vendredi 18 septembre 2020

L’heur.

Quand « Faire le malheur » ou « faire un malheur » sont aux antipodes, l’article est déterminant.
Ainsi vont bien des choses quand tout et son contraire ne cessent de se compléter.
Les effarouchés par le mot « ensauvagement » euphémisent et ne voient dans des crimes que des incivilités, alors qu’ils se sont délectés avec Despentes qui avait tant aimé les assassins de Charlie et lorsqu’elle récidive régulièrement dans la fureur à longueur de colonnes complaisantes.
Un croche-patte de flic indignera plus certains qu’une voiture fonçant sur un représentant de la loi.
La violence met en péril le « vivre ensemble » quand des potences ont été dressées à quelques carrefours et que des tombereaux d’injures sont déversés en travers des voix dès qu’une opinion s’aventure en dehors de sa chapelle.
« Il prêche l’amour avec haine » Gorki.
Le mot peur est sorti des bois où il se tenait depuis les contes à dents de loup : entre hypocondriaques et inconscients, les redoutants déroutés s’ils ne craignent souvent rien du Covid aiment suspecter toutes les intentions, se rassurant dans un climat anxiogène. Le principe de précaution mis à toutes les sauces appelle toutes les imprudences en miroir: les funambules au bord du vide ne portent pas le moindre casque qu’appelle la plus lente des trottinettes.
Les effarouchés perpétuels « pètent les boulons » et les adeptes de la lutte des races repeignent leurs chaînes, déboulonnent statues et statuts, englués dans un présent sans pardon qu’ils renoncent à penser en voulant purifier le passé.
Tous ces comptables indomptables passent toute leur énergie dans la contestation, sans projet, ils ne savent plus que « cocher les cases ». Et ce ne sont pas les médias anciens à la remorque des nouveaux, regrettant souvent la méfiance des français tout en l’alimentant, qui vont aller contre le vent. 
« C’était un homme vide, qui prônait la suprématie tactique du vide. » 
Antonio Scurati parle de Mussolini. 
« En cela il représente l’archétype du populiste jusqu’à nos jours. Il crée un nouveau type de leadership qui ne guide pas les masses en les précédant mais en les suivant, en les reniflant avec un instinct animal, guettant leurs angoisses, leurs peurs, leurs frustrations. » 
La fraternité est pour les lointains pendant que liberté et égalité se contrarient à nos portes. 
Jadis, les conflits se régulaient, me semble-t-il, dans le respect des interlocuteurs, ce n’est plus forcément le cas ; ressentiment et fuite en avant mettent en doute nos valeurs communes.
La « bête immonde » n’apparaitra pas par surprise sur les écrans à la prochaine présidentielle, elle métastase déjà parmi nous, en nous.
Ayant délégué à des robots le soin d’enlever la poussière de nos tapis, avec serviteurs assurant « drive » et soins aux enfants, nous accroissons les distances entre les citoyens d’un même espace, d’une même espèce.
Sans rouvrir les confessionnaux, comment faire s’évaporer nos restes de culpabilité ?
En tapant sur l’état et ses représentants, ceux-ci feront l’affaire comme boucs émissaires.
Nous avons de plus en plus les mains propres, et  bien du mal à « gérer » les contrariétés, les contraintes, les pleurs et les couches pleines, le travail et le temps. Quand pendant notre vie nous avons tant cliqué, la mort ne deviendrait-elle qu’un bug ?
Pour n’avoir pas grand-chose à dissimuler, je ne comprends pas toujours les paranoïaques braillant à la moindre innovation, bien qu’il soit tout à fait vrai que les territoires de l’intimité se sont réduits. L’ouverture permise par les réseaux sociaux a viré en son contraire lorsqu’ils se sont démultipliés aboutissant à la fermeture communautaire.
« Communautaire » qui va avec « repli » comme la rousseur à la servante anglaise, compte comme synonyme : collectif et fédérateur.  
« Le malheur n'entre jamais que par la porte qu'on lui a ouverte. » dit un proverbe chinois

 

jeudi 17 septembre 2020

Musée de la révolution. Vizille.

