jeudi 11 juin 2020

La vie ne danse qu’un instant. Theresa Révay.

L’état de délabrement de ce livre de poche dont je viens d’hériter témoigne qu’il avait été lu par bien d’autres lecteurs dont je m’apprête à  contredire l’enthousiasme.
Il y avait matière à écrire entre 1930 et 1945 pour Alice Clifford, correspondante de guerre pour le « New York Herald Tribune » aux premières loges de la montée du fascisme à Rome,  si belle ville, à Berlin et sa nuit de cristal, si tragique, en passant par Madrid, si cruelle… Heureusement, l’américaine se ressource à Alexandrie, si parfumée.
«  Elle avait d’emblée perçu que cette terre archaïque aux senteurs d’épices méconnues, celle de la Bible et des prophètes, portait la mémoire du monde et la promesse d’engouements tant spirituels que charnels.»
« Le Tour de France par deux enfants » avait édifié les enfants de la III° république ; ce tour d’Europe en temps de guerre est bien documenté, avec aventuriers, éminences vaticanes, princes romains, diplomates, artistes, résistants, repentis, bons et courageux, discrets. J’ai été intéressé par la découverte de Pascalina Lehnert secrétaire de Pie XII et  par la complexité de Edda Mussolini, épouse de Ciano.
« Les doigts fébriles, Béatrice retira de son annulaire l’anneau en fer noirci que le régime du Duce lui avait offert sept ans auparavant, lorsqu’elle avait sacrifié son alliance en or pour aider à financer la guerre d’Ethiopie. »
La jolie américaine « intrépide, valeureuse et fidèle à ses convictions, sa plume rigoureuse et sincère, son regard lucide. »    
écrit à gauche mais couche à droite, très à droite, c’est une femme libre.
«  C’était elle qui lui avait appris que l’amour véritable consistait à laisser l’autre s’accomplir pleinement de manière absolue »

mercredi 10 juin 2020

Tenochtitlán. Daniel Soulié.

