vendredi 1 mai 2015

En perdre son latin.

R.I.P. latin grec.
Les éditorialistes se sont amusés à farcir leur babil de mots latins mais la mort annoncée de l’enseignement des langues mortes ne date pas de l’annonce par Vallaud Belkacem, vouée à être une porte parole dévouée.
Quand des professeurs dans leurs appréciations n’en ont rien à foutre de la nuance entre la tension et l’attention à quoi servirait d’approfondir l’étude de la langue de Cicéron ?
R.I.P. la laïque.
Après le rapt de Jaurès,  voilà le Rappetout de retour, s’emparant du terme « républicain ».
Qui osera désormais se dire républicain, si ce n’est Vauquier ?
Je me souviens aussi du mot « laïque » accolé à celui de Sou des écoles, aux timbres vendus avec la jolie Marianne de Jean Effel. Ils nous l’ont mis désormais, la laïcité, en tant que publicité d’une marque de saucisson.
R.I.P. premier mai.
J’eus longtemps le goût de la procession pour le premier mai, quand l’histoire du mouvement ouvrier rejoignait la solidarité internationale. J’en ai perdu le parfum, longtemps après tant de camarades que je ne voyais plus sur les boulevards.
R.IP. les mots.
Vals avait dégainé : « apartheid » pour décrire une réalité sans la guérir.
Le pourtant parlant clair entrait une nouvelle fois dans la logique des punch line où les mots bourdonnants font un effet fugitif mais n’égratignent pas les faits.
Voilà les politiques, qui s’en défendent, justement parce qu’ils en sont, devenus des commentateurs.
Mais que font les intellectuels ?
Mais que fait la gauche ?
Ces mots qu’ils ont minés, ils les miment et nos grises mines implosent.
R.I.P. débats.
A propos de refondation du collège, prétendre assurer un soutien individuel en présence de 28 élèves relève du mensonge, mais se polariser sur le vocabulaire abscons du ministère cantonne les discussions à une forme ridicule et empêche d’aborder le fond : les inégalités.
Des épouvantails s’agitent : technocrates contre Finkielkraut, jeunes contre vieux, égalitaires contre élitistes, alors que ce sont bien les réformes antérieures qui ont amené une école qui était jadis une fierté nationale, en particulier la maternelle, à la situation d’aujourd’hui.
Les IDD au lycée ont été remplacées par des travaux personnels dirigés, eh bien au collège le ministère veut mettre en place des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), espèces d’IDD.
Ainsi le français dont l’objectif « compréhension de textes » passe en dernière « priorité », a renoncé au combat face aux « blabla » et a du mal à maintenir ses heures, suivant la pente amorcée dans le primaire. « Le client est roi » : les représentants parents aussi représentatifs que les syndicats aphones, sont contents, leurs enfants seront encore moins accablés par cette école qui n’est plus vue comme un outil d’émancipation mais en tant que source de fatigue. Dodo.
La barbarie douce, dit Jean Pierre Le Goff, parlant de la « modernisation » de l’école, est un
« processus de déshumanisation qui n’entraîne pas la destruction visible de la société et des individus mais il s’attaque à ce qui donne sens à la vie des hommes en société, il déstructure le langage et les significations, l’héritage culturel transmis entre générations, dissout les repères symboliques structurant la vie collective. Il rend le monde et la société dans lesquels nous vivons insignifiants et vains. »
......
Cette semaine dans « Le Canard »  parmi quelques formules réussies :
« J.M. Le Pen partisan de la sortie de l’Euro…vers la Suisse » ou «  Le FN parti des magots »
ce dessin :
Et le supplément inévitable, indispensable:

5 commentaires:

  1. Merci pour Régis...
    Je n'ai pas lu Régis, mais je suis contente de constater que nous partageons beaucoup des mêmes idées...
    Je ne partage pas l'analyse sur le consumérisme américain, et... l'opposition réductrice et passionnelle entre société française et américaine, par contre (et oui, on peut avoir de froides passions, ou être passionnel froidement ?).
    Les analyses de la différence entre républicanisme français, et républicanisme américain (et le gouvernement américain est républicain, à la dernière nouvelle, même si nous avons un suffrage universel), ne peuvent pas faire l'économie de traiter le... fantasme ? collectif de ce que représente l'un pour l'autre. Ce que représente la culture américaine pour la française, et l'inverse.
    Peu d'analyses tiennent compte de ces facteurs qui dépendent de l'histoire, mais pas seulement, et qui ne peuvent pas être... mesurés...
    L'ironie voudrait qu'au moment même où de grandes tensions secouent la société française, faisant naître des grosses bulles d'envie, d'intolérance, de dépit, l'abandon ou même l'attaque de la culture classique, de sa transmission ne peut que jouer pour constituer... de nouvelles élites.
    Quand on songe à la manière dont le français (et l'anglais...) créent de nouveaux mots, à partir des racines... grecques et latines, priver la jeunesse de la capacité de maîtriser ce phénomène à la source est.. discriminant au plus haut point.
    Le latin et le grec BIEN QUE LANGUES "MORTES" sont bien vivants dans nos langues, (dans l'anglais aussi), donc... essayer de prétendre qu'ils sont morts, c'est...?
    Les mots me manquent pour qualifier notre bêtise..suicidaire sur ce dossier.
    Si seulement l'Homme était (plus..) logique et rationnel.
    Mais force est de constater qu'il ne l'est pas.

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    1. Ne pensez-vous pas, cher(e) Debbie, que, si l'homme était logique et rationnel :
      • il admettrait que le choix du latin par les parents pour leurs rejetons est, depuis très longtemps, essentiellement motivé par l'accès pour eux aux "meilleures" classes ; qu'en conséquence l'apprentissage du latin est de facto un instrument de ségrégation sociale
      • il se demanderait si la proportion d'enfants d'enseignants dans les classes de latin (je fus l'un d'eux) ne serait pas très supérieure à leur part dans la population ; si, par hasard, ou pas par hasard, c'était le cas, il s'interrogerait sur les causes de cette anomalie, et sur ses conséquences
      • il constaterait que la connaissance du latin est un instrument, et un signe, de distinction sociale - ce qui n'est pas une tare, c'est juste un constat
      • il admettrait qu'il n'est pas besoin d'avoir fait du latin à l'école pour s'intéresser au sens des mots
      • il admettrait que la maîtrise de la règle de trois, des fondements de l'économie, et de l'anglais, sont infiniment plus utiles pour permettre aux individus d'être libres, et donc égaux, que la connaissance d'une langue morte, fût-elle la mère de la nôtre et de quelques autres (il faudrait dire une des mères, d'ailleurs)
      • il se rendrait à l'évidence que ce ne sont ni les maîtres, ni les ministres, qui ont tué l'enseignement du latin (car le latin, lui, reste vivant tout en étant mort, je vous l'accorde, ce qui est un paradoxe intéressant, particulièrement pour un être logique et rationnel), mais que si l'enseignement du latin se meurt c'est probablement parce que son utilité sociale se réduit à mesure que celle d'autres enseignements s'accroît
      • il se dirait que ce que nous avons sous les yeux est le résultat de l'école des cinquante dernières années, que ce n'est pas brillant, et qu'il y aurait peut-être quelque chose à changer ?