Bien que la peinture d’histoire fut pendant des siècles le plus prestigieux des genres, la rubrique « Beaux arts » de ce blog me semblait un peu étroite tant le passé imprègne les épaisses murailles.
Le parc attenant vaudrait à lui seul une page au chapitre « Voyage » quand « les cerfs altérés brament ».
Il n’y a pas d’exposition temporaire pour l’instant mais une révision des collections permanentes valait le détour. http://blog-de-guy.blogspot.com/2009/04/dessiner-la-revolution.html 
Les sculptures sont vigoureuses, les tableaux majestueux, les objets d’art décoratifs émouvants, les mises en valeur pédagogiques ni austères ni sommaires.
Des salles sont dans leur jus, telles la bibliothèque des Perier propriétaire des lieux au moment de la révolution ou une salle art déco destinée aux présidents de la République dont le château construit par Lesdiguières était la résidence d’été. Les transitions avec une muséographie plus contemporaine sont habilement dosées.
Les œuvres sont suffisamment explicites pour une lecture chronologique et les enjeux des commémorations qui ont suivi les riches heures de 89 sont tout aussi stimulants, lorsque par exemple Louis Philippe a passé commande de deux tableaux, l’un dénonçant le pouvoir absolu du roi et l’autre incitant à résister aux foules séditieuses.
« Boissy d’Anglas saluant la tête du député Féraud »
Les propos sont équilibrés entre la geste révolutionnaire héroïque et ses symboles s’inspirant surtout de l’antique pour les peintres français, alors que les anglais qui avaient recueilli les  nobles immigrés  travailleront plutôt l’émotion avec des accents rappelant les représentations des martyrs chrétiens.
Si l’"escalier de la Liberté" mène de "la salle de l’été 89" à la "salle de la République" ne pas manquer le petit salon de musique pas anodin du tout. 

 

mercredi 16 septembre 2020

Promenades autour de Grenoble # 2

Le chemin de halage
emprunté le long de l’Isère depuis le parc Paul Mistral jusqu’à celui de l’île d’Amour à Meylan ne compte bien sûr aucun dénivelé. 
La promenade est agréable, en pleine nature sur fond de rumeur de la ville.
Nous côtoyons le fleuve puissant et c’est encore mieux quand la voie piétonne se distingue de la piste cyclable très fréquentée par les étudiants du campus voisin.
Pour le pique-nique dans le parc public qui n’est quand même pas « le Central Parc grenoblois » comme le disent certains, on peut prévoir des brochettes, c’est l’endroit où les barbecues sont aussi nombreux certains jours que les variétés d’arbres ou les possibilités d’activités (parcours de santé, baseball, bicross…)
En partant du centre aéré des Scilles du Néron, à Quaix-en-Charteuse en direction du col de Clémencière on parcourt sept kilomètres par des sentiers ombragés serpentant entre champs et forêt.
Depuis les vestiges d’un château envahis par les arbres on peut apercevoir le « Château de Vence » du XVII° siècle appartenant au CHU de Grenoble que Lesdiguières destinait à sa maîtresse Marie Vignon, et le « Château d’Herculais » ancienne maison forte flanquée de deux tours et quelques hameaux dispersés car l’alimentation en eau était un problème sur les flancs du massif surnommé pourtant « le pot de chambre du Dauphiné ».
La vue sur la vallée et le Nord de Grenoble est magnifique.
A 35 km, la station climatique de Villard de Lans qui peut mettre 20 000 lits à la disposition des touristes, offre de charmants parcours de promenade.
Celui du Pont de l’amour en bordure du bourg qui compte 4 000 habitants se boucle en une heure et demie. Parfaitement balisé, il a tous les atouts d’une promenade familiale se déroulant  comme en un  grand parc où alternent champs et forêt, par des sentiers confortables menant à des points de vue variés.
Après une balade plus longue sur le sentier qui mène de Villard à Corrençon, longeant un moment le golf,
les marcheurs apprécieront les viandes cuites au feu de bois de l’auberge du Clariant située à une demi heure du parking qui reçoit les adeptes de  « l'espace biathlon ski roue du Vercors ».
En revenant par « La fleur du roy », bornage qui marquait la limite entre Nord et Sud, entre la juridiction des comtes de Sassenage et celle de l’Evêque de Die qui s’affrontèrent lors d’une bataille en 1410, un panneau explicatif rappelle un épisode historique en des lieux riches de souvenirs.
J'avais déjà publié un article avec trois autres promenades autour de Grenoble 

