capitaine nommé Mataguerra, de la garnison d’Auberoche, qui aurait pris le parti du duc d’Aquitaine, roi d’Angleterre. Il aurait été capturé et conduit à Périgueux où il fut détenu dans la salle basse de la tour. La tour Mataguerre apparaît dans les textes dès le XIVe siècle. Celle que nous pouvons voir aujourd’hui date de 1477. Le classement de la tour comme monument historique en 1840 a permis de la préserver lorsque, en 1876, les remparts sont détruits. »
Notre guide souligne que d’autres tours rondes ou carrées s’élevaient dans la cité, pour afficher la puissance et la richesse de leur propriétaire. De plus, comme l’espace entre les murailles de la ville était restreint, les constructions en hauteur offraient davantage de surface qu’à l’horizontale en s’appuyant sur des bâtiments existants. Ce manque d’étendue intra-muros, explique aussi le peu de places publiques. A part deux d’origine ancienne, les autres furent créées  plus récemment afin de libérer la vue et d’aérer l’écheveau de ruelles.
A noter enfin,  dans le quartier, la présence de coquilles Saint Jacques sur les murs et au sol avec des plaques de cuivre, elles rappellent qu’ici, passe un des itinéraires de Compostelle
Pendant ce voyage à travers la ville et le temps, nous avons appris ou redécouvert par le truchement de notre informatrice l’étymologie de certains mots ou expressions : 
* « échoppe » est devenu  shopping chez les anglais 
* « trier sur le volet » provient des boutiques, quand un battant des portes relevé, l’autre          abaissé comme un pupitre le commerçant empilait dessus les marchandises, et n’accueillait pas les clients à l’intérieur de son magasin 
* les pèlerins en route pour Saint Jacques portaient la « pèlerine » 
* Et « mâchicoulis » signifiait casser le cou, de l’ancien français machicop, peut-être de mâchier, broyer, et col, cou (Larousse) Les deux heures de visite commentée rajoutées au musée et à la promenade de ce matin nous suffisent amplement pour aujourd’hui.
C’est avec délice que nous rentrons nous rafraichir dans la piscine hors sol du AirB&B, bien exposée et équipée de transat en bois. A côté nous percevons la présence d’un perroquet (ou perruche ?) enfermé dans sa grande volière. Nous flemmardons en attendant la fraîcheur puis une fois reposés, nous choisissons par téléphone un restaurant à proximité.
Il s’appelle "le Gué de la Roche" et se situe sur la commune de  Marsac sur l’îsle. L’endroit se révèle charmant, au bord d’une écluse et bien arrangé sous les arbres, dans l’esprit d’une guinguette. Mais les plats et le service s’avèrent moins enthousiasmants lorsque l’entrecôte aux échalotes arrive sans échalotes et sans sauce. La serveuse interpellée après ce constat, m’explique qu’effectivement, il n’y a plus de cette sauce, pourtant elle  n’a pas jugé utile de prévenir ni au moment de la commande ni en déposant l’assiette…. A côté de cela, elle se vante avec supériorité auprès d’autres clients que d’ici peu, elle ne présenterait que des produits locaux en circuit court  et de qualité…Enfin, la viande sans sauce et l’assiette variée saumon oseille crevettes nous régalent quand même
Nous rentrons en admirant le coucher du soleil et terminons devant les écrans, Guy devant un match de l’Euro de foot féminin et moi devant trois épisodes successifs d’" Un si grand soleil"

mardi 31 janvier 2023

Retraites: stress et restress.