En 1521, les Espagnols découvrent, la cité aztèque qui deviendra une des plus grandes agglomérations du monde : Mexico -Tenochtitlán, 20 millions d’habitants. La population de « la capitale disparue », dépassait celles de toutes les villes européennes avec 250 000 habitants environ.
Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble insiste sur la relativité des informations qu’il fournit car les sources proviennent essentiellement des « conquistadors » qui d’abord admiratifs se sont attachés à détruire rapidement toute trace de culture ancienne.
J’éviterai de reprendre des éléments déjà mentionnés lors de ce cycle concernant les civilisations précolombiennes, hormis ce plan envoyé à Charles Quint.
L’éphémère empire aztèque a duré un peu plus que la guerre de 100 ans qui se déroulait  alors chez nous.
Ceux qui s’appelaient eux-mêmes Mexicas s’installent sur des ilots marécageux du lac de Texcoco, asséché aujourd’hui, situé au centre d’un plateau à 1000 m d’altitude, cerné par des volcans encore actifs. Ils développent rapidement une ville divisée en quatre sections (campan) avec au centre les édifices religieux. Ils maîtrisent parfaitement l’alimentation en eau potable, l’évacuation des eaux usées, la propreté urbaine.
Un marché rassemblant jusqu’à 40 000 marchands les jours de fête se situe sur l’île de Tlatelolco, un temps cité rivale.
Aujourd’hui La place des trois cultures est au centre de ce quartier.
Des chaussées sont construites en direction des quatre points cardinaux, des canaux sont creusés et des marais comblés.
La structure de la ville est inspirée de celle de Teotihuacan dont l’origine remonte à 200 av J-C.
Ce site gigantesque n’a été fouillé que sur 5% de sa superficie mais laisse penser que la destruction des parties occupées par la classe dirigeante aurait été causée par des émeutes internes  autour du VIII° siècle.
Les allées de 40 à 90 mètres de large permettant à 10 chevaux d’avancer côte à côte, loin des ruelles étroites du moyen-âge, sont bien plus vastes que les avenues prestigieuses d’Alexandrie, de Constantinople ou d’Antioche. Des pyramides impressionnantes bordent la dite allée des morts bien qu’il s’agisse de temples et non de tombeaux. 
La reconstitution de monuments appelée « anastylose » permet de se faire une idée du travail phénoménal déployé pour amener les matériaux et édifier dans une grande rigueur géométrique tant de structures depuis les calpullis (groupes de maisons) jusqu’aux temples dédiés à la lune ou au soleil. 
Et tant de sanctuaires comme celui consacré à la divinité la plus dangereuse, Tezcatlipoca (Miroir fumant), à qui on sacrifie une fois l’an un prisonnier et quatre femmes.
Le culte du serpent à plumes (Quetzalcóatl) était très répandu en Mésoamérique parmi une longue liste de divinités qui réclamaient du sang afin de les remercier de faire se lever le soleil. D’après une ancienne chronique, entre 3000 et 84 000 personnes auraient été sacrifiées en 5 jours, pour l’inauguration du grand temple.
La pyramide principale constituée de sept enveloppes était consacrée à Huitzilopochtli qui sortit casqué et armé du ventre de sa mère avant de massacrer ses 400 frères.
Après un siège de 4 mois, Cortès rase la ville : « Je résolus de prendre alors pour notre sûreté une mesure radicale et ce fut de détruire, quelque temps que cela pût nous coûter, les maisons de la ville, chaque fois que nous y pénétrerions; de manière que nous ne ferions plus un pas en avant sans tout raser devant nous, tout aplanir et transformer les canaux et les tranchées en terre ferme. »
La ville coloniale a été construite littéralement sur les ruines de l’ancienne capitale, les pierres réutilisées pour la construction de plus grande cathédrale d’Amérique latine. Et alors que la nappe phréatique n’est pas loin, les recherches archéologiques ne sont pas aisées.
Un Chac-mool  polychrome (« statue de guerrier mexicain à demi allongé sur le dos[…] on posait sur son ventre un cœur sacrifié.») témoigne des vives couleurs qui recouvraient les bâtiments.
Des figurines en terre cuite réalisées 600 ans avant J-C font de la plus ancienne civilisation olmèque, celle de la « culture-mère ».

mardi 9 juin 2020

50 nuances de grecs. 2. Jul & Charles Pépin.

Le premier tome était tellement délicieux
que celui-ci m’a semblé un peu plus fade, comme lorsque Pénélope propose à nouveau son tzatziki et qu’Achille croyant reconnaître un bon goût d’aubergine est condamné avec Ulysse à «  se taper toute la semaine des plats de chez Icare surgelés ».
Les dessins de Jul  semblant être expédiés depuis un coin de table sont alertes avec ses jeux de mots réjouissants et ses rapprochements toujours ingénieux avec l’actualité : des « toisons d’or » qui veulent le rétablissement de l’ISF (« Impôt Sur la Foudre ») aux réfugiés entre Charybde, Scylla et l’OFPRA. Le cheval du « plan à Troie » est siglé Uber, Hermaphrodite illustre le fameux « en même temps » et la boite de Pandore est une box.
«…  chacun des maux apporté par pandore s’accompagne d’un bienfait. Les hommes meurent maintenant ? Ils en éprouvent une puissance d’exister d’autant plus intense. […] Ils sont obligés de travailler ? Ils découvrent ainsi la joie d’être reconnus pour ce qu’ils ont fait. »
Chaque planche au titre prometteur: « Protée : le changement c’est maintenant » est située en regard d’une réflexion originale du philosophe Charles Pépin qui apporte des précisions : Morphée apparaît comme un mauvais coup au lit avec ses recommandations interminables pour dormir alors que c’est Hypnos son père qui est le dieu du sommeil :
« Tomber dans les bras de Morphée ce serait plutôt s’éveiller à sa vérité enfouie, à cette complexité aux mille visages».
Nous pouvons découvrir des êtres mythologiques tels les Hécatonchires ou les Erinyes, Hestia et envisager des dimensions nouvelles :
«  l’espoir est la marque du faible - c’est d’ailleurs pourquoi il est l’un des maux présents dans la boîte de Pandore. Seul espère celui qui n’a pas la force de dire oui à ce qui est ».
Nous sommes en terrain plus familier avec l’Oracle de Delphes qui n’a pas prévu le Brexit, tout comme nos instituts de sondage, et # Myth too qui avait de quoi dénoncer avec les dieux agresseurs, harceleurs, violeurs, de tant de nymphes, et d’Europe, Nikaïa, Perséphone…

