mercredi 6 mai 2015

Voyage en Chine. Zoltan Mayer.

Une mère jouée par Yolande Moreau va en Chine où son fils vient de mourir accidentellement.
A l’issue d’un « voyage initiatique », comme on dit, elle va se révéler, alors que bien des êtres et des situations sont énigmatiques là bas, comme l’était ce fils qui s’était éloigné.
Le personnage massif d’une de nos actrices préférée porte bien des contradictions : fragile, maladroite et fine, paumée et trouvant sa place.
Elle entre en empathie avec les amis que son fils avait connus, peut être un peu facilement, et surtout auprès de la magnifique et lumineuse Qu Jing Jing.
Elle n’a pas manqué de courage pour surmonter les difficultés administratives peu surlignées.
Le pays qu’elle va aborder n’est pas traité caricaturalement ni comme un catalogue touristique.
Les belles images, le plus souvent ne prennent pas la pose et donnent envie de retourner vers ce continent fort et mystérieux, prometteur de découvertes, comme nous l’avions décrit en 24 étapes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/01/touristes-en-chine-2007-j1-les-cerfs.html .

mardi 5 mai 2015

Une histoire d’hommes. Zep.

Le créateur de Titeuf  a changé de trait pour décrire les retrouvailles, 20 ans après, de quatre musiciens dans le manoir anglais du seul qui ait réussi dans le rock.
Les images aux tons pastels sont délicates, le résultat sympathique.
Philippe Chappuis persiste à célébrer l’amitié  avec ses personnages typés où une dose de mélancolie parait, qui n’était pas permise dans les cours de récréation.
De l’univers enfantin, subsiste une Nadia qui aurait grandi et connu des drames, Marco, Manu, voire Vomito… ils ont 40 ans et si les retrouvailles redonnent des bouffées adolescentes, la brume est tombée.
Les rêves se sont évanouis, le marrant de la troupe maintenant dans la restauration se débat avec les pensions alimentaires,
« - Vous connaissez l'histoire de la Barbie divorcée ?
- Non.
- C'est la plus chère du magasin...
Parce qu'avec elle, tu as : la voiture de Ken, la maison de Ken, le bateau de Ken, la moto de Ken... »
Un autre a hérité de l’entreprise de surgelés de son père, et si Sandro est devenu une star, ses fêlures se dévoilent au cours du récit limpide où le quatrième qui se bourre d’anxiolytiques, va peut être résoudre son mal de vivre contre lequel les invocations à une rock attitude ne peuvent rien.

lundi 4 mai 2015

Shaun le mouton. Mark Burton Richard Starzac.

Qui ne sait que l’animation est en pâte à modeler ? Fan de Wallace et Gromitt que j’imposai jadis à mes élèves, j’aurais volontiers récidivé dans la prescription avec cette histoire de mouton pas mou, ni mouton. Film rythmé, sans paroles pour mieux apprécier les musiques, les bruitages. Tellement anglais, léger, allusif et évident : pour sortir de la routine tout en restant fidèle à son berger, nous suivons le troupeau, passant de la campagne à la ville allègrement.
Nous rions avec tout de même une pointe de mélancolie en toute compassion pour ce fermier solitaire qui a tellement besoin de sommeil, à force de compter les moutons.  Arrivé à la ville, il s’oublie, oublie tout sauf la technique de la tonte qui lui vaut une gloire éphémère en coiffeur branchouille. Shaun ( jeu de mot avec schorn = le tondu) fait le show. Déclencheur d’une suite d’évènements inattendus, il récupèrera son maître et son chien tellement obéissant. Mouton et chien tchéquent (tapent le tchek). Visions  bucoliques où le coq désormais assisté de son portable réveille encore la ferme. La ville a des voies rapides, ses restaurants chics et la fourrière redoutable : silence les agneaux !
Le dosage entre tradition et modernité est subtil, les références cinématographiques pas appuyées. Il y a un beau moment de chant collectif et toujours une machine bricolée, inventive, et le plaisir de retrouvailles et de surprises. Vivant.

dimanche 3 mai 2015

Un été à Osage county. Tracy Letts. Dominique Pitoiset.

