vendredi 9 octobre 2020

Le monde pendant.

Pour s’extirper d’un présent peu satisfaisant quelques Cassandre ont prédit un « monde d’après » de gourmandise et de paix à portée de clic. 
En attendant le « monde d’avant » persiste à se regarder le nombril redécouvert sous les crop tops, pour éviter les postillons des Trump et autres Erdogan.
Le débat public est d’une affligeante pauvreté et les fake news ne viennent pas que de Fox News. Me suis-je trompé quand je comprends que les néonicotinoïdes ayant obtenu une dérogation afin de protéger les betteraves sucrières n’affecteraient pas les abeilles qui ne butinent pas cette plante?
Les néo experts agronomes de chez Facebook à peine sortis d’une prestation d’économiste simpliste et d’épidémiologiste complotiste s’époumonent à trouver le coupable en toutes  circonstances : « le Macron vous dis-je ! » 
Geoffroy de Lagasnerie aux accents Robespierristes est bien reçu chez ceux qui aimeraient tant purifier les chaines concurrentes alors qu’aucun syndicat étudiant ne s’est ému de ses excès ni a appelé à détruire ses livres, il n’a pas besoin de protection policière.
Méprisant la démocratie, il ne crache pas sur les salaires que lui verse l’état et il se servira de ses lois avec zèle quand cela lui conviendra. Un tel escroc peut séduire ceux qui ont perdu tout sens commun, tout espoir, et le respect des autres, mais comment peut on lui tendre si complaisamment un micro ? Il se le demande, tout en ne manquant pas de cracher sur ceux qui l’invitent. 
La tolérance devient une qualité annexe et la liberté d’expression ne vaut que pour ceux qui sont d’accord avec moi. 
Par ailleurs, le déni est le plus répandu des réflexes : après s’être impatienté envers le président qui mettait trop de temps à s’exprimer à propos de la laïcité; lorsqu’il le fait, certains estiment qu’il aurait pu attendre. Et de vénérables organes de presse lorsqu’ils s’encanaillent sur Facebook ne se gênent pas pour prôner dans la même semaine la jupe à ras le bonbon, comme disait Ferré, pour les collégiennes, après avoir excusé le voile pour des mômes de huit ans. L’exploration du terme « séparatisme » et de sa réalité attendra.
Parler d’autre chose : quand est annoncé le million de morts de la COVID, les autruches se soucient des morts du paludisme ou de la famine, comme ceux qui en reviennent aux SDF quand il est question des réfugiés.
De prétendus rebelles chassant souvent en meute sont sur la même longueur d’onde que les populistes qui affolent la toile avec des querelles destinées à détourner l’attention et foncent dans tous les chiffons si possible merdeux qu’on leur tend.
Je suis d’un autre bois mais du même fagot, à opiner à mes chouchoux, à ne pas voir d’alternative à la pensée unique économique, éruptif parfois devant des commentaires de trolls pas drôles.
J’oscille entre modestie et prétention:
qui suis-je pour juger écrivains, cinéastes, politiques ?
Mais de quel droit les bouffis de mauvaise foi, les fiers de leur inculture, les paresseux auraient-ils le monopole de la parole ?
Révulsé par ceux qui prêtent toujours de noirs desseins à la moindre des initiatives, j’essaye de ne pas céder à l’accablement et persiste à consulter quelques fiches de morale jaunies, comme j’eus à en développer une le jour de mon CAP à propos de la calomnie, illustrée par un texte de Maupassant : « La ficelle ». 
« Le paysan, furieux, leva la main, cracha de côté pour attester son honneur, répétant :
- C’est pourtant la vérité du bon Dieu, la sainte vérité, m’sieur le maire. Là, sur mon âme et mon salut, je l’répète. » Les autres riaient.

 

jeudi 8 octobre 2020

Le MAMC Saint Etienne.