lundi 8 juin 2020

Belle du seigneur. Albert Cohen.

« Trois pages pour tailler un crayon ! » m’avait-on dit, mais justement ces descriptions virtuoses  sont indispensables pour nous plonger dans la vacuité des occupations d’Adrien le mari qu’on aimera tellement voir trompé, employé à la société des nations à Genève.
L’amour absolu est impossible mais tout le monde s’y essaye :
« …et elle m’aimera, m’aimera, m’aimera, la non-pareille m’aimera, et chaque soir j’attendrai tellement l’heure de la revoir… »
Solal et Ariane, si beaux, vivent cet amour fou, sublime, tragique, passant leur temps à attendre, hors du temps et des contingences.
« Leur prétentieux cérémonial de ne se voir qu'en amants prodigieux, prêtres et officiants de leur amour, un amour censément tel qu'aux premiers jours, leur farce de ne se voir que beaux et nobles à vomir et impeccables et sans cesse sortis d'un bain et toujours en prétendu désir. Jour après jour, cette lugubre avitaminose de beauté, ce solennel scorbut de passion sublime et sans trêve. Cette vie fausse qu'elle avait voulue et organisée, pour préserver les valeurs hautes, comme elle disait, cette pitoyable farce dont elle était l'auteur et le metteur en scène, courageuse farce de la passion immuable, la pauvrette y croyait gravement, la jouait de toute son âme, et il en avait mal de pitié, l'en admirait. Chérie, jusqu'à ma mort, je la jouerai avec toi cette farce de notre amour, notre pauvre amour dans la solitude, amour mangé des mites, jusqu'à la fin de mes jours, et jamais tu ne sauras la vérité, je te le promets. » 
Si je dis : ce monument de la littérature parle d’amour sur 850 pages, je me mets dans les pas de Woody Allen « J’ai pris un cours de lecture rapide et j’ai pu lire “Guerre et Paix” en vingt minutes. Ça parle de la Russie. » Nous prenons notre temps.
L’écriture dans sa diversité permet de mesurer l’ennui, de sonder notre condition, elle passe du nouveau roman à Arlequin, Alice au pays des apprêts, du côté du lac Léman et de la côte d’azur, baroque, poétique, bourdieusien.
Le monde entre les deux guerres suintant d’un antisémitisme que cet ouvrage rappelle avec force est vigoureusement croqué :
« Oh dites moi, que fais je au milieu de ses mannequins politiques, ministres et ambassadeurs, tous sans âme, tous imbéciles et rusés, tous dynamiques et stériles, bouchons de liège au fil du fleuve et s’en croyant suivis… »
Toutes se contradictions, où s’ose « la gaieté du malheur », ces richesses, quand la plus suave des attentions suit la méchanceté la plus brutale, vibrent autour de personnages très intimement campés, de la bonne Mariette au bon sens populaire qui repose de toutes ces recherches épuisantes d’absolu jusqu’aux amours de jeunesse et autres parentèles improbables.
« En deçà d’une rivière dont j’ai oublié le nom s’étend mon superbe parc personnel et privé dont le nom anglais est le Gentelman’s Agreement and Lavatory, en abrégé le Lavatory, célèbre pour son château dressant avec orgueil ses quarante beffrois… »
J’ai habité ce livre comme les amants logent dans des hôtels face à la mer, hors des simplifications grimaçantes où femmes et hommes s’affronteraient alors que : « Marche triomphale de la haute nymphe allant à larges enjambées, sûre de ce soir, orgueilleuse de sa servitude. »
Le seul inconvénient de ce chef d’œuvre parfaitement construit est de risquer de faire paraître bien fades d'autres livres. Sa profondeur ne plombe pas le récit qui nous met en empathie avec les personnages sans nous ensevelir ; la recherche de la pureté va bien aux grossièretés et inversement.  
« Jeunes gens, vous aux crinières échevelées et aux dents parfaites, divertissez-vous sur la rive où toujours l'on s'aime à jamais, où jamais l'on ne s'aime toujours, rive où les amants rient et sont immortels, élus sur un enthousiaste quadrige, enivrez-vous pendant qu'il est temps et soyez heureux comme furent Ariane et son Solal, mais ayez pitié des vieux, des vieux que vous serez bientôt, goutte au nez et mains tremblantes, mains aux grosses veines durcies, mains tachées de roux, triste rousseur des feuilles mortes. »