Comme ceux qui annoncent qu’ils vont être « brefs » laissant craindre un discours interminable, je m’apprêtais à écrire : «  je ne parlerai pas des retraites » puisque j’en ai bénéficié à 55 ans, mais quand même…
Puisque un septuagénaire « Insoumis » professionnel à grande bouche ne se décide pas à passer la main tout en réclamant la retraite à 60 ans pour les autres, un de ses presque conscrit peut se permettre de causer aussi.
Me prévalant d’une expérience de syndicaliste, donc de politique, cet article peut essayer de replacer dans la durée cette épineuse question.
Il y a trente ans Rocard prônait un allongement de la durée des cotisations. 
Est-il possible de rappeler que l’âge de la retraite était fixé à 65 ans en 1944, l’espérance de vie de cette époque, quand de vibrantes évocations du conseil de la Résistance se font entendre?
Les réformes proposées depuis ont fait exploser la CFDT de Maire, Chérèque, Notat où j’ai milité avec des « coucous » en allés depuis à Sud. Anciens autogestionnaires devenus gestionnaires, ces leaders étaient de "la deuxième gauche" qui assurait la crédibilité d’une gauche de gouvernement. 
Faure liquide un PS liquéfié et Berger, qui n’est pas une étoile, suit Martinez lui-même à la remorque de radicaux décomplexés depuis que les gilets jaunes ont fait craquer les usages des rituels revendicatifs.
Du temps de Mitterrand, l’espérance de vie était de 70 ans pour les hommes et 79 ans pour les femmes, 
en 2023 il a fallu trente ans pour que les hommes rattrapent les femmes qui désormais comptent bien squatter les EPAHD jusqu'à 85 ans;
il y avait 2,8 cotisants pour un retraité, il n’y en aura plus qu’ 1,2 en 2070.
Est-il cocasse ou dramatique d’entendre des regrets que la retraite à points ne se fasse pas alors que ces mêmes responsables avaient été tellement discrets en temps utile, 
comme furent silencieux les écolos au moment des portiques de la taxe-carbone ?
Nous sommes dans une immédiateté affolante favorisée par des médias qui en accélèrent le cours. 
Leur vision dans l’espace est souvent pertinente en nous comparant avec nos voisins. 
Ce qui laisse d’ailleurs indifférents les militants les moins exposés aux inconvénients des nouvelles dispositions mais occupant des postes stratégiques pour couper, paralyser, se faire voir. 
Les rares approfondissements venus du temps passé sont lacunaires, sortis des procès d’intentions qui prêtent les plus noirs desseins aux adversaires: sadiques de droite contre fainéants de gauche.
Pour illustrer les haines persistantes, je trouve  dans « Le Monde » un article de Georges Nivat  soulignant « la nécessité de désigner un ennemi, dont il faudrait triompher », il place Poutine comme fils de Lénine et de Staline : 
« Sur quel ennemi – « ennemi de classe » comme dans le projet léninien, « ennemi du peuple » comme dans le projet stalinien, « Ukraine nazie », comme en février 2022, « Occident dégénéré » comme aujourd’hui – peu importe ! » 
Et je suis toujours épaté de retrouver dans maintes biographies de coachs en agitation, des formations politiques formatrices dont l'efficacité est inversement proportionnelle à leur nombre d'adhérents. Je me garderai de ne pas respecter les distances entre staliniens aux millions de victimes et quelques bureaucrates à rouges posters, pour évoquer des filiations plus près de chez nous. Les descendants des trotros, des trotskistes lambertistes se repèrent facilement avec leur goût des coups tordus, des manœuvres de congrès, leur habileté dans la manipulation, la dissimulation, l’entrisme : le général FI Tapioca en fut, FO en est plein.
Par ailleurs faut-il que les représentants des travailleurs de l’éducation nationale soient bien falots pour que France Info en soit à donner la parole longuement à une représentante de la CGT très minoritaire dans la profession ? Une écologiste serait-elle la mieux placée  pour rendre compte d’un congrès de la FNSEA?
Les adeptes de « la consultation citoyenne » (pour les autres) sont nombreux, comme si la démocratie ne suffisait plus. Pour aller à contre courant des populistes, il me semble que trop de décisions retardées depuis longtemps appellent la distance et non la flatterie des émotions particulières.
Comme je ne sais trier parmi les arguments, tant les dimensions économiques, existentielles s’entremêlent, j’aurai tendance à sortir de dessous les cendres une valeur qui fait défaut à notre débat démocratique : la confiance.
Ce vecteur essentiel en pédagogie peut-il valoir pour nos responsables garant de l’intérêt  général. Une vision prospective ne peut se résoudre à l'addition d’intérêts particuliers, un empilement de régimes spéciaux. Même si mon optimisme cultivé au sein des écoles a pu s'effriter avec le temps, je me réconforte au récit d’une collègue émérite qui prouve que la foi en l'autre amène le progrès, au moins dans le domaine des apprentissages : 
« Quand les gamins ne comprenaient pas la situation et ne trouvaient pas les réponses, on cherchait une autre façon. Ce jour là, un petit groupe doit refaire un exercice mais présenté autrement et parmi eux Yanis, et il réussit très bien, je lui dis : 
«- Super Yanis, tu as vu, tu as réussi ». 
Il me regarde et il me dit : 
«- Oui, mais toi tu savais que j'allais y arriver. » 
Nous sommes si loin de cette compréhension, de cette complicité, de cette humanité. 
Dans la société française, il semble que la réussite soit dans l’échec de l’autre, au moment où les Japonais ne veulent pas prendre leur retraite avant ... 70 ans. 