En art contemporain Sainté est plus accessible que le Magasin de Gre
Cette année nous sommes revenus au MAMC, Musée d’Art  Moderne et Contemporain, presque vide.
Une 1ère  exposition concerne  Maurice Allemand, le conservateur qui a créé le musée.
Il a  cherché à allier techniques et arts de son temps dans le même lieu et a acquis des œuvres  du XIX° et XX° : Greuze,  Carpeaux, Picasso, Matisse et son « Algue verte », de l’art africain,  des peintures de Delaunay, des collages, de l’abstraction….
Nous interrompons la visite pour une halte au restau du musée, « le carré des nuances »: au menu, merlu sauce palourde  et petits légumes suivi d’un café gourmand .
Nous retournons découvrir les expositions temporaires proposées : Le corps perceptif de Robert Morris présente de grands morceaux de feutre découpé dont un ressemble terriblement à une œuvre de Viallat visible dans l’exposition des collections de M. Allemand. Le feutre a été travaillé aussi pour donner de  grandes structures  en L, debout, couchées, assises.
Dans la 2ème  salle,  des miroirs sous forme de cubes démultiplient les images et dans la 3ème  trainent des débris de métal bois et feutre répandus au sol.
L’exposition d’Alexandre Léger s’appelle « Hélas rien ne dure jamais ». Son travail  manifeste une grande influence de la médecine, des ordonnances médicales, de l’anatomie, les productions occupent tous les espaces des supports, à la manière de l’art brut.
« L’équilibre des blancs » de Firenze Lai tourne autour de personnages à grandes et grosses jambes et petites têtes, trop à l’étroit dans leur cadre.
Nous sortons de toutes ces expos sans grand enthousiasme, avec l’impression une nouvelle fois  que l’art contemporain est en panne d’inspiration, de nouveauté, de surprise, ne parlons pas d’émotion.

 

mercredi 7 octobre 2020

Côte d’Azur 2020 # 1. Le cap du Dramont.

Ici, le rouge massif de l’Estérel plante ses franches couleurs ennoblies jadis par les affiches vantant le PLM (Paris Lyon Marseille... à moins que ce soit Paris/ Lyon/ Méditerranée).
Cette ligne de chemin de fer devenue SNCF longe la grande bleue par de nombreux viaducs dont celui d’Anthéor (1864).
La Côte d’Azur ne manque pas de pigments surtout quand on arrive face à « l’île d’Or » à l’Est de la commune de Saint Raphaël qui compte 24 km de côte, aux confins du département du Var.
La rhyolithe rouge donne son identité à l’Estérel, alors qu’un porphyre bleu porte le nom d’esterellite pour désigner les galets qui ont servi à construire sur la plage le monument en hommage aux vingt mille soldats qui y ont débarqué le 15 août 44. 
« La rade d'Agay forme un joli bassin bien abrité, fermé, d'un côté, par les rochers rouges et droits, que domine le sémaphore au sommet de la montagne, et que continue, vers la pleine mer, l'île d'Or, nommée ainsi à cause de sa couleur » Guy de Maupassant 
Dans l’agréable promenade qui nous mène au sémaphore, installé à la place d’une tour de guet, entouré d’une flore remarquable, nous prenons la photo de l’île telle qu’elle figure sur tous les dépliants touristiques. La légende a retenu que ce rocher à la tour sarrasine fut perdu au jeu par un anglais excentrique.
En fouillant dans la toile, on peut apprendre que c’était la femme de Léon Sergent qui était anglaise et que le propriétaire a négocié son bien avant de déménager. Ce fut en tous cas un lieu de fête de la société de la Belle Epoque se la jouant royaume d’opérette. 
Lors de la première célébration du débarquement, une fusée d’artifice mit le feu à la tour et au lendemain de la 50e commémoration du débarquement de Provence, l’officier de marine qui avait restauré les lieux mourut après son habituel tour de l’île à la nage.
Si Nathalie Portman qui s’est posée par là pour « Planétarium » n’était plus sur la plage, lors d’une diffusion prochaine du « Corniaud » nous pourrons reconnaître le décor.
Nous n’avons pas confirmé non plus que la silhouette de la tour à allure moyenâgeuse aurait pu inspirer Hergé pour « L’ile Noire », mais le café était bien agréable au petit port du Poussaï.

mardi 6 octobre 2020

Révolution. Grouarzel Locard.