samedi 6 juin 2020

La femme du dimanche. Fruttero & Lucentini.

Parfois la justesse d’un titre épuise le talent des auteurs. Avec ce duo d’écrivains, les mots en devanture disent bien la richesse et les mystères des 537 pages qui suivent.
Venise et Sienne avaient été le lieu essentiel d’autres prouesses littéraires quoique policières   http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/05/lamant-sans-domicile-fixe-fruttero.html .
Cette fois c’est la ville de Turin qui est explorée, pas celle des cartes postales :
 «Une laideur mise au point par un perfectionniste qui n’avait oublié ni l’acacia solitaire et mourant, ni la boite de sardines rouillée dans les orties du sentier. » 
Quelques personnages de la « haute » sont révélés avec finesse et originalité, lors d’une intrigue policière qui prend son temps.
Avec ce roman nous remontons à 1972 et leur premier best seller qui avait inspiré un film de  Luigi Comencini, avec Mastroianni. 
Sur une trame futée, l’écriture luxuriante est attentive:
«  Ce mardi de juin où il fut assassiné, l’architecte Lamberto Garrone regarda plus d’une fois l’heure. »
Le premier à disparaître d’un coup de phallus en pierre avait :
« … les défauts et les qualités d’une Turin en voie de décomposition accélérée : la parcimonie mais gangrénée jusqu’à la gueuserie ; la réserve mais dégradée en louche sournoiserie ; le conformisme, mais atteint de fermentations modernistes ; la « vieille école », mais mangée par les vers de coquetteries et de vices ignobles »
Il n’y a pas que les professionnels de l’enquête à vouloir connaître les coupables, approcher la vérité comme la voyait Oscar Wilde :
«  A la seule mention de ce nom décadent, efféminé et démodé, en plus, Anna Carla se retourna comme si elle avait entendu un serpent à sonnettes dans les cactus. «  Si tu t’entêtes à dire la vérité, cita Massimo, tu finiras tôt ou tard par te trahir. »

vendredi 5 juin 2020

Enfance, confiance.

J’ai eu davantage l’occasion de lire des réflexions concernant les vieux
que de partager des impressions à propos de ceux qui viennent de reprendre le chemin des écoliers.
L’ouverture des établissements scolaires paraissait insurmontable à bien des adultes, mais les petits sont entrés dans l’action, si bien que les soziaux des réseaux en sont restés cois.
Souvent sont exhibés des mômes porteurs de pancartes des grands, convoqués aussi bien pour la dette en €uros que pour celle en Oxygène. Lors de cette reprise de l’école à temps partiel et pour quelques uns, je n’ai pas repéré de paroles d’enfants, même sous un nom d’emprunt, ni d'avis de praticiens sauf pour exprimer leurs embarras par rapport aux consignes de sécurité sanitaire.
Au pays du "présentiel", peu d’investigations journalistiques sur l’absentéisme; telle institutrice ne rejoignant pas son école car le fils qu’elle avait à la maison ne pouvait être scolarisé. Bien peu de réflexions sur la méthodologie éducative, quand des fractions de classes ont avancé le programme alors que d’autres révisaient. Irréductible en matière de liberté pédagogique et ayant apprécié la délégation de responsabilités aux personnes sur le terrain, je pense qu’après avoir été draconien et exhaustif en matière de précautions, un peu de bon sens devrait amener à simplifier les protocoles hygiéniques avec par exemple le professeur distribuant le gel hydro alcoolique à l’entrée des salles, comme dans les magasins, plutôt que de faire poireauter les collégiens aux lavabos. « Plus d’école, moins de protocole » 
Les enfants ont repris leur rôle d’élève, loin de l’étreinte protectrice des parents, assimilant les consignes, pleinement « dans le match » et non dans le retrait ou la projection fantasmée.
En les confiant à l‘institution, papa et maman manifestaient une confiance bénéfique à tous.
Cette école invoquée jadis comme recours à tous les maux du monde tout en étant jugée à l’origine de toutes les inégalités, était accusée en sus de mettre à bas la confiance en soi des apprenants.
Cette chanson va peut-être passer de mode avec la reconnaissance de la spécificité du travail d’enseignant et sa difficulté, voire sa noblesse. Au moment où se redécouvrent tant d’évidences, ce sont bien les enfants, les élèves, qui sont les plus concernés pour croire en la vie, en l’avenir, en eux-mêmes.
La défiance, après avoir bousculé les politiques, a touché aussi les scientifiques, chacun ayant chopé son virologue, il ne reste plus qu’à attendre que s’apaise le brouhaha. Ces parangons de l’esprit critique qui vont jusqu’à revenir au temps de la terre aplatie pour les plus excessifs, trônent depuis la partie émergée d’une opinion versatile, déniante.
A la mesure de leur peur, ils déploient leurs pensées magiques, imperméables à l’humour de Churchill: «La prévision est un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.»
Quand l’état demande de se masquer cela convient bien aux anonymes sous pseudo suspectant par ailleurs des moyens efficaces de prévention de dévoiler une intimité qu’ils aiment tant exhiber par ailleurs.
La crise inédite qui nous submerge révèle des tendances à l’œuvre depuis longtemps avec la digitalisation du monde rejoignant une plus grande sobriété énergétique. Les télétravailleurs auront moins de temps de transports chronophage et polluant et accessoirement moins de contacts avec des individus pas toujours sociables. Se retrouver avec les autres après n’avoir été qu’avec les siens, n’a pas toujours l’évidence d’un été au bord du Canal Saint Martin.  
La mise en relief de l’éloignement encore plus grand entre ceux n’avaient pas accès à une connexion et les habiles de l’informatique, est crue. Pendant ce temps, derrière leurs écrans, des élèves qui pouvaient être perturbés par d’omniprésents trublions d’avant le confinement auront peut être envie de prolonger le moment où ils auront pu travailler plus tranquillement.
Je ne goûte guère la science fiction, mais peut-on se demander si on ne va bientôt plus rencontrer dans l’école publique que des accros du droit de retrait croisant quelques décrocheurs en mal d’inscription dans quelque groupe racisé ? Les autres privilégiés se la coulant douce in the school privée de chez privé.
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Le dessin a été découpé dans "Marianne".

jeudi 4 juin 2020

Les peintres et la mer. Christian Loubet.

Le topos (lieu en grec) primordial, la mer, en ses flux qui nous dépassent, a attiré les adeptes de l’art majeur, surtout ceux venus du Nord, «  Man'o'war hollandais et autres bateaux par mer calme » Willem van de Welde, a précisé le conférencier niçois, devant les amis du musée de Grenoble. Le titre complet du topo précisait : « du naufrage au mirage, des sirènes aux baigneuses ». Les pittoresques « marines » qui évoquent des aventures lointaines depuis nos « finis terrae »  finissent par approcher de la quête métaphysique. 
« Watson et le Requin », dans le port de la Havane, tableau très célèbre de John Singleton Copley, met en scène la dynamique du courage.
« Le radeau de la Méduse » de Théodore Géricault « embarque toute notre société sur son radeau » Michelet. http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/06/gericault-f-giroud-g-mezzomo.html  Des hommes sont au désespoir, d’autres affrontent la puissance aveugle, au risque de se perdre comme « tant de marins et tant de capitaines » dans « Océano nox » d’Hugo. L’ « Argus » le bateau  qui apparaît à l’horizon récupérera 15 survivants à son deuxième passage.
Eugène Delacroix a repris le thème du frêle esquif affronté cette fois aux damnés.
« La barque de Dante » est guidée par Virgile impavide et déterminé face à nos obsessions.
Au musée d’Orsay, « Summer Night »  est l'une des rares toiles de Winslow Homer, très célèbre aux USA, lui qui avait vécu dans un phare et « convoquait l’océan dans notre salon ».
Avec Caspar David Friedrich, « Les trois âges de l’homme », les cinq bateaux répondent aux personnages, la contemplation est lyrique dans l’attente d’une révélation.
Turner intrépide et casanier, professeur de perspective, fait exploser les couleurs ou les dissout dans les nébulosités, il travaille dans les aspérités,
se fond dans l’espace matriciel, et se retrouve si bien à « Venise en approche ».
L’anglais est le peintre de la matière en fusion, Monet approche plus systématiquement de la mécanique des fluides, « la  vibration et les reflets à la surface des eaux disloquent les formes et les révèlent » « Argenteuil ».
La chorégraphie des « Baigneuses dans la forêt » accompagne l’orchestre des couleurs d’Auguste Renoir qui sur les plages multiplie les allégories sensuelles. « La sève chromatique irrigue les corps, les embrase, les module ».
« Les grandes baigneuses » sans chair, de Paul Cézanne, structurent un paysage. 
Paul Gauguin était parti à la recherche d’un paradis où les couleurs transcenderaient le réel. « Dans les vagues ».
Parmi les toiles de Pablo Picasso qui réamorçait chaque fois sa créativité avec une nouvelle relation, «  Famille au bord de la mer » relie ses personnages à une période heureuse.
Les symbolistes réinvestissent les anciens mythes, le poète de Gustave Moreau est accablé dans « Le Poète et la Sirène »
Et les surréalistes traquent le fantasme à la suite de la psychanalyse.
Magritte aimait changer les titres de ses tableaux : « l’invention collective ».
Dali passe au delà des apparences : « Dali à six ans soulevant avec précaution la peau de l'eau pour observer un chien dormir à l'ombre de la mer »
et fait jaillir le sang dans « La pêche au thon » en hommage à Meissonnier, ajoutant Op et Pop Art à ses savoir-faire pour la fondation Ricard.http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/11/dali.html
Le « Ciel d'orage sur Cannes » de Pierre Bonnard ne conduit pas à déclencher un état de vigilance rouge.
Nicolas de Staël revint ébloui de Sicile, « La Plage a Agrigente »
et s’installa à proximité du « Fort Carré » à Antibes peint comme un mirage de la forteresse que commandait son père à Saint Petersburg, http://blog-de-guy.blogspot.com/2008/12/nicolas-de-stal.html. Il a sauté par la fenêtre.
 
« Chemin de fer au bord de la mer, soleil couchant ».