Beverly,  le père, dit Bev, a disparu.
Ses trois filles viennent épauler, dans la maison familiale en Oklahoma, leur mère Violet, atteinte d’un cancer de la bouche, qui déversera avec verve son fiel, tout au long des deux heures et demie de représentation où l’on ne compte pas le temps qui passe.
La matriarche déballe les vérités les plus cruelles et affole les sincérités.
Les dégâts occasionnés lors de cette ultime mise à feu ne sont que la mise au jour de vies où se sont multipliées depuis longtemps les violences, les impasses. 
Chez  ces « Trois sœurs » de Tchékhov en Amérique, le whisky a remplacé la vodka et la barque des saccages est  chargée.
Barbara, dire Barba, l’ainée va divorcer, Karen l’évaporée se cache tant de choses, et celle qui est restée coincée à proximité de chez ses parents ne pourra s’échapper.
Dans cette tragi comédie qui réunit trois générations, où les hommes font de la figuration, la petite dernière entre à son tour dans le tourniquet des illusions. Elle fume de l’herbe dans un calumet provenant des indiens des grandes plaines, alors qu’une de leur descendante assure depuis peu l’intendance dans la maison. Elle a gardé, elle, dans un sachet sur sa poitrine son cordon ombilical pour ne pas se perdre.
Cette pétaradante rencontre, sorte de « Festen » US, dépasse la critique familiale, et rencontre ce que nous voyons de l’effondrement des valeurs, du brouillage des sens et du sens de nos vies. 
« C’est ainsi que finit le monde, c’est ainsi que finit le monde, c’est ainsi que finit le monde, pas sur un bang mais sur un murmure. » T.S. Eliot   
La dernière scène est bouleversante, après des intermèdes sur des chansons de Johnny Cash, la rugueuse mère danse. La massive Annie Mercier devient légère, magnifique actrice, dans une troupe où ils sont tous excellents.
Elle avait joué dans « Par les villages » de Peter Handke, par Stanislas Nordey,  
Dès que je verrai une mise en scène de Pitoiset, je courrai, d’autant plus que je me souvenais avec délices de son Cyrano d’il y a deux ans 

samedi 2 mai 2015

L’absent. Patrick Rambaud.

J’avais beaucoup aimé « La Bataille », prix Goncourt en 1997, et me suis régalé avec le dernier de la trilogie impériale, quand Napoléon part à l’Ile d’Elbe, l’administre et revient pour 100 jours, avant Saint Hélène, la dernière, « île chiée par le diable ».
 Dans les voltes de l’histoire : les soldats passés sous les ordres de Louis XVIII :
« Si de petits marquis nommés officiers les obligeaient à crier : « vive le roi !», ils ajoutaient à voix basse « de Rome ».
Revenus en chantant La Marseillaise qui avait été interdite sous l’Empire, la fidélité de ces hommes est fascinante et nous rappelle à travers le temps, le besoin d’aventure, le goût du combat au cœur des mâles. Des notations raviront les amateurs d’histoire bien que le chroniqueur soit un personnage de fiction à la fois valet et policier, observateur privilégié de la personnalité de l’empereur devenu sous-préfet.
Nous ne sommes pas hors du temps avec cette agréable contribution au gai savoir telles les histoires de l’Oncle Paul dans Spirou qui nous ravissaient enfants.
Les foules sont toujours versatiles, l’infantilisme et le  goût pour la séduction des hommes au pouvoir toujours d’actualité, ainsi que leurs intuitions et leurs aveuglements.
La Provence était hostile à la République, ce qui explique le retour par les Alpes, mais je ne peux m’empêcher de constater que « la gueuse », comme les royalistes la nommaient, a encore des faiblesses dans ces terres.
Dans ses « notes pour les curieux » au bout des 340 pages, l’auteur des « Chroniques du règne de Nicolas 1er » cite Cicéron :
« Si nous sommes contraints, à chaque heure de regarder et d’écouter d’horribles évènements, un flux constant d’impressions affreuses privera même le plus délicat d’entre nous de tout respect pour l’humanité » On ne peut plus actuel.
Le montage est habile : les adieux de Fontainebleau ne constituent pas un moment de bravoure car seuls les officiers  massés devant l’empereur entendaient vraiment ses paroles, Octave le narrateur prend des notes et se dispense de rédiger certains épisodes. Par contre la sobriété, l’humour font ressortir les moments d’émotion : quand sur le bateau qui les ramène en France les hommes sachant écrire reproduisent les paroles destinées à la propagande:
« Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. La victoire marchera au pas de charge ; l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. Alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices. Alors vous pourrez vous vanter de ce que vous avez fait. Vous serez les libérateurs de la patrie. »

vendredi 1 mai 2015

En perdre son latin.