lundi 30 janvier 2023

Les Banshees d'Inisherin. Martin McDonagh.

Dans les
magnifiques et rudes paysages d’Inisherin, île irlandaise imaginaire, « La dame blanche » des fantasmagories enfantines se présente en terre celte, comme une vieille « banshee » noire, messagère de sombres prophéties. 
Le curé, le policier, le violoneux, l’épicière, le patron du pub ne se montrent pas aussi gentils que le héros de cette fable dont seule la sœur a l’énergie de s’éloigner de ce petit monde de violence. 
Les animaux consolent surtout quand l’amitié entre deux hommes prend fin et que sont abordés dans un scénario limpide qui laisse le temps de s’interroger sur le silence, la solitude, la vieillesse, la mort… tout en ménageant des surprises.
Le réalisateur de « Three Billboards » (Les Panneaux de la vengeance) sait mettre les acteurs en valeur et on se régale avec des dialogues drôles dans un univers dramatique sur fond de guerre civile dans les années 20 (1920). 
Je recopie dans Allo ciné où des avis d’amateurs valent parfois autant que ceux de professionnels :  
« Blaise Pascal écrivit que "les hommes, n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser (...) Mais comment s’y prendra‑t‑il ? Il faudrait, pour bien faire, qu’il se rendît immortel." »

dimanche 29 janvier 2023

Edmond. Alexis Michalik.

Le théâtre du Palais-Royal à l’italienne avec ses moulures, ses dorures, était parfait pour cet hommage à Rostand Edmond auteur de « Cyrano », devenu emblématique du caractère français. 
« C'est un roc ! C'est un pic ! C'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? C'est une péninsule ! » 
A la toute fin du XIX° siècle, les vaudevilles de Feydeau et Courteline triomphent sur les boulevards et Strindberg, Tchékhov, Ibsen incarnent déjà la modernité, alors le dramaturge quasi trentenaire a bien du mérite à croire obstinément en ses alexandrins.
« Je me les sers moi-même, avec assez de verve 
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve » 
Il faut toute la confiance de l’acteur Coquelin commanditaire d'une pièce en cours d’écriture pour en tenir le rôle principal.
Nous croisons Sarah Bernard amie du couple formé par Edmond et Rosemonde Gérard qui passe des dettes à l’abondance, en des péripéties alimentant une dramaturgie épique où le panache est servi sur un plateau. 
« Que dites-vous ? C'est inutile ? Je le sais ! 
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! 
Non !Non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! »
La pièce colorée, récompensée par 5 Molières, jouée plus de 1 000 fois et vue par 700 000 spectateurs, entremêle la vie romancée et la fiction sur un rythme soutenu. L’humour se combine avec le romantisme et aborde des questions sur la fidélité, la création, le succès. 
Le propos va au-delà d’un biopic plaisant et renouvelle avec simplicité en un rythme allègre, l’éternelle représentation du théâtre au théâtre. Les douze acteurs partagent leur plaisir de jouer avec un public enchanté d’avoir passé deux heures délicieuses garanties sans OGM   (Objurgations Généralement Militantes).

samedi 28 janvier 2023

La ligne de nage. Julie Otsuka.

