L’ambition du titre parfaitement réalisée en 400 pages varie
les points de vue sur la nature, forcément humaine, avec un ancien militant du
Larzac, chevrier, les maraîchers qui fournissent le super marché Mammouth,
l’étudiante s’enivrant des odeurs de menthe, l’éleveur s’interrogeant sur
l’agrandissement de ses bâtiments : quand le paysan devenait exploitant. « Par chance,
être agriculteur c’était travailler sans cesse, c’était embrasser le vivant
comme l’inerte, ça suppose d’être à la fois éleveur, soigneur, comptable, agent
administratif, vétérinaire, maçon, mécanicien, géologue, diététicien,
zoologiste, chimiste, paysagiste et tout un tas de choses encore…et surtout de
ne pas craindre de passer des heures dans les moteurs de toutes sortes… »
Je ne déflore aucun dénouement en notant que l’engrais peut
être explosif, car l’auteur sait nous tenir en haleine et sa description de
l’évolution du monde rural ne concerne pas seulement les ruraux ou un de leur
fils, genre abordé sur ce blog:
Entre la sécheresse de 76 et la tempête de 99, de vache
folle en Tchernobyl, les catastrophes se sont succédé et même au bout d’un
chemin non goudronné, la mondialisation sous toutes ses formes pousse sa corne.
« Depuis quatre
jours dans le plus grand secret les Soviétiques bombardaient la centrale de
sacs de sable largués par hélicoptères, mais ça n’y avait rien fait. L’unique
solution était donc d’envoyer des soldats et des pompiers au cœur de cet enfer,
cependant à force de brûlures et de radiations ces hommes tombaient les uns
après les autres, au bout de deux minutes, ils s’écroulaient, alors il fallait
vite en envoyer d’autres… »
Global et local, ici et maintenant, les fracas du monde
n’atténuent pas les fines notations sur les mentalités des différents
personnages:
« Vivant dans une
ferme paumée au milieu des coteaux, pour les parents c’était rassurant de
montrer à leurs enfants qu’ils participaient quand même de ce monde contemporain,
celui des pubs à la télé, celui de la cafetière électronique et du fer à
vapeur, celui du couteau électrique, de la foire aux T-shirts et de la
yaourtière. »
Bien des thèmes sont abordés, j’allais dire
« habilement » mais cela laisserait entendre un savoir faire qui
prendrait ses distances avec l’émotion, alors que la nostalgie s’exhale aussi
bien que la poésie avec une tension qui n’a rien d’artificiel ponctuée de
moments comiques, quand un publicitaire vient poser ses spots dans la prairie
pour des tranches de jambon sous blister. L’intrigue sentimentale n’est pas
qu’un vecteur narratif et pose les dilemmes autour de la liberté en particulier
pour le personnage principal héritier d’une tradition en un milieu qui a su
s’adapter à de grands bouleversements. Il subit plus qu’il n’agit, se tenant
plus près du réel, de nous, qu’un omniscient héros.
« S’ils se
prirent la main c’est qu’ils venaient de tomber de haut. Tous deux sans rien
dire, ils ruminaient leurs liens, tout ce qui les empêchaient de devenir
réellement libres, elle qui se sentait appelée par d’autres pays pour sans
cesse fuir le sien, et lui qui se sentait viscéralement attaché à sa
terre. »