Ce premier pavé intitulé « Liberté » d’une série de trois volumes qui atteindront les mille pages a été primé à Angoulême en plein mouvement des « gilets jaunes ». Les auteurs ayant pourtant travaillé sur le long terme, sollicitent cette proximité qui me semble parfois abusive, même si rumeurs et manipulations ont eu leur part dans ce basculement vers la démocratie à la fin du XVIII° siècle, avant les chaînes d'info, les réseaux sociaux et la taxe sur le diésel.
Les personnages fictifs ont beau être plus présents que les personnalités influentes ayant effectivement existé , ils sont éclairants dans un contexte bouillonnant entre janvier et octobre 1789, bien rendu jusque dans ses noirceurs nocturnes, voire lors de séquences quelque peu confuses.
Barnave perd de son importance au moment où Robespierre apparaît en fin de chapitre.
Les premiers rôles sont tenus par les plus miséreux et la foule anonyme dont les mouvements sont remarquablement saisis. L'ajout de duels à l’épée évoque à mon avis un genre cinématographique désuet, alors que le découpage exprime bien la dynamique du septième art.
Quelques évènements notables se déroulent à l’arrière plan : réunion des Etats-Généraux, nuit du 4 août. Par contre la prise de la Bastille apparait décisive et dans la dynamique de l’insurrection sont réévalués les massacres chez Réveillon dans le faubourg Saint Antoine ou les attaques contre les barrières de l'octroi.
Le soin apporté au langage malgré quelques tournures au goût du jour, restitue les distances : «  Bornons-nous à rendre au ministre congédié, dont la perte semble affliger la nation, le tribut d’estime qu’il a mérité » il s’agit de Necker,
alors que « Répète un peu ça, four à merde ! Race de pendu ! » s’échange autour d’une charrette transportant de la farine.
Au-delà de la vitalité des mômes expressifs qui traversent l’histoire, la présence d’un journaliste réactionnaire ou le frère jumeau inventé d’un député breton apportent un recul que n’a pas forcément l’historien Pierre Serna égratignant ceux qui se contentent de « ronronner la énième histoire de la révolution » ; ce n’est effectivement pas le cas avec ce bel ouvrage.
A ce propos, au théâtre, Pommerat appelait, me semblait-il, à davantage de réflexions.http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/05/ca-ira-1-fin-de-louis-joel-pommerat.html

 

lundi 5 octobre 2020

The elephant man. David Lynch

Pour les peureux comme moi qui ont attendu quarante ans pour s’étonner encore que cette œuvre jalon de l’histoire du 7°art, soit inspirée par une histoire réelle, les premières images, évoquant le mystère et l’effroi que nous redoutons, nous amènent à regarder la vérité en face. 
Le choix du noir et blanc, décrivant magnifiquement le XIX° siècle, suggère une dimension allégorique condensée dans ce cri :  
« Je ne suis pas un animal, je suis un être humain». 
Les portraits des bons et des méchants sont typés, mais l’engouement des foules sordide ou altruiste nous interroge, et la générosité d’individus, leur évolution nous rassure sur la nature humaine. 
Dans ce miroir, interdit au monstrueux John Merrick, nous pouvons examiner notre goût du sensationnel et nos besoins de reconnaissance, le conformisme de nos préjugés, sans avoir l’impression de subir quelque leçon. Un beau film.

 

dimanche 4 octobre 2020

Partout la musique vient. Julien Clerc.