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  2. Cher Guy,
    Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas venu vous lire. Je constate avec plaisir que votre blog n'a rien perdu de tout ce qui fait son charme et son intérêt. Je devrais passer vous voir plus souvent.
    Vous dites que les mots sont minés : c'est juste, et c'est pour cela qu'ils doivent être manipulés avec précaution, au risque d'exploser à la figure soit de celui qui les dit, soit de celui qui les entend. Le problème n'est pas tant qu'ils soient minés, c'est leur essence, c'est peut-être même à cette condition qu'ils sont vivants. Le problème, c'est plutôt qu'ils soient gominés, pour faire brillant, et laminés, pour faire lisse. Le petit doigt sur la couture du pantalon, et pas un mot qui dépasse : c'est le politiquement correct, qui est la mort lente de la pensée.
    Quant à l'enseignement du latin, je vous sais gré de m'avoir fait écouter Régis Debray - qui, s'il dit pas mal de bêtises depuis quelque temps, les dit toujours avec talent et intelligence -, et de m'avoir fait lire le billet d'Alain Lecomte, dont je partage en grande partie l'avis sur le sujet.
    Grâce à régis Debray, qui le cite, j'ai jeté un coup d'œil sur les discours de Condorcet. "Offrir à tous les individus de l'espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d'assurer leur bien-être, de connaître et d'exercer leurs droits, d'entendre et de remplir leurs devoirs ; assurer à chacun la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a le droit d'être appelé, de développer toute l'étendue des talents qu'il a reçus de la nature ; et par-là, établir entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi. Tel doit être le premier but d'une instruction nationale". Tout est dit, non ? Et je ne vois pas le latin là-dedans ...

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  3. Cher Guy, sans vouloir polémiquer, je suis heureux de voir qu’une personne au moins partage partiellement mon avis… Je déplore qu’encore une fois la communauté enseignante s’enflamme à propos d’une réforme qui, certes, vaut ce qu’elle vaut, mais a au moins le mérite d’exister. Si l’on devait partir des propos très généraux d’un Debray ou d’un Finkielkraut (« il faut de l’effort de la part des élèves », « il faut de l’autorité », « ce sont les maîtres qui ont le savoir » etc.) on n’irait pas bien loin… Rien dans leurs discours qui puisse donner lieu à du concret, à moins d’interpréter cela comme le simple voeu de revenir à l’école de notre (de leur) enfance… ce qui est bien faible comme proposition ! Enkidou a raison de dire que ce ne sont ni les ministres ni les maîtres qui ont tué l’enseignement du latin mais tout simplement sa faible utilité sociale. Debra, sur mon blog, déplore qu’avec le latin disparaissent les méthodes d’analyse mais les voies de l’analyse sont multiples, toute langue a sa morphologie, on peut faire la distinction entre « la tension » et « l’attention » sans avoir fait de latin (la preuve : je la fais !). L’apprentissage d’une langue, quelle qu’elle soit, repose sur la mise en route de procédures analytiques. Je regrette beaucoup que, dans ce débat, on n’entende pas la voix des cogniticiens, tel Stanislas Dehaene qui, sur la question, doit avoir beaucoup à dire. Mais je crains, hélas, que Debray et Finkel n’aient que sarcasmes pour « la science » des cogniticiens, comme ils ont des sarcasmes pour les sciences de l’éducation (un peu plus justifiés parfois !) et comme leur nouvel ami, Philippe Val, a des sarcasmes pour la sociologie… ce en quoi ils auraient bien tort. Il est facile de détruire des conclusions élaborées par des méthodes scientifiques (plus ou moins, je l’accorde…) en moquant les disciplines elles-mêmes.

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  4. La phrase du Guépard a beaucoup servi : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Ce qui s’annonce est inscrit depuis longtemps dans les intentions des cadres de l’éducation nationale qui comme les fonctionnaires de Bercy ont plus de poids que bien des ministres, et celle d’aujourd’hui me semble bien légère. Debray et Finki , s’ils sont repris, c’est aussi parce qu’ils ne sont pas si loin des réalités, du côté des praticiens qui s’inquiètent aujourd’hui.
    Nous utilisons nos expériences personnelles pour étayer nos arguments, mais si on m’a donné le bac en 68 après des épreuves orales comme nous l’avions revendiqué, je pense que la priorité à la parole qui vole confirme des inégalités sociales quand la confiance en soi allait avec l’aisance d’être dans un bon milieu comme on disait à ce moment là, quand on se référait à des modèles quitte à les contester. Jamel Debbouze dont j’ai apprécié l’intervention après les attentats de Charlie et son humour, est cité par le premier ministre, mais je trouve cela démago, même si l’école doit se nourrir de l’actualité cela n’exclut pas la littérature. Je passais une séquence des Inconnus : « Louis croix vé bâton » quand j’abordais la révolution, mais je ne me dispensais pas de parler aussi des Lumières.

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