 

mardi 15 septembre 2020

L’été diabolik. Smolderen & Clerisse.

A voir les premières images aux couleurs acidulées et la chronique qui s’annonce d’un été 67, il faut arriver au bout des 167 pages pour comprendre  la qualification de cet été et le regard inquiétant tenant la moitié de la couverture flottant au dessus de jeunes gens cigarette au bec et veste à l’épaule croisant une élégante demoiselle.
Dessins pop pour une histoire de flirt gentiment psychédélique sur fond de guerre froide qui de mystères dévoilés en rebondissements se conclut dans l’horreur quand les masques sont tombés.
Roman d'initiation et d’espionnage où se mélangent les genres sous un graphisme qui en met plein la vue au service d’un scénario surprenant. La politesse va aussi avec des manières expéditives, piscine et grenier, amour et colères : le temps a passé et Kennedy a été assassiné.


lundi 14 septembre 2020

Police. Anne Fontaine.

La profusion de films policiers et les débats animés qui s’en suivent disent bien la nervosité de la société quand sont montrées les situations des hommes et des femmes les plus exposés aux violences.
Je suis allé voir ce film car quelques néo censeurs avaient appelé à son boycott : Omar Sy en jouant un policier serait un « traitre » et ne pourrait incarner un représentant de la loi. 
Ce type d’anathème est insupportable. 
Alors que ce film révèle les souffrances de trois flics bien interprétés par Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois, comme pour « J’accuse » de Polanski, les avis sont brouillés par le contexte polémique. 
J’avais trouvé dans un premier temps le film intéressant, bien monté, bien éclairé, posant habilement les termes d’un dilemme aigu. Dans la Kangoo, la pression monte entre les trois qui doivent ramener à la frontière un réfugié promis à la mort lorsqu’il quittera notre sol. 
Et puis l’intervention pour une fois pertinente d’un spectateur du « Masque et la plume » nuance ma première vision puisque les procédures d’expulsion ne permettent pas semble-t-il cette issue fatale. Il y a bien des fois ou peu importe la vraisemblance pourvu qu’on réfléchisse ou qu’on vibre, mais à l’intérieur d’une description naturaliste, les distorsions avec la réalité font tache.

dimanche 13 septembre 2020

La Méouge, le Rhône, la Durance. Michel Jonasz.