A l’écoute du chanteur qui commença dans « Hair», comédie musicale d’hier, j’ai connu des hauts, «  Ce n’est rien », et des bas, «  Petits pois lardons » ; la même impression contrastée me revient avec son dernier CD.
Il se trouve que c’est le moins connu de ses paroliers qui a commis :  
« Je marche pieds nus sur le carrelage italien je crois » 
ou «  l’image garde une qualité numérique »
et lorsque « Pierrot s’enfonçait dans l’histoire de Violette » nous atteignons le fond du kitsch ; il s’appelle Duguet- Grasser.
Alex Beaupain (AB) lui va parfois bien :  
«  Partout la musique vient », célébration de la vie qui pulse, « entendez ma douleur » se poursuit en tralala, 
ou «  Va-t’en si tu veux » quand la vitalité répare la séparation. 
« Danser » « sur les tombes et sous les bombes », bien que conventionnel, s’entend volontiers.
Mais A B, le jeune chanteur désenchanté 
ne convient pas toujours au septuagénaire que j’aime pour ses envolées. 
« Gagner la chambre » est davantage dans la confidence comme « Encore un verre » ou « Tout » aux accents delermiens que je verrai mieux susurrées par l’original : 
« Tu sais le monde vieux, tu sais le monde cruel» 
J’aime quand il tombe volontiers dans des bras :  
« Elle a pris mon cœur et mon cœur s’est épris » dans « On ne se méfie jamais assez ».  
« Mon Cœur hélas » est très sollicité : « cloué au lit à même le bois ». 
Dans la mélancolie de Le Forestier, « On va, on vient, on rêve » à laquelle il apporte quelques épices, la réussite est là : 
« Je suis venu tendre et stupide
Hanter la maison du bonheur
Je suis entré comme un voleur
Et j’ai trouvé la maison vide. » 
Mais c’est Carla Bruni, oui, qui lui fournit les paroles les plus belles avec « Les amoureux » : 
« Et d’où viennent les gens frêles
A la merci d’un rien, d’un regard, d’un péché,
Les inquiets, les fragiles, les bergers sans étoile
D’où viennent les naufragés » 
Les plus déchirantes, « Le chemin des rivières » 
« Je sens le bois se faire à ma peau
Je sens l’hiver se faire à mon âme
Et mes souvenirs doucement prendre l’eau » 
Des accents de « Lost song », de la délicieuse «  Double enfance », voire de l’intro de « Black is black » se repèrent dans quelques mélodies, trahissant une difficulté à se réinventer; j’opterai pour le plaisir des retrouvailles.

 

samedi 3 octobre 2020

Histoires de la nuit. Laurent Mauvignier.

Le livre que lit une maman à sa fille avant qu’elle s’endorme est intitulé « Histoires de la nuit ».
En une nuit, les histoires des personnages attentivement exposées tout au long des 635 pages vont se révéler, exploser. 
Même dans le hameau le plus reculé, derrière un panneau que personne ne lit, « L’Ecart des trois filles », nul n’échappe au passé. 
«  Et tout ça pour faire quoi dans un bled pourri du centre de la France, au milieu de rien, de champ suintant le pesticide et le cancer, l’ennui, la désertification et le ressentiment ? »
Commencé comme une chronique campagnarde dans la veine de la bienfaisante Marie Hélène Laffon http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/11/joseph-marie-helene-lafon.html , le roman se poursuit en un huis clos palpitant mené par une écriture enveloppante dont les ralentis approchent de la vérité tout en mettant en jeu les violences.  
« … pour ne pas l’effrayer, est ce que ce sont des choses qu’on peut dire devant une fillette ? Est ce qu’on peut parler de ces menaces, de cette méchanceté, est ce qu’on ne doit pas la préserver et lui faire croire la plus longtemps possible que le monde qui nous entoure n’est pas peuplé de fous furieux, ni d’aigris, de jaloux, de mesquins ? » 
La distance entre les paroles rares et les intentions est marquée lors des dialogues intérieurs de chaque protagoniste, dans leur singularité, leur sincérité, leur quête, leurs contradictions.
La petite fille: 
« Ida comprend comment les choses se logent comme des bêtes dans les planches qui pourrissent dans la grange, des insectes qui grignotent le bois sans qu’on s’en aperçoive. » 
Sa maman : 
« Si elle ne le formule pas, la vérité c’est qu’elle rit d’avoir enjambé sa peur et d’avoir pu la tenir en bride et la faire plier. » 
La voisine artiste a noté dans ses carnets :  
« La culture, c’est ce qu’on nous fait, l’art c’est ce que nous faisons » 
Et celui qui tombe sur cette phrase : 
« Lui, ça l’étonne, ce genre de phrases ; Il ne comprend pas. Ce genre de citations. Yves Klein. Ne pas savoir qui c’est ce nom. Ne pas comprendre le blesse. »
Il est beaucoup question de la peur, des distances sociales, de peinture  et  d’écriture, et c’est tout à fait ça : 
« … recouvrir et faire jouer la transparence, recouvrir jusqu’à ce qu’une forme apparaisse qui n’a rien à voir avec celles qui, du dessous, ont rendu possible celle qui apparaît par superpositions, glacis, enregistrant des strates et faisant mémoire des couches qui ne se laissent pas dissoudre tout à fait et remontent, vibrent en s’effaçant… » 
Fort comme d’habitude et en même temps renouvelé; très fort.