R.I.P. latin grec.
Les éditorialistes se sont amusés à farcir leur babil de mots latins mais la mort annoncée de l’enseignement des langues mortes ne date pas de l’annonce par Vallaud Belkacem, vouée à être une porte parole dévouée.
Quand des professeurs dans leurs appréciations n’en ont rien à foutre de la nuance entre la tension et l’attention à quoi servirait d’approfondir l’étude de la langue de Cicéron ?
R.I.P. la laïque.
Après le rapt de Jaurès,  voilà le Rappetout de retour, s’emparant du terme « républicain ».
Qui osera désormais se dire républicain, si ce n’est Vauquier ?
Je me souviens aussi du mot « laïque » accolé à celui de Sou des écoles, aux timbres vendus avec la jolie Marianne de Jean Effel. Ils nous l’ont mis désormais, la laïcité, en tant que publicité d’une marque de saucisson.
R.I.P. premier mai.
J’eus longtemps le goût de la procession pour le premier mai, quand l’histoire du mouvement ouvrier rejoignait la solidarité internationale. J’en ai perdu le parfum, longtemps après tant de camarades que je ne voyais plus sur les boulevards.
R.IP. les mots.
Vals avait dégainé : « apartheid » pour décrire une réalité sans la guérir.
Le pourtant parlant clair entrait une nouvelle fois dans la logique des punch line où les mots bourdonnants font un effet fugitif mais n’égratignent pas les faits.
Voilà les politiques, qui s’en défendent, justement parce qu’ils en sont, devenus des commentateurs.
Mais que font les intellectuels ?
Mais que fait la gauche ?
Ces mots qu’ils ont minés, ils les miment et nos grises mines implosent.
R.I.P. débats.
A propos de refondation du collège, prétendre assurer un soutien individuel en présence de 28 élèves relève du mensonge, mais se polariser sur le vocabulaire abscons du ministère cantonne les discussions à une forme ridicule et empêche d’aborder le fond : les inégalités.
Des épouvantails s’agitent : technocrates contre Finkielkraut, jeunes contre vieux, égalitaires contre élitistes, alors que ce sont bien les réformes antérieures qui ont amené une école qui était jadis une fierté nationale, en particulier la maternelle, à la situation d’aujourd’hui.
Les IDD au lycée ont été remplacées par des travaux personnels dirigés, eh bien au collège le ministère veut mettre en place des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), espèces d’IDD.
Ainsi le français dont l’objectif « compréhension de textes » passe en dernière « priorité », a renoncé au combat face aux « blabla » et a du mal à maintenir ses heures, suivant la pente amorcée dans le primaire. « Le client est roi » : les représentants parents aussi représentatifs que les syndicats aphones, sont contents, leurs enfants seront encore moins accablés par cette école qui n’est plus vue comme un outil d’émancipation mais en tant que source de fatigue. Dodo.
La barbarie douce, dit Jean Pierre Le Goff, parlant de la « modernisation » de l’école, est un
« processus de déshumanisation qui n’entraîne pas la destruction visible de la société et des individus mais il s’attaque à ce qui donne sens à la vie des hommes en société, il déstructure le langage et les significations, l’héritage culturel transmis entre générations, dissout les repères symboliques structurant la vie collective. Il rend le monde et la société dans lesquels nous vivons insignifiants et vains. »
......
Cette semaine dans « Le Canard »  parmi quelques formules réussies :
« J.M. Le Pen partisan de la sortie de l’Euro…vers la Suisse » ou «  Le FN parti des magots »
ce dessin :
Et le supplément inévitable, indispensable:

jeudi 30 avril 2015

Apparu/disparu : le fantastique dans la littérature et dans l’art. Michel Viegnes.