 
Malgré le charme de ses mélancoliques mélodies funky, l’auteur de « Super nana » apparaissait essentiellement sur les photos de groupe dans les albums jaunis de ma mémoire
et il a fallu qu’il mentionne une rivière des Hautes Alpes affluent du Buëch que nous longeons souvent pour que j’aille dégoter son dernier CD.
Dans cet album où les nuages rejoignent l’océan, avec un slam il évoque « La Méouge » et autour d’un feu, dans la fumée, se demande :
« Mais pourquoi voulez-vous saisir l’insaisissable ».
Il aimerait «  Traverser la mer à la nage » :  
« Sauter à cloche-pied d’étoile en étoile » 
Et demande à l’ « Océan » : 
« Prends-moi comme tu as pris mon père » 
Nous sommes bien sur « La planète bleue » :  
« Il faut faire honneur à ce que nous sommes
 Et ce qui fait l’Homme c’est la main tendue
 Et les bras qui s’ouvrent pour mieux accueillir
 L’étranger qui passe et l’enfant perdu. » 
Le poète éco-responsable, comme tout un chacun, se rappelle de son âge (72 ans): 
« On était bien tous les deux »et sa voix aux vibrations caractéristiques chevrote un peu sur «  La photo effacée » des bonheurs d’écriture : 
« Trouver l’échelle pour se hisser au grenierPour ne plus voir le temps passer »  
Mais difficile de prendre des paris à l’abord de « La maison de retraite » : 
« On ira jamais 
On dormira dehors, on r’gardera les étoiles  
On vivra libres et dignes » 
Mais il repart sur les routes, «groove», fait danser «  Baby c’est la crise » : 
« Tout le monde veut sa place au soleil
 Et les heures exquises 
Avant d’avoir la carte vermeil »  
« Le bonheur frappe à la porte » :« Allez-y » 
Et dans les « Nuits tropicales » 
« Danse Merengue  
Charanga jouez 
Habanera 
Reggae 
Merengue
Mambo 
Cha-cha-cha 
Bolero
Rumba 
Cha-cha-cha » 
La mélopée lancinante de « Sombre est la nuit » nous restera : 
« Sombre est la nuit comme dit la complainte
 Celle de Mackie et c'est une étreinte
 Sombre est la nuit une ombre qui passe
 Froide est la pluie d'une mémoire ancienne
 Sauvée de l'oubli on devine à peine 
Perdue dans la nuit cette ombre qui passe »

samedi 12 septembre 2020

L’art de la joie. Goliarda Sapienza.

L’appréciation d’un livre peut varier au fil des pages surtout quand il y en a près de 800. J’ai failli abandonner au début après une série de scènes d’une violence insupportable, si peu attendues sous un titre aux connotations mystiques inaccessibles. 
« Mais les promesses de liberté que les vagues et le vent s’en allaient répétant, se brisaient le long du mur des édifices fleuris de roses et de pampres de lave coupante. Il n’y avait pas de liberté dans ces rues, ces ruelles, ces places ambigües, débordant des seuls hommes avec des canotiers et des cannes arrogantes, épiés par des ombres féminines cachées derrière les rideaux des fenêtres ou dans l’obscurité des pauvres rez-de-chaussée à la porte toujours entre ouverte. » 
Nous sommes en Sicile au début du XX° siècle. 
« Par le sang de Judas » ponctue les dialogues.
Puis le style, la force de la figure centrale Modesta, la Princesse dite aussi Mody, m’ont captivé avant d’avoir du mal à retrouver tous les personnages après avoir délaissé trop longtemps une lecture exigeante, poétique, politique.  
«Comme je suis content que vous au moins vous ayez compris, Princesse, et que vous ne  vous soyez pas laissée influencer par la tendance répandue à rabaisser l’adversaire, chose qui comme dit Gramsci, « est par elle-même un témoignage d’infériorité de celui qui en est possédé… » 
On s’étreint beaucoup, on veille, on dort, on cherche, on change, on meurt, on nait, on aime.  
« Durant ce voyage Modesta fut toujours attentive à épier la plus légère ébauche de sourire ou de tristesse sur le visage aimé ; et chacune de ses volontés, chacun de ses gestes, chacune de ses pensées, fut absorbée par le soin de scruter, prévenir les désirs, repousser la douleur latente qui, toujours aux aguets, venait ponctuellement troubler ce visage d’amour. » Epuisant. 
Bien que fusionnelle avec hommes et femmes, la peu modeste héroïne venant  de si loin des douleurs et de la misère est devenue tellement admirée qu’elle nous dispense d’une quelconque empathie à force de traverser la vie sans faillir.
De jolies notations : «  les couleurs viennent du cœur, les pensées du souvenir, les mots de la passion.» 
L’amour : «  Il me semble qu’on tombe amoureux parce qu’avec le temps on se lasse de soi-même et on veut rentrer dans un autre. » 
L’homme : «  Il ne peut pas créer charnellement une vie. Et alors il essaie de donner vie à des idées.»
La mort : «  Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. » 
Livre d’une vie, un chemin vers la liberté:  « Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m'en servir, ceux que l'usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »