lundi 29 février 2016
Nahid. Ida Panahandeh.
En Iran aussi, les fils de famille monoparentale peuvent
être insupportables. La maman ne vient pas à bout de son fils préadolescent,
elle se débat en tous sens, accumulant les dettes et les dissimulations dans
une société où le mensonge est la règle. Entre un ex junkie et un nouveau
« temporaire », elle n’a pas même pas le temps de se poser la
question de choisir entre un rôle de
mère ou d’amante ; heureusement sa copine lui permet d’assurer au jour le
jour un gite toujours incertain. Nous pouvons apprécier cette énergie féminine,
en regrettant de la voir se dévoyer dans l’achat d’un canapé rouge tranchant sur le noir ambiant et entrer
dans un engrenage qui est d’avantage un motif dramatique que comique.
dimanche 28 février 2016
Ne me touchez pas. Anne Théron.
Quand au programme de la MC 2 s’est annoncée une pièce de
théâtre autour des « Liaisons dangereuses », peu de temps après la
performance de la princesse de Clèves http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/01/la-princesse-de-cleves-magali-montoya.html
je pensais me plonger dans des œuvres patrimoniales, mais n’en soupçonnais pas une
si vive actualité.
Un tel titre, après les évènements de Cologne, sonnerait
comme un infranchissable commandement, alors
qu’avec les siècles écoulés depuis « Les liaisons dangereuses »
(1782) dans le genre « pas touche minouche ! » aurait pu être compris comme
une rebuffade ambigüe.
De cette époque des lumières qui pointaient alors en Europe,
m’émerveille toujours la sophistication des sentiments. Cette liberté portée
avec élégance par quelques aristocrates allait accompagner, vivifier, les
libertés politiques promulguées par la révolution de 1789.
D’autres, aujourd’hui, ennemis de la complexité, veulent la
tuer, la liberté, la tuent.
L’utilisation de mots anglais dans le texte proposé m’a
plutôt semblé vulgaire (« game over ») alors que les dialogues, sans parodier la
langue de Pierre Choderlos de Laclos, rendent bien la richesse des relations,
les jeux, les drames des deux amants qui ne cessent de parler d’amour et se
retrouvent encore plus seuls. Pourtant l’idée de faire évoquer les aventures
passées de madame de Merteuil et Valmont avec des mots du cinéma est
bienvenue : qui aujourd’hui n’est pas venu au théâtre avec dans la tête
Malkowitch, voire Gérard Philippe et Jeanne Moreau?
Le vicomte militaire se serait inspiré de « la
chronique scandaleuse de Grenoble où il fut en garnison pendant six ans ».
Le « Quartett » de Müller qui est une réinterprétation
de l’œuvre originale a aussi servi pour cette vision contemporaine qui ne supportait pas la fin tragique des femmes.
«Cessez de mépriser
vos proies, Monsieur, vous me prenez pour une dinde ou toute autre femelle à
plumes incapable de distinguer vos manœuvres d’approche…vous rêvez de me fouler
aux pieds. Lâchez ma main… ne me touchez pas. »
Le destin des manipulateurs libertins est donc
transformé : la dame poitrine nue au départ a gagné en liberté mais la
mélancolie supplante bien vite la sensualité, Don Juan est fatigué.
Malgré une certaine froideur, la sincérité, le désir, la
révolte, sont toujours là, par le pouvoir de mots qui ne tiennent pas en 140
caractères.
Un troisième personnage, la voix off, est incarné par une
actrice, avec une belle présence parmi les miroirs ayant perdu leur éclat, des
carrelages défaits, devant une projection vidéo discrète éclairée
magnifiquement qui prolonge dans la rêverie un noble décor en voie de désagrégation.
Quel metteur en scène essaiera comme avec la version fleuve
telle que Madame de Lafayette avait écrit sa « Princesse », de donner
l’intégralité des « liaisons » par Laclos ?
Quand on lit à la page 379 de l’édition Flammarion :
« Adieu, ma chère
et digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si
insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en
consoler »
Il n’y a pas besoin de rajouter des « much love» ou des
« fuck ».
samedi 27 février 2016
Dans le grand cercle du monde. Joseph Boyden
Après le chemin des
âmes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/le-chemin-des-ames-joseph-boyden.html tant aimé, il faut être à la hauteur quand la
presse présente le dernier roman de l’irlando amérindien comme « le premier grand roman canadien du XXI
siècle ». Il l’est, grand.
Violent, subtil, palpitant et touchant au plus vif de notre
humanité, historique, mystique, politique et intime, exotique, flamboyant,
instructif, épique, étourdissant.
Au XVIIème siècle, au Canada, trois narrateurs donnent
leur vision d’un monde à découvrir, à évangéliser, à préserver, ce qui évite le
manichéisme : bon sauvage contre vilain colonisateur.
Ce sont, réunis par un destin cruel, « Le Corbeau » :
un jésuite breton, « Chutes-de-Neige » : une jeune iroquoise
farouche qui vient d’être adoptée par le massacreur de sa famille, « Oiseau »,
un chef Huron.
Il est grand temps d’enrichir des images enfantines.
Les sociétés
indiennes sont sophistiquées : les « sauvages » cultivent les trois
sœurs (maïs, courge, haricot), et vivent dans des conditions climatiques extrêmes, aggravées
par les guerres incessantes entre tribus. Leur rapport à la nature est mythique
et leur cruauté ahurissante, le respect de l’ennemi se juge à sa capacité à
subir les tortures les plus ignobles.
« Comme lui non
plus ne réagit pas au bâton rougi que je lui enfonce dans l’oreille, je réclame
une coquille de clam avec laquelle je lui coupe deux doigts, et pour qu’il ne
se vide pas de son sang, j’enduis les moignons sanguinolents de poix
brûlante. »
Une horloge devient « capitaine de la Journée »,
poétique et mystificatrice, et nous redécouvrons :
« Il prétend même
avoir tâté leurs vêtements qui ne sont pas faits de peau d’animal mais
fabriqués par de vieilles sorcières qui, comme les araignées, produisent du fil
que d’autres vieilles sorcières tissent. ».
Le courage et la force de la foi se livrent au milieu de la
fureur, des puanteurs, de la misère la plus extrême:
« Seigneur, je
crois bien que c’est la dernière fois que je verrai le soleil se lever sur
cette terre que Vous avez créée, et je prie pour que Vous me donniez la force
d’accepter avec dignité et en état de grâce, les souffrances que je suis sur le
point d’endurer, car mon corps n’est que le vaisseau de mon âme. Et quand ce
vaisseau se brisera, mon âme s’élèvera jusqu’à vous. »
vendredi 26 février 2016
Ski scolaire à Saint Egrève.
Un de mes camarades, qui n’a pas oublié le sens du mot
« camarade », m’a fait parvenir un texte pour partager ses
inquiétudes sur le devenir du ski pendant le temps scolaire à Saint Egrève.
Cet acquis éducatif de 40 ans d’âge permet, deux ans de
suite, à tous les enfants de la commune de faire connaissance avec une pratique
en fond et en piste réservée de plus en plus à une minorité.
Au-delà des vertus du
plein air, où se surmontent les appréhensions et s’éprouve le sens de l’équilibre,
ce sont des moments fondamentaux de formation qui seraient compromis.
Je me souviens d’une élève, surplombant la pente depuis le
télésiège, qui constatait émerveillée :
« j’ai descendu tout
ça ! »
Bien mieux que tant de discours pour expérimenter la confiance
et de nouvelles dimensions : c’est de grandir et aimer le monde qu’il
s’agit !
A réinvestir dans des domaines quand la lumière est plus
chiche et les lunettes de soleil inutiles.
Mais je ne vais pas tartiner sur ces plaisirs aigus qui
rougissent les oreilles, révèlent le prix d’un abricot sec en tant que
remontant et la valeur d’une première étoile. Je reprochais à mon avertisseur de faire reluire les cerises abusivement dans un texte
exhaustif, en convoquant dans cette affaire de flocons, les traités européens
et le qualificatif infamant : « libéralisme économique ». Voilà
que je l’imite en rappelant la réflexion, ô combien datée, d’une collègue fière
de payer des impôts. Je m’exalte dans des souvenirs d’un Jack London collant à
la ferraille d’un forfait et recolore bien vite les pistes où dévalaient les
petits.
Ils s’étaient essayés à conter au micro des cars qui nous
montaient dans le Vercors, quand la notion de plateau pouvait mieux se comprendre,
en promettant de revenir sur les traces des résistants des années 40.
L’affaire est politique, même si je ne formule pas mon
désaccord comme ce collègue, retiré lui aussi des cahiers à corriger, et toujours résistant qui en appelle aux
siècles antérieurs, afin de donner de l’énergie à ceux qui
pourraient renoncer avant de combattre :
« Si les ouvriers s'étaient mis à la place des
patrons… il n'y aurait pas eu de conquêtes »
Cette menace d’un abaissement pédagogique est le
prix à payer des impôts considérés comme boulets, de la soumission aux temps
égoïstes et une des conséquences de la modification des rythmes scolaires, allant
de pair avec des évolutions des périmètres d’intervention des collectivités
locales. Dégradations bien contemporaines des missions de l’école oublieuse de
ses objectifs de démocratisation. Ignorer par ailleurs les raisons des gérants
d’une commune serait idiot, comme serait contre-productif de s’opposer
à de telles mesures d’économie en se drapant dans quelque drapeau rouge, hors de
saison.
Aux instits, aux parents, de valoriser ces
expériences indispensables à un développement harmonieux des élèves. Aux élus à
faire preuve de pédagogie envers les contribuables pour que le ski scolaire ne
soit pas envoyé par le fond.
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Dessin paru dans "Le Point":
jeudi 25 février 2016
Au-delà du cinétisme. Thierry Dufrêne.
Quels sont les ancêtres des sculptures machines ?
Pour répondre à cette question de la troisième conférence
concernant le mouvement dans l’art, l’intervenant
devant les amis du musée de Grenoble projette un extrait du film « Dans la peau de John Malkovich ».
Une marionnette en bois au bout de ses
fils, connait le désespoir en se regardant dans un miroir, et lorsqu’elle
croise le regard de son créateur, elle peut se demander à qui s’adressent les bravos.
Le poète allemand Kleist
dans son « Essai sur le théâtre des
marionnettes » a
mis en scène un danseur face à des « fantoches » innocents et
spontanés, pour qu’il apprenne à perdre sa vanité.
Les moteurs ont remplacé les doigts des marionnettistes, déjà le beau canard de cuivre de notre
Vaucanson
mangeait et digérait.
Thierry Dufrêne par ailleurs commissaire de l’exposition « Persona »
au musée des Arts Premiers a incité le public à venir quai Branly à Paris où est
exploré dans les civilisations les plus diverses, la question : « comment un objet accède à un statut
de personne » ?
L’automate de Stan Wannet, n’a pas de tête, c’est
qu’il est en cours de construction.
La réinterprétation par l’ingénieur et artiste hollandais de
l’escamoteur de Bosch peut surprendre comme les oiseaux de Zwanikken,
mêlant l’organique et l’artificiel, imitant « Le bon la brute et le truand ».
La frontière entre art majeur et populaire est de plus en
plus ténue, dans ce domaine en particulier, depuis les statues de marbre inertes
aux œuvres mécaniques en métal ou en bois. Giacometti trouvait plus facilement des regards dans les
statues du monde que dans les yeux blancs des bords de la Mer Egée.
Tinguely achetait des
tableaux mécaniques au musée des arts
forains avec ses musiques entrainantes dont un aperçu incite aussi à la visite et rappelle l’importance du
son dans les œuvres d’aujourd’hui. Il avait propulsé à une échelle monumentale
une esthétique de l’abstraction, fait rouler Kandinsky :
« L'unique chose
stable c'est le mouvement, partout et toujours. »
Et Calder, lui, disait : « Je voudrais faire des Mondrian qui bougent ».
Chris Burden a frôlé la mort à
plusieurs reprises, il s’était fait tirer dessus.
Ses machines volantes étaient
des rouleaux compresseurs « The Flying Steamroller », et des maquettes de bateaux tournant autour de la tour Eiffel.
Pour ce qui concerne, l’art savant : sous la toile
blanche sensuelle de Norio Imai un objet se devine qui pousse. « White
Event IV »
Les traces de ratissages dans le sable comme celui d’un
jardin sec à la japonaise sont effacées dans le même mouvement. Elle renouvelle dans « Foyer (« Home ») le thème des natures mortes sous des
éclairages variables en les enfermant derrière des limites qui à la fois dénoncent
la place exclusive des femmes à la cuisine, alors que d’autres aimeraient
accéder à ces nourritures.
Le terme mímêsis venu de
chez Aristote définit l'œuvre d'art comme une imitation du monde alors dans le
sombre musée des arts premiers, propice à la survie des âmes, les robots vont-ils
devenir nos fétiches contemporains parmi
d’autres fétiches ? Heureusement la
mythologie grecque est toujours pleine de richesses pour nous ressourcer,
remonter à nos recherches artistiques tellement humaines, par exemple lorsque « Pygmalion » épouse
sa statue. Mais « L’inquiétante étrangeté » se retrouve même
chez le guilleret Offenbach: dans ses contes, Hoffmann s’est laissé
aveugler : Olympia est une poupée !
Un robot à chapeau melon nommé « Berenson » du
nom d’un historien de l’art se promène dans l’exposition parisienne, il est né
d’un anthropologue et d’un ingénieur, on lui apprend à aimer les œuvres, alors
il met sa bouche en cœur en une admiration statistique il suit les
appréciations du public.
Hiroshi Ishiguro apprend à répondre
à ses robots dont une dernière version est comme son double recouvert de latex,
pour lequel il est question qu’il assure des conférences à la place du
concepteur : là nous entrons dans la vallée de l’étrange.
« Lorsque l’objet se met
à ressembler trop à l’un d’entre nous, il devient au mieux bizarre au pire
totalement effrayant. Si l’on reporte ces observations sur une courbe, on verra
celle-ci grimper au fur et à mesure que le degré d'humanité de l’objet
augmente. Jusqu’au moment ou la courbe atteint son apogée avant de s’effondrer.
C’est ce trou dans le graphe qui constitue la “vallée de l’étrange”. »
mercredi 24 février 2016
Babel. Jean Louis Murat.
Je trouvais l’Auvergnat quelque peu déplaisant et n’étais jamais
entré dans son univers.
Avec 20 chansons de ce 29° album, nous en avons pour nos
sous.
Sa voix nasillarde m’a même convenu.
«Le jour se lève sur
Chamablanc :
Ce matin Bozat est
encore blanc
Les enfants dorment
C’est l’été dans le pays
où je suis né »
Je suis chez moi dans ces espaces : Le Mont-Dore,
Le Crest, le Col de Diane, le Chambon, les Vergnes,
les Ferrandaises… pas loin de mes terres.
« Le facteur n’est
pas encore passé
Je veux voir les avis de décès
C’est à 9 heures
pour le Fernand
Il faudra tous y aller
nom de nom.»
Et je m’inscris dans
ce temps où les campagnes disparaissent dans les brouillards.
« C’T’y pas
Henriette
Là-bas au loin
Qui nous fait
Signe de la main »
Les musiques variées s’accordent aux paroles douces ou
âpres, nostalgiques ou vigoureuses et même parfois ludiques dans un
« camping à la ferme » joyeux :
« Le paysan vient
en tracteur
nous chercher je te jure
C’est vraiment la folie
Des gens charmants qui vous
accueillent dans leur famille
Devine pour quoi, pour qui
Cool, super cool (voix d’enfants) »
nous chercher je te jure
C’est vraiment la folie
Des gens charmants qui vous
accueillent dans leur famille
Devine pour quoi, pour qui
Cool, super cool (voix d’enfants) »
Pourtant la mort rôde
même s’ « il ne faut pas faire
de mal aux petits quand il neige au Sancy »
« Que vas-tu faire
À minuit
Seul dans la forêt ?»
La consolation, habite ces lieux de pierre et de jonquilles,
comme l’amitié, les amours et même les rêves de voyages :
« Et chaque nuit
Manger la proie
Et l’ombre »
mardi 23 février 2016
Pablo. Julie Birmant Clément Oubrerie.
Ce premier tome sous titré « Max Jacob » débute
une série de 4 albums consacrée à Picasso, phare du XX° siècle.
Le jeune catalan arrive à Paris avec son ami Casagemas au
moment de l’exposition universelle de 1900 et c’est le récit de deux ans de sa
vie à Montmartre, au Bateau-Lavoir.
Les prémisses d’un destin hors du commun sont esquissés avec
vivacité.
Oubrerie a déjà travaillé sur Aya de Yopougong et Django
Reinhardt
et son trait très décontracté convient parfaitement pour décrire ces années intenses avec poètes,
artistes et modèles dans les cafés et les mansardes ouvrant sur les toits de Paris
au carrefour des libertés.
Picasso a connu le succès très tôt, puis l‘incompréhension,
quand seul le poète Max Jacob, le suivait, l’hébergeait.
Il apprenait le français :
« Les Aubes sont
navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! » Rimbaud
Cet
épisode chargé en joie de vivre et jeux de mort, se clôt sur la rencontre de
vies habillement croisées de Fernande et Pablo, que nous pouvons être impatients
de retrouver dans les chapitres suivants.Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! » Rimbaud
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