Quelques pages peuvent dire l’épaisseur de la vie quand la pudeur vient servir une écriture élémentaire décrivant aussi bien les relations de surface que les liens souterrains, les moments routiniers ou les instants exceptionnels.
Dans un genre différent de son livre précédent, c’est la même puissance sans éclaboussure. 
Une fissure est apparue au fond d’une piscine au moment où la conscience de la mère de la narratrice se défait.
La métaphore d’un humour subtil vaut aussi bien pour notre destin particulier que pour celui de notre humanité. 
Les explications complètement fantaisistes du phénomène, les dénis, les fuites, les interprétations péremptoires, ont évoqué pour moi bien des commentaires sur les causes de la COVID ou les considérations les plus diverses à propos du réchauffement climatique ou des problèmes énergétiques.
« … la fissure est-elle transitoire ou définitive ? Superficielle ou profonde ? 
Maligne, bénigne ou - James, l’expert en éthique de la ligne deux - moralement neutre ? 
D’où vient-elle ? Quelle est sa profondeur ? Y-a-t-il quelque chose dedans ? A qui la faute ? Peut-on renverser la situation ? 
Et surtout : Pourquoi chez nous ? » 
Si nous en sommes au moment du tri dans nos vies : 
« pour un chemisier oublié qu’elle a acheté en solde chez Mervin »,
on saura de quoi il est question : 
«  Mets le de côté, j’en aurai peut être besoin un jour quand je serai à l’EHPEAD. Sur ce elle éclate de rire. Et toi aussi. Parce que c’est une blague ! Elle ne le pensait pas. Elle voulait simplement rigoler. Aujourd’hui, lorsque tu lui rends visite elle porte le chemisier en polyester de chez Mervyn. » 
Il est des moments où le rappel des évidences est salutaire et passe bien quand les parenthèses mettent de la distance. 
« Que la vie au-dehors continue exactement comme avant mais sans vous (eh oui). » 
Et on n’en saura rien : 
« … à chaque souvenir que vous oublierez, vous vous sentirez un peu plus légère. Bientôt vous serez tout à fait vide, habitée d'absence et, pour la première fois de votre vie, vous serez libre. » 

vendredi 27 janvier 2023

6 mois. Automne 2022 hiver 2023.

Comment ne pas trouver futile la couverture de la revue du photojournalisme consacrée à « la révolution jeunes » quand le conflit ukrainien occupe plus de 50 pages sur 292 ?
Comme toujours les textes sont forts : 
«  Une photographie, tout en conservant la trace de ce qui a été vu, se réfère toujours et par nature à ce qui n’est pas vu. » John Berger  
Il en faut des pages et des pages pour contrarier nos attentions clignotantes. 
Le choix des images accompagné de commentaires qui décrivent le hors champ nous sort des brouillages numériques disparaissant aussi vite qu’ils apparaissent.
L’histoire de la rencontre d’une vieille dame et d’une toute petite voisine à Barcelone nous fait du bien,
car il n’y a plus guère d’oasis  même sous forme de métaphore
et en réalité dans le désert marocain.« On achève bien les îlots trésors ». 
Maradona a pansé bien des plaies quand il jouait à Naples
et la rupture d’une fatalité de maltraitance d’une femme à New-York pourrait être accueillie sur le plateau de la positivité si ce problème n’était pas récurrent partout dans le monde.
Le destin de Lula est aussi un exemple de réussite incroyable.
Des visages de passants chinois ont beau être mélancoliques, ils sont beaux,
contrastant avec la désolation des terres péruviennes sur lesquelles souffrent des populations misérables.
Alors la jeunesse ? 
Des ados voire des enfants sont impatients de changer de sexe,
d’autres se perchent dans les arbres pour défendre la forêt en Allemagne,
des enfants d’immigrés se cherchent en Italie,
alors qu’en Afrique du Sud, la mixité n’est pas acquise trente ans après la fin de l’apartheid.