Parmi les oppositions: illusion/réalité, raison/croyance, le couple apparu/disparu a semblé plus fécond au conférencier pour aborder le thème du fantastique devant « Les amis du musée ».
Bien que « Etre/paraitre » eut aussi la rime riche.
En mettant au jour nos spectres intérieurs, le fantastique élargit notre vision du monde.
Le propos plus documenté en littérature qu’en peinture, s’est conclu sur le rôle de l’artiste, médiateur entre deux mondes:
«  L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee
Les apparitions dans les saintes écritures font partie de la foi religieuse et les hallucinations procèdent de la psychiatrie dans les hôpitaux profanes.
Pour les illusions douteuses perturbantes, les « fantastiqueurs » qui travaillent volontiers dans la pénombre ne se confondent pas avec les auteurs des contes, légendes, et mythes traditionnels qui vivent dans la lumière.
« Ce fut comme une apparition », dans le registre amoureux, nous passons du réel à l’imaginaire. 
De Flaubert à Nietzsche :
« … cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir : c'est elle qui crée tous les dieux et tous les arrière-mondes ».
Nous naviguons entre les phares, Baudelaire:
« Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. »
Cet extrait des « 7 vieillards », aux 13 quatrains, était dédié à Victor Hugo, qui  avait compris « le frisson nouveau » que ferait passer le traducteur de Poe.
L’auteur des « Fleurs du mal » voyait la ville pas seulement comme un décor :
« Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! »
Ce poème du haschich, où l’image du vieillard se multiplie, amène une excroissance du réel, un basculement. Cette allégorie du temps, signe l’entrée du monde dans l’ère de la répétition.
En ce moment les légendes urbaines sont ravageuses.  Et Le Golem qui hantait les rues de Prague a échappé à son créateur. 
Le colosse à l’âme fissurée, Maupassant, également syphilitique, assiste à sa propre dégradation : le Horla est un « halluciné raisonnant ».
Dans un de ses contes titré « Apparition » : « Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil où j'étais assis une seconde plus tôt. »
« La fille en blanc » peinte par Whistler convient pour évoquer le saisissement qui fige la pensée, quand toute faculté de s’abstraire est abolie, au-delà de l’horizon humain.
Le choix des « Têtes guillotinées » de Géricault  permet lui d’évoquer les drames qui de Lady Macbeth à Richard III allient la peur à la culpabilité, au pays des rêves éveillés.
Dans « La chute de la maison Usher », le maitre Poe, réunit quelques uns de ces noirs sentiments, plus une  prophétie auto réalisatrice quand  Roderick enterre sa sœur vivante.
« Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie » Hamlet
« They are more things », dans cette nouvelle, Borges parodie Lovecraft maître de l’horreur, en ébranlant jusqu’à la géométrie, nous laissant deviner, s’installant dans une maison, une altérité irréductible, venue d’un autre monde. 
Comme le réalise Giger, le créateur d’Alien, qui hybride organique et mécanique.
« Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux ;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable. »
Boileau
L’image du « Livre de sable » de Borges est proprement affolante, en se recomposant à chaque fois, il ne finit pas, il disparait pour mieux réapparaitre.
La disparition, un vide au cœur du réel, une béance.
Les images nous fascinent, elles constituent un monde complexe et se rapprochent de l’expérience fantastique.
A l’intérieur de leur cadre, elles acquièrent du prestige, comme le temple qui délimitait un espace sacré. Dans l’exposition de « l’art dégénéré » les nazis avaient arraché les œuvres à leurs cadres.
« L’araignée » d’Odilon Redon est souriante, celle de la nouvelle d’Ewers fatale : fasciné par la femme qui s’encadre dans la fenêtre d’en face, un jeune homme va se pendre.
Mais l’être fantastique peut échapper à sa représentation : ainsi la Vénus de Prosper Mérimée impossible à croquer. Prosper est le complice des profanateurs de tombes dans la nouvelle de Maupassant: